samedi 13 mars 2010

monde de merde

Parler du monde actuel comme d'un cadavre en décomposition n'est pas simple facilité
rhétorique. C'est une image, mais de celles qui servent à imaginer juste : l'ayant à l'esprit, on
distingue mieux ce qu'on a sous les yeux, et toutes sortes de phénomènes, sinon passablement
déroutants, deviennent intelligibles. A commencer justement par ce sentiment universel qu'il
est désormais inutile de chercher à connaître de façon plus scientifique et détaillée le
fonctionnement de la société mondiale. En dehors de ceux qui sont rétribués pour fournir des
simulations théoriques, cela n'intéresse personne de savoir comment elle marche exactement;
et d'abord parce qu'elle ne marche plus.

L’immersion précoce dans le monde fictif qu’organisent les « nouvelles technologies du
virtuel » constitue assurément une éducation, mais à quoi ? On peut le déduire avec
plausibilité de ses principales caractéristiques. C’est un monde de sensations rapides et
violentes, où l’on est seul, et où l’on éprouve un sentiment de toute-puissance : par là, et par
l’accoutumance qu’il crée, il se rattache à la drogue. L’espace et le temps de la vie ordinaire y
sont comme suspendus, remplacés par l’instantanéité de la transmission sur écran et de son
réseau mondial : il appartient par là à la sphère du jeu, à ceci près qu’il ne s’oppose pas à la
vie courante comme une liberté supérieure, même temporaire et limite, mais plutôt comme un
asservissement plus complet, une épreuve visant à tester la capacité d’adaptation à
l’environnement purement artificiel et technicisé qui sera bientôt le nôtre (cet aspect est
d’ailleurs présent dès l’origine, militaire, de cette réalité virtuelle : simulateurs de vol, etc.).
Par d’autres côtés, il rappelle le monde du rêve, mais ce sont les désirs de la soumission qu’on
y trouve à déchiffrer. Surtout, c’est un monde où le temps est réversible et le passé toujours
effaçable, où donc règne l’indifférence à la vérité et au mensonge, au réel et au fictif, comme
à toute notion du bien et du mal : c’est sans doute en cela qu’il est encore le plus formateur.
Non qu’il faille inculquer cette indifférence à des cervelles rétives : au contraire elles y sont
déjà assez disposées par tout ce qu’elles ont eu à connaître jusque là la nouvelle machinerie ne
faisant qu’équiper, et par là rendre irréversible, ce qu’avaient commencé à installes dans les
moeurs les machines précédentes, celles qui devaient seulement nous faciliter la vie, et non
prendre sa place. Mais enfin, la perte de conscience était encore incomplète, et l’expérience de
création d’un homme totalitaire ou « post-historique » devait être poussée plus loin, « pour
entrer dans le IIIème millénaire », faire ce « saut mythique dans le temps » auquel nous invite
le millénarisme d’Etat.
Pour proscrire toute notion un tant soit peu véridique de l’état réel, misérable, dans lequel se
trouve la jeunesse, s’exerce donc une censure consensuelle qui réunit :
1) les marchands, leurs propagandistes divers et tous ceux qu’ils corrompent en les
intéressant à leurs bénéfices : étant les plus malléables et manipulables des
consommateurs, les mieux adaptés au monde de la camelote, puisqu’ils n’ont jamais
rien connu d’autre, les jeunes sont constamment donnés en exemple au reste de la
population ;
2) les parents qui n’ont eu à transmettre à leurs enfants que leur propre acceptation du
bonheur marchand, et qui voient celle-ci leur revenir, agrémentée de toutes ses
conséquences pathologiques, sous la forme de mutants pour lesquels ils ne sont que
des « fossiles » et des « demeurés » : chez eux, la censure opère au sens quasi
psychanalytique du terme, car c’est l’échec de leur vie qui est résumé justement là où
ils croyaient, rêvant d’une intimité familiale heureuse, préserver une maigre part de
réussite ;
3) les ex-gauchistes en tout genre qui, même s’ils n’ont pas pour cela les motifs
précédents, ont toutes sortes d’affinités avec la modernisation et surenchérissent dans
l’enthousiasme futuriste de peur de passer pour des arriérés, des rétrogrades, peut-être
des crypto-vychistes.
Car si tant de gens s’en laissent imposer par cette orthodoxie juvéniliste, alors qu’ayant connu
bien des réalités avant qu’elles ne soient liquidées ou trafiquées, ils devraient pouvoir juger la
course à la décomposition, ses champions et ses jeunes supporters, c’est qu’ils souscrivent
intérieurement au mépris dans lequel les marchands et les administrateurs de la falsification
les tiennent et qui repose sur ce simple calcul : d’ici quinze à vingt ans, ceux qui auront connu
la vie d’avant seront presque tous morts, et ceux qui seront alors jeunes ou adultes n’auront
jamais rien connu qui puisse leur servir de point de comparaison pour juger les ersatz imposés
dans tous les domaines.

Le trait principal, et déterminant tous les autres, par lequel le gauchisme préfigurait ce qui
allait devenir en une trentaine d’années la mentalité dominante des nouvelles générations,
partout inculquée et socialement valorisée, est donc précisément celui qui avait été reconnu
comme caractéristique de la mentalité totalitaire : la capacité d’adaptation par la perte de
l’expérience continue du temps. L’aptitude à vivre dans un monde fictif, où rien n’assure la
primauté de la vérité par rapport au mensonge, découle évidemment de la désintégration du
temps vécu en une poussière d’instants : celui qu’on vit dans un tel temps discontinu est
délivré de toute responsabilité vis-à-vis de la vérité, mais aussi de tout intérêt à la faire valoir.
Si le sens de la vérité se perd, tout est permis et c’est bien ce que l’on constate. Cette sorte de
liberté a produit le caractère spontanément conformiste et très moderne de ces gens si
nombreux auxquels il suffit de s’abandonner à leurs propres réactions et d’obéir sans
hésitation aux exigences du moment pour commettre les bassesses que demande leur bonne
intégration au fonctionnement de la machine sociale. La tendance à vivre dans un temps
personnel qui est une succession de présents sans souvenir du passé ni réelle prise en compte
de l’avenir, si elle était quelque peu contrecarrée dans le cas des groupuscules bureaucratiques
par les nécessités de leur espèce de politique, s’affirmait en revanche sans entraves dans les
fractions plus modernes, où la privation de tout horizon temporel était prônée comme une
liberté radicale : « Et par-dessus tout cette loi : ‘Agis come s’il ne devait jamais exister de
futur’. » (Raoul Vaneigem, Traité de savoir-vivre à l’usage des jeunes générations.)

Les deux tendances psychologiques qui sous tendent le « gauchisme » moderne sont le « sentiment
d'infériorité » et la « sur-socialisation ». Le « sentiment d'infériorité » s'applique au « gauchisme » moderne dans
son ensemble, tandis que la « sur-socialisation » se s'applique qu'à une partie du « gauchisme » moderne, mais
cette partie est la plus influente :

-Par « sentiment d'infériorité » nous ne pensons pas seulement au sentiment d'infériorité dans le sens strict du
terme, mais à tout un faisceau de traits apparentés : faible estime de soi, sentiment de faiblesse, tendances
dépressives, défaitisme, culpabilité, haine de soi, etc. Nous prétendons que les « gauchistes » modernes sont
habités par ces sentiments (plus ou moins marqués) et que ces sentiments sont fondamentaux pour la
détermination du « gauchisme » moderne.
Quand quelqu'un prend comme une offense personnelle pratiquement tout ce qui peut être dit à propos de lui
(ou des groupes auxquels il s'identifie), nous en concluons qu'il souffre d'un sentiment d'infériorité ou d'une
faible estime de soi. Cette tendance est prononcée chez les défenseurs des droits des minorités, qu'ils
appartiennent ou non aux dites minorités. Ils sont hypersensibles quant aux mots utilisés pour désigner ces
minorités. Les termes « noir », « jaune », « handicapé » ou « nana » pour un africain, un asiatique, une personne
souffrant de troubles invalidants, ou une femme n'ont pas à l'origine une connotation péjorative. « Gonzesse » et
« nana » sont simplement les équivalents féminins de « mec », « type » ou « gars ». Les connotations péjoratives
ont été attachées à ces termes par les activistes eux-mêmes. Certains défenseurs des animaux vont jusqu'à rejeter
le vocable de pet [animal de compagnie ; pas d'équivalent français] pour celui d'« animal de compagnie ». Les
anthropologues « gauchistes » font de grands efforts pour essayer de dissimuler ce qui pourrait être interprété
comme négatif chez les peuplades primitives. Ils voudraient remplacer le terme « primitif » par « nonliterate »
[qui ne sont pas parvenus au stade de l'écriture]. On arrive à une attitude paranoïaque envers tout ce qui pourrait
suggérer qu'une culture primitive puisse être inférieure à la notre.
Ceux qui sont le plus sensible au « politiquement correct » ne sont pas des habitants des ghettos noirs, ni des
immigrants asiatiques, des femmes battues ou des handicapés, mais une minorité d'activistes, la plupart d'entre
eux ne venant d'aucun des groupes « opprimés », mais bien plutôt des couches privilégiées de la société, la forteresse
du « politiquement correct »
Beaucoup de « gauchistes » s'identifient avec les groupes qui ont une image d'êtres faibles (femmes), de
vaincus, ou de toute forme d'infériorité en général.
Les « gauchistes » ont eux-mêmes le sentiment que ces groupes sont inférieurs. Ils ne se l'admettront jamais, mais
c'est précisément parce qu'ils ressentent ces groupes comme inférieurs qu'ils s'identifient à leurs problèmes.
Les féministes sont obsédées par l'idée de prouver que les femmes sont aussi fortes et aussi capables que les
hommes. Il est évident qu'elles sont angoissées par le fait qu'une femme puisse ne PAS être aussi forte et aussi
capable qu'un homme.
Les « gauchistes » ont tendance à haïr tous ceux qui donnent une image de personnes fortes, bonnes et qui
réussissent. Ils haïssent les USA, la civilisation occidentale, ils haïssent les hommes blancs, ils haïssent le
rationalisme. Les raisons qu'invoquent les « gauchistes » pour haïr l'Occident, etc., ne correspondent évidemment
pas avec leur motivations réelles. Ils DISENT qu'ils haïssent l'Occident car il est belligène, impérialiste, sexiste,
ethnocentrique, et ainsi de suite, mais lorsque ces même tares apparaissent dans les pays socialistes ou dans les
cultures primitives, les « gauchistes » leur trouvent des excuses, ou au mieux admettent A CONTRE COEUR
qu'elles existent ; alors qu'ils soulignent AVEC ENTHOUSIASME ces mêmes tares dans la civilisation
occidentale. Ainsi, il est clair que ces tares ne sont pas le motif réel des « gauchistes » pour haïr les USA et
l'Occident. Ils haïssent les USA et l'Occident parce qu'ils sont forts et puissants alors qu'eux sont faibles et impuissants.
Des termes tels que « confiance en soi », « initiative », « entreprise », « optimisme », etc., jouent peu de rôle
dans le vocabulaire libéral et « gauchiste ». Le « gauchiste » est anti-individualiste, pro-collectiviste. Il veut que
la société règle les problèmes de tout un chacun et prenne soin de lui. Il n'a a pas l'esprit d'une personne ayant
une profonde confiance en elle-même, dans sa capacité à résoudre ses problèmes et à satisfaire ses besoins. Le
« gauchiste » est opposé au concept de compétition car au fond de lui, il a une mentalité de perdant.
Les formes d'art qui séduisent les intellectuels « gauchistes » modernes se polarisent sur le sordide, l'échec et
le désespoir, ou bien se complaisent dans un mode orgiaque, rejetant le rationalisme comme s'il n'y avait aucun
espoir d'accomplir quelque chose grâce à la pensée rationnelle, et que tout ce qui restait était de se plonger dans
les sensations du moment.
Les philosophes « gauchistes » modernes ont tendance à repousser raison, science, réalité objective et à
préférer le relativisme culturel. Il est vrai que l'on peut se poser de sérieuses questions sur les fondements du savoir
scientifique, et comment, finalement, le concept de réalité objective peut être défini. Mais il est évident que les philosophes
« gauchistes » modernes ne sont pas simplement de froids logiciens analysant systématiquement les fondements du savoir.
Ils sont profondément impliqués au niveau émotionnel dans leur attaques contre la vérité et la réalité. Ils attaquent ces
concepts en fonction de leurs besoins psychologiques.
D'une part leur attaque canalise leur hostilité, et, pour autant qu'elle soit accomplie avec succès, elle satisfait le
besoin de pouvoir. Plus important, les « gauchistes » haïssent les sciences et le rationalisme car ces derniers
classifient certaines attitudes mentales comme bonnes (c.-à-d. : le succès, la supériorité) et d'autres comme
mauvaises (c.-à-d. : l'échec, l'infériorité). Le sentiment d'infériorité du « gauchiste » est tel qu'il ne peut supporter
cette classification entre supérieur et inférieur (névrose de l'égalité). Ceci sous-tend le rejet de nombreux « gauchistes »
du concept de maladie mentale et de l'utilité des tests QI. Les « gauchistes » sont opposés aux thèses génétiques sur les
capacités et comportements humains du fait que ces théories font apparaître certaines personnes comme
supérieures et d'autres comme inférieures. Les « gauchistes » préfèrent laisser la responsabilité à la société de la
capacité ou de l'incapacité d'un individu. Ainsi, si une personne est « inférieure », ce n'est pas de sa faute, mais
celle de la société qui ne lui a pas permis de se réaliser.
Typiquement, le « gauchiste » n'est pas le genre de personne dont le sentiment d'infériorité fera de lui un
vantard, un égotiste, une brute, un mégalomane ou un compétiteur impitoyable. Ce genre de personnes n'ont pas
tout à fait perdu confiance en elles-mêmes. Elles estiment mal leur propre valeur et leur pouvoir, mais ont encore
la capacité de se concevoir comme fortes, et leurs efforts pour arriver à ce résultat explique leur comportement
déplaisant.(Nous avançons que TOUTES, ou presque toutes, les brutes et les compétiteurs impitoyables souffrent d'un
sentiment d'infériorité.) Mais le « gauchiste » est bien au delà de tout cela. Son sentiment d'infériorité est tel qu'il lui est
impossible de s'imaginer comme quelqu'un de fort et de valable. Ce qui explique le collectivisme du
« gauchiste ». Il ne peut se sentir fort que comme membre d'une grande organisation ou d'un mouvement de
masse avec lequel il puisse s'identifier.
Remarquons les tendances masochistes des tactiques « gauchistes ». Les « gauchistes » protestent en
s'allongeant devant des véhicules, ils provoquent intentionnellement la police ou les racistes pour qu'ils les
agressent, etc. Ces tactiques peuvent parfois obtenir des résultats, mais beaucoup de « gauchistes » ne les
utilisent pas comme des moyens correspondant à une fin, mais parce qu'ils PRÉFÈRENT les tactiques
masochistes. La haine de soi est une caractéristique « gauchiste ».
Les « gauchistes » peuvent bien clamer que leur activisme est motivé par la compassion ou un principe moral
(et le principe moral ne joue aucun rôle pour les « gauchistes » du type « sur-socialisés »). Mais la compassion et
la morale ne peuvent être les motivations principales de l'activisme « gauchiste ». L'hostilité est une composante
bien trop importante de la mentalité « gauchiste » ; c'est en fait elle qui mène la barque. De surcroît, le
comportement de beaucoup de « gauchistes » n'est pas rationnel quand il s'agit d'agir de façon bénéfique envers
les personnes auxquelles ils disent venir en aide. Par exemple, si l'on estime que l'affirmative action est bonne
pour les noirs, est-ce que cela a un sens de la faire dans des termes hostiles ou dogmatiques ? Il est évident qu'il
serait plus rentable d'avoir une approche plus diplomatique et plus conciliatrice, en faisant au moins des
concessions verbales ou symboliques aux blancs qui pensent que l'affirmative action est discriminatoire pour
eux. Mais les « gauchistes » n'ont pas ce genre d'approche car elle ne satisferait pas leurs penchants
psychologiques. L'aide aux noirs n'est pas leur véritable but. En fait, le problème racial est une excuse pour
exprimer leur propre hostilité et leur besoin frustré de pouvoir. Ce faisant, ils vont à l'encontre des aspirations
des noirs, car leur attitude hostile envers la majorité blanche a tendance à intensifier la haine raciale(nouvelle lutte des classes).
Si notre société n'avait pas le moindre problème, les « gauchistes » INVENTERAIENT des problèmes pour
justifier leur agitation.

-Les psychologues utilisent le terme de « socialisation » pour désigner le processus par lequel les enfants
apprennent à agir et à penser en fonction des demandes de la société. Une personne est dite bien socialisée si elle
croit et obéit au code moral de cette société et s'y insère. Cela semble ne pas tomber sous le sens de dire que
beaucoup de « gauchistes » sont sur-socialisés du fait qu'ils sont perçus comme des rebelles. En fait cette
proposition est tout à fait défendable. De nombreux « gauchistes » ne sont pas les rebelles qu'ils semblent être.
Le code moral de notre société est tellement astreignant que personne ne peut penser, sentir et agir de
manière totalement morale. Par exemple, nous sommes censés ne haïr personne, bien que tout le monde ait haï
quelqu'un à un moment ou à un autre, que ce fait soit admit ou non. Certaines personnes sont tellement
socialisées que le devoir de penser, sentir et agir de manière morale leur impose un pénible fardeau. Pour éviter
des sentiments de culpabilité, elles doivent sans cesse se leurrer quant à leurs motivations et trouver des
explications morales pour des sentiments et actions qui, en réalité, n'ont pas d'origine morale. Nous utilisons le
terme de « sur-socialisés » pour désigner de pareilles personnes.
La sur-socialisation conduit à une piètre estime de soi, un sentiment de faiblesse, de défaitisme, de
culpabilité, etc. Un des moyens les plus importants par lequel notre société socialise les enfants est de leur faire
honte lorsque leurs comportements ou discours est contraire à ce que cette société attend d'eux. S'il y a
exagération dans ce sens, ou si un enfant est particulièrement réceptif à ce genre de sentiments, il finit par être
honteux de LUI-MÊME. La pensée et le comportement d'une personne sur-socialisée sont bien plus aliénées que
celles d'une autre modérément socialisée. La majorité des gens possèdent de larges franges de comportements
antisociaux. Ils mentent, commettent de menus larcins, enfreignent le code de la route, tirent au flanc, haïssent,
cancanent, ou utilisent des moyens déloyaux pour arriver à leurs fins. Une personne sur-socialisée ne peut pas
faire ce genre de choses, ou si elle le fait, cela provoque un sentiment de honte et de haine de soi. La personne
sur-socialisée ne peut même pas avoir une expérience, sans culpabilité, de pensées ou sentiments qui soient
contraires à la morale en place ; elle ne peut avoir de « mauvaises » pensées. Et la socialisation n'est pas juste
une question de morale ; nous sommes socialisés pour nous adapter à de nombreuses normes qui n'ont rien à voir
avec la morale proprement dite. Ainsi, la personne sur-socialisée est maintenue en laisse et sa vie avance sur les
rails que la société a construit pour elle. Pour beaucoup de personnes sur-socialisées, cela se traduit par un
sentiment de contrainte et de faiblesse qui peut être un terrible handicap. Nous affirmons que la sur-socialisation
est parmi les pires choses qu'un être humain peut infliger à un autre.
Nous pensons qu'une très grande et très influente partie de la gauche moderne est sur-socialisée et que cette
sur-socialisation est d'une grande importance dans la constitution du « gauchisme » moderne. Les « gauchistes »
sur-socialisés sont en général des intellectuels ou des membres de la classe moyenne supérieure. Notons que les
universitaires constituent la portion la plus sur-socialisée de notre société, ainsi que la plus à gauche.
Le « gauchiste » sur-socialisé essaie de se débarrasser de sa laisse mentale et affirme son autonomie en se
rebellant. Mais il n'est pas généralement assez fort pour se rebeller contre les plus élémentaires valeurs de la
société. En fait, les buts des « gauchistes » actuels n'entrent PAS en conflit avec la morale courante. Au
contraire, la gauche s'approprie un principe moral reconnu, l'adopte comme étant le sien, puis accuse le gros de
la société de violer le dit principe. Par exemple : égalité des races, des sexes, aide aux pauvres, pacifisme, non
violence en général, liberté d'expression, bonté envers les animaux. Plus fondamentalement, les devoirs des
individus envers la société, et ceux de la société vis à vis des individus. Toutes ces valeurs sont profondément
enracinées dans notre société (ou au moins dans les couches sociales supérieures4) depuis longtemps. Ces valeurs
sont explicitement ou implicitement formulées par les mass-média ou le système éducatif. Les « gauchistes »,
surtout sur-socialisés, ne se rebellent pas contre ces valeurs mais justifient leur hostilité à la société en prétendant
(avec une certaine raison) que la dite société vit en contradiction avec ces valeurs.
Voici une illustration qui montre combien les « gauchistes » sur-socialisés sont attachés aux attitudes
conventionnelles de notre société tout en prétendant se rebeller contre elle. Beaucoup de « gauchistes » se remue
pour l'affirmative action, pour promouvoir les noirs à des métiers gratifiants, pour améliorer le niveau dans les
écoles noires, ainsi qu'une augmentation du budget pour ces écoles ; pour eux la « sous-vie » des noirs est une
tare sociale. Ils veulent intégrer les noirs dans le système, en faire des hommes d'affaire, des juristes, des
scientifiques, comme c'est le cas des blancs des classes aisées. Les « gauchistes » répondront que la dernière
chose qu'ils veulent est de faire d'un noir une copie d'un blanc ; En fait, ils veulent préserver la culture afroaméricaine.
Mais en quoi consiste cette préservation ? Cela se résume à manger de la cuisine noire, écouter de la musique noire, se vêtir de vêtements pour noirs, et aller dans des églises noires ou dans des mosquées. Sur le
fond, il ne s'agit que de quelque chose de totalement superficiel. Sur L'ESSENTIEL, les « gauchistes » sursocialisés
veulent rendre le noir conforme aux idéaux blancs de la classe moyenne. Ils veulent que ce dernier
étudie des matières scientifiques, devienne un cadre ou un scientifique, passe sa vie à grimper les échelons pour
prouver que les noirs valent les blancs. Ils veulent que les pères noirs soient « responsables », que les gangs
deviennent non-violents, etc. Mais ce sont exactement les valeurs du système techno-industriel. Le système se
moque de savoir ce que vous écoutez comme musique, ce avec quoi vous vous habillez, la religion en laquelle
vous croyez, tant que vous étudiez à l'école, dégottiez un travail respectable, soyez un parent « responsable », un
individu non-violent, et ainsi de suite. En effet, quoi que puissent être ses dénégations, le « gauchiste » sursocialisé
veut intégrer le noir dans le système et lui en faire adopter les valeurs.
Nous ne prétendrons certainement pas que les « gauchistes », même « sur-socialisés », ne se rebellent
JAMAIS contre les valeurs fondamentales de notre société. Bien sur, il arrive qu'ils le fassent. Certains
gauchistes sur-socialisés sont allés si loin dans la rébellion contre notre société moderne qu'ils se sont engagés
dans l'action violente. Selon leurs propres dires, la violence est pour eux une forme de « libération ». En d'autres
termes, en devenant violents, ils brisent les contraintes morales qu'ils ont en eux. Du fait de leur sursocialisation,
ces contraintes sont plus enfouies chez eux ; d'où le besoin impérieux de s'en défaire. Mais ils
justifient ordinairement leur rébellion au nom de valeurs reconnues. S'ils s'engagent dans l'action violente, ils
affirmeront qu'ils combattent le racisme ou quelque chose du même acabit.
Nous sommes conscients que de nombreuses objections peuvent être émises contre l'exposé rapide qui
précède concernant la psychologie « gauchiste ». La situation réelle est complexe, et une description exhaustive
prendrait plusieurs volumes quant bien même toute la documentation serait disponible. Nous affirmons
simplement avoir donné des pistes concernant les deux principales tendances de la psychologie du « gauchisme »
moderne.
Les problèmes du « gauchisme » sont ceux de notre société dans son ensemble. Faible estime de soi,
tendances dépressives et défaitisme ne sont pas l'apanage de la gauche. Bien qu'ils soient particulièrement
prononcés dans les rangs de la gauche, ils sont omniprésent dans notre société. Et la société actuelle essaie de
nous socialiser à un degré jamais atteint par les sociétés précédentes. Nous sommes même conseillés par des
experts pour manger, pour nous maintenir en forme, pour faire l'amour, pour élever nos enfants et ainsi de suite.

Les conservateurs sont idiots : Ils se plaignent du déclin des valeurs traditionnelles, alors qu'ils
s'enthousiasment pour le progrès technologique et la croissance économique. De toute évidence, il ne leur
apparaît pas qu'on ne peut avoir des changements rapides, drastiques dans la technologie et l'économie d'une
société sans causer parallèlement des évolutions tout aussi rapides dans tous les autres secteurs de cette société ;
et ces évolutions, inévitablement, mettent à bas les valeurs traditionnelles.
L'effondrement des valeurs traditionnelles implique celle des liens organiques des petites structures sociales.
La désintégration des petites structures sociales est aussi favorisée par la tendance moderne à imposer la mobilité
géographique aux individus , les séparant ainsi de leurs communautés. Pire, une société technologique SE DOIT
d'affaiblir les liens familiaux et les petites communautés si elle fonctionne correctement. Dans la société
moderne, la loyauté d'un individu doit d'abord aller au système et ensuite, seulement, à une petite communauté,
car si la loyauté au groupe restreint était plus forte que celle au système, de tels groupes prendraient l'avantage
sur le système.
Supposons qu'un homme politique ou un cadre d'une entreprise engage un cousin, un ami ou un
coreligionnaire à la place d'une autre personne plus qualifié pour ce travail. Il a permis à sa loyauté personnelle
de prendre le pas sur la loyauté envers le système ; et le « népotisme » et la « discrimination » sont deux péchés
capitaux dans la société moderne. Les pays en voie de développement qui n'ont pas bien réussi a subordonner la
loyauté individuelle à celle envers le système sont en général assez mal partis (voir l'Amérique Latine). Ainsi,
une société industrielle avancée ne peut tolérer en son sein que des groupes émasculés, brisés, et réduits à l'état
de rouages.
Une exception peut être faite en ce qui concerne certains groupes passifs, contemplatifs, comme les Amish,
dont l'influence est faible sur le reste de la société. En dehors de ces derniers, quelques authentiques petites
communautés existent aux USA à l'heure actuelle. Par exemple, les gangs de jeunes et les « cultes ». Tout le
monde les considère comme dangereux, et ils le sont, car les membres de ces groupes sont d'abord loyaux les uns
envers les autres, plutôt qu'envers le système ; ce qui fait que ce dernier ne peut les contrôler. Ou prenons les
gitans. Les gitans se débrouillent généralement par des larcins et des fraudes car leur loyauté est telle qu'ils
peuvent toujours trouver d'autres gitans pour témoigner de leur innocence. Évidemment le système serait secoué
si trop de personnes appartenaient à de pareils groupes. Certains des penseurs chinois du début du 20e siècle qui
voulaient moderniser la Chine reconnurent la nécessité de détruire les petits groupes sociaux, comme la famille :
« (suivant Sun Yat-sen) le peuple chinois a besoin d'une nouvelle vague de patriotisme qui transférerait la
loyauté de la famille à l'état… (suivant Li Huang) les attaches traditionnelles, particulièrement celles de la
famille, doivent être abandonnées si le nationalisme doit se développer en Chine » (Chester C. Tan, La pensée
politique chinoise au 20e siècle, page 125 et 297).
















La désintégration du temps vécu est bien entendu déterminée, plus que par quoi que ce soit
d’autre, par le seuil franchi dans l’augmentation de la composition organique du capital, pour
employer les termes de Marx : c’est toute la vie des individus, et pas seulement le « travail
vivant », qui est écrasée par la vitesse mécanique du « travail mort ». L’accélération de la
productivité industrielle a été si vertigineuse que le rythme de renouvellement des choses et
de la transformation du monde matériel n’a plus rien à voir avec celui de la vie humaine, avec
son écoulement trop paresseux.
Mais il a fallu faire la propagande de l’adaptation à ces nouvelles conditions, où les hommes ne sont
plus que les parasites des machines qui assurent le fonctionnement de l’organisation sociale.
Sans doute le gauchisme a-t-il fait cette propagande tout à fait inconsciemment, sans savoir à
quoi il participait : il croyait à son pauvre rêve d’une pure révolution, totale et instantanée, qui
s’accomplirait pour ainsi dire indépendamment des individus et de tout effort de leur part pour
se construire eux-mêmes avec leur monde.Cela prouve d’autant mieux ses affinités spontanées
avec le processus d’éradication des anciennes qualités humaines permettant une autonomie
individuelle. D’ailleurs ces affinités sont devenues pleinement conscientes dans la postérité
furieusement moderniste du gauchisme, où l’on s’adonne aux plaisirs permis par des loisirs de
masse avec une satisfaction non
dissimulée, et où l’idéologie « antiautoritaire » résiduelle sert à tout vanter de la décomposition
des moeurs.
Véritable avant-garde de l’adaptation, le gauchisme (et surtout là où il était le moins lié au
vieux mensonge politique) a prôné à peu près toutes les simulations qui font maintenant la
monnaie courante des comportements aliénés. Au nom de la lutte contre la routine et l’ennui,
il dénigrait tout effort soutenu, toute appropriation, nécessairement patiente, de capacités
réelles : l’excellence subjective devait, comme la révolution, être instantanée. Au nom de la
critique d’un passé mort et de son poids sur le présent, il s’en prenait à toute tradition et même
à toute transmission d’un acquis historique. Au nom de la révolte contre les conventions, il
installait la brutalité et le mépris dans les rapports humains. Au nom de la liberté des
conduites, il se débarrassait de la responsabilité, de la conséquence, de la suite dans les idées.
Au nom du refus de l’autorité, il rejetait toute connaissance exacte et même toute vérité
objective : quoi de plus autoritaire en effet que la vérité, et comme délires et mensonges sont
plus libres et variés, qui effacent les frontières figées et contraignantes du vrai et du faux.
Bref, il travaillait à liquider toutes ces composantes du caractère qui, en structurant le monde
propre de chacun, l’aidaient à se défendre des propagandes et des hallucinations marchandes.

La domination moderne, qui avait besoin de serviteurs interchangeables, a justement détruit –
c’est peut-être là sa principale réussite – les conditions générales, le milieu social et familial,
les rapports humains nécessaires à la formation d’une personnalité autonome. (Ceux qui
avaient « un métier dans les mains », comme on disait, étaient évidemment moins
interchangeables que ceux qui n’ont qu’un écran devant les yeux.) Par leur histrionisme et par
bien d’autres traits, ces caractères vidés de tout ce qui aurait pu leur donner consistance
évoquent diverses formes de destruction de la personnalité qu’avait pu décrire autrefois la
psychiatrie. Sans s’attarder aux considérations psychopathologiques qu’appelleraient cette
façon dont la maladie d’hier est devenue la normalité d’aujourd’hui.
(l’automatisation n’a pas supprimé le travail, elle en a fait un privilège
envié).

on peut aussi voir dans l’automobiliste le prototype de l’internaute, de l’homme
plus dégradé encore qui a renoncé au monde sensible pour une circulation réduite aux signaux
et qui n’a même plus besoin de se déplacer physiquement. L’automobiliste ne circule-t-il pas
déjà, principalement dans un paysage d’information (logistiques, commerciales, touristiques,
culturelles) ? Et n’apprend-il pas à surfer sur l’information, quand il voit affiché sur le bord de
la route : « La marchandise la plus précieuse, c’est vous », en même temps qu’il peut entendre
sa radio de bord lui annoncer qu’après cinquante ans de guerre chimique contre la vie
terrestre, la spermatogénèse moyenne du consommateur moyen a déjà baissé de moitié ?

Combattant de la liberté de circuler emprisonné dans son enveloppe métallique,
l’automobiliste est donc en première ligne de la lutte continuelle, exténuante, pour une vie
débarrassée de l’effort. Mais cette lutte fait rage partout : il n’est même plus d’autre rage que
celle-là. « Le pire, c’est les machines à balles rondes, où l’accidenté est littéralement avalé »,
lit-on dans un journal, à propos des nouveaux accidents du travail de l’agriculture industrielle.
Après avoir avalé les haies, les chemins, les fermes, les villages, les savoirs, toute la réalité
tangible de la campagne, et donc tout réalité tangible et intelligible, la mécanisation avale ce
travailleur stressé qu’est devenu le paysan. La dévoration de l’humanité par la carapace
technique qui devait la protéger des épreuves du monde naturel.

Pourtant il y a plus horrible que cette vision où malgré tout victime et bourreau
sont encore distincts : l’idée que l’enchevêtrement de l’homme et des prothèses mécaniques
au profit desquelles il a abdiqué ses facultés est devenu à ce point inextricable qu’on ne
pourra plus jamais restaurer celles-ci dans leur intégrité. Et on en arrive vite à envisager une
telle possibilité, ne serait-ce qu’à considérer ce que peut devenir le sens de l’ouïe sous
l’influence de la musique de masse, qui promet un paroxysme libérateur en surenchérissant de
chocs auditifs sur le bruit industriel – et n’exauce de souhait que pour aussitôt le frustrer.
Toutes les tortures, tous les tourments infligés par le travail industriel se condensent et se
durcissent dans ses produits, dans ces objets si banals qu’on ne les distingue même plus, mais
qui, chargés de malignité, la diffusent dans les organes de leurs utilisateurs, indurent leur coeur
et leur chair. Des ouvrières de vingt ans, chiourmes d’un « parc industriel » installé sur une île
au large de Singapour (« avec ses hauts grillages, ses tranchées et ses caméras de
surveillance »), perdent la vue en deux ou trois années à fabriquer des télécommandes ; et au
loin, ignorants de ces yeux éteints, manipulant distraitement le boîtier renfermé sur ces
souffrances inconnues, d’autres esclaves s’appliquent à éteindre leur propre regard devant les
télécrans, tandis que partout autour d’eux la lumière se tait et tombe la nuit de la raison.


Quant à ce qu’il advient de la langue commune dans de telles conditions, il est sans doute d’y
insister, puisqu’il a été établi voici longtemps que « toute dégradation individuelle ou
nationale est sur-le-champ annoncée par une dégradation rigoureusement proportionnelle dans
le langage » ; ce que nous vérifions tous les jours en écoutant nos contemporains.

Les barbares ne viennent donc pas d’une lointaine et archaïque périphérie de l’abondance
marchande, mais de son centre même. A qui a su garder à peu près intacte sa sensibilité, en
s’efforçant de réduire autant que possible ses rapports avec les techniques de la vie aliénée, il
suffit pour s’en persuader de côtoyer un instant ceux qui ont été formés et déformés dès
l’enfance par cet appareillage de la paupérisation ; car ils sont aussi loin de la nature que de la
raison, et c’est à cela que l’on reconnaît la barbarie. Ces estropiés de la perception, mutilés par
les machines de la consommation, invalides de la guerre commerciale, arborent leurs
stigmates comme des décorations, leur infirmité comme un uniforme, leur insensibilité
comme un drapeau. Ainsi ce qui émane d’adolescents de quatorze ou quinze ans, se déplaçant
en bande dans un métro parisien, s’apparente le plus souvent à ce qui autrefois émanait très
spécifiquement de la virilité enrégimentée (militaires, sportifs, militants des mouvements
totalitaires) : disons un fort parfum de lynchage. Endurcis au contact de leur environnement
technique, rompus aux ordres qu’ils ne cessent d’en recevoir, ceux qui ont grandi sous les
coups et les chocs des « sensations fortes » produites industriellement cherchent à montrer
une dureté plus grande encore, une dureté d’affranchis, sur le modèle de ces héros de notre
temps que sont les durs entre les durs : les seigneurs de la guerre économique, indistinctement
policiers ou gangsters, chefs d’industries ou de mafias. En les voyant, ces militants du
totalitarisme marchand et de son dynamisme sans but, on pense à ce que disait Chesterton du
slogan nietzschéen : « Soyez durs » : qu’il signifiait en réalité « Soyez morts


qu’il y ait conflit des générations supposerait qu’il y ait générations, ce que dément le nivellement
des expériences et des comportements.
Hier encore, la société de masses dominées par des appareils bureaucratiques tolérait dans la
jeunesse un relatif éloignement de la norme, plutôt comme une période probatoire permettant
la sélection des opportunistes les plus doués. Désormais ce reste de sordide sagesse
bourgeoise (« Il faut bien que jeunesse se passe ») est périmé, avec la conscience du temps du
passage d’une vie qu’elle conservait à sa façon : on doit à tout âge être capable de tout ce
qu’exige, par tant d’occasions à saisir et de « coups » à faire, la demande sociale de
participation créative au dynamisme de l’économie. Il ne saurait, face à cette exigence,
subsister d’individualité, ni même de chronologie individuelle : un enfant parlera comme un
vieillard sentencieux des revenus de ses parents et de leurs rapports conjugaux, un vieillard
s’amusera comme un enfant de ses hochets électroniques. Et ce que l’on appelle le « troisième
âge » se manifeste justement, par l’accoutrement et les occupations, comme l’accession à une
jeunesse enfin complète, à une oisiveté indistinctement asservie à tous les produits de
l’industrie des loisirs.

bien que cette jeunesse gavée partout des mêmes images et véritablement enragée de mimétisme soit
étonnamment massifiée, homogène et conformiste, il existe bien sûr chez les plus pauvres des
comportements qui s’apparentent à l’ancien illégalisme des classes dangereuses. Mais ce n’est
pas pour être encore criminels au regard du droit que ces gestes en sont pour autant
subversifs : ils sont sauvages au sens du capitalisme sauvage, bien plus qu’au sens de la grève
sauvage. Des gauchistes voudraient croire que depuis vingt ans et plus se serait maintenue une
espèce d’essence de la jeunesse prolétarienne, toujours aussi spontanément subversive,
toujours sur le point de s’auto-organiser pour transformer la société. En réalité, personne ne
souhaite plus, et surtout pas parmi les pauvres, de prendre une quelconque responsabilité dans
la marche catastrophique du monde. Chacun, riche ou pauvre, veut aller au plus court pour
rejoindre les mêmes satisfactions, admises par tous comme telles : ce raccourci est
nécessairement plus violent pour les pauvres, voilà tout.

Voici, parmi tant d’autres, ce que disent de récentes statistiques sur la criminalité aux Etats-
Unis : l’homicide est la deuxième cause de mortalité pour les Américains âgés de 15 à 24 ans,
et la troisième pour les enfants de 5 à 14 ans ; l’âge moyen du meurtrier arrêté est passé de 32
ans en 1965 à 27 ans aujourd’hui ; les meurtres commis par des gangs de jeunes ont plus que
quadruplé entre 1980 et 1993. Et pour compléter ce tableau, le taux de suicide chez les jeunes
a triplé depuis les années cinquante. Le remède proposé par les commentateurs effarés
consisterait à « reconstruire la famille américaine, s’assurer que nos enfants comprennent la
valeur de la vie, la leur et celle des autres. » Il est un peu tard pour cela, quand ce qui faisait la
valeur de la vie est tout aussi ruiné que la famille, américaine ou pas ; mais il n’est pas moins
tard pour voir une émancipation ou un progrès quelconque dans cette désintégration de la
cellule familiale, qui livre directement les atomes individuels à la brutalité d’une vie désolée,
à la concurrence désespérée de ceux qui n’appartiennent à rien, et auxquels rien n’appartient.

le gauchisme vit de bonnes intentions, les siennes et celle qu’il prête à ses héros négatifs –
pour redescendre sur terre, le problème n’est pas que ces barbares refusent, même très mal, le
nouveau monde de la brutalité généralisée ; c’est au contraire qu’ils s’y adaptent très bien,
plus vite que beaucoup d’autres, qui sont encore encombrés de fictions conciliatrices.
On peut donc effectivement les appeler des barbares. Où auraient-ils trouvé à se civiliser, et
comment ? En regardant les vidéocassettes pornographiques de leurs parents ? En
s’immergeant dans l’univers ectoplasmique des simulations numérisées ? En adoptant
mimétiquement le comportement des vedettes de la brutalité ? En voyant partout autour
d’eux, vers les sommets de la hiérarchie sociale comme dans ses abîmes, prévaloir une espèce
de conscience nihiliste de l’effondrement historique en cours, sur le modèle de « après nous le
déluge » ?
Car c’est l’idée même d’une civilisation à continuer qui s’est volatilisée comme la couche
d’ozone, fissurée comme le sarcophage de Tchernobyl, dissoute comme les nitrates dans la
nappe phréatique. Toute entreprise escomptant la durée est frappée de dérision, le monde
appartient maintenant à ceux qui en jouissent vite, sans scrupules ni précautions d’aucune
sorte, dans le mépris non seulement de tout intérêt humain universel, mais aussi de toute
intégrité individuelle. La qualité de cette jouissance du monde est exactement celle que
permet son caractère hâtif, instantané, voué à la volatilisation immédiate et donc à la seule
intensité sans son contenu : « Le temps ne respecte pas ce que l’on fait sans lui. » L’usage des
drogues en est à la fois la plus simple expression et le complément logique, avec leur pouvoir
d’émietter le temps en une suite d’instants sans processus (Baudelaire disait, et ce n’était qu’à
propos du haschisch, qu’un gouvernement intéressé à corrompre sa population n’aurait qu’à
en encourager l’usage.)
Le seul tableau, clinique, de ce qu’est devenu, dans ces conditions générales, ce que l’on
n’ose plus appeler l’érotisme – atrophie de la sensualité et recherche panique de stimulations
toujours plus violente – suffirait à établir que la maladie sociale a atteint son dernier stade.

La même efficacité barbare marque la façon dont les élites de la corruption et les gangs des ghettos se taillent
leurs fiefs dans la décomposition. Et la solidarité de type mafieux est la seule qui vaille quand
toutes les autres ont disparu. La « loyauté inconditionnelle, illimitée et inaltérable » que les
mouvements totalitaires exigeaient de leurs membres, et qu’ils pouvaient obtenir d’individus
isolés, sans autres liens sociaux, qui ne tiraient le sentiment de leur utilité que de leur
appartenance au parti, cette loyauté, débarrassée de toute idéologie, se retrouve dans
l’allégeance totale aux gangs.
Les « banlieues », comme on dit dans les médias pour désigner en fait l’ensemble du territoire
urbanisé (les centres historiques anciens, principalement dévolus à l’usage touristique et
marchand, n’ayant presque plus rien de l’heureuse confusion qui faisait une ville), sont donc
devenues, avec leur jeunesse barbare, le « problème » qui résume providentiellement tous les
autres : une « bombe à retardement » placée sous le siège de ceux qui du coup pourraient se
croire des assis. Comme bien d’autres « problèmes », on parle de celui-là non pour le
résoudre (et comment le pourrait-on ?) mais pour le gérer, comme ils disent : en bon français
pour le laisser pourrir, en l’y aidant par tous les immenses moyens disponibles à cette fin.
Ce « peuple de l’abîme », qui s’entasse dans les ghettos des villes américaines comme dans les bidonvilles
du tiers-monde, mais aussi bien dans les « banlieues » françaises, a été jusqu’ici,
en accord avec l’anticipation de London, condamné à des révoltes sporadiques et désespérées, tandis que de
son côté l’oligarchie faisait « sortir l’ordre de la confusion » et établissait « ses fondations et
ses assises sur la pourriture même. »Selon les termes mêmes de London, « l’horrible image de l’anarchie »
est ainsi « constamment mise sous les yeux » des intégrés et des soumis, afin qu’ils soient « obsédés
par cette crainte entretenue.
Quand on nous parle de la banlieue comme d’un « laboratoire du futur », on veut dire que
c’est avec un tel matériel humain que la domination s’apprête à poursuivre ses expériences. Et
comme la machinerie du rapport marchand universel et exclusif va jeter dans l’abîme des
masses toujours plus nombreuses de surnuméraires, la néo-harmonie décérébrée des « Love
Parades » a certes moins d’avenir que la barbarie des exterminations réciproques. Déjà ce
n’est pas dans le roman de Jack London, mais dans un témoignage sur l’Algérie d’aujourd’hui
que l’on peut lire ces phrases : « C’est le règne de la confusion. On ne sait plus qui est qui ; on
ne sait plus qui fait quoi. (…) Il y a aussi des comités d’autodéfense, des mafias locales qui
entretiennent leurs propres milices, de vrais militaires, de faux gendarmes, de faux islamistes.
La plupart du temps on ne sait pas à qui on a affaire. (…) On a privatisé cette guerre qui est
devenue pour beaucoup un moyen de subsistance. L’Etat donne de l’argent et des armes pour
défendre une partie du territoire. Des seigneurs de la guerre apparaissent. Ils recrutent des
hommes dans leur famille et n’ont d’autre souci que celui d’agrandir leur fief. (…) Les gens
prennent parti en faveur de ceux qui les nourrissent. »

La fonction spectaculaire qui fut dans les années soixante-dix et quatre-vingt celle du
terrorisme étiqueté gauchiste, après avoir été à plus grande échelle et sur une plus longue
période celle de l’ennemi bureaucratique-totalitaire, échoit maintenant en France aux
« terroristes islamistes », ces parfaits représentants de la barbarie, dont la repoussante
intolérance réunit dans la réprobation tous les démocrates, jusqu’aux plus pointilleux : « Face
au problème des banlieues et à la violence grandissante, l’affirmation de la loi est essentielle.
La loi est en elle-même une manière de résister à la violence. » (Alain Finkielkraut, le Monde,
21 novembre 1995).
Ainsi fait-on doctement semblant de raisonner, chez les moralistes et philosophes salariés de
« l’Etat de droit », comme si l’on se trouvait dans une Europe bourgeoise et éclairée, en train
de donner en modèle au monde le système des droits et des devoirs d’une démocratie
parlementaire. Le général-président Zéroual1 se montrait plus branché, quand il répondait aux
dirigeants français prétendant lui faire la leçon sur les procédures électorales à suivre qu’il
n’avait rien à apprendre d’eux en matière de stratégie politique. La tradition locale, héritée
d’une splendeur étatique passée, prépare en effet assez mal ces dirigeants français au genre
d’aventurisme maintenant nécessaire, et ce sont plutôt eux qui ont à apprendre de quelqu’un
comme Zéroual, de la façon dont il a réussi à surnager dans le sang et la boue. Mais ils
apprennent, sans doute, que ce soit de Zéroual ou d’autres, comme ces socialistes espagnols,
parrains d’un escadron de la mort antibasque, dont l’un résuma laconiquement ce qu’il en était
désormais du droit et de la séparation des pouvoirs en déclarant : « Montesquieu est mort ».
D’ailleurs n’importe quel idéologue asiatique du développement industriel accéléré
démontrera, preuves à l’appui, que celui-ci n’a nul besoin des formes de la démocratie
politique qui ont accompagné en Europe son « décollage » : maintenant la marchandise vole
sur sa lancée, sans besoin d’un tel point d’appui. Et la Chine sera entièrement ravagée sans
avoir jamais connu les « libertés politiques ». A voir de quel piètre secours elles ont été à
l’Europe qui les avaient (sic) conçues, on se dirait presque qu’elle n’a pas perdu grand-chose.

l’objectivité d’une catastrophe qui est en elle-même une fait révolutionnaire, et bien plus
menaçant que tout ce que les classes dominantes du passé ont eu à combattre (dans cette
société rien ne marche plus qu’à l’aide de prothèses toujours plus coûteuses et grosses de
désastres : c’est jusqu’à la capacité de l’espèce à se reproduire sans recourir à des
manipulations de laboratoires qui est entamée).
les profits capitalistes ont été partout restaurés aux dépens de la protection
qu’assurait, et surtout que promettait l’Etat moderne en échange de la servitude ,la violence
économique s’exerce sans qu’il y ait désormais, pour en amortir les coups – contrairement à
l’époque du premier
« capitalisme sauvage » - ni, dans les moeurs et les rapports sociaux, l’énorme acquis
historique pré-capitaliste, ni, dans le monde encore naturel, ces ressources apparemment
inépuisables de richesse gratuite qui étaient pour l’humanité comme une réserve de vie ; et, au
sens strict comme au sens imagé, une défense immunitaire contre la marchandise. On voit
donc apparaître toutes sortes d’étranges « protecteurs », misant cyniquement sur le désespoir
et la peur ; cela va des sectes aux nouveaux « seigneurs de la guerre » qui imposent leur
protection au milieu du chaos : il faut se souvenir que cette fonction n’est pas seulement à
l’origine de la féodalité, mais aussi des diverses mafias. Et dans cet émiettement de la
protection, où les entreprises sont organisées comme des gangs, les sectes comme des services
secrets, les gangs comme des milices, l’Etat devient en quelque sorte un protecteur parmi
d’autres, et plutôt moins efficace que d’autres.
la jeunesse embrigadée et fanatisée par les gangs est à l’avant-garde de la régression vers un
monde où le pourrissement de toutes les anciennes formes de vie en société ne sera arrêté que
par l’instauration des plus brutales coercitions. Non seulement la violence franchement
nihiliste de ces sections d’assaut de la barbarie n’est pas un danger pour la domination, non
seulement elle lui sert de repoussoir pour justifier sa propre violence, mais elle est un modèle
d’adaptation aux conditions nouvelles où la survie passera de plus en plus par l’extermination,
et où une sécurité précaire ne sera achetée qu’aux prix du reniement de toute autonomie
individuelle.

Véritable avant-garde de l’adaptation, le gauchisme (et surtout là où il était le moins lié au
vieux mensonge politique) a prôné à peu près toutes les simulations qui font maintenant la
monnaie courante des comportements aliénés. Au nom de la lutte contre la routine et l’ennui,
il dénigrait tout effort soutenu, toute appropriation, nécessairement patiente, de capacités
réelles : l’excellence subjective devait, comme la révolution, être instantanée. Au nom de la
critique d’un passé mort et de son poids sur le présent, il s’en prenait à toute tradition et même
à toute transmission d’un acquis historique. Au nom de la révolte contre les conventions, il
installait la brutalité et le mépris dans les rapports humains. Au nom de la liberté des
conduites, il se débarrassait de la responsabilité, de la conséquence, de la suite dans les idées.
Au nom du refus de l’autorité, il rejetait toute connaissance exacte et même toute vérité.



Quand on nous parle de la banlieue comme d’un « laboratoire du futur », on veut dire que
c’est avec un tel matériel humain que la domination s’apprête à poursuivre ses expériences. Et
comme la machinerie du rapport marchand universel et exclusif va jeter dans l’abîme des
masses toujours plus nombreuses de surnuméraires, la néo-harmonie décérébrée des « Love
Parades » a certes moins d’avenir que la barbarie des exterminations réciproques. Déjà ce
n’est pas dans le roman de Jack London, mais dans un témoignage sur l’Algérie d’aujourd’hui
que l’on peut lire ces phrases : « C’est le règne de la confusion. On ne sait plus qui est qui ; on
ne sait plus qui fait quoi. (…) Il y a aussi des comités d’autodéfense, des mafias locales qui
entretiennent leurs propres milices, de vrais militaires, de faux gendarmes, de faux islamistes.
La plupart du temps on ne sait pas à qui on a affaire. (…) On a privatisé cette guerre qui est
devenue pour beaucoup un moyen de subsistance. L’Etat donne de l’argent et des armes pour
défendre une partie du territoire. Des seigneurs de la guerre apparaissent. Ils recrutent des
hommes dans leur famille et n’ont d’autre souci que celui d’agrandir leur fief. (…) Les gens
prennent parti en faveur de ceux qui les nourrissent. » (Le Monde, 19-20 janvier 1997.)


« Dans ce
contexte, les SDF, les ‘exclus’, toute la masse disparate de ces mis-de-côté forment peut-être
l’embryon des foules qui risquent de constituer nos sociétés futures si les schémas actuels
continuent de se dérouler. »




Et s’il nous arrivait de ne plus vivre en démocratie ? », s’inquiète tel auteur,
pour se rassurer en fin de compte, faire comme si on était bien installé dans la paix, la
démocratie, puisque vers ce quoi nous allons ne ressemble à aucune forme de dictature
connue à ce jour et répertoriée comme telle par les démocrates.
objective : quoi de plus autoritaire en effet que la vérité, et comme délires et mensonges sont
plus libres et variés, qui effacent les frontières figées et contraignantes du vrai et du faux.
Bref, il travaillait à liquider toutes ces composantes du caractère qui, en structurant le monde
propre de chacun, l’aidaient à se défendre des propagandes et des hallucinations marchandes.

Car cette simulation proprement hystérique de la vie (selon la formule de Gabel : « le menteur
ordinaire est en marge de la vie parce qu’il ment ; le menteur hystérique ment parce qu’il est
en marge de la vie ») ne pouvait bien sûr, par sa quête angoissée du plaisir immédiat, que
s’asservir ridiculement à tout l’appareillage high-tech qui, un peu mieux tout de même que la
magie des slogans gauchistes, tient la promesse d’une vie enfin débarrassée de l’effort de
vivre. La carrière banale de l’ancien gauchiste, qui a troqué l’instantanéité révolutionnaire
(« Tout, tout de suite ! ») contre l’instantanéité marchande, est répétée en accéléré par chaque
consommateur hédoniste, qui n’affirme l’autonomie et la singularité de son plaisir que pour
l’abdiquer en se livrant sans restriction aux stimuli de la vie mécanisée, à ses sensations
« prêtes à l’emploi », à ses distractions frénétiques, etc.
Et comme une subjectivité aussi inconsistante et vide ne peut se sentir exister qu’en
augmentant toujours l’intensité et la vitesse des chocs reçus, la consommation hédoniste est
de son propre mouvement ramenée vers ce déchaînement destructeur auquel aspirait de son
côté le gauchisme en y voyant le comble de l’émancipation. Ceux qui sont enfermés dans la
cage temporelle de l’instant, isolés du passé comme de l’avenir, ne trouvent plus à affirmer
leur humanité qu’en mettent le feu à leur prison. Ainsi, en surenchérissant sur la vitesse de
destruction du monde par celle avec laquelle ils se précipitent vers l’abdication de leur
autonomie, les individus ajustent leur système nerveux au rythme de l’histoire, et s’adaptent
par avance à la catastrophe qui gagne.


Mais ses
peurs et sa fausse conscience sont partagées par tous ceux qui ont quelque chose à perdre au
dépérissement de l’ancien Etat national qu’organisent les pouvoirs qui contrôlent le marché
mondial : travailleurs des secteurs industriels jusque-là protégés, employés des services
publics, gestionnaires divers du système de garanties sociales maintenant mis à la casse. Tous
ceux-là forment la masse de manoeuvre d’une espèce de front national-étatique, un informel
« parti de Décembre » où une sauce idéologique anti-mondialiste lierait toutes sortes de rebuts
politiques avariés : républicains à la mode Chevènement-Seguin-Pasqua, débris staliniens,
écologistes socialisants, gaucho-humanitaristes en mal de « projet social ». Ce parti de la
stabilisation n’a une vague apparence d’exister que pour fournir un exutoire aux
récriminations contre les excès des partisans de l’accélération : il a pour raison d’être une
protestation sans effet, et qui se sait elle-même vaincue d’avance, n’ayant rien à opposer à la
modernisation technique et sociale selon l’économie unifiée. (Il n’est d’ailleurs pas un de ces
soi-disant ennemis de l’unification du monde, jusqu’aux plus gauchistes, qui ne
s’enthousiasme des possibilités de télédémocratie offertes par les « réseaux ».)


En réalité, le rôle historique de cette fraction nationale-étatique de
la domination, et son seul avenir, est de préparer les populations – puisque tout le monde au
fond se résigne à ce qui est admis comme inévitable – à une dépendance et à une soumission
plus profondes. Car le fond de tout cela, de toutes ces « luttes » pour le service public et le
civisme, c’est la réclamation, présentée à la société administrée, de nous éviter les désordres
que répand partout la loi du marché, pour laquelle « l’Etat coûte trop cher ». Et comment le
pourrait-elle, sinon par de nouvelles coercitions, seules capables de tenir ensemble ces
agrégations de folies que sont devenues les sociétés humaines civilisées ? Qu’est-ce qui nous
protège en effet d’un genre de chaos à l’algérienne ou à l’albanaise ? Certainement pas la
solidité des institutions financières, la rationalité des dirigeants, le civisme des dirigés, etc.
Cependant, mêlé à ces peurs et à cette demande de protection, existe aussi le désir à peine
secret qu’à la fin il se passe quelque chose qui clarifie et simplifie une bonne fois, serait-ce
dans la brutalité et le dénuement, ce monde incompréhensible, où l’avalanche des
événements, leur confusion inextricable, prend de vitesse toute réaction et même toute pensée.
Dans l’idée d’une catastrophe enfin totale, d’une « grande implosion » se réfugie l’espoir
qu’un événement décisif, irrévocable, et qu’il n’y aurait qu’à attendre, nous fasse sortir de la
décomposition de tout, de ses combinaisons imprévisibles, de ses effets omniprésents et
insaisissables : que chacun soit contraint de se déterminer, de réinventer la vie à partir des
nécessités premières, des besoins élémentaires ainsi venus au premier plan. Attendre d’un
seuil franchi dans la dégradation de la vie qu’il brise l’adhésion collective et la dépendance
vis-à-vis de la domination en obligeant les hommes à l’autonomie, c’est méconnaître que pour
simplement percevoir qu’un seuil a été franchi, sans même parler d’y voir une obligation de
se libérer, il faudrait ne pas avoir été corrompu par tout ce qui a mené là ; c’est ne pas vouloir
admettre que l’accoutumance aux conditions catastrophiques est un processus commencé de
longtemps, qui permet en quelque sorte sur sa lancée, quand un seuil est un peu brutalement
franchi dans le délabrement, de s’en accommoder vaille que vaille (on l’a bien vu après
Tchernobyl, c’est-à-dire qu’on n’a rien vu).


Et même un effondrement soudain et complet des conditions de survie, quel effet
émancipateur pourrait-il avoir ? Les ruptures violentes de la routine qui se produiront sans
doute dans les années à venir pousseront plutôt l’inconscience vers les protections
disponibles, étatiques ou autres. Non seulement on ne saurait espérer d’une bonne catastrophe
qu’elle éclaire enfin les gens sur la réalité du monde dans lequel ils vivent (ce sont à peu près
les termes mêmes d’Orwell), mais on a toutes les raisons de redouter que, face aux calamités
inouïes qui vont déferler, la panique ne renforce les identifications et les liens collectifs
fondés sur la fausse conscience.

On voit déjà comment ce besoin de protection ressuscite d’anciens modes de liens et
d’appartenances, claniques, raciales, religieuses : les fantômes de toutes les aliénations du
passé reviennent hanter la société mondiale, qui se flattait de les avoir dépassées par
l’universalisme marchand. En fait l’effondrement intérieur des homes conditionnés par la
société industrielle de masse a pris de telles proportions qu’on ne peut faire aucune hypothèse
sérieuse sur leurs réactions à venir : une conscience, ou une néo-conscience, si l’on veut,
privée de la dimension du temps (sans pour autant cesser d’être tenue pour normale,
puisqu’elle est adaptée, on ne peut mieux, à la vie imposée, et qu’en quelque sorte tout lui
donne raison) est par nature imprévisible. On ne peut raisonner sur le déraisonnable. L’attente
d’une catastrophe, d’un auto-effondrement libérateur du système technique pour faire venir
positivement la possibilité d’une émancipation : dans l’un et l’autre cas, on se dissimule le fait
qu’ont justement disparu sous l’action du conditionnement technique les individus qui
auraient l’usage de cette possibilité, ou de cette occasion ; on s’épargne donc à soi-même
l’effort d’en être un. Ceux qui ne veulent la liberté pour rien manifestent qu’ils ne la méritent
pas.



Ce qui motivait selon Chesterton l’hostilité populaire rencontrée à son époque par le
darwinisme, c’était au moins une répugnance à admettre notre origine simiesque qu’un
pressentiment de ce qu’une telle théorie de l’évolution nous annonçait sur notre devenir
simiesque : l’idée que l’homme est définitivement malléable et adaptable a effectivement de
quoi faire peur quand ce sont les maîtres de la société qui s’en emparent.



Pour nous rassurer, on nous explique que c’est grâce à la technique que l’homme s’est
humanisé, et qu’avec ses centrales nucléaires, ses ordinateurs qui stockent l’histoire
universelle, ses manipulations génétiques, simplement il continue son humanisation. D’une
prémisse fausse (comme l’a montré Mumford, et à sa façon Lotus de Païni), on saute à une
conclusion absurde, et qui ne serait pas moins absurde si l’affirmation initiale était
parfaitement exacte. Que penserait-on en effet de quelqu’un qui dirait : « Monsieur Untel
s’était construit une maison de deux étages, une demeure spacieuse pour lui et sa famille.
Mais il ne s’est pas contenté de deux étages, il en a construit encore quarante, ou quatre cents,
ou quatre mille, et il ne compte pas du tout s’arrêter là. Que trouvez-vous à redire ? Il a
procuré un abri aux siens, il continue. » La tour insensé de monsieur Untel est condamnée à
s’écrouler d’un instant à l’autre sur ses habitants, chaque nouvel étage ajoute à la menace,
mais on en parle toujours comme d’un abri. Tel est bien le discours des apologistes du
développement technique infini, avec cette circonstance aggravante qu’ils le tiennent devant
un tas de décombres : la maison devenue tour insensées s’est déjà écroulée. Et tout ce qu’il y
avait de ténébreux dans cet abri, les réalités obscures sur lesquelles étaient fondés les
identifications collectives et le chantage social les peurs, les répressions et les cruautés, toute
la part de barbarie enfouie sous l’édifice de la civilisation, tout cela est remonté des caves et
des fondations, et vient maintenant à l’air libre.



le bénéfice de la lutte
LE PROCESSUS DE POUVOIR
Les êtres humains ont un besoin (probablement d'ordre biologique) pour quelque chose que nous appellerons
le « processus de pouvoir ». Il est apparenté au besoin de pouvoir (qui est bien connu) mais qui n'est pas
exactement la même chose. le processus de pouvoir comprend 4 éléments. Parmi les 3 les plus facilement
identifiables, nous citerons le but, l'effort et la réalisation du but (tout le monde a besoin de buts dont la
réalisation demande des efforts et a besoin de réaliser au moins quelques uns de ces buts). Le quatrième élément
est plus difficile à définir et n'est pas nécessaire à tout le monde. Nous appellerons l'autonomie et nous en
discuterons plus loin .
Prenons comme hypothèse le cas d'un homme qui obtiendrait tout ce qu'il veut simplement en le désirant. Cet
homme a du pouvoir, mais il va aussi avoir de sérieux problèmes psychologiques. Au début, cela l'amusera
beaucoup, mais au fur et à mesure, il finira par s'ennuyer et par être démoralisé. Eventuellement, il peut devenir
dépressif, au sens clinique du terme. L'histoire nous montre que les aristocraties sybarites ont fini par devenir
décadentes. Ce n'est pas vrai pour les aristocraties combatives qui avaient à se battre pour conserver leur pouvoir.
Mais les aristocraties indolentes et bien installées qui n'avaient pas besoin de défendre leurs prérogatives sont
souvent devenues blasées, hédonistes, et démoralisées, quant bien même elles détenaient le pouvoir. Ceci montre
que le pouvoir n'est pas tout. On doit avoir des buts permettant d'exercer ce pouvoir.
Tout le monde a des buts ; au moins acquérir le minimum vital : nourriture, eau, de quoi se vêtir et s'abriter.
Mais l'aristocratie désoeuvrée obtient tout cela sans effort. D'où son ennui et sa démoralisation.
L'échec à réaliser des buts importants amène à la mort s'ils concernent des besoins vitaux, et à la frustration
s'ils ne mettent pas en danger la vie du sujet. Des échecs graves pour parvenir aux buts d'une vie conduisent au
défaitisme, à la faible estime de soi, et à la dépression.
Ainsi, pour éviter de graves problèmes psychologiques, un être humain a besoin de buts qui nécessitent un
effort, et il doit avoir une chance raisonnable d'aboutir à ses fins.


EFFONDREMENT DU PROCESSUS DE POUVOIR DANS LA SOCIÉTÉ
MODERNE
Nous divisons les désirs humains en trois groupes :
(1) ceux qui peuvent être satisfaits avec un minimum
d'effort ;
(2) ceux qui ne peuvent être satisfaits qu'au prix d'un sérieux effort ;
(3) ceux qui ne peuvent être satisfaits quels que soient les efforts accomplis. Le processus de pouvoir permet de satisfaire les désirs du second
groupe. Plus il y a de désirs du 3ème groupe, plus cela génère frustration, colère, éventuellement défaitisme,
dépression, etc.

Dans la société industrielle, les désirs naturels de l'homme ont tendance à se retrouver dans les groupes 1 et
3, tandis que le deuxième groupe tend à regrouper tous les désirs artificiellement créés.
Dans les sociétés primitives, les besoins physiques relevaient généralement du groupe 2 : ils pouvaient être
satisfaits seulement au prix de gros efforts. Mais les sociétés moderne ont tendance à garantir le minimum vital
en échange d'un effort minime, ce qui fait que les besoins primordiaux y relèvent du groupe 1 (il peut y avoir
désaccord sur le fait que le fait de conserver un travail est « minime », mais généralement, dans les boulots des
couches basses et moyennes de la société, ce qu'on vous demande principalement, c'est l'obéissance. Vous restez
assis ou debout là où vous a dit de rester, et faites ce qu'on vous a dit de faire de la façon dont on vous a dit le
faire. Vous devez rarement vous impliquer sérieusement, et dans tout les cas, vous avez du mal à acquérir une
certaine autonomie, et , ainsi, le processus de pouvoir ne peut pas être satisfait).
Les besoins sociaux, comme le sexe, l'amour, et le statut social, relèvent souvent du groupe 2 dans la société
moderne, suivant la position hiérarchique de l'individu.(Certains sociologues, éducateurs, professionnels de la « santé mentale », et ainsi de suite, font de leur mieux
pour placer les désirs sociaux dans le groupe 1 en essayant de faire en sorte que chacun ait une vie sociale
satisfaisante.) Mais, à l'exception des individus qui ont un fort désir
pour un statut social élevé, l'effort requis pour réaliser les désirs sociaux est insuffisante pour satisfaire le
processus de pouvoir.
Ainsi, certains besoins artificiels ont été créés pour relever du groupe 2, de façon à essayer de satisfaire le
processus de pouvoir. La publicité et le marketing ont été développés de manière à ce que beaucoup de
personnes éprouvent des besoins pour des objets que leurs grand-parents n'avaient jamais désirés ou même
imaginés. Il faut gagner beaucoup d'argent pour satisfaire ces besoins artificiels, ce qui les fait relever du groupe
2 . L'homme moderne doit satisfaire son besoin de processus de pouvoir
essentiellement en courant après les besoins artificiels créés par la publicité et le marketing au service de
l'industrie(Le désir d'acquisition matérielle sans fin est il vraiment une création artificielle de la publicité et du
marketing ? Il n'y a certainement aucune pulsion innée chez l'homme pour l'accumulation de biens matériels. Il y
a eu de nombreuses cultures qui ne désiraient que peu de chose en plus de la satisfaction de leurs besoins
élémentaires (Arborigènes d'Australie, Culture traditionnelle paysanne Mexicaine, quelques cultures Africaines).
D'un autre côté, ont existé de nombreuses cultures préindustrielles où l'accumulation a joué un grand rôle. Ainsi,
nous ne pouvons affirmer qu'aujourd'hui, cette particularité n'est qu'une création de la publicité et du marketing.
Mais il est certain que la publicité et le marketing ont une part importante dans la création de cette culture de
l'accumulation. Les gros trusts qui dépensent des millions en publicités ne le feraient pas si elles n'étaient pas
sûres qu'en retour leurs ventes augmenteraient. Un membre de FC a rencontré il y a de cela 2 ans un directeur
des ventes qui fut assez franc pour lui dire : « Notre boulot, c'est de faire acheter aux gens des choses qu'ils ne
veulent pas et dont ils n'ont pas besoin ». Puis il décrivit comment un vendeur novice pouvait présenter au public
un produit avec ses seules qualités sans rien vendre, alors qu'un professionnel entraîné pouvait en vendre des tas
au même public. Ceci montre que les gens sont manipulés pour acheter des choses qu'ils ne veulent pas vraiment.), et ce au travers des activités compensatrices.
Il semble que pour beaucoup de gens, peut-être la majorité, ces formes artificielles du processus de pouvoir
sont insuffisantes. Un thème qui apparaît régulièrement dans les écrits de la critique sociale de la 2ème moitié du
20e siècle est le sentiment d'inutilité qui accable de nombreuses personnes dans la société moderne (ce sentiment
d'inutilité est souvent désigné sous d'autres termes comme « anomie » ou « vacuité de la classe moyenne »).
Nous pensons que la soi-disante « crise d'identité » est à l'heure actuelle une recherche de sens, souvent sous la
forme d'une activité compensatrice adéquate. Il est possible que l'existentialisme soit pour une grande part une
réponse à ce sentiment d'inutilité.(Le problème du sentiment d'inutilité semble être devenu moins aigu depuis environ 15 ans, car les gens se
sentent moins en sécurité physiquement et économiquement qu'ils ne l'étaient avant, et le besoin de sécurité leur
a fourni un but. Mais le sentiment d'inutilité a été remplacé par la frustration de ne pouvoir atteindre à cette
sécurité. Nous avons mis en avant le sentiment d'inutilité car les libéraux et les « gauchistes » voudraient
résoudre nos problèmes sociaux en faisant en sorte que la société garantisse à chacun la sécurité ; mais si cela
peut être fait, le problème du sentiment d'inutilité reviendra au premier plan. Le vrai malaise ne vient pas du fait
que la société assure bien ou mal la sécurité de chacun ; c'est plutôt que les gens sont dépendants du système
pour leur sécurité plutôt que de l'assurer eux-mêmes. Ceci, entre autres, explique pourquoi certaines personnes se
remuent pour le droit de posséder des armes à feu ; la possession d'un fusil leur permet d'assurer cette partie de la
sécurité.) La quête de l'épanouissement est très largement répandue dans notre société.
Mais nous pensons que pour la majorité des gens une activité dont le but principal est l'épanouissement (c.a.d.
une activité compensatrice) n'apporte pas un épanouissement réel et profond. En d'autres termes, il se satisfait
pas totalement le besoin du processus de pouvoir. Ce besoin peut être pleinement satisfait
uniquement au travers d'activités qui ont un but extérieur, comme les nécessités vitales, le sexe, l'amour, le statut
social, etc
Pire encore, lorsque les buts passent par gagner de l'argent, gravir les échelons hiérarchiques, ou oeuvrer
comme un rouage du système d'une quelconque autre manière, la plupart des gens ne sont pas en position de
poursuivre leurs buts de manière AUTONOME. Les travailleurs sont des employés standard doivent passer leurs
journées à faire ce qu'on leur a dit de faire de la manière qu'on
leur a dit de faire. Même la plupart des personnes à leur compte n'ont qu'une autonomie limitée. C'est la plainte
constante des petits entrepreneurs comme quoi leurs mains seraient liées par une réglementation étatique
abusive. Certaines de ces réglementations sont sans nul doute inutiles, mais elles sont le pendant essentiel et
inévitable de notre société hautement complexifiée. Une grande partie des indépendants travaillent sous le
régime de la franchise. Il a été rapporté il y a quelques années dans le Wall Street Journal que les sociétés
franchisées faisaient passer aux postulants un test destiné à écarter ceux qui faisait montre de créativité et
d'initiative, car de telles personnes ne sont pas suffisamment dociles pour se soumettre au système de la
franchise. Ceci exclut ainsi beaucoup de gens qui ont un grand besoin d'autonomie.
Aujourd'hui les gens vivent plus en fonction de ce que le système fait pour eux ou à leur place qu'en fonction
de ce qu'ils font pour eux-mêmes. Et ce qu'ils font est de plus en plus canalisé par le système. Les possibilités
deviennent celles que le système tolère, et elles doivent être jugulées par les lois et réglementations(Les efforts des conservateurs pour diminuer l'ingérence gouvernementale sont de peu de profit pour le citoyen
moyen. D'abord, seulement une partie des réglementations peut être éliminée car elles sont majoritairement
indispensables. Ensuite, la majeure partie de la réglementation concerne le commerce plutôt que l'individu, ce
qui fait que le principal bénéfice de l'opération est de prendre le pouvoir des mains du gouvernement pour le
donner à des firmes privées. Ce qui signifie pour le pékin moyen, que les ingérences gouvernementales dans sa
vie privée sont remplacées par celles des trusts, ce qui peut leur permettre, par exemple, de rejeter plus de
produits chimiques dans son eau et lui donner le cancer. Les Conservateurs prennent l'électeur pour un crétin,
exploitant son ressentiment contre l'Etat Tout Puissant pour promouvoir le pouvoir du Grand Capital.), et les
techniques préconisées par les experts doivent être suivies si on veut avoir une chance de réussite.
On peut rétorquer que l'homme primitif est physiquement bien moins à l'abri que son homologue moderne,
ainsi que le montre sa plus faible espérance de vie ; c'est pourquoi l'homme moderne souffre moins et non pas
plus de l'insécurité. Mais la sécurité psychologique ne correspond pas exactement avec la sécurité physique. Ce
qui nous fait nous SENTIR en sécurité n'est pas tant une sécurité réelle que le sentiment de confiance en notre
capacité à nous débrouiller nous-mêmes. L'homme primitif, acculé par un fauve ou poussé par la faim, peut se
défendre ou partir à la recherche de nourriture. Il n'est pas certain de réussir, mais il n'est certainement pas sans
ressource face à l'adversité. D'un autre côté, l'homme moderne est démuni face aux accidents nucléaires, aux
substances cancérigènes dans la nourriture, à la pollution, la guerre, l'augmentation des impôts, les intrusions
dans sa vie privée, et en général face aux phénomènes sociaux ou économiques à l'échelle de la nation qui
peuvent détruire son mode de vie.
Il est vrai que l'homme primitif est démuni face à certains périls, la maladie par exemple. Mais il accepte
stoïquement le risque de maladie. Cela fait partie de la nature des choses, ce n'est la faute de personne, sinon d'un
démon, contre lequel on ne peut rien. Mais ce que subit l'homme moderne est L'OEUVRE DE L'HOMME. Ce
n'est pas du à la malchance, mais ça lui est IMPOSE par d'autres personnes qu'il est incapable, en tant
qu'individu, d'influencer. En conséquence de quoi, il se sent frustré, humilié et en colère.
Ainsi l'homme primitif a pour une grande part sa sécurité entre ses propres mains (soit comme individu, soit
comme membre d'un PETIT groupe) tandis que la sécurité de l'homme moderne est entre les mains de personnes
ou d'organisations qui sont trop inaccessibles pour qu'il soit à même de pouvoir les influencer. Ainsi, le désir de
sécurité de l'homme moderne tend à relever des groupes 1 et 3 ; dans certains cas (nourriture, logement, etc.),
cette sécurité est assurée au seul coût d'un faible effort, tandis que dans les autres cas, il ne PEUT PAS accéder à
cette sécurité (Ce qui précède simplifie exagérément la situation réelle, mais indique en gros en quoi la condition
de l'homme moderne diffère du primitif).
Les gens ont des désirs passagers ou des envies qui sont nécessairement contrariées dans la vie moderne, et
qui relèvent ainsi du groupe 3. On peut être affamé, mais la société moderne ne permet pas de chasser.
L'agression verbale est même interdite dans de nombreux cas. Quand on se déplace, on peut être pressé ou bien
décontracté, mais on n'a pas généralement le choix, sinon de se déplacer au rythme du trafic et d'obéir aux
signaux. On peut vouloir travailler d'une manière différente, mais souvent on doit travailler suivant les directives
de son employeur. De bien d'autres manières, l'homme moderne est emprisonné dans un réseau de lois et
réglementations (implicites ou explicites) qui contrarient ses envies et ainsi interfèrent avec le processus de
pouvoir. La plupart de ces réglementations ne peuvent pas être ignorées, car elles sont nécessaires au
fonctionnement d'une société industrialisée et sur socialisée.
La société moderne est sous bien des aspects extrêmement permissive. Tout ce qui ne perturbe pas le
fonctionnement du système, nous pouvons le faire. Nous pouvons croire en la religion de notre choix (tant
qu'elle n'encourage pas des attitudes dangereuses pour le système). Nous pouvons coucher avec qui bon nous
semble (tant que nous pratiquons le safe sex). Nous pouvons faire ce que nous voulons tant que c'est ANODIN.
Mais quand cela devient IMPORTANT, le système a tendance à progressivement réguler nos comportements.
Nos comportements ne sont pas seulement régulés par des lois explicites et pas seulement par le
gouvernement. Le contrôle est souvent exercé par une coercition indirecte ou par une pression psychologique ou
des manipulations, et, ce, par des organisations autres que le gouvernement, ou par le système dans son
ensemble. La plupart des grandes organisations utilisent des formes de propagande(Quand quelqu'un approuve le dessein pour lequel une certaine propagande est utilisée, il la nomme
généralement « éducation » ou emploie un quelconque autre euphémisme. Mais la propagande reste de la
propagande quel que soit le but visé.) pour manipuler le public
dans ses attitudes et comportements. La propagande n'est pas limitée au « commerce » et à la publicité, et parfois
n'est même pas considérée comme telle par les gens qui la diffusent. Par exemple, le contenu d'un programme de
divertissement est une puissante forme de propagande. Un exemple de coercition indirecte : Il n'y a pas de loi qui
dise qu'il faille aller travailler tous les jours et suivre les directives du patron. Légalement, rien ne nous interdit
de retourner à l'état sauvage ou de travailler pour notre compte. Mais en pratique, il reste peu de contrées
sauvages, et il y a une place limitée dans notre économie pour « l'artisanat ». Ce qui fait que la plupart d'entre
nous ne peuvent survivre qu'en étant l'employé de quelqu'un.
Nous soutenons que les obsessions de l'homme moderne pour la longévité de sa vie et pour assurer jusqu'à un
âge avancé la vigueur physique et l'attrait sexuel sont un symptôme d'une aliénation résultant de la déliquescence
du processus de pouvoir. La « crise de l'âge mûr » en est aussi un symptôme. De même la perte d'intérêt pour une
nombreuse progéniture assez courante dans la société moderne, mais presque insensée dans les sociétés
primitives.
Dans une société primitive, la vie est une succession d'étapes. Les besoins et fonctions propres à un stade
ayant été accomplies, il n'y a pas de problème particulier à passer au stade supérieur. Un jeune homme
accomplira son processus de pouvoir en devenant un chasseur, non pour le sport ou pour l'agrément, mais pour
assurer sa subsistance (en ce qui concerne les jeunes femmes, le processus est plus complexe, du fait d'un
accroissement du rôle social ; nous n'en discuterons pas ici). Cette période ayant été couronnée de succès, il n'y a
pas de problème pour s'assagir et fonder un foyer (par contre, certains « modernes » repoussent indéfiniment le
moment d'avoir des enfants car ils sont trop occupés à rechercher « l'épanouissement » de quelque manière que
ce soit. Nous pensons que l'épanouissement dont ils ont besoin est une expérience correcte du processus de
pouvoir — avec des buts réels au lieu des buts artificiels des activités compensatrices). De même, après avoir
élevé ses enfants, avoir utilisé le processus de pouvoir pour leur fournir subsistance, l'homme primitif sent que
son heure est venue et accepte la vieillesse (s'il survit jusque là), puis meurt. D'un autre côté, la plupart des
hommes modernes, sont hantés par l'inéluctabilité de la mort, comme le montre la somme d'efforts qu'ils
déploient pour conserver leur vigueur, leur attrait et leur santé. Nous affirmons que ceci est du au fait qu'ils n'ont
jamais utilisé leurs capacités physiques d'une quelconque manière, qu'il n'ont jamais éprouvé leur processus de
pouvoir en utilisant leur corps de façon sérieuse. Ce n'est pas l'homme primitif, qui a quotidiennement exercé son
corps, qui craint les affronts de l'âge, mais le moderne qui ne l'a jamais fait, à part marcher de sa voiture à sa
maison. C'est l'homme dont le besoin du processus de pouvoir a été satisfait durant sa vie qui est le mieux
préparé à accepter la fin de sa vie.
En réponse aux arguments de cette section, quelqu'un rétorquera : « la société doit trouver un moyen de
donner aux gens la capacité d'exercer leur processus de pouvoir ». Pour de telles personnes, cette capacité est
nulle par le simple fait que la société la leur donnera. Ce dont elles ont besoin, c'est de trouver cette capacité
d'elles-mêmes. Tant que le système leur DONNERA les « moyens », ils seront en laisse. Pour parvenir à
l'autonomie, ils doivent se débarrasser de la laisse....



La science et la technologie constituent les plus importants exemples d'activités compensatrices. Certains
scientifiques prétendent qu'ils sont mus par la « curiosité », ce qui est proprement absurde. La plupart des
scientifiques sont attelés à des problèmes hautement spécialisés qui ne peuvent être l'objet d'aucune curiosité
naturelle. Par exemple est-ce qu'un astronome, un mathématicien ou un entomologiste éprouvent de la curiosité
pour les propriétés de l'isopropyltrimethylmethane ? Bien sûr que non. Un chimiste seul peut être intéressé par
cela uniquement parce que la chimie est son activité compensatrice. Un chimiste s'intéresse-t-il à la place à
donner dans la classification ad hoc à une nouvelle espèce de coléoptère ? Non. Cette question relève
uniquement du domaine de l'entomologiste, et il s'y intéresse seulement parce que c'est son activité
compensatrice. Si le chimiste et l'entomologiste avaient à se remuer pour satisfaire leurs nécessités vitales, et si
cette activité les accaparait de façon intéressante, mais non scientifique, il n'accorderait pas la moindre
importance à l'isopropyltrimethylmethane ou à la classification des coléoptères. Supposons que l'absence
d'argent pour suivre des études supérieures ait conduit le chimiste à devenir agent d'assurance plutôt que
chimiste. Dans ce cas, il serait passionné par tout ce qui touche aux assurances, et se moquerait totalement de
l'isopropyltrimethylmethane. Dans tous les cas, il n'est pas normal de dépenser tant de temps et d'efforts pour
satisfaire une simple curiosité ainsi que le font les scientifiques. L'explication de la motivation des scientifiques
par la « curiosité » ne tient tout simplement pas debout.
Ceci est vrai pour les scientifiques en général. A de rares exceptions près, leur motivation n'est ni la curiosité,
ni le bien de l'humanité, mais le besoin d'exercer leur processus de pouvoir : avoir un but (un problème
scientifique à résoudre), fournir un effort (la recherche), et atteindre ce but (la solution du problème). La science
est une activité compensatrice car les scientifiques travaillent principalement pour la satisfaction qu'il retire du
travail lui-même.
Ainsi la science avance en aveugle, indifférente au bonheur des hommes ou à tout autre critère, obéissant
seulement aux besoins psychologiques des scientifiques et aux officiels du gouvernement qui leur accordent les
subventions.









NATURE DE LA LIBERTÉ
Nous allons maintenant démontrer que la société techno-industrielle ne peut pas être réformée de façon à
l'empêcher de réduire progressivement la sphère de la liberté humaine. Mais comme « liberté » est un terme qui peut être compris de maintes manières, nous allons d'abord exposer clairement quelle sorte de liberté nous
concerne.
Par liberté, nous entendons la possibilité d'exercer le processus de pouvoir, avec des buts réels et non pas les
buts artificiels des activités compensatrices, et sans interférence, manipulation ou supervision de qui que ce soit,
tout spécialement d'une grande organisation. La liberté signifie être en mesure de contrôler (soit seul, soit au sein
d'un PETIT groupe) sa propre vie jusqu'à sa mort ; nourriture, habillement, gîte, et défense contre tous les
dangers qui peuvent advenir dans son environnement. La liberté est synonyme de pouvoir, pas le pouvoir de
contrôler les autres, mais le pouvoir de contrôler toutes les circonstances de sa propre vie. Il n'y a pas de liberté si
quelqu'un (et spécialement une grande organisation) exerce le pouvoir sur un autre, quand bien même ce pouvoir
serait exercé avec bonté, tolérance et permissivité. Il est important de ne pas confondre pouvoir avec un surcroît
de permissivité.
Nous sommes censés croire que nous vivons dans une société libre car nous avons un certain nombre de droits et garanties
constitutionnelles. Mais cela n'est pas aussi important que cela en a l'air. Le degré de liberté individuelle qui
existe dans une société est plus déterminé par sa structure économique et technologique que par ses lois et la
forme de son gouvernement.16 La plupart des nations indiennes de Nouvelle Angleterre étaient des monarchies,
et beaucoup des cités de la renaissance italiennes étaient dirigées par des dictateurs. Mais en s'intéressant de près
à ces sociétés, on s'aperçoit qu'elles permettaient une plus grande liberté individuelle que la notre. Cela était du
en partie au manque de moyens efficaces de faire respecter la loi : Il n'y avait pas de police moderne, bien
organisée, pas de communications à longue distance, pas de caméras de surveillance, pas de dossiers sur les vies
et moeurs des citoyens. Il était ainsi facile d'échapper au contrôle.
Le Massachusetts en 1835 avait une population d'environ 660940 âmes, dont 81% de ruraux. Ces citoyens
bénéficiaient d'une considérable liberté individuelle. Que ce soient les charretiers, les fermiers ou les artisans, ils
étaient tous habitués à gérer leurs propres problèmes, et la nature de leur travail les faisait physiquement
dépendre les uns des autres… Les problèmes individuels, les délits, voire les crimes n'avait généralement pas de
répercussions au niveau social… Mais l'impact du double mouvement vers les villes et les usines, qui gagna en
intensité vers 1835, eut un effet sur le comportement individuel qui s'accentua du 19e au 20e siècle. L'usine
demanda de la régularité dans les attitudes, une vie gouvernée par l'obéissance au rythme de l'horloge et du
calendrier, et aux demandes des contremaîtres et contrôleurs. En ville, l'obligation de vivre dans une promiscuité
relative inhiba de nombreuses actions qui n'auraient posé aucun problème auparavant… Le résultat de cette
nouvelle organisation de vie et de travail devint apparent vers 1900, quand environ 76% des 2.805346 habitants
du Massachusetts furent classés comme citadins. Des comportements violents ou hors normes qui avaient été
tolérés dans une société indépendante et débonnaire ne purent plus être acceptés dans l'atmosphère formalisée et
coopérativiste de cette période. Le mouvement vers la ville, en résumé, a produit une génération plus docile, plus
socialisée, plus « civilisée » que la précédente.


Les droits constitutionnels sont utiles jusqu'à un certain point, mais ne peuvent servir à garantir ce que nous
pourrions appeler la conception bourgeoise de la liberté. Suivant cette conception, un homme « libre » est
essentiellement un élément de la machine sociale et possède un nombre de libertés limités et circonscrites. ; des
libertés dont le but est de servir les besoins de la machine sociale plutôt que ceux de l'individu. Ainsi, le
bourgeois « libre » jouit d'une liberté économique car elle favorise la croissance et le progrès ; de la liberté de la
presse car la critique publique limite les malversations des hommes politiques ; il a des droits à un procès
équitable car l'emprisonnement arbitraire serait préjudiciable au système. Ceci était nettement la conception de
Simon Bolivar. Pour lui, le peuple ne pouvait jouir de la liberté que si elle était utilisé pour promouvoir le
progrès (le progrès au sens bourgeois). D'autres penseurs bourgeois ont eu des conceptions similaires de la
liberté comme moyen d'un but collectif. Chester C. Tan dans « La pensée politique chinoise au 20e siècle »,
explique page 202, la philosophie du leader du Kuomintang, Hu-Han Min : « Un individu bénéficie de droits
parce qu'il est membre d'une société et sa vie en communauté requiert de tels droits. » Par communauté, Hu veut
dire la société dans son ensemble, la nation. Et à la page 259 il établit que suivant Carsum Chang (Chang-Chaun
mai, chef du parti socialiste de Chine), la liberté devait être utilisée dans l'intérêt de l'état et du peuple en même
temps. Mais quelle forme de liberté a-t'on si on peut seulement faire ce que d'autres ont prescrit ? La conception
de la liberté de FC n'est pas celle de Bolivar, Hu, Chang et autres théoriciens bourgeois. Le problème avec ce
genre de théoriciens est que l'élaboration et la mise en application de théories sociales est leur activité
compensatrice. Par conséquent, ces théories sont plus conçues pour satisfaire les besoins des théoriciens que
ceux d'un quidam qui a eu la malchance de vivre dans une société où ces théories se sont imposées.
98. Un autre point à souligner : ce n'est pas parce que quelqu'un estime être libre qu'il l'EST réellement. La
liberté est bridée d'une part par des contraintes psychologiques inconscientes, et d'autre part, l'idée que ce font la
plupart des gens de la liberté est issue des conventions sociales et non pas des besoins authentiques des
individus. Par exemple, il est probable que beaucoup de « gauchistes » sur-socialisés diraient que la majorité des
gens, eux y compris, ne sont pas assez sur-socialisés plutôt que l'inverse, ce qui fait que le « gauchiste » sursocialisé
paie son degré de sur-socialisation au prix fort.

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Admirable de justesse et de précision - il se trouve que,hormis vous et moi, qui aspirons à l'excellence, personne ne désire vraiment être libre - ce mot n'est plus qu'un substitut de "Bien", comme "antisémite" l'est de "Mal". L'essentiel de ceux qui ne recherchent pas seulement un confort animal bénaise recherchent à panser leurs blessures d'égo - ils versent dans les militances qui-donnent-l'impression-d'être-dur-sans-avoir-à-bander (on occulte sans arrêt ce point essentiel que les "gauchismes" sont formatés pour les petites bites), et la catastrophe est inévitable parce que la dynamique qui y mène procède de "la conspiration des mal-venus contre celui qui va son chemin d'un coeur léger", c'est à dire de gens qui aimeraient mieux voir la société humaine disparaître dans le néant que renouer avec son ordre naturel - c'est l'histoire du monde depuis son enjuivement.

Heretique a dit…

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Heretique a dit…

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Anonyme a dit…

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