mercredi 25 novembre 2009

POLYEN. RUSES de GUERRE



Polyen (en grec ancien Πολύαινος / Polýainos) est un orateur et écrivain militaire grec né en Macédoine, actif au milieu du IIe siècle ap. J.-C.

Il est d'abord avocat à Rome sous le règne de Marc Aurèle et de Lucius Verus. Quand ce dernier part en campagne contre les Parthes (162), Polyen lui adresse un recueil de ruses de guerre, qu'il intitule Stratagèmes (Στρατηγήματα / Stratêgêmata). Ces huit livres constituent un témoignage intéressant pour l'histoire grecque et romaine, principalement pour les périodes classique et hellénistique, mais aussi pour celle des Scythes ou des Perses : il reprend de nombreux récits d'historiens perdus. Comme les Tactica d'Énée le Tacticien, l'ouvrage se caractérise par sa langue archaïsante.



LIVRE PREMIER.

LIV1
CHAP. Ier. - Bacchus - CHAP. II. - Pan - CHAP. III. - Hercule - CHAP. IV. - Thésée - CHAP. V. - Démophon - CHAP. VI. - Cresphonte - CHAP. VII. .Cypsèle - CHAP. VIII. - Helnès - CHAP. IX.- Témène - CHAP. X. - Proclès - CHAP. XI. - Aconès - CHAP. XII. - Thessale - CHAP. XIII. - Ménélaüs - CHAP. XIV. - Cléomène - CHAP. XV.- Polydore - CHAP. XVI.- Lycurgue - CHAP. XVII - Tyrtée - CHAP. XVIII. - Codrus - CHAP. XIX. - Mélanthe - CHAP. XX. - Solon - CHAP. XXI. Pisistrate - CHAP. XXII. Aristogiton - CHAP. XXIII. - Polycrate - CHAP. XXIV. - Isthiée - CHAP. XXV. - Pittac - CHAP. XXVI. - Bias - CHAP. XXVVI. - Gélon - CHAP. XXVIII. - Théron - CHAP. XXIX. - Hiéron - CHAP. XXX. - Thémistocle - CHAP. XXXI. - Aristide - CHAP. XXXII. - Léonidas - CHAP. XXXIII. - Léotychide - CHAP. XXXIV. - Cimon - CHAP. XXXV. - Myronide - CHAP. XXXVI. - Périclès - CHAP. XXXVII. - Cléon - CHAP. XXXVIII. - Brasidas - CHAP. XXXIX. - Nicias - CHAP. XL. - Alcibiade - CHAP. XLI. - Archidame - CHAP. XLII. - Gylippe - HAP. XLIII - Hermocrate - CHAP. XLIV. - Etéonique - CHAP. XLV. - Lysandre - CHAP. XLVI.- Agis - CHAP. XLVII. - Trasylle - CHAP. XLVIII. - Conon - CHAP. XLIX. - Xénophon.

LIVRE II.

LIV2
LIVRE SECOND. CHAP 1er - Agésilas - CHAP. II - Cléarque - CHAP. III. - Épaminondas - CHAP IV. - Pélopidas - CHAP. V. - Gorgias ou Gorgidas. - CHAP. VI. - Dercyilidas - CHAP. VII. - Alcétas - CHAP. VIII. - Arxilaidas - CHAP. IX. - Isadas - CHAP. X. - Cléandridas - CHAP. XI. - Pharicidas - CHAP. XII. - Déiphonte - CHAP. XIII. - Eurytion - CHAP. XIV. - Les Éphores - CHAP. XV. - Hippodamas - CHAP. XVI. - Gastron - CHAP. XVII. - Mégaclidas - CHAP. XVIII. Harmostès - CHAP. XIX. - Thibron - CHAP. XX. - Demarat - CHAP,. XXI. - Erippidas - CHAP. XXII. - Ischolaüs - CHAP. XXIII. - Mnassippidas - CHAP. XXIV. - Antalcidas - CHAP. XXV. Argésipolis - CHAP. XXVI. - Sthénippe - CHAP. XXVII. - Callicratidas - CHAP. XXVIII. - Magas - CHAP. XXIX - Cléonyme - CHAP. XXX. - Cléarque - CHAP. XXXI. - Aristomène - CHAP. XXXIII. - Cinéas - CHAP. XXXIII. - Hégétoride - CHAP. XXXIV - Dinias - CHAP. XXXV. - Nicon - CHAP. XXXVI. - Diétas - CHAP. XXXVII. - Tisamène - CHAP. XXXVIII. - Onomarque.

LIVRE III.

LIV3
CHAP. 1e. - Démosthène - CHAP. II. - Paqués - CHAP. III. - Tolmidès - CHAP. IV. - Phormion CHAP. V. - Clisthène - CHAP. VI. - Phrynique - CHAP. VII. - Lacharès - CHAP. VIII. Arquine - CHAP. IX. Iphicrate - CHAP. X. Timothée - CHAP. XI. - Chabrias - CHAP. XII. - Phocion - CHAP. XIII. - Charès - CHAP. XIV.- Charidème - CHAP. XV. Démétrios de Phalère. CHAP. XVI. - Philoclès.

LIVRE IV.

LIV4
CHAP. Ier. — Argée— CHAP. II. — Philippe. — CHAP. III. — Alexandre — CHAP. IV. — Antipater — CHAP. V. — Parménion — CHAP. VI. — Antigone — CHAP. VII. — Démétrius — CHAP. VIII. — Eumène — CHAP. IX. — Séleucus — CHAP. X. — Perdicas — CHAP. XI. — Cassandre — CHAP. XII. — Lysimachus — CHAP. XIII. — Cratère — CHAP. XIV. — Polysperchon — CHAP. XV. — Antiochus, fils de Séleucus — CHAP. XVI. — Antiochus, fils d’Antiochus — CHAP. XVII. — Antiochus Hiérax ou l’Epervier — CHAP. XVIII. — Philippe, fils de Démétrius— CHAP. XIX. — Ptolémée — CHAP. XX. — Attale — CHAP. XXI. — Persée.

LIVRE V.

LIV5
CHAP. Ier. — Phalaris — CHAP. II. — Denis — CHAP. III. —Agathocle — CHAP. IV. — Hipparin — CHAP. V. — Théocle — CHAP. VI. — Hippocrate — CHAP. VII. — Daphnée — CHAP. VIII. — Leptine — CHAP. IX. — Hannon — CHAP. X. — Himilcon — CHAP. XI. Gescon — CHAP. XII. — Timoléon — CHAP. XIII. — Ariston — CHAP. XIV. — Thrasiméde — CHAP. XV. — Mégaclés — CHAP. XVI. — Pammenès — CHAP. XVII. — Héraclide — CHAP. XVIII. — Agathostrate — CHAP. XIX. — Lycus — CHAP. XX. — Ménécrate — CHAP. XXI. — Athénodore — CHAP. XXII. — Diotime — CHAP. XXIII. — Tynnique — CHAP. XXIV. —- Clitarque — CHAP. XXV. —- Tymarque —CHAP. XXVI. — Eudocime — CHAP. XXVII. — Pausistrate — CHAP. XXVIII. — Théognis. . — CHAP. XXIX. — Dioclès — CHAP. XXX. — Chilius — CHAP. XXXI. — Cypséle — CHAP. XXXII. — Télésinique. — CHAP. XXXIII. — Pompisque. — CHAP. XXXIV. — Nicon — CHAP. XXXV. — Néarque — CHAP. XXXVI. —Dorothée — CHAP. XXXVII. Sosistrate — CHAP. XXXVIII. — Diognète. — CHAP. XXXIX. — Archebius — CHAP. XL. — Aristocrate — CHAP. XLI. —Aristomaque — CHAP. XLII. — Charimène — CHAP. XLIII. — Cal-liade — CHAP. XLIV. — Memnon — CHAP. XLV. — Philomèle — CHAP. XLVI. — Démoclès — CHAP. XLVII. — Pannetius — CHAP. XLVIII. — Pyrechmès — CHAP. XLIX. — Satyre (manque).

LIVRE VI.

LIV6
CHAP. Ier. — Jason — CHAP. II. — Alexandre de Phérès. — CHAP. III. — Athénocle — CHAP. IV. —Philopoemen — CHAP. V. — Aratus — CHAP. VI. — Pyrrhus — CHAP. VII. — Apollodore — CHAP. VIII. — Egypte — CHAP. IX. — Leucon — CHAP. X. — Alexandre, gouverneur d’Eolie — CHAP. XI. — Aristide —CHAP. XII. — Alexandre, fils de Lysimacus —CHAP. XIII. — Les Amphicthyons. — CHAP. XIV. — Les Samnites. — CHAP. XV. — Les Campaniens — CHAP. XVI. — Les Carthaginois — CHAP. XVII. — Las Ambraciens— CHAP. XVIII. Les Phocéens. —CHAP. XIX. — Les Platéens. — CHAP. XX. — Les Corcyréens — CHAP. XXI. — Les Egestiens — CHAP. XXII. — Les Locriens. . — CHAP. XXIII. — Les Corinthiens. — CHAP. XXIV. — Les Lampsaciens. — CHAP. XXV. — Les Chalcédoniens. — (Manque ici 19 chapitres.) — CHAP. XLV. — Syloson. — CHAP. XLVI. — Alexandre le Thessalien — CHAP. XLVII. — Thrasybule, tyran de Milet — CHAP. XLVIII. — Mentor. — CHAP. XLIX. — Anaxagore — CHAP. L. — Pindare — CHAP. LI. — Théron — CHAP. LII. — Sisyphe — CHAP. LIII. — Agnon — CHAP. LIV. — Amphirète

LIVRE VII.

LIV7
LIVRE SEPTIÈME. - CHAP. Ier. Déjocès. - CHAP. II. - Alyatte - CHAP. III. - Psammetic. - CHAP. IV. - Amasis - HAP. V. - Midas. - CHAP. VI. - Cyrus. - CHAP. VII. - Harpace. - CHAP. VIII. - Crésus. - CHAP. IX. - Cambyse. - CHAP. X. - ébarès - CHAP. XI. - Darius . - CHAP. XII. - Syracès. - CHAP. XIII. - Zopyre. - CHAP. XIV. - Oronte - CHAP. XV. - Xerxès - CHAP. XVI. - Artaxerxès. - CHAP. XVII.- Ochus. - CHAP. XVIII. - Tisaphernes - CHAP. XIX. - Pharnabaze. - CHAP. XX. - Glos. - CHAP. XXI - Datamès. - CHAP. XXII. - Cosingas. - CHAP. XXIII. - Mausole. - CHAP. XXIV. - Borgès. - CHAP. XXV. - Dromichetès. - CHAP. XXVI. - Ariobarzane. - CHAP. XXVII.- Autophradate. CHAP. XXVIII. - Arsamès. - CHAP. XXIX. - Mithridate. - CHAP. XXX. - Mempsis. - CHAP. XXXI. - Kersoblepte. - CHAP. XXXII. - Senthès. - CHAP. XXXIII. - Artabaze. - CHAP. XXXIV. - Aryande. - CHAP. XXXV. - Brennus. - CHAP. XXXVI. - Mygdonius. - CHAP. XXXVII. - Parisade. - CHAP. XXXVIII. - Senthe. - CHAP. XXXIX. - Sellès. - CHAP. XL. - Borzus. - CHAP. XLI. - Surenas. - CHAP. XLII. - Les Celtes. - CHAP. XLIII. - Les Thraces. - CHAP. XLIV. - Les Scythes. - CHAP. XLV. - Les Perses. - CHAP. XLVI. - Les Tauriens. - CHAP. XLVII. - Les Palléniens. - CHAP. XLVIII. - Annibal. - CHAP. XLIX. - Les Thyrréniens. - .CHAP. L. - Les Gauloises.

LIVRE VIII.

LIV8
LIVRE HUITIÈME: CHAP. Ier. - Amulius. - CHAP. II. - Numitor - CHAP. III. - Romulus - CHAP. IV. - Numa - CHAP. V. - Tullus. - CHAP. VI. - Tarquin - CHAP. VII. - Camille - CHAP.- VIII. - Mucius - CHAP. IX. - Sylla - CHAP. X. - Marius - CHAP. XI. - Marcellus - CHAP. XII. - Atilius - CHAP. XIII. - Caïus - CHAP. XIV. - Fabius - CHAP. XV. - Quintus - CHAP. XVI. - Scipion - CHAP. XVII. - Porcius Caton - CHAP. XVIII - Faune. - CHAP. XIX. - Titus - CHAP. XX. - Caïus - CHAP. XXI. - Pinarius - CHAP. XXII. - Sertorius - CHAP. XXVII. - César.- CHAP. XXIV. - Auguste - CHAP. XXV. - Les Romains - CHAP. XXVI. - Sémiramis - CHAP. XXVII. - Rodogune - CHAP. XXVIII. - Tomyris - CHAP. XXIX. - Nilétis - CHAP. XXX. - Philotis. - CHAP. XXXI. - Clélie. - CHAP. XXXII. - Porcie. - CHAP. XXXIII. - Télésille.- CHAP. XXXIV. - Chilonis. - CHAP. XXXV. - Piérie. - CHAP. XXXVI. - Polycrite. - CHAP. XXXVII. Les Phocéens. - CHAP: XXXVIII. - Arétaphile. - CHAP. XXXIX. - Camma. - CHAP. XL. - Timoclée. - CHAP. XLI. - éryxo - CHAP. XLII. - Pythopolis. - CHAP. XLIII. - Chrysame. - CHAP. XLIV. Polyclée - CHAP. XLV. Léine - CHAP. XLVI. - Thémisto. - CHAP. XLVII - Phérétime. - CHAP. XLVIII. - Axiothée. - CHAP. XLIX. - Archidamis. - CHAP. L. - Laodice. - CHAP. LI. - Théano. - CHAP. LII. - Déidamie. - CHAP. LIII. - Artémise - CHAP. LIV. - Tanie. - CHAP. LV. Tirgatao. - CHAP. LVI. Amage. - CHAP. LVII. - Arsinoé. - CHAP. LVIII. - Cratésipolis. - CHAP. LIX. - La Prêtresse. - CHAP. LX. Cynnane. - CHAP. LXI. - Pyste. - CHAP. LXII. - épicharis. - CHAP. LXIII. - Les Milésiennes. - CHAP. LXIV: - Les Méliennes. - CHAP. LXV. - Les Phocéennes. - CHAP. LXVI. - Les Femmes de Chio. - CHAP. LXVII. - Les Thasiennes. - CHAP. LXVIII. - Les Argiennnes. - CHAP. LXIX. - Les Acarnaniennes. - CHAP. LXX. - Les Cyrénéennes. - CHAP. LXXI ET DERNIER. Les Lacédémoniennes.
























CHAP. Ier. - Bacchus - CHAP. II. - Pan - CHAP. III. - Hercule - CHAP. IV. - Thésée - CHAP. V. - Démophon - CHAP. VI. - Cresphonte - CHAP. VII. Cypsèle - CHAP. VIII. - Helnès - CHAP. IX.- Témène - CHAP. X. - Proclès - CHAP. XI. - Aconès - CHAP. XII. - Thessale - CHAP. XIII. - Ménélaüs - CHAP. XIV. - Cléomène - CHAP. XV. - Polydore - CHAP. XVI. - Lycurgue - CHAP. XVII - Tyrtée - CHAP. XVIII. - Codrus - CHAP. XIX. - Mélanthe - CHAP. XX. - Solon - CHAP. XXI. Pisistrate - CHAP. XXII. Aristogiton - CHAP. XXIII. - Polycrate - CHAP. XXIV. - Isthiée - CHAP. XXV. - Pittac - CHAP. XXVI. - Bias - CHAP. XXVVI. - Gélon - CHAP. XXVIII. - Théron - CHAP. XXIX. - Hiéron - CHAP. XXX. - Thémistocle - CHAP. XXXI. - Aristide - CHAP. XXXII. - Léonidas - CHAP. XXXIII. - Léotychide - CHAP. XXXIV. - Cimon - CHAP. XXXV. - Myronide - CHAP. XXXVI. - Périclès - CHAP. XXXVII. - Cléon - CHAP. XXXVIII. - Brasidas - CHAP. XXXIX. - Nicias - CHAP. XL. - Alcibiade - CHAP. XLI. - Archidame - CHAP. XLII. - Gylippe - HAP. XLIII - Hermocrate - CHAP. XLIV. - Etéonique - CHAP. XLV. - Lysandre - CHAP. XLVI.- Agis - CHAP. XLVII. - Trasylle - CHAP. XLVIII. - Conon - CHAP. XLIX. - Xénophon.



CHAPITRE PREMIER. - BACCHUS.

Bacchus, dans son expédition des Indes, afin d'être reçu plus aisément dans les villes, ne marchait pas armé à découvert. Ses troupes étaient vêtues de robes légères et de peaux de cerfs. Les javelots étaient ombragés de lierre, et l'on ne voyait pas la pointe dont les thyrses étaient garnis. Les sonnettes et les tambours tenaient lieu de trompettes, et les ennemis domptés par le vin, ne s'occupaient que de la danse. En un mot tous les mystères auxquels on a donné le nom d'orgies, ne sont qu'une représentation des ruses dont Bacchus s'était servi pour assujettir les Indiens et les autres peuples de l'Asie.

II. Dans la même expédition des Indes, Bacchus voyant que son armée ne pouvait supporter l'air enflammé de ces climats, se saisit d'une monta­gne du pays, remarquable par trois hauteurs, dont l'une s'appelait Corasibie, l'autre Condasque, et la troisième il la nomma Méros, ou la Cuisse, en mémoire de sa naissance. Ce lieu était agréable par la quantité et l'abondance de ses sources, la fraîcheur de ses neiges, la multitude des bêtes fauves qu'on y pouvait chasser, et toutes sortes de fruits délicieux. Son armée, après s'être reposée dans ces lieux agréables, paraissait tout d'un coup contre les Barbares, et lançant ses traits d'en haut avec avantage, les mettait facilement en fuite.

III. Bacchus, après avoir subjugué les Indiens, en tira des troupes auxiliaires, et les joignant aux Amazones, il entreprit la conquête de la Bactriane. Ce pays est terminé par le fleuve Satangués, et les Bactriens s'étaient postés sur les hauteurs voisines de ses bords, d'où ils prétendaient fondre sur Bacchus quand ils le verraient tenter le passage du fleuve. Bacchus ayant posé son camp de l'autre côté, ordonna aux Amazones et aux Bacchantes de passer la rivière, afin d'attirer les Bactriens, qui ne manqueraient pas d'abandonner leurs hauteurs, pour accourir à une défaite qu'ils jugeraient facile. Les femmes commencèrent à traverser le fleuve, et les Barbares descendirent pour les attaquer dans le passage. Elles lâchèrent pied, et se retirèrent à l'autre bord, où les Bactriens les poursuivirent. Alors Bacchus voyant les Barbares dans le fleuve, accourut au secours des Amazones et des Bacchantes avec les hommes, tua les Bactriens, et passa le fleuve sans danger.

CHAPITRE II. - PAN.

Pan était général de l'armée de Bacchus. Ce fut le premier qui imagina l'ordre de bataille, et qui lui donna le nom de phalange ; et comme il y établit une corne droite et une corne gauche, c'est ce qui a donné lieu à représenter Pan cornu. Pan fut aussi le premier qui s'avisa d'inspirer de la terreur aux ennemis par artifice. Bacchus était campé dans un lieu reculé et ombrageux, et ses batteurs d'estrade lui avaient annoncé que l'ennemi était campé au-delà, avec des forces supérieures aux siennes. Bacchus eut peur : mais Pan ne se laissa point étonner par ces nouvelles. Il ordonna à l'armée de Bacchus de pousser de grands cris la nuit. Il fut obéi par les troupes, et le bruit qu'elles firent retentissant dans les hauteurs et des gorges voisines, par des échos redoublés, fit juger aux ennemis que les troupes de Bacchus étaient beaucoup plus nombreuses qu'ils ne s’étaient imaginé. La frayeur les saisit, ils prirent la fuite. C'est pour faire honneur à cette ruse de Pan, qu'on a imaginé ses amours avec la nymphe Echo ; et d'ailleurs cette rencontre a été cause qu'on a nommé Paniques les terreurs nocturnes et sans sujet connu, qui surviennent dans les armées.

CHAPITRE III. - HERCULE.

Hercule ayant dessein d'exterminer de Pelion la race des Centaures, ne voulut pas commencer le premier à les attaquer : mais il fit en sorte de leur donner le tort. À cet effet, il s'arrêta auprès de Phole, où ayant débouché un tonneau de vin délicieux, lui et les siens en tirèrent quelque quantité. Les Centaures voisins, attirés par l'odeur, vinrent à la caverne de Phole, et enlevèrent le vin. Alors Hercule, sous prétexte de les punir dé cette violence injuste, fondit sur les Centaures et les tua.

II. Hercule appréhendant les forces et la fureur du sanglier d'Érymanthe, employa l'adresse pour s'en défaire. Cette hôte terrible avait sa bauge dans un vallon, couvert d'une épaisse neige. Hercule posté sur une hauteur, jetait des pierres en bas. Le sanglier irrité se lève, et sautant de tous côtés, s'embarrasse dans la neige, où il fut aisé de le prendre.

III. Hercule étant abordé devant Troie avec sa flotte, fit descente dans le pays, à dessein de combattre à pied. En même temps il ordonna aux pilotes de s'éloigner avec les vaisseaux. Les gens de pied des Troyens furent vaincus par Hercule, pendant que leur cavalerie courut du côté des vaisseaux, qu'elle ne put surprendre. Hercule, vainqueur des gens de pied, surprit la cavalerie entre la mer et ses troupes victorieuses, et la défit entièrement.

IV. Hercule eut une fille dans l'Inde, et la nomma Pandée. Il lui assigna une partie du pays au midi, borné par la mer, et divisé en trois cent soixante-cinq cantons, chacun desquels, dans son jour, devait apporter, à la Pandée le tribut royal. Par ce moyen la reine savait précisément ce qui lui était dû, et ceux qui payaient étaient toujours prêts à la servir contre ceux qui refusaient d'accomplir leurs devoirs.

V. Hercule faisant la guerre au Minyens, qui étaient forts en cavalerie, et n'osant en venir aux mains avec eux dans la plaine, se servit d'une rivière pour les vaincre. Le fleuve Céphise, qui sépare les deux montagnes de Parnasse et d'Hedylion, coule à travers la Béotie, et avant que de se rendre à la mer, fond tout d'un coup dans un grand gouffre, où il devient invisible. Hercule boucha ce gouffre avec de grandes pierres, et inonda par ce moyen la plaine où était postée la cavalerie des Minyens. Ils ne purent se servir de leurs chevaux, et Hercule se rendit ainsi maître des lieux. Après cela il déboucha le gouffre et le fortifia, et le fleuve Céphise reprit son cours ordinaire.

CHAPITRE IV. - THÉSÉE.

Thésée, pour éviter d'être saisi par les cheveux dans les combats, s'avisa de se faire tondre le devant de la tête. Après lui les Grecs ont mis en pratique cette espèce de tonsure qu'on appelait Théséide. Les Abantes, surtout, conservèrent cette manière de se couper les cheveux, comme le témoigne Homère, lorsqu'il leur donne l'épithète de chevelus par le derrière de la tête.

CHAPITRE V. - DÉMOPHON.

Démophon avait reçu le palladium en dépôt de Diomède, et le gardait soigneusement. Importuné par Agamemnon, qui le lui demandait, il donna le véritable à un Athénien, nommé Bouzyguès, afin qu'il le portât à Athènes ; et en ayant fait faire un tout semblable, il le gardait dans sa tente. Agamemnon, vint pour l'enlever e main forte, et Démophon combattit avec autant de courage et d'obstination pour conserver le faux palladium, que si c'eut été le véritable. Enfin cédant à la force, et blessé en plusieurs endroits, le lui livra, et Agamemnon trompé s'en alla avec le prétendu palladium.

CHAPITRE VI. - CRESPHONTE.

Cresphonte, Témène, et les fils d'Anistodème partagèrent entre eux le Péloponnèse. On fit trois parts, Sparte, Argos, et Messène. Cresphonte, dans le dessein de s'approprier Messène, qui était le meilleur lot, proposa de tirer au sort, que le premier et le second qu'on tirerait, donneraient Sparte et Argos, et que Messène demeurerait à celui qui aurait le dernier sort. Son avis fut suivi, et l'on mit les sorts dans une urne pleine d'eau. Deux étaient de pierre blanche, et le troisième, préparé par Cresphonte, n'était que de terre de la même couleur et de la même forme, qui fut dissoute en peu de temps. Il ne resta que les deux pierres, dont la première, tirée par Témène, lui donna Argos ; et l'autre, par les fils d'Aristodème, les rendit maîtres de Sparte. Cresphonte n'eut pas besoin de tirer, il emporta Messène par artifice, pendant qu'on s'imaginait que c'était un présent de la fortune seule.

CHAPITRE VII. - CYPSÈLE.

Dans le temps que Cypsèle était maître de l'Arcadie, les Héraclides faisaient la guerre aux Arcadiens. Un oracle donné aux Héraclides portait : « Ne recevez point de présents de ceux d'Arcadie, ou si vous en recevez faites alliance avec eux. » Cypsèle, instruit de cet oracle, ordonna aux laboureurs, dans le temps de la récolte, de garnir les chemins de toutes sortes de fruits, et de se retirer. Les troupes des Héraclides trouvant ces fruits abandonnés, les prirent avec joie. Après cela Cypsèle se présentant devant les Héraclides, leur offrit l'hospitalité. Ceux-ci par déférence pour l'oracle, refusaient d'accepter les offres de Cypsèle. « Vous avez tort, leur dit-il, vos troupes ont déjà reçu nos présents.» Ce fut ainsi que par l'artifice de Cypsèle les Arcadiens firent alliance avec les Héraclides.

CHAPITRE VIII. - HELNÈS.

Du temps qu'Helnès était roi d'Arcadie, les Lacédémoniens ravagèrent les environs de Tégée. Helnès détacha les plus vigoureux des siens, et leur ordonna de s'aller poster la nuit sur les hauteurs. A la même heure, c'est-à-dire vers minuit, il plaça entre la ville et les ennemis les vieillards et les enfants, à qui il donna ordre d'allumer un grand feu. Les Lacédémoniens, étonnés de ce spectacle, le regardaient avec beaucoup d'attention. Pendant ce temps-là, ceux qui étaient sur les hauteurs fondirent sur les ennemis, en tuèrent la plupart, et firent le reste prisonniers. Ainsi fut accompli l'oracle autrefois donné aux Lacédémoniens et mal entendu par eux : « Je te ferai danser dans la plaine de Tégée, et ce beau canton sera mesuré au cordeau. »

CHAPITRE IX. - TÈMÈNE.

Témène, avec les autres Héraclides, ayant dessein de passer à Rhion, envoya des transfuges de Locres dire à ceux du Péloponnèse, que les Héraclides étaient à Naupacte avec leur flotte et qu'ils feignaient d'en vouloir à Rhion, mais qu'en effet ils avaient dessein de faire descente à l'Isthme. Ceux du Péloponnèse, trompés par cette fausse nouvelle, coururent à l'Isthme, et Témène se rendit facilement maître de Rhion.

CHAPITRE X. - PROCLÈS.

Proclès et Témène, Héraclides, faisaient la guerre aux Eurystides, maîtres de Sparte. Pendant que les Héraclides sacrifiaient à Pallas pour l'heureux passage des montagnes, les Eurystides les attaquèrent tout-a-coup. Les Héraclides, sans s'étonner, ordonnèrent aux fifres qui étaient en fonction pour le sacrifice, de continuer à jouer, et de marcher ainsi devant les troupes, qui réglant leur marche sur la mesure de l'harmonie, se trouvèrent arrangées de manière qu'il fut impossible de les rompre, et la victoire se déclara pour eux. Cette expérience apprit aux Lacédémoniens de quelle utilité étaient les fifres dans une marche et dans le combat. Aussi depuis ce temps-là ne marchèrent-ils point sans fifres ; et je sais que les oracles des dieux leur avaient promis la victoire toutes les fois qu'ils combattraient au son des fifres ; pourvu que ce ne fût pas contre gens qui en usassent aussi. La vérité de cet oracle fut confirmée par ce qui arriva à l'affaire de Leuctres. Alors les Lacédémoniens se mirent en bataille contre les Thébains, sans avoir avec eux de fifres. Au lieu que les Thébains en avaient selon l'usage de la nation. Ainsi fut accompli l'oracle qui avait prédit que les Thébains vaincraient les Lacédémoniens, quand ceux-ci ne se serviraient point de fifres.

CHAPITRE. XI - ACOUÈS

La ville de Tégée fut livrée la nuit, par trahison, aux Lacédémoniens. Pour remédier à ce malheur, Acouès ordonna à ses soldats de tuer tous ceux qui demanderaient le mot. Les Arcadiens, ainsi prévenus, ne le demandèrent point ; mais les Spartiates ayant de la peine à reconnaître les leurs dans l'obscurité, demandaient le mot, et se faisant connaître par là ; étaient aussitôt égorgés par les Arcadiens.

CHAPITRE XII. - THESSALE.

Dans le temps que les Béotiens d'Arne faisaient la guerre aux Thessaliens, Thessale trouva moyen de s'en rendre maître sans combat, par cette ruse : ayant attendu une nuit obscure et sans lune, il commanda à ses troupes de se diviser par pelotons, de se poster sur différentes hauteurs çà et là, d'allumer des flambeaux, et de les hausser et baisser souvent. Les Béotiens voyant tous ces feux en mouvement autour d'eux, les prirent pour des éclairs, et saisis de frayeur, ils demandèrent la paix aux Thessaliens.

CHAPITRE XIII. - MÉNÉLAÜS.

Ménélaüs, revenant d'Égypte avec Hélène se trouva devant Rhodes. Philixo, veuve de Tlépolème, mort au siège de Troie, et encore affligée de cette perte, fut informée de l'arrivée de Ménélaüs et d'Hélène. Aussitôt, pour venger la mort de Tlépolème, elle rassemble tous les Rhodiens, hommes et femmes, et s'armant de feu et de pierres elle fait irruption sur la flotte de Menelaüs, que le vent contraire empêchait de mettre à la voile et de prendre la fuite. Il prit le parti de faire cacher Hélène sous le tillac ; et en fit prendre les habits, les ornements et le diadème à la plus belle de ses esclaves. Philixo et les Rhodiens employèrent le feu et les pierres contre cette malheureuse esclave, et assouvirent leur vengeance sur elle. Ils se retirèrent, contents d'avoir donné la mort à la prétendue Hélène, et Ménélaüs eut la satisfaction de sauver et d'emmener avec lui la véritable.

CHAPITRE XIV. - CLEOMÈNE.

Pendant que Cléomène était campé devant ceux d'Argos, il remarqua que les Argiens l'observaient avec une attention singulière, et faisaient tous les mêmes mouvements et toutes les mêmes fonctions dont il donnait les ordres par ses hérauts ; s'il s'armaient, les ennemis s'armaient, s'il marchait, ils marchaient contre lui, s'il se reposait, ils se reposaient. Cléomène les voyant dans cette disposition, donna ordre secrètement que l'on s'arma quand il ferait crier le dîner. Le cri fut fait et les Argiens se mirent à dîner. Cléomène profitant de leur erreur, fondit sur eux, et les trouvant sans armes, les défit entièrement.

CHAPITRE XV. - POLYDORE.

Il y avait vingt ans que les Lacédémoniens faisaient la guerre à ceux de Messène. Polydore feignit d'être brouillé avec le roi Théopompe, qui était d'une autre maison que lui, et fit dire aux Messéniens par un transfuge simulé que les deux rois ne pouvaient plus vivre ensemble, et étaient sur le point de se séparer. Les Messéniens observèrent ce qui arriverait de cette brouillerie, et furent informés que Théopompe avait effectivement emmené ses troupes. Mais il n'était pas allé loin, et s'était caché à l'écart. Les Messéniens croyant alors n'avoir affaire qu'à Polydore seul, le méprisèrent, et sortirent de la ville fort en désordre pour le combattre. Théopompe, averti par te espions, sortit du lieu où il s'était caché, trouva la ville abandonnée, s'en rendit le maître, et puis tourna contre les Messéniens qui avaient Polydore en face. Ainsi ceux de Messène, enfermé de tous côtés, furent vaincus par les Lacédémoniens.

CHAPITRE XVI. - LYCURGUE.

Lycurgue, dans le dessein de donner plus d'autorité à ses lois, employa la religion, pour y soumettre plus efficacement les esprits des Lacédémoniens. Aussitôt qu'il avait formé une loi, il en envoyait le décret à Delphes, pour demander au dieu si elle serait utile. La prophétesse gagnée par les présents, ne manquait jamais de répondre que la loi était utile ; et de cette manière la crainte religieuse faisait regarder les lois de Lycurgue comme autant d'oracles.

II. Un des préceptes de Lycurgue était celui-ci : « Lacédémoniens, ne faites pas souvent la guerre aux mêmes ennemis, de peur de les rendre trop habiles à vos dépens. »

III. Il disait encore : « Ne tuez pas les ennemis qui fuient, de peur qu'ils n'apprennent qu'il est plus avantageux de demeurer que de prendre la fuite. »

CHAPITRE XVII. - TYRTÉE.

Les Lacédémoniens étant près de combattre les Messéniens, se proposèrent de vaincre ou de mourir ; et afin qu'on pût reconnaître plus facilement les morts, quand il faudrait les enlever après le combat, chacun écrivit son nom sur une bande de cuir qu'il s'attacha à la main gauche. Tyrtée se persuada que cette résolution désespérée donnerait de la terreur aux Messéniens, et pour la leur faire savoir, sans qu'il parût que cela vînt de lui, il fit publier dans le camp qu'on ne fît pas de cas des Ilotes qui voudraient déserter. Ceux-ci, voyant qu'on ne les observait point, passèrent en foule du côté des Messéniens, et leur apprirent la résolution que les Lacédémoniens avaient prise. Ceux de Messène en combattirent avec moins d'ardeur contre des gens animés de désespoir, et furent aisément vaincus par les Lacédémoniens.

CHAPITRE XVIII. - CIDRUS.

Les Athéniens faisaient la guerre à ceux du Péloponnèse. Un oracle avait assuré la victoire aux Athéniens si leur roi était tué par un Péloponnésien. Cet oracle était connu, et les Péloponnésiens avaient donné un ordre très exprès d'épargner dans les combats la personne de Codrus, roi d'Athènes. Mais Codrus, déguisé en bûcheron, sortit un soir hors des retranchements, et se mit à couper du bois. Des Péloponnésiens, sortis dans le dessein de couper aussi du bois, rencontrèrent Codrus, qui les attaqua et en blessa quelques-uns à coups de serpe. Ils se vengèrent sur lui et l'assommèrent avec leurs serpes. Ils se retirèrent à leur camp, bien contents de cet exploit. Les Athéniens, de leur côté, voyant l'avantage que l'oracle leur faisait espérer de cette perte, poussèrent de grands cris de joie ; et se présentant courageusement pour combattre les Péloponnésiens, ils commencèrent par leur envoyer un héraut, pour demander la permission d'enlever le corps du roi. Les Péloponnésiens voyant ce qui était arrivé, prirent la fuite, et les Athéniens, après la victoire, décernèrent à Codrus les honneurs dus aux héros, en reconnaissance de ce qu'il avait sacrifié sa vie pour l'avantage de sa patrie.

CHAPITRE XIX. - MELANTHE.

Les Athéniens et les Béotiens se faisaient la guerre au sujet de Mélaines. Mélanthe commandait les Athéniens, et Xanthus était à la tête de ceux de Béotie ; et Mélaines était un canton limitrophe de l'Attique et de la Béotie. Un oracle avait prédit à Xanthus qu'il serait vaincu par ruse ; et voici comme l'oracle fut accompli. Les deux chefs voulurent terminer le différend par un combat singulier entre eux seuls. Comme ils en étaient aux mains, Mélanthe s'écria « Tu n'en uses pas bien, tu amènes un second, c'est une supercherie. » Xanthus se détourna pour voir qui était ce second ; et dans le moment Mélanthe le perça d'un javelot. Les Athéniens ayant remporté la victoire par cette tromperie, établirent une fête annuelle en mémoire de cette rencontre ; on l'appelle encore aujourd'hui la fête des Apaturies, comme qui dirait, de la tromperie.

CHAPITRE XX. - SOLON:

Ceux d'Athènes et de Mégare se faisaient la guerre depuis long temps pour la possession de Salamine. Les Athéniens ayant eu du désavantage, firent une loi par laquelle il était défendu, sur peine de la vie, de parler de faire la guerre pour la conquête de Salamine. Solon méprisa la menace de la mort, et résolut de faire révoquer la loi. À ce dessein il feignit un transport de fureur, et se présentant sur la place, il se mit à chanter des élégies qui ne parlaient que d'armes et de guerre. Le peuple, animé par ce chant martial, prit les armes et sortit en chantant les élégies militaires de Solon. Les Mégariens furent vaincus, et Salamine demeura au pouvoir des Athéniens. Ainsi Solon fut admiré pour avoir, par sa feinte manie, aboli une mauvaise loi, et procuré la victoire aux Athéniens par les charmes de la musique.

II. Dans la même guerre des Athéniens et ceux de Mégare, au sujet de Salamine, Solon fit avancer sa flotte du côté de Collas, où les femmes célèbrent une fête à l'honneur de Cérès. En même temps il envoya un transfuge simulé, qui dit à ceux de Mégare : « Si vous voulez aller par mer à Colias, vous y trouverez les femmes des Athéniens qui dansent : mais hâtez-vous. » Les Mégariens trop crédules, s'embarquèrent pour cette expédition pendant que Solon fit retirer les femmes et leur substitua des jeunes gens sans barbe, qui prirent les habits des femmes, et s'armèrent secrètement de poignards. Dans cette disposition, ils se mirent à danser sur le bord de la mer. Leurs visages sans barbe, et leurs habits, trompèrent les Mégariens, qui firent incursion sur eux pour les enlever. Mais ils trouvèrent que ces femmes prétendues étaient des hommes vigoureux qui les poignardèrent, montèrent sur leurs propres vaisseaux, et se rendirent maîtres de Salamine.

CHAPITRE XXI. - PISISTRATE.

Pisistrate sortit de l'Eubée, s'avança en armes dans l'Attique, du côté de Pallènes. Il tua d'abord tous ceux qui se présentèrent. Ils furent suivis d'un plus grand nombre. Pisistrate les voyant, donna ordre qu'on prît des couronnes, et défendit le carnage. Il fit courir le bruit qu'il avait traité avec les premiers ; et ceux-ci persuadés que la chose était ainsi, transigèrent avec Pisistrate, et le laissèrent maître de la ville. Il monta sur un chariot, et s'y fit accompagner par une femme fort belle et d'une taille avantageuse, nommée Phyé, qu'il habilla comme on représente Pallas, voulant leur donner à entendre que c'était la déesse même qui le ramenait dans Athènes. De cette sorte il se présenta hardiment, et se rendit maître absolu de la ville.

II. Pisistrate ayant dessein de désarmer les Athéniens, convoqua l'assemblée générale, et donna ordre que tout le monde se trouvât en armes au temple Anacée. Quand tous furent assemblés, il se mit à haranguer, mais il parlait si bas qu'on avait peine à l'entendre. On le pria de s'avancer sous le portique, afin qu'il pût être plus facilement entendu de tous. Pisistrate continua là de parler d'une voix faible, et les auditeurs s'approchaient le plus qu'ils pouvaient, en prêtant l'oreille avec attention. Pendant ce temps-là ceux qui favorisaient Pisistrate, enlevèrent les armes et les portèrent dans le temple de Diane. Alors les Athéniens reconnurent que la faiblesse de la voix était une ruse dont s'était servi Pisistrate pour leur ôter leurs armes.

III. Dans Athènes, Mégaclès avait le commandement sur les riches, et Pisistrate avait l'autorité sur les pauvres. L'un et l'autre avaient ensemble des différents continuels. Un jour, dans l'assemblée, Pisistrate fit de grands reproches à Mégaclès et usa contre lui de menaces. Au sortir de l'assemblée Pisistrate se fit quelques plaies qui n'étaient pas dangereuses, et se montrant le lendemain en public, il donna lieu de croire qu'il avait été maltraité de la sorte, pour avoir pris le parti du peuple et soutenu ses intérêts. Le peuple animé par cette injure prétendue, donna trois cents gardes à Pisistrate, qui les ayant armés de massues, s'en servit à s'assurer l'empire souverain de la ville, et il le transmit à ses enfants.

CHAPITRE XXII. - ARISTOGITON.

Aristogiton, tourmenté par les gardes d'Hippias, qui le voulait forcer à déclarer les noms des complices de la conspiration, ne nomma aucun des véritables conjurés ; mais il accusa tous les amis d'Hippias d'avoir eu part au soulèvement. Quand Hippias les eut fait mourir, alors Aristogiton lui déclara qu'il ne les avait nommés que pour les faire périr, et qu'il se savait bon gré d'avoir détruit les amis du tyran par la cruauté du tyran même.

CHAPITRE XXIII. - POLYCRATE.

Polycrate de Samos courant les mers de Grèce, regarda comme une ruse utile à ses desseins, de piller et ravager les amis aussi bien que les ennemis. Le pis aller était de rendre ce qu'il aurait pris, et il estimait que cette restitution tiendrait lieu de bienfait, et lui concilierait de plus en plus l'affection de ses amis ; au lieu que s'il ne leur prenait rien, il ne pourrait leur donner aucune marque de libéralité.

II. Voici de quelle manière Polycrate se rendit maître de Samos. Les habitants faisaient un sacrifice public au temple de Junon. Polycrate, profitant de l'occasion, fit un grand amas d'armes, comme pour prendre part à la pompe de la solennité ; et les ayant données à ses deux frères Syloson et Pantaganoste, et à ceux qui étaient d'intelligence avec eux, il les fit marcher à la cérémonie avec le reste du peuple. La procession finie, la plupart des habitants posèrent les armes contre les autels, pour donner toute leur attention aux prières. Alors les deux frères et ceux de leur parti, bien armés, se mêlant parmi ceux qui ne l'étaient pas les tuèrent tous l'un après l'autre. Aussitôt Polycrate se servit des conjurés, pour s'assurer des principaux postes de la ville, et réunit autour de lui ses deux frères ; et les autres complices de la sédition, qui accouraient au temple. Il fortifia la citadelle, qu'on appelait ou Astipalée ou la vieille ville, et envoya demander des troupes à Lygdamis, tyran ou usurpateur de Naxe, avec le secours desquelles il se rendit maître absolu dans Samos.

CHAPITRE XXIV. - ISTHIÉE.

Pendant qu'lsthiée était en Perse auprès de Darius, il forma le dessein de faire soulever l'Ionie : mais il n'osa envoyer des lettres, dans la, crainte qu'elles ne fussent interceptées par les guides des chemins. Il s'avisa de faire raser un esclave, de la fidélité duquel il était assuré, et lui piqua sur la tête ce peu de mots : « Isthiée à Aristagore. Fais soulever l'Ionie. » Il laissa ensuite croître les cheveux, et puis envoya l'esclave, qui s'embarqua, se rendit auprès d'Aristagore, et s'étant fait raser de nouveau, lui fit lire ce qu'lsthiée lui avait imprimé sur la tête. Aristagore exécuta ce qui lui était marqué, et l'Ionie se souleva.

CHAPITRE XXV. - PITTAC.

Un combat singulier devait décider entre Pittac et Phrynon le différend qu'ils avaient ensemble sur la possession de Sigée. Ils étaient convenus de se battre à armes pareilles, et véritablement il n'y avait pas de différence à l'extérieur : mais Pittac avait caché sous son bouclier un filet, dont il se servit pour embarrasser Phrynon, et le tua. Ainsi l'on peut dire qu'il prit Sigée d'un coup de filet. C'est la même invention dont se servent encore les gladiateurs dans les duels ; et Pittac est le premier qui se soit avisé de cette ruse.

CHAPITRE XXVI. - BIAS.

Crésus le Lydien avait formé le projet d'aller attaquer les îles avec une flotte : mais Bias de Priène trouva moyen de l'en détourner. Il lui dit un jour : « Les Insulaires lèvent contre toi de nombreuses troupes de cavalerie. - O ! plût à Jupiter, répondit Crésus en riant, que je puisse trouver les Insulaires en terre ferme. - Eh ! crois-tu, dit Bias, que les Insulaires ne fassent pas le même souhait, de pouvoir trouver Crésus sur la mer !» Ce discours de Bias rompit le dessein du Lydien, qui laissa les Insulaires en repos.

CHAPITRE XXVII. - GÉLON.

Gélon de Syracuse, fils de Dinomène, ayant été nommé capitaine général des Syracusains contre Himilcon, dans la guerre contre les Carthaginois, combattit vaillamment et remporta la victoire. Ensuite se présentant à l'assemblée, il rendit publiquement un compte exact de l'usage qu'il avait fait de l'autorité qui lui avait été confiée, des dépenses, des occasions mises à profit, des armes, des chevaux, des galères ; et sur tous les articles il fut comblé de louanges. Ensuite s'étant dépouillé de ses habits, il se mit au milieu de l'assemblée, et dit : « Me voilà tout nu au milieu de vous, et vous êtes tous armés. Si j'ai usé d'aucune violence, employez contre moi, à votre gré, le feu, le fer, et les pierres. » Le peuple s'écria qu'il était un général digne des plus grands éloges. « Si cela est, dit Gélon, n'en choisissez donc plus que de pareils. » Le peuple répondit : « Mais il n'est pas possible d'en trouver un autre. » Gélon fut engagé à se charger de nouveau du commandement général des troupes : mais il ne se contenta pas d'être général des Syracusains ; il usurpa l'empire absolu de l'État.

II. Gélon, devenu tyran de Syracuse, sortit en armes au devant d'Himilcon, roi des Carthaginois, qui avait amené une flotte sur les côtes de Sicile : Gélon n'osant hasarder un combat, commanda à Pédiarque, chef des gens de trait, de s'avancer à la tête de l'armée, revêtu de tous les ornements de la suprême dignité, et suivi des gens de trait habillés de blanc, comme pour faire le sacrifice qui devait précéder le combat. Mais les gens de la suite de Pédiarque eurent ordre de cacher des javelots sous leurs rameaux de myrte, et de tirer sur Himilcon, lorsqu'ils le verraient s'avancer de son côté pour sacrifier. Himilcon ne se doutant de rien de semblable, parut et sacrifia : mais pendant les libations et l'immolation, il fut percé de traits et perdit la vie.

III. Gélon, dans le dessein de ruiner l'empire de ceux de Mégare, y établit une colonie de Doriens. Ensuite il imposa à Diognet, qui commandait à Mégare, des sommes excessives. Diognet, ne les pouvant fournir, les exigea des habitants ; et ceux-ci, pour se dispenser de les payer, se retirèrent dans la colonie des Doriens, et se soumirent volontairement à l'autorité de Gélon.

CHAPITRE XXVIII. - THÉRON.

Théron commandait l'armée de Sicile contre les Carthaginois. Les ennemis prirent la fuite ; et les Siciliens se répandirent dans leur camp pour le piller : mais ils furent repoussés par les Ibères, qui s'étaient joints aux Carthaginois. Théron, pour faire cesser le carnage que ces auxiliaires faisaient de ses troupes, ordonna un détachement pour faire le tour du camp par derrière, et mettre le feu aux tentes. Les ennemis voyant la flamme et la fumée s'élever, et que leurs tentes étaient consumées, s'enfuirent du côté des vaisseaux. Les Siciliens les poursuivirent jusqu'à la mer, et en firent périr la plupart avant qu'il pussent se rembarquer.

II. Dans un combat que ceux de Sélinonte avaient donné aux Carthaginois, ils avaient eu beaucoup des leurs tués, et les corps demeuraient sans sépulture, au grand regret des vaincus, qui n'osaient entreprendre de rendre les derniers devoirs à leurs concitoyens. Comme ils délibéraient sur ce qu'il y avait à faire en cette rencontre, Théron, fils de Miltiade, leur dit, que s'ils voulaient lui donner trois cents esclaves bûcherons, il enlèverait les corps et les brûlerait. Il ajouta, que si les ennemis le prenaient, la perte d'un seul citoyen et de trois cents vils esclaves, ne serait pas un grand malheur pour l'État. Ceux de Sélinonte agréèrent la proposition, et accordèrent à Théron les trois cents esclaves. Il fit choix des plus vigoureux, et les ayant armés de haches et de serpes, il sortit avec eux comme pour couper du bois et dresser un bûcher. Au lieu de cela, il leur persuada de s'élever contre leurs maîtres, et les ayant menés, à la faveur de la nuit, contre la ville, il fut reçu par les gardes comme ami : mais il tua les gardes et la plupart des habitants qui étaient endormis, se rendit maître de la ville, et devint tyran de Sélinonte.

CHAPITRE XXIX. - HIÉRON.

Hiéron voulant passer une rivière, en était empêché par les ennemis. Il leur opposa directement ceux d'entre ses soldats qui étaient armés de toutes pièces ; et pendant qu'ils essayèrent de passer à la vue des troupes ennemies, il envoya plus haut la cavalerie, et par delà encore au-dessus, les gens de trait. Les ennemis firent de grands détachements pour opposer aux gens de trait et à la cavalerie. Par ce moyen ceux qui étaient armés de toutes pièces, trouvèrent moins de résistance, et ayant passé la rivière, mirent facilement en déroute le peu de troupes qui étaient restées pour leur disputer le passage. Aussitôt Hiéron fit lever l'étendard pour avertir les gens de trait et la cavalerie de son avantage. Ils revinrent à leur premier poste, et à la faveur des premiers, qui occupaient l'autre bord, et arrêtaient les efforts des ennemis, ils passèrent la rivière.

II. Dans la guerre que Hiéron fit et Italie, quand il avait entre ses prisonniers des personnes considérables par leurs alliances et leurs richesses ; il ni les rendait pas aussitôt qu'on venait lu en offrir la rançon ; mais il les retentit longtemps, les traitait avec honneur, les régalait, et vivait familièrement avec eux. Après cela il acceptait leur rançon et les renvoyait en liberté. Mais il arrivait ordinairement que ces prisonniers délivrés devenaient suspects à leur patrie, à cause des bons traitements qu'ils avaient reçus de Hiéron, avec qui l'on craignait qu'ils n'eussent prit des engagements secrets.

CHAPITRE XXX. - THÉMISTOCLE.

Un oracle donné aux Athéniens, portait : « Divine Salamis, tu perdras les enfants des femmes. » Les Athéniens étaient alarmés de cet oracle ; mais Thémistocle les rassura, en disant : « Il ne regarde que les ennemis ; car le dieu n'aurait point appelé Salamis divine, si elle devait faire périr les enfants des Grecs. » Dans une autre rencontre, on cherchait le sens d'un oracle qui disait : « Jupiter qui voit de tous côtés, donne un mur de bois à Minerve. » La plupart des Athéniens étaient d'avis que cela signifiait qu'il fallait fortifier la citadelle. Mais Thémistocle soutint que le sens de l'oracle était qu'il fallait confier aux galères le salut de la république, et que c'était là le mur de bois que Jupiter devait donner à la ville de Minerve. On le crut, on arma les galères, on s'en servit à combattre les ennemis, et l'on remporta la victoire.

II. Thémistocle tenait Salamine bloquée par mer. Les Grecs étaient d'avis de se retirer, et Thémistocle voulait que le combat se donnât dans un lieu où la mer était fort resserrée. Comme on ne se rendait pas à ses raisons, il fit partir secrètement l'eunuque Sycinne, précepteur de ses deux fils, qui allant trouver de nuit le roi des Perses, lui dit, comme en confidence, que les Grecs se disposaient à prendre la fuite, et que l'occasion était favorable pour attaquer leur flotte. Le roi le crut légèrement, et attaqua les Grecs dans le détroit. La disposition du lieu contraignit les Grecs à tenir leurs galères serrées entre elles, et la sagesse de leur général leur procura la victoire malgré eux.

III. Les Grecs, après la victoire de Salamine, proposèrent de rompre le pont de bateaux que Xerxès avait fait sur l'Hellespont, afin qu'il ne pût prendre la fuite. Thémistocle s'opposa à cette résolution, et dit : « Le roi, privé de ce moyeu de faire retraite, combattra de nouveau ; et souvent le désespoir fait obtenir des succès que le courage n'a pas donnés. » Après cela il fit passer secrètement du côté du roi un autre eunuque, nommé Arsace, qui lui dit que s'il ne prenait au plus tôt le parti de la retraite, les Grecs ne manqueraient pas de rompre le pont. Le roi craignit que cela n'arrivât ; il se hâta de prévenir les Grecs, passa le pont, et prit la fuite. Ce fut ainsi que Thémistocle trouva moyen de conserver aux Grecs, sans risque, tout l'avantage de leur victoire. IV. Les Athéniens élevaient des murs autour de leur ville, et les Lacédémoniens s'opposaient à ce dessein, par jalousie. Thémistocle trouva moyen de les amuser et de les tromper. Il se rendit à Lacédémone en qualité d'ambassadeur, et nia fortement que les Athéniens fortifiassent leur ville. « Et si vous ne me croyez pas, ajouta-t-il, envoyez les plus considérables d'entre vous, pour être témoin de ce qui se passe, et me retenez jusqu'à leur retour. » On le crut ; on envoya des inspecteurs ; et Thémistocle écrivit secrètement aux Athéniens de retenir les inspecteurs, jusqu'à ce que les murs fussent achevés de construire : mais il pria en même temps qu'on ne délivrât point les inspecteurs, que les Lacédémoniens n'eussent commencé les premiers par le mettre en liberté. Ainsi la clôture fut achevée, Thémistocle fut renvoyé, les inspecteurs furent rendus, et la ville se trouva fortifiée, en dépit des Lacédémoniens.

V. Dans le temps que les Athéniens faisaient la guerre au peuple d'Égine, il se trouva que le revenu que l'État retirait des mines d'argent, montait à cent talents, et il était question de les distribuer au public. Thémistocle, après avoir conféré à ce sujet avec cent des plus riches citoyens d'Athènes, proposa à l'assemblée publique de donner un talent à chacun de ces cent hommes, à condition que si l'emploi qu'ils en feraient méritait d'être approuvé, on leur en tînt un compte exact ; et au contraire, qu'ils rendissent le talent, si l'usage qu'ils en feraient, ne méritait pas l'approbation du public. La proposition fut approuvée ; chacun de ces cent hommes ayant reçu son talent, l'employa à la construction et à l'armement d'une galère, et tous à remise disputaient l'avantage d'avoir la plus belle et la plus légère à la course. Les Athéniens eurent ainsi la satisfaction de se voir maîtres d'une flotte nouvelle, dont ils se servirent non seulement contre Égine, mais encore contre les Perses.

VI. Les Ioniens avaient pris le parti des Perses, et servaient sous leur roi ; Thémistocle ordonna aux, Grecs d'écrire sur les murs : Hommes d'Ionie, c’est mal fait à vous de combattre contre vos frères. » Le roi des Perses ayant lu cela, prit de la défiance contre les Ioniens, et les tint pour suspects.

VII. Thémistocle, contraint de s'enfuir d'Athènes, monta sur un vaisseau sans être connu, dans le dessein de se faire passer en Ionie. Une tempête le poussa contre Naxe, alors assiégé par les Athéniens. Thémistocle voyant le danger qu'il courait, se découvrit au patron et lui dit que s'il ne lui aidait pas à se sauver, il lui ferait courir la moitié du péril en l'accusant d'avoir reçu de l'argent pour favoriser sa fuite ; et que l'unique moyen de se sauver tous deux, était d'empêcher que personne ne prit terre. Le patron épouvanté, ne laissa descendre personne, et sortit du port en diligence.

CHAPITRE XXXI. - ARISTIDE.

Aristide et Thémistocle, animés d'une haine extrême, vivaient dans une division qui paraissait sans remède. Mais quand le roi des Perses fut passé dans la Grèce, ils sortirent tous deux de la ville, et s'étant donné la main droite l'un à l'autre, et en ayant entrelacé les doigts ensemble ils s'écrièrent : « Mettons bas ici notre haine réciproque. jusqu'à ce que nous ayons vaincu les Perses. » Ensuite séparant les mains et les élevant comme pour précipiter quelque chose dans une fosse, qu'ils comblèrent, ils reprirent le chemin de la ville, et firent la guerre de concert. Ce fut cette concorde des chefs qui fut la principale cause de la victoire que la Grèce remporta contre les Barbares.

CHAPITRE XXXII. - LÉONIDAS.

Dans l'affaire des Thermopyles, ce fut pour avoir tenu ferme dans un lieu étroit et serré, que Léonidas rendu inutiles les efforts d'une multitude prodigieuse de Barbares.

II Comme Léonidas était prêt de combattre, il vit l'air chargé de nuages et que le tonnerre allait gronder. Il dit aux chefs : « Il n'y a rien de surprenant s'il tonne, et si l'on voit briller des éclairs, c'est un effet de la saison et de l'impression du soleil. » Les chefs ainsi prévenus, attendirent sans frayeur des effets qui n'avaient que des causes naturelles, et s'avancèrent avec hardiesse au lieu que les ennemis épouvantés combattirent faiblement et furent vaincus.

III. Léonidas, dans une expédition en pays ennemi, partagea ses troupes la nuit en plusieurs divisions, et donna ordre que quand il ferait donner le signal, les uns coupassent les arbres, et les autres missent le feu aux villages. Les ennemis voyant de leur ville le ravage qui se faisait de tous côtés aux environs, crurent les troupes de Léonidas beaucoup plus nombreuses qu'elles ne l'étaient, et n'osant sortir, lui laissèrent emmener tout le butin qu'il avait fait.

CHAPITRE XXXIII. - LÉOTYCHIDE.

L'armée navale des Grecs était devant Mycale, et la grande multitude des Barbares l'épouvantait. Avec cela les Ioniens favorisaient les Mèdes. Mais comme c'était par crainte, plutôt que par inclination, Léotychide trouva moyen de changer la disposition des Ioniens, par la nouvelle qu'il imagina, et qu'il fit répandre, que les Grecs avaient vaincu les Perses à Platée. Alors les Ioniens prirent courage, et se joignirent au reste des Grecs ; et d'ailleurs la fortune vérifia la nouvelle forgée par Léotychide, en faisant que les troupes de Grèce remportèrent à Platée une victoire insigne sur les Barbares.

CHAPITRE XXXIV. - CIMON.

Cimon après une victoire navale remportée contre les satrapes des Perses à la hauteur de l'île de Chypre, s'étant rendu maître d'un grand nombre de vaisseaux ennemis, fit monter les Grecs dessus, leur ordonna de s'habiller comme les Mèdes, et se rendit sur les côtes de Pamphylie vers l'embouchure du fleuve Eurymédon. Les Perses trompés par les gabarits des vaisseaux, et la forme des habillements, reçurent la flotte comme amie. Mais au lieu d'y trouver des gens de leur nation, ils n'y trouvèrent que des Grecs ; que la surprise qu'ils causèrent rendit encore plus terribles qu'ils n'étaient.

II. Cimon ayant enlevé un grand butin et un nombre considérable de captifs de Seste et de Byzance, en fit le partage, à la prière des Alliés. Il mit d'un côté les corps des prisonniers tous nus, et de l'autre côté lés habits, les vestes, les ornements, et les joyaux. Les Alliés choisirent pour leur part les dépouilles, et les Athéniens n'eurent que les corps. On raillait Cimon de ce qu'il avait laissé prendre aux Alliés la plus riche part. Mais on vit bientôt venir de Lydie et de Phrygie les pareils des prisonniers qui donnèrent de grosses rançons pour obtenir la liberté des captifs, et alors les Athéniens, par la sage conduite de leurs chefs, eurent occasion de se moquer à leur tour des Alliés.

CHAPITRE XXXV. - MYRONIDE.

Les Athéniens et les Thébains étaient sur le point de combattre les uns contre les autres. Myronide ordonna aux Athéniens de faire effort par la gauche aussitôt qu'il aurait donné le signal. Il le donna, et son aile gauche marcha contre les Thébains. Dans le même temps, s'avançant à l'aile droite, il s'écria : « Courage l'aile gauche force les ennemis.» Les Athéniens, animés par cette opinion de victoire, poussèrent les ennemis, et les Thébains découragés par leur perte prétendue, se rompirent et prirent la fuite.

II. Myronide conduisant les Athéniens contre Thèbes, s'arrêta dans une plaine, et ordonna à ses troupes de baisser les armes, et de regarder tout autour : «Vous voyez, dit-il, la disposition et l'étendue de la plaine, et la nombreuse cavalerie des ennemis. Si nous fuyons, il est impossible d'éviter d'être défaits par cette cavalerie. Le seul parti qui puisse assurer notre salut, est de demeurer fermes. » Ce fut ainsi qu'il empêcha ses troupes de se débander : il remporta la victoire, et passa jusque dans la Phocide et à Locres,

CHAPITRE XXVI. - PÉRICLÈS.

Pendant que les Lacédémoniens ravageaient l'Attique, Périclès envoya les galères d'Athènes faire le dégât sur les côtes de la Laconie, afin que les ennemis souffrissent encore plus de dommage qu'ils n'en causaient.

II. Périclès était fort riche, et avait dans l'Attique un domaine considérable, Archidame, qui avait avec lui d'anciennes liaisons d'amitié et d'hospitalité, fut chargé de faire le dégât dans l'Attique. Périclès jugea bien qu'Archidame épargnerait ses terres ; mais comme ce ménagement aurait pu donner du soupçon aux Athéniens, Périclès prévint le danger, en faisant don à l'État de toutes les terres qu'il possédait dans l'Attique.

CHAPITRE XXXVII. - CLÉON.

Ce ne fut pas par la force ouverte des armes que Cléon livra Seste à ceux d'Abyde ; ce fut par une ruse, Théodore, ami de Cléon, avait la garde de Sesto. Il était en commerce de galanterie avec une femme qui demeurait au faubourg, et pour la voir, il sortait par un aqueduc étroit, et une pierre qu'il déplaçait et remettait, sans qu'on s'en aperçût, lui procurait la facilité de continuer ses visites. Il conta, l'aventure à Cléon, comme une chose plaisante ; et celui-ci l'ayant fait savoir à ceux d'Abyde, profita d'une nuit sans lune ; et s'étant posté aux environs de l'aqueduc, pendant que Théodore était avec sa maîtresse, il introduisit par le trou des soldats, qui égorgèrent la garde, ouvrirent les portes par dedans, et ayant donné entrée au reste des troupes, se rendirent maîtres d'Abyde.

CHAPITRE XXXVIII - BRASIDAS.

Brasidas était campé auprès d'Amphipolis sur une hauteur de difficile accès, où les ennemis l'environnaient de tous côtés. Dans la crainte qu'ils eurent qu'il ne leur échappât à la faveur de la nuit, ils résolurent de l'enfermer, et se mirent à élever de grands murs tout autour de son camp. Les Lacédémoniens étaient indignés que Brasidas ne les menât point au combat, et qu'il les exposât à périr honteusement de faim. Mais il leur dit qu'il saurait bien trouver le temps propre à combattre. En effet, lorsque la clôture fut presque achevée, et qu'il restait à peine l'espace d'un arpent qui ne fût pas fermé de murs, il leur dit : « C'est maintenant le temps de combattre, » et faisant sortir ses troupes, il donna courageusement sur les ennemis, et s'échappa. La disposition étroite du lieu se trouva favorable pour ses troupes, qui étaient moins nombreuses que celles des ennemis ; et d'ailleurs la clôture qu'ils avaient faite, empêchait que les Lacédémoniens pussent être attaqués par derrière. Ainsi le travail des ennemis ne servit qu'à rendre leur multitude inutile, et assura la retraite des Lacédémoniens.

II. Brasidas s'étant rendu maître d'Amphipolis par intelligence, commanda à ceux qui lui avaient livré la ville, d'en fermer les portes, et en ayant pris les clefs, il les jeta sur le mur, afin que ceux mêmes de l'intelligence ne pussent se dispenser de la défendre, si les ennemis se présentaient pour l'escalader.

III. Brasidas s'étant secrètement approché d'Amphipolis avec ses troupes, estima qu'il n'était pas prudent de hasarder un combat contre des gens désespérés. Il fit publier que si les Athéniens voulaient traiter, il leur permettait de se retirer avec tout ce qui leur appartenait et qu'il laisserait les habitants vivre sous leurs propres lois et dans leur pays, s'ils voulaient s'unir d'intérêt avec les Lacédémoniens. Les uns et les autres acceptèrent la proposition, et Brasidas se rendit ainsi maître d'Amphipolis.

IV. Brasidas se rendant la nuit à Squione, par mer, fit avancer une galère amie, et la suivit monté sur une barque. Son dessein était, s'il se présentait un vaisseau ennemi plus grand que la barque, d'être défendu par la galère ; mais s'il venait à la rencontre quelque autre galère, de prendre la fuite avec la barque, pendant que les deux galères combattraient.

V. Brasidas, dans une retraite, était poursuivi par les ennemis. Il ordonna de couper du bois sur une hauteur voisine ; et l'ayant fait entasser à la queue de ses troupes, il le fit allumer. La flamme s'éleva et empêcha les ennemis de donner sur l'arrière-garde de Brasidas, qui se retira en toute sûreté.

CHAPITRE XXXIX. - NICIAS.

Nicias s'étant approché la nuit des côtes de Corinthe, avec sa flotte, mit à terre vers la colline de Solygue mille Athéniens bien armés, et quelques pelotons d'autres gens qu'il fit tenir en embuscade en divers lieux. Il se retira aussitôt, et quand le jour parut, il se présenta ouvertement avec sa flotte. Ceux de Corinthe se hâtèrent d'accourir au rivage, pour s'opposer à la descente de Nicias. Alors ceux qui étaient en embuscade se levèrent et firent un grand carnage de ceux de Corinthe.

II. Pendant que les Athéniens étaient campés autour d'Olympe, Nicias fit répandre la nuit dans la plaine qui était au-devant de leur camp, des chausse-trappes. Le lendemain Ecphante, général de la cavalerie des Syracusains, fit avancer ses cavaliers, dont la plupart prirent honteusement la fuite. Les pointes des chausse-trappes entraient dans les pieds de leurs chevaux, et pendant qu'il leur était impossible d'avancer, les gens de Nicias, couverts de cuirasses et les pieds garnis de souliers épais, faisaient un grand carnage parmi les ennemis.

III. Nicias fut laissé dans l'enceinte des murs avec peu de troupes, pendant que le reste de l'armée était allé à Thapse. Les Syracusains se rendirent maîtres d'un boulevard qui était au-devant de la clôture, et où il y avait beaucoup de bois. Nicias n'ayant pu l'empêcher, mit le feu à ce bois, et la flamme fit reculer les ennemis. Pendant ce temps-là les soldats qui étaient allés à Thapse, revinrent et secoururent Nicias.

IV. Nicias, poursuivi par Gylipe, et prêt à tomber entre ses mains, lui envoya un héraut, par lequel il offrit de se soumettre à tout ce qu'il lui voudrait ordonner. Il le pria en même temps de donner commission à quelqu'un de venir faire et recevoir les serments. Gylipe ajouta foi aux paroles du héraut, campa et cessa de poursuivre Nicias. Il envoya avec le héraut un homme à qui il donna pouvoir de traiter. Nicias de son côté, se plaça dans des postes avantageux, et recommença la guerre après avoir amusé Gylipe par des propositions trompeuses.

CHAPITRE XL. - ALCIBIADE.

Alcibiade, voulant éprouver ses amis, s'avisa de mettre dans une chambre obscure la figure d'un homme mort, et la montrant à chacun de ses amis en particulier, il les priait de lui aider à tenir caché un meurtre qu'il avait eu le malheur de commettre. La plupart eurent horreur de prendre part au crime ; Callias, fils d'Hipponyme, fut le seul qui ne s'éloigna point d'enlever ce prétendu mort. Cela fit connaître à Alcibiade que Callias était un ami parfait, et depuis ce moment Callias lui tint lieu de tout.

II. Alcibiade, dans une expédition navale contre une ville ennemie, fit une descente de nuit ; et ayant mis ses troupes à terre, il attendit tout le jour. Voyant que les ennemis ne sortaient point, il posa des gens en embuscade, mit le feu à ses tentes, et se retira. Ceux de la ville le voyant parti, sortirent hardiment et se répandirent dans le pays. Les gens de l'embuscade se levèrent, firent beaucoup de prisonniers et enlevèrent un grand butin. Alcibiade le sachant, revint sur ses pas avec sa flotte, et enleva non seulement tout ce qu'on lui avait pris, mais ceux-là même encore qui avaient cru avoir l'avantage.

III. Pendant que les Lacédémoniens tenaient Athènes assiégée, Alcibiade, pour faire en sorte que ceux qui gardaient la ville, le Pirée et les murs qui s'avançaient vers la mer, fussent toujours alertes, fit publier que sitôt qu'on verrait que du haut de la citadelle, il élèverait trois fois un flambeau la nuit, les sentinelles eussent à lui répondre par un signal pareil, sous peine d'ire punis comme déserteurs de la garde. Cela fit que les sentinelles veillèrent sans cesse en attendant toujours le signal du général.

IV. Alcibiade conduisant son armée navale en Sicile, prit terre à Corcyre et comme ses troupes étaient nombreuses, il les partagea en trois corps, afin qu'elles pussent subsister plus aisément, en attaquant plusieurs villes à la fois. Il se présenta devant Catane et ceux de la ville refusèrent de l'admettre. Il proposa d'entrer seul pour haranguer le peuple, et lui représente des choses qui regardaient le bien public. Les habitants consentirent qu'il entrât et accoururent au lieu de l'assemblée. Pendant ce temps-là, ceux qui accompagnaient Alcibiade rompirent, par son ordre, les portes de la ville qu'ils trouvèrent les plus faibles, entrèrent et se rendirent maîtres de Catane dans le moment qu'Alcibiade commençait à haranguer les habitants.

V. Alcibiade assuré de la fidélité d'un homme de Catane, connu des Syracusains, renvoya secrètement à Syracuse, comme de la part des habitants de Catane, dont il récita les noms, et dit que si dès la pointe du jour les Syracusains voulaient se loger dans le camp qu'avaient occupé les Athéniens, il leur serait aisé de prendre ces gens qui étaient à Catane sans armes et sans défiance. Les chefs des Syracusains se laissèrent persuader, et sortirent avec tout le peuple pour l'expédition de Catane. Ils campèrent auprès du fleuve Symothe et Alcibiade les voyant en marche, se hâta d'armer ses galères. Il cingla du côté de Syracuse, où il ne trouva point de résistance, et ayant mis par terre les fortifications d'un côte de la ville, il y fit un grand ravage.

VI. Alcibiade, emmené de Sicile pour subir le jugement à l'occasion des Statues de Mercure mutilées, et des mystères profanés, s'échappa sur un vais seau rond et s'enfuit à Lacédémone. Y étant, il persuada aux habitants d'envoyer incessamment du secours à Syracuse, avant que les Athéniens eussent achevé de fortifier Décelie, et représenta que si l'on y manquait, on ne pourrait plus lever, ni les revenus du pays, ni les taxes, et que les Siciliens mêmes se voyant abandonnés des amis et pressés des ennemis, entreraient en composition avec ceux-ci. Les Athéniens, instruits des pratiques d'Alcibiade, donnèrent un décret par lequel il lui fut permis de revenir à Athènes.

VII. Alcibiade campé contre les Syracusains, prit garde qu'entre les deux camps il y avait de grosses touffes de fougère sèche, et qu'un grand vent qui soufflait, portait au dos des Athéniens, et dans le visage des ennemis. Il fit mettre le feu à la fougère, et la fumée lui aida à mettre les Syracusains en fuite.

VIII. Alcibiade fuyait devant Tiribaze, et il n'y avait qu'un chemin. Quand il s'arrêtait, Tiribaze ne combattait point mais quand il se mettait en marche, Tiribaze le harcelait. Alcibiade ayant fait halte une nuit, fit couper beaucoup de bois, et l'ayant fait entasser, y mit le feu et partit. Les Barbares voyant briller la flamme, se persuadent que les Grecs séjournaient. Quand ils surent qu'ils étaient échappés, ils voulurent aller après, mais trouvant le chemin bouché par le feu, ils cessèrent de les poursuivre.

IX. Alcibiade envoya du côté de Cyzique Théramène et Trasybule, avec un grand nombre de vaisseaux, pour boucher aux ennemis le chemin de cette ville ; et puis tint la mer avec au petit nombre de navires. Mindare méprisant cette flotte peu considérable, avança contre Alcibiade qui fit semblant de prendre la fuite. Mindare, croyant la défaite des Athéniens assurée, leur donna la châsse avec beaucoup de satisfaction. Mais Alcibiade, l'ayant attiré du côté où étaient Théramène et Trasybule, donna le signal, et virant de bord, présenta la proue aux ennemis. Mindare voulut alors prendre la route de Cyzique, mais les vaisseaux de Théramène lui coupèrent le passage. Mindare prit le parti d'aborder à Clères dans le pays de Cyzique, mais Pharnabaze s'opposa à sa descente. Alcibiade de son côté frappa de l'éperon de ses vaisseaux ceux des ennemis qui étaient en haute mer, et se saisit avec des crocs de fer de ceux qui étaient sur le rivage, pendant que Pharnabaze mettait en pièces les troupes de Mindare qui avaient débarqué. Enfin Mindare fut tué, et Alcibiade remporta une victoire éclatante.

CHAPITRE XLI. - ARCHIDAME.

Archidame campé en Arcardie, et la veille d'un jour qu'il devait livrer bataille, s'avisa, pendant la nuit, pour donner du courage aux Lacédémoniens, de dresser un autel, de l'orner de belles armes, et de faire marcher tout autour deux chevaux, tout cela secrètement. À la pointe du jour, les chefs et les autres officiers voyant cet autel merveilleux et les traces des deux chevaux, publièrent que c'étaient des marques visibles que les deux fils de Jupiter venaient à leur secours. Les soldats le crurent ainsi, et pénétrés de confiance en la protection divine, ils combattirent vaillamment, et remportèrent la victoire sur les Arcadiens.

II. Pendant qu'Archidame assiégeait Corinthe, la ville était partagée en deux factions, celle des riches et celle des pauvres. Ceux-ci accusaient les premiers d'aspirer à se rendre maîtres du gouvernement ; et ceux-là disaient que les pauvres avaient du penchant à livrer la ville aux Lacédémoniens. Archidame informé de cette division, ralentit les efforts qu'il faisait contre Corinthe. Il ne faisait plus approcher de machine ; on ne faisait plus de tranchées ; et le pays n'était plus ravagé. Les riches s'imaginent que ces ménagements d'Archidame étaient la récompense de la trahison des pauvres, et qu'ils avaient sans doute pris le parti de lui livrer la ville. Ils crurent qu'il était de leur intérêt de le prévenir, et en effet ils traitèrent avec lui, et le rendirent maître de Corinthe.

III. Dans un tremblement de terre, toutes les maisons de Lacédémone tombèrent, à la réserve de cinq. Archidame voyant les habitants occupés sauver ce qui était dans les maisons, eut peur qu'ils ne fussent accablés sous les débris. Il fit sonner la trompette, comme si les ennemis se fussent présentés. À ce signal tous les Lacédémoniens se rassemblèrent auprès d'Archidame ; les maisons qui restaient sur pied tombèrent, et le peuple fut sauvé.

IV . Archidame vaincu par ceux d'Arcadie, et dangereusement blessé, leur envoya des hérauts pour demander la permission d'enlever ses morts. Mais son véritable dessein était d'empêcher, par la suspension d'armes, que le reste de ses troupes ne pérît.

V. Archidame marchait la nuit contre les Cariens, et conduisait ses troupes par des chemins rudes et sans eau. La traite était pénible, et les soldats murmuraient hautement. Archidame les consolait de son mieux, et les exhortait à prendre courage. Quand ils furent parvenus en haut, ils donnèrent sur les ennemis, en firent un grand carnage, et s'étant rendus maîtres du lieu, ils célébrèrent leur victoire par des réjouissances. Alors Archidame leur demanda : « Quand croyez-vous que nous nous sommes rendus maîtres de cette ville ? » Les uns dirent : « ça été quand nous avons marché à l'attaque. » Les autres : « Quand nous avons lancé des traits contre les ennemis.- Point du tout, dit Archidame ; nous ne sommes redevables de la victoire qu'à la patience avec laquelle nous avons supporté la longue marche dans un pays raboteux et sans eau. Car qui souffre volontiers et sans se décourager, vient enfin à bout de tout ce qu'il souhaite.

CHAPITRE XLII. - GYLIPPE.

Gylippe voulant parvenir à commander seul les troupes de Syracuse, assembla les autres généraux de l'État, et leur dit qu'il convenait de fortifier une hauteur qui était entre la ville et le camp dés Athéniens. Son avis fut approuvé : mais la nuit Gylippe fit passer au camp des ennemis un transfuge, qui leur fit savoir cette résolution. Aussitôt les Athéniens prévenant ceux de Syracuse, se saisirent de cette hauteur. Gylippe parut fort indigné de ce qu'il y avait des gens qui découvraient aux ennemis les secrets de l'État. Afin que cela n'arrivât plus, ceux qui avaient la principale autorité dans la ville, confièrent à Gylippe seul le commandement des armes.

II. Gylyppe voulant reprendre la hauteur dont les Athéniens s'étaient emparés, choisit dans la flotte nombreuse qui était à Syracuse vingt galères, et les garnit de soldats. Il les fit sortir la nuit, avec ordre de voguer dès la pointe du jour. Les ennemis les voyant, se disposèrent à les attaquer, et les vingt galères prirent la fuite. Les Athéniens les poursuivirent avec ardeur ; et alors Gylippe sortant avec le reste de la flotte, alla après les Athéniens. Pendant qu'on se battait ainsi sur mer, les troupes de terre de Gylippe attaquèrent la hauteur, chassèrent la garnison des Athéniens, et s'y établirent.

CHAPITRE XLIII. - HERMOCRATE.

Dans une sédition qui s'était formée à Syracuse, un grand nombre d'esclaves s'étaient attroupés, et ils avaient pour chef Sosistrate. Hermocrate envoya vers lui Damaïque, l'un des principaux officiers de la cavalerie, et qui était ami de Sosistrate, pour lui dire de la part des généraux, qu'ils ne pouvaient s'empêcher d'admirer son courage ; qu'ils donneraient la liberté à tous ceux qui l'avaient suivi ; qu'ils les armeraient, et leur donneraient la même quantité de vivres qu'aux autres généraux, et qu'on lui donnerait la même autorité qu'à eux ; enfin qu'il pouvait, en cette qualité, venir au conseil, et prendre part aux affaires publiques. Sosistrate, gagné par son ami, prit vingt des plus déterminés des es-claves de son parti, et se rendit à l'assemblée des autres chefs. Mais on le saisit avec ses vingt braves, et ils furent tous mis en prison. Dans le moment Hermocrate prenant six mille soldats, et s'étant rendu maître du sort des esclaves soulevés, il leur jura si chacun voulait retourner auprès de son maître, qu'il ne leur serait fait aucun mal. La plupart se laissèrent persuader, et retournèrent trouver leurs maîtres, il n'y en eut que trois cents qui passèrent du côté des Athéniens.

II. Les Athéniens, après avoir été battus sur mer par ceux de Sicile, résolurent de prendre la fuite. Les Syracusains célébrèrent par des sacrifices la victoire qu'ils avaient remportée, et s'enivrèrent. Hermocrate les voyant accablés de sommeil et d'ivresse, ne les jugea pas en état de prendre les armes. Il fit passer du côté de Nicias un transfuge, qui dit : « Tes amis t'avertissent que si tu te mets en mouvement la nuit tu tomberas dans les embuscades qu'on a préparées. » Nicias crut cette fausse nouvelle et attendit le jour pour partir. Hermocrate voyant alors que les Syracusains avaient assez dormi, et repris leurs forces, occupa avec eux les passages des rivières et les ports, et défit entièrement les Athéniens.

CHAPITRE XLIV. - ETÉONIQUE.

Pendant que Conon, avec les troupes d'Athènes, tenait assiégé dans Mtylène Etéonique le Lacédémonien, une frégate légère apporta la nouvelle que Callicratidas chef d'escadre des Lacédémoniens avait été vaincu devant Arginuses. Etéonique fit retirer la nuit ceux qui avaient apporté les nouvelles, et leur donna ordre de rentrer le lendemain en plein jour dans Mitylène, couronnés et avec de grands cris de joie, comme porteurs de nouvelles agréables, et annonçant une grande et insigne victoire. Etéonique fit des sacrifices d'action de grâce, et Conon avec ses Athéniens furent dans une grande surprise. Conon cessa de presser le siège de Mitylène ; mais Etéonique ne laissa pas pour cela de prendre ses sûretés. Il envoya les troupes de mer à Chio, et celles de terre à Méthymne, dont les habitants étaient de son parti.

CHAPITRE XLV. - LYSANDRE.

Lysandre avait promis à ses amis de Milet de s'employer efficacement à renverser l'Etat populaire. Dans le dessein d'accomplir sa promesse, il se mit à traiter rudement de paroles ceux qui paraissaient disposés à faire des mouvements dans l'état, et employa tous ses soins à persuader au peuple qu'il soutiendrait toujours sa liberté. Le peuple trompé par Lysandre, espérait, toute sorte de bonheur de ses soins, et ne prenait aucune précaution coutre lui. Les amis de Lysandre voyant cette sécurité, fondirent ensemble sur le peuple, mirent à mort un grand nombre d'habitants et se rendirent maîtres de Milet.

II. L'armée navale des Athéniens se mit quatre fois en bataille à Egospotames, pour attirer les Lacédémoniens au combat ; sans que Lysandre ni les Lacédémoniens fissent avancer leurs galères. Les Athéniens se retirèrent tout glorieux avec des chants de victoire. Lysandre les fit suivre par deux galères dont les commandants firent signe à Lysandre, en haussant un bouclier d'airain. Dans le moment Lysandre donna le signal du départ, et ses galères se mirent à voguer avec beaucoup d'ardeur. Les Lacédémoniens trouvèrent les Athéniens qui venaient de prendre terre, et qui se reposaient, la plupart sans armes et en désordre. Les Lacédémoniens bien armés et en bon ordre donnèrent dessus, et remportèrent une victoire complète, Ils firent les hommes prisonniers de guerre, et se rendirent maîtres de toutes les galères et de tous les autres vaisseaux, à la réserve d'une barque légère seule, qui porta les nouvelles de cette défaite à Athènes.

III. On attribue-à Lysandre ce mot : « Les enfants, il faut les tromper avec des osselets, et les ennemis avec des serments.

IV. Lysandre, après s'être rendu maître de Thase, sut qu'il y avait dans la ville beaucoup d’habitants qui favorisaient les Athéniens, mais que la crainte des Lacédémoniens les obligeait à se tenir couverts. Lysandre convoqua les Thasiens au temple d'Hercule, et leur parlant avec une bonté affectée, leur dit qu'il ne trouvait point étrange que dans le changement arrivé dans leur ville, il restât encore des vestiges cachés des premières inclinations, que c'était une chose pardonnable ; que du reste on pouvait vivre en sûreté ; qu'il ne maltraiterait personne, et qu'on pouvait prendre confiance à la parole qu'il en donnait dans un lieu sacré tel qu'était ce temple, et dans la ville d'Hercule, à qui ils avaient l'honneur d'appartenir à tant de titres. Les partisans cachés des Athéniens, rassurés par les belles paroles de Lysandre, commencèrent à se montrer plus librement, et Lysandre les laissa jouir quelque temps de cette fausse sécurité ; mais quand ils ne furent plus sus leurs gardes il les fit, enlever et mettre à mort.

V. Les Lacédémoniens et leurs alliés voulaient que l'on rasât Athènes. Lysandre s'y opposa, et dit que cela ne convenait pas. Il représenta qu'il arriverait de là que Thèbes, qui était dans le voisinage, en deviendrait plus forte et plus en état de leur résister ; au lieu que s'ils mettaient Athènes sous la domination de quelques tyrans, ils la conserveraient pour eux-mêmes, et tiendraient par elle en respect les Thébains, qui s'affaibliraient ainsi de jour en jour. L'avis de Lysandre fut jugé le meilleur, et ce fut de cette sorte qu'il empêcha la destruction d'Athènes.

CHAPITRE XLVI. - AGIS.

Pendant la guerre des habitants du Péloponnèse contre les Lacédémoniens, ceux-ci souffraient de la disette. Agis ordonna qu'on passât un jour sans prendre de nourriture ; et pour étonner les ennemis, il fit passer de leur côté des transfuges qui dirent que la nuit suivante il venait un renfort considérable aux Lacédémoniens. En même temps Agis fit museler toutes les bêtes de son camp, avec ordre de ne leur délier la bouche et le museau qu'à l'entrée de la nuit. Aussitôt que ces animaux eurent la liberté de paître, après avoir souffert la faim tout le jour, ils se mirent à faire grand bruit, et courir et sauter çà et là ; les échos des gorges et des hauteurs voisines faisaient naître l'idée d'un grand mouvement. Avec cela les troupes d'Agis, partagées en plusieurs lieux différents, avaient ordre d'allumer de plus grands feux et en plus grand nombre qu'à l'ordinaire. Les Péloponnésiens, trompés par toutes ces apparences, se persuadèrent, qu'il était en effet arrivé du secours aux Lacédémoniens, et prirent aussitôt la fuite.

CHAPITRE XLVII. - TRASYLLE.

Trasylle, voulant cacher aux ennemis la connaissance du nombre ses galères, supérieur au leur, commanda aux capitaines de les joindre deux à deux avec des cordages, et d'ôter les voiles de l'une deux. Comme on ne voyait les voiles que de la moitié des galères, Trasylle vint ainsi à bout de faire croire aux ennemis qu'il n'avait que la moitié des galères qu'il avait amenées.

II. Trasylle et les autres généraux, ayant rencontré ceux de Byzance auprès de Naxe, leur présentèrent le combat. Ceux-ci craignant qu'il n'arrivât dé là que Byzance fût prise d'assaut, prirent terme pour rendre la ville, et donnèrent des otages pour sûreté de leur promesse. Trasylle et les autres généraux firent semblant de prendre la route de l'Ionie, mais faisant une contre-marche la nuit même, ils se rendirent maîtres de Byzance, dont les habitants n'étaient plus sur leurs gardes.

CHAPITRE XLVII. - CONON.

Conon voyant que les alliés étaient près de l'abandonner, envoya un transfuge qui dit aux ennemis que ces gens devaient prendre la fuite, et fit le détail du temps et de la manière de leur retraite. Les ennemis, sur cet avertissement, posèrent des embuscades pour les surprendre. Conon, averti de cette disposition, dit aux alliés qu'ils pouvaient se retirer en sûreté. Ils le crurent et partirent, mais ayant découvert les ennemis qui les attendaient, ils revinrent sur leurs pas, et se rejoignirent avec Conon, à qui ils aidèrent à remporter la victoire.

II. Conon fuyait Callicratidas qui avait deux fois plus de galères que lui. Se trouvant proche de Mytilène, il observa que les vaisseaux des Lacédémoniens avaient rompu leurs rangs dans l'ardeur de la poursuite. Alors élevant un manteau de pourpre, qui était le signal qu'il avait donné aux capitaines de ses galères, il tourna la proue de ses vaisseaux contre ceux des Lacédémoniens qui étaient en désordre et dispersés. Ce mouvement imprévu surprit les ennemis, dont toute la flotte fut brisée ou coulée à fond, et Conon remporta une victoire complète.

III. Conon avait joint ses troupes à celles de Pharnabaze, pendant qu'Agésilas faisait le dégât dans l'Asie. Le Persan, à la sollicitation de Conon, envoya de l'or aux orateurs des villes de la Grèce, afin que gagnés par ses présents, ils persuadassent de faire la guerre aux Lacédémoniens. Ils en vinrent à bout, et ce fut l'origine de la guerre de Corinthe. Il en arriva ce que Conon souhaitait, qui fut que les Lacédémoniens rappelèrent Agésilas d'Asie.

IV. Conon resserré dans Mitylène par les Lacédémoniens, était dans l'impatience de faire savoir aux Athéniens l'état du siège ; mais il était difficile de le faire si secrètement que les ennemis qui l'environnaient n'en eussent point connaissance. Il prit deux vaisseaux des plus légers qu'il eut, et les garnit des meilleurs rameurs et de tout ce qui était nécessaire. Pendant qu'ils attendaient ses ordres tranquillement, Conon observa sur le soir que les assiégeants débarqués se répandaient çà et là, les uns pour repaître et se reposer, les autres pour allumer du feu. Alors faisant partir les deux vaisseaux, il leur ordonna de prendre chacun une route opposée afin que si l'un était pris, l'autre pût échapper. Tous deux passèrent par la négligence des ennemis, qui, occupés à autre chose, ne s'avisèrent point de leur donner la chasse.

V. Conon, sur le point de donner une bataillé navale, fut averti par un transfuge que les ennemis avaient formé le dessein d'attaquer son vaisseau avec leurs meilleures galères. Aussitôt il fit armer et équiper une galère pareille à la sienne, y mit toutes les marques d'honneur du vaisseau amiral, plaça ce navire à l'aile droite, et ordonna que les signaux se donnassent de ce point. Les ennemis trompés par ces apparences, tournèrent de ce côté leurs galères les plus considérables, pendant que Conon, avec le reste de sa flotte, donna sur les autres vaisseaux des ennemis, dont il coula les uns à fond, et fit prendre la fuite aux autres.

CHAPITRE XLIX. - XÉNOPHON.

Dans la retraite que Xénophon fit avec les dix mille, voyant que la cavalerie de Tissapherne attaquait vivement son bagage, il ordonna qu'on abandonnât les chariots et tout ce qui pouvait embarrasser la marche, sans être absolument nécessaire ; de peur que si les Grecs s'arrêtaient à vouloir sauver ces effets, ils ne s'exposassent à une mort certaine, et perdissent l'espérance de s'échapper.

II. Xénophon, poursuivi par les Barbares, dans sa retraite, forma un carré, mit tout le bagage au milieu, et s'avançant toujours sur sa route, il mit à la queue la cavalerie avec des gens de trait et des cuirassiers, pour soutenir les efforts des ennemis.

III. Les Barbares avaient prévenu Xénophon, en occupant un défilé par où les Grecs devaient passer. Xénophon découvrit d'une, montagne une hauteur sur laquelle les Barbares avaient mis des gardes. Il prit un nombre suffisant de Grecs et s'achemina vers cette hauteur, dans le dessein de s'en rendre maître, et de se trouver par là au-dessus des ennemis. Aussitôt qu'il se fut emparé de ce lieu, les Barbares voyant en sa puissance un lieu si avantageux, et qui dominait sur le champ, prirent la fuite, et Xénophon fit sa retraite en toute assurance.

IV. Xénophon avait une rivière à passer, et les ennemis postés à l'autre rive, s'opposaient à son passage. Xénophon détacha mille de ses Grecs, et leur fit traverser la rivière à un autre endroit, pendant qu'il s'efforçait avec le reste à passer en face des ennemis. En même temps les mille ayant traversé la rivière, parurent du côté des ennemis et au-dessus d'eux, et les ayant attaqués et mis en désordre, procurèrent aux autres Grecs le moyen de passer en sûreté.



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CHAP 1er - Agésilas - CHAP. II - Cléarque - CHAP. III. - Épaminondas - CHAP IV. - Pélopidas - CHAP. V. - Gorgias on Gorgidas. - CHAP. VI. - Dercyilidas - CHAP. VII. - Alcétas - CHAP. VIII. - Arxilaidas - CHAP. IX. - Isadas - CHAP. X. - Cléandridas - CHAP. XI. - Pharicidas - CHAP. XII. - Déiphonte - CHAP. XIII. - Eurytion - CHAP. XIV. - Les Éphores - CHAP. XV. - Hippodamas - CHAP. XVI. - Gastron - CHAP. XVII. - Mégaclidas - CHAP. XVIII. Harmostès - CHAP. XIX. - Thibron - CHAP. XX. - Demarat - CHAP,. XXI. - Erippidas - CHAP. XXII. - Ischolaüs - CHAP. XXIII. - Mnassippidas - CHAP. XXIV. - Antalcidas - CHAP. XXV. Argésipolis - CHAP. XXVI. - Sthénippe - CHAP. XXVII. - Callicratidas - CHAP. XXVIII. - Magas - CHAP. XXIX - Cléonyme - CHAP. XXX. - Cléarque - CHAP. XXXI. - Aristomène - CHAP. XXXIII. - Cinéas - CHAP. XXXIII. - Hégétoride - CHAP. XXXIV - Dinias - CHAP. XXXV. - Nicon - CHAP. XXXVI. - Diétas - CHAP. XXXVII. - Tisamène - CHAP. XXXVIII. - Onomarque.

LIVRE SECOND.



CHAPITRE PREMIER. - AGÉSILAS.

Agésilas faisait la guerre aux Acarnaniens. Il se trouva hors de leurs limites, dans le temps qu'on devait ensemencer les terres ; les Lacédémoniens voulaient qu'on empêchât les Acarnaniens d'ensemencer. Mais Agésilas voulut qu'on les laissât faire, dans la pensée que s'ils se voyaient une moisson à conserver, ils préféreraient la paix à la guerre ; « S'il arrive au contraire, dit-il, qu'ils ne veuillent pas la paix, ce sera pour nous qu'ils auront semé.»

II. Les Lacédémoniens étaient campés près des Thébains et des Athéniens. L'armée légère des Lacédémoniens, et ce qu'ils avaient d'infanterie armée de rondaches, n'était pas pour faire un grand effet. Agésilas ne faisait de fond que sur la phalange entière qu'il voulait conduire. Chabrias et Gorgidas commandèrent, celui-là, aux Athéniens, et celui-ci aux Thébains, de demeurer fermes, sans se déplacer ; de présenter leurs javelots droits, et d'appuyer leur bouclier sur le genou. Agésilas les voyant dans cette posture, où il était difficile de les ébranler, jugea qu'il était du devoir d'un bon général de prendre garde à la force des ennemis, et prit le parti de la retraite.

III. Agésilas faisait une guerre, plus que jamais, à ceux de Corone. Il vint un homme qui lui annonça que Pisandre, général de la flotte de Lacédémone était mort, et que Phranabaze l'avait vaincu. De peur que cette nouvelle n'amollit le courage des troupes, Agésilas ordonna au messager de publier le contraire dans le camp, c'est-à-dire, que les Lacédémoniens avaient remporté la victoire sur mer. Lui-même se montra en public, une couronne sur la tète, fit un sacrifice pour l'heureuse nouvelle, et envoya à ses amis des portions des victimes. Les troupes entendant et voyant tout cela, sentirent augmenter leur courage et leur confiance, et firent la guerre avec plus d'ardeur.

IV. Lorsque Agésilas vainquit les Athéniens à Corone, on vint lui dire : «Les ennemis se réfugient dans le temple de Minerve. » Il commanda qu'on laissât aller ceux qui le souhaiteraient. Il était persuadé qu'il y a du danger à se battre avec des gens que le désespoir force à reprendre les armes.

V. Agésilas faisant la guerre en Asie, apprit à ses troupes à mépriser les Barbares qu'elles avaient appréhendés jusque là. Il fit mettre nus des Perses captifs, et montrant à ses soldats, d'un côté, ces corps sans vigueur et que la mollesse avait rendus blancs, et de l'autre, les habits et les ornements précieux dont on les avait dépouillés, il dit, dans le style court et sentencieux de son pays : « Ceux que nous combattons, les voilà ; et pour quoi nous combattons, le voici. »

VI. C'était le sentiment d'Agésilas, qu'à l'ennemi qui fuit, on doit laisser le passage libre.

VII. Les alliés disant un jour. « Nous sommes beaucoup plus de soldats qu'il n'y en a de Lacédémone, Agésilas ordonna que les troupes campassent dans une plaine, les alliés à part et les Lacédémoniens aussi à part. Quand cela fut fait, il fit crier par un héraut : « Que les potiers se lèvent ! » Il s'en trouva un grand nombre parmi les alliés. La même chose fut ordonnée aux ouvriers en fer, ensuite aux charpentiers, et aux autres divers artisans de même ; et presque tout le corps des alliés se trouva composé de ces sortes de gens ; au lieu qu'il ne s'en trouva aucun parmi les Lacédémoniens, parce qu'il leur était défendu d'exercer aucune de ces professions viles. Les alliés apprirent par ce moyen que ceux de Lacédémone avaient beaucoup plus de soldats qu'eux.

VIII. Lorsque Agésilas passa en Asie et fit le dégât sur les terres du roi, Tissapherne demanda des trêves, et elles furent données pour trois mois, pendant lesquels on devait s'employer auprès du roi, pour obtenir que les villes grecques de l'Asie pussent vivre en liberté sous leurs propres lois. Les Grecs observèrent la trêve religieusement ; mais Tissapherne ayant rassemblé une grande armée, se présenta contre eux. Les Grecs furent alarmés de cette surprise. Agésilas parut avec la joie dans les yeux et dit : « Je suis oblige à Tissapherne de son parjure. Il s'est rendu les dieux ennemis, et nous les a donnés pour alliés. Allons, combattons généreusement avec un tel secours. Ces paroles inspirèrent la confiance aux Grecs, et en étant venus aux mains avec les Barbares, ils les vainquirent.

IX. Agésilas ayant pris sa route du côté de Sardes, envoya des gens qui, pour tromper Tissapherne, répandirent le bruit qu'Agésilas, par une fausse marche, semblait menacer la Lydie, mais que son véritable dessein était de fondre secrètement sur la Carie. Tissapherne instruit de ces bruits, s'en alla garder la Carie, et Agésilas parcourut la Lydie et y fit un butin considérable. Dans une irruption qu'Agésilas fit en Acarnanie, ayant vu que les Acarnaniens avaient pris la fuite sur les montagnes, il cessa de pousser en avant, et se détournant à côté, par des routes écartées, il ordonna qu'on arrachât les arbres jusqu'à la racine. Les Acarnaniens conçurent du mépris pour ce ralentissement, et la vaine occupation de leurs ennemis, et descendant des montagnes, ils reprirent le chemin des villes situées dans la plaine. Il leur prit un grand nombre d'hommes et de bêtes, et se retira avec un riche butin.

XI. Agésilas informé que les Thébains gardaient le chemin de Scole, ordonna aux ambassadeurs que les Grecs lui envoyaient, d'attendre à Thespies, et il y fit même conduire les provisions de l'armée. Alors les Thébains prirent le parti d'aller barrer le chemin de Thespies, et menèrent en ce lieu les troupes qui gardaient celui de Scole. Agésilas était éloigné de deux journées de chemin de ce premier poste des ennemis ; il s'y rendit en deux jours, et trouvant la route de Scole libre il passa sans avoir été dans la nécessité de combattre.

XII. Agésilas faisait le ravage dans le pays de Thèbes. Les Thébains se postèrent sur une hauteur de difficile accès, qui commandait le chemin. On l'appelait le siège de Rhée, et Agésilas ne pouvait ni l'attaquer aisément, ni passer outre. Il fit faire un quart de conversion a son armée, et la fit marcher comme pour aller surprendre Thèbes. Véritablement la ville était alors sans soldats. Les Thébains eurent peur qu'elle ne fût prise, quittèrent la hauteur où ils étaient postés, et s'en allèrent dans la ville. C'était tout ce que souhaitait Agésilas, qui passa de cette sorte en liberté ce poste périlleux.

XIII A la bataille de Leuctres, un grand nombre de Lacédémoniens jetèrent leurs armes et quittèrent leurs rangs. Pour empêcher que cette multitude ne fût déshonorée, Agésilas brigua la dignité de législateur, et l'ayant obtenue, il ne voulut point faire de lois nouvelles ; il se contenta d'ordonner l'exécution des anciennes, à commencer depuis l'affaire de Leuctres.

XIV. Dans une sédition arrivée à Sparte, un grand nombre de gens armés s'empara de la hauteur d'Issore, qui était un lieu consacré à Diane. Ce tumulte était d'une conséquence d'autant plus dangereuse, que ceux de Béotie et d'Arcadie avaient fait incursion dans le pays. Cependant Agésilas ne marqua point de crainte, quoiqu'il estimât hasardeux et incertain pour le succès, d'employer la force contre des gens si avantageusement placés. D'un autre côté, il y aurait eu aussi trop de bassesse à user de prière à leur égard. Il ne voulut se servir ni de l'un ni de l'autre de ces moyens ; mais seul, sans armes, et d'un visage ouvert et assuré, il alla trouver ces gens, et leur dit : « Jeunes gens, ce n'est pas ici que je vous ai postés. Vous, dit-il aux uns, en leur montrant une hauteur voisine : Voyez, c'est là que votre poste est marqué ; et vous, allez à cet autre, et faites-y bonne garde. » Les Lacédémoniens se persuadèrent qu'Agésilas ignorait leur révolte. Ils eurent honte de leur faute et se retirèrent. Pendant la nuit, Agésilas trouva moyen d'écarter en divers lieux les auteurs du tumulte, qui étaient au nombre de douze, et l'émeute se trouva apaisée.

XV. Agésilas voyant que plusieurs des siens avaient pris la fuite et passé du côté des ennemis, ce qui pouvait décourager l'armée trouva moyen de dérober ceux à qui étaient demeurés la connaissance de la fuite honteuse des autres. Il envoyait toutes les nuits visiter les lits et les chambrées avec ordre de ramasser et de lui apporter tous les boucliers qu'on trouverait jetés, de peur qu'en voyant le bouclier, on n'en recherchât le maître. Ainsi ne trouvant point les armes, on ne put avoir de soupçon des déserteurs.

XVI. Agésilas tenait les Phocéens assiégés depuis longtemps. La longue résistance des assiégés l'ennuyait : mais les alliés des Phocéens étaient encore plus ennuyés de la durée du siège. Agésilas le leva et fit retraite. Les alliés des Phocéens virent son départ avec plaisir, et s'en allèrent joyeusement chez eux. Alors Agésilas, voyant les Phocéens sans secours, retourna contre eux, et se rendit maître de leur ville.

XVII. Agésilas traversant la Macédoine, envoya vers Erope, roi du pays, pour traiter avec lui, et avoir la liberté du passage. Erope ne voulut point consentir au traité il résolut même de s’opposer au passage, et ayant été informé qu'Agésilas avait peu de cavalerie, il sortit contre lui avec un nombre considérable de chevaux. Agésilas voulant faire paraître sa cavalerie plus nombreuse qu'elle n'était, fit marcher devant toute son infanterie. Il la fit suivre de tout ce qu'il avait de cavaliers, dont il fit une double phalange ; et derrière il plaça les ânes, les mulets et les vieux chevaux ruinés qui ne servaient plus qu'au bagage. Sur tout cela il fit monter des hommes armés en cavaliers ; et de loin l'on eût pris ce corps pour un escadron très nombreux. Erope y fut trompé ; et la peur qu'il eut de ces forces imaginaires, lui fit accorder le passage qu'il avait auparavant refusé.

XVIII. Pendant qu'Agésilas étai campé en Béotie, les alliés, saisis de crainte, voulurent se soustraire pour éviter le combat, et prirent secrètement le chemin d'Orchomène, ville amie. Agésilas envoya dire publiquement aux habitants, qu'il leur défendait de recevoir aucun allié sans lui. De cette sorte les alliés n'ayant aucun lieu où se retirer, ne pensèrent plus à la fuite ; ils ne songèrent qu'à la victoire.

XIX. Agésilas combattait contre les Thébains ; ceux-ci faisaient effort pour enfoncer et rompre la phalange lacédémonienne. Ils poussaient avec vigueur, et il se faisait un grand carnage. Agésilas dit alors : « Cessons de combattre, et ouvrons-nous en deux.» La phalange s'ouvrit, et les Thébains courant tout à travers, montrèrent le dos comme s'ils avaient pris la fuite. Agésilas les prit en queue, et alors l'affaire ne fut pas meurtrière pour les uns et pour les autres comme auparavant ; elle ne le fut que pour ceux qui fuyaient.

XX. Agésilas ayant mis son armée en ordre de bataille, s'aperçut que les alliés n'étaient pas dans de bonnes dispositions. Il jugea à propos de faire retraite. Mais comme il la fallait faire par des défilés, où il s'attendait d'être attaqué par les troupes de Béotie, il donna l'avant-garde aux Lacédémoniens, et mit les alliés à l'arrière-garde, afin que lorsque les Béotiens attaqueraient la queue, les alliés fussent dans la nécessité de combattre courageusement.

XXI. Agésilas faisant incursion dans la Béotie, commanda aux alliés de mettre le feu partout, et de couper tous les bois. Il vit qu'ils étaient lents à exécuter ses ordres, et ne le faisaient qu'à regret. Il s'avisa de faire changer de camp à son armée deux ou trois fois le jour ; et alors la nécessité de dresser les tentes, faisait qu'on était obligé de couper les bois. Ce n'était plus véritablement tant pour nuire aux ennemis, que pour l'usage des troupes d'Agésilas, mais c'était toujours également nuire aux Béotiens.

XXII. Agésilas avait mené des troupes en Égypte pour se joindre avec Nectanebus et lui prêter secours. Se trouvant en des lieux fort serrés il fit construire un mur autour de son camp. L'Égyptien désapprouvait fort ce travail, et voulait que l'on donnât sur l'ennemi. Mais Agésilas persista dans l'exécution de son dessein, et tint ferme jusqu'à ce que l'on eût creusé le fossé et élevé le mur tout autour du camp, excepté un petit espace qui fut laissé ouvert à la tête. Alors Agésilas s'écria : « C'est à présent qu'il faut user de vigueur. » Il sortit dans le moment, et tua dans ces gorges étroites un grand nombre d'ennemis ; et le mur qu'il avait bâti lui fut d'un grand secours pour l'empêcher d'être enveloppé par les ennemis.

XXIII. Dans un combat qu'Agésilas donna aux Béotiens, il fut incertain de quel côté était l'avantage ; et la nuit sépara les combattus, sans que la victoire se fût déclarée. À minuit Agésilas envoya quelques-uns de ses plus affidés, avec ordre de couvrir de terre ceux d'entre les Spartiates morts qu'ils pourraient reconnaître. Ils le firent, et se retirèrent avant qu'il fût jour. Le jour venu, les Béotiens virent la terre couverte de leurs morts, et très peu de Spartiates dans le même état. Ils se persuadèrent par là que les Lacédémoniens avaient eu la victoire, et ils perdirent courage.

XXIV. Agésilas, revenant d'Asie, traversait la Béotie. Les Thébains, pour lui couper passage, s'emparèrent de quelques endroits fort serrés qui se trouvaient sur sa route. Agésilas ayant dédoublé sa phalange, donna ordre en public de marcher droit à Thèbes. La ville était sans aucunes troupes, et les Thébains appréhendèrent qu'il ne s'en rendit maître sans peine. Ils quittèrent à la hâte les postes difficiles, qu'ils avaient occupés, et Agésilas continua sa route en toute sûreté.

XXV. Dans une incursion qu'Agésilas fit dans le pays de Thèbes, les Thébains avaient muni la plaine d'une tranchée à laquelle ils n'avaient laissé que deux ouvertures assez étroites. Agésilas voulant passer, se présenta à l'ouverture qui était à sa gauche, et les troupes étaient rangées en forme de carré, vide dans le milieu. Tous les habitants se présentèrent devant lui au même lieu, en bon ordre. Mais pendant qu'il les y amusait, la queue de son carré défila secrètement, comme il l'avait ordonné, et se saisit de l'autre ouverture qui n'était point gardée. Agésilas entra par là, fit le dégât dans le pays, et s'en retourna, sans trouver personne qui l'en empêchât.

XXVI. Pendant qu'Agésilas était campé auprès de Lampsaque, quelques Grecs échappés des mines, vinrent dire aux troupes lacédémoniennes, que ceux de Lampsaque forçaient à travailler aux mines tous ceux qu'ils pouvaient prendre. Toute l'armée en eut de l'indignation, et s'avança du côté des murs, dans le dessein de saccager la ville. Agésilas n'ayant pu empêcher ce mouvement, voulut cependant sauver Lampsaque. Il marqua autant d'indignation qu'il en avait vu dans ses troupes, et leur dit qu'il fallait commencer par couper les plus belles vignes, qui étaient aux principaux d'entre les habitants. On lui obéit, et pendant que ses troupes étaient dans cette occupation, il prit le temps pour avertir ceux de Lampsaque de bien garder leur ville.

XXVII. Les Lacédémoniens étaient postés vis-à-vis les Thébains, le fleuve Eurotas séparait les deux camps. Les Lacédémoniens avaient envie de passer le fleuve, mais Agésilas n'était pas de cet avis, parce qu'il voyait que les Thébains, avec leurs alliés, étaient en plus grand nombre. Il fit circuler des gens qui semèrent le bruit qu'il y avait un oracle qui menaçait d'une défaite certaine les premiers qui passeraient le fleuve. Il arrêta par ce moyen l'impétuosité des Lacédémoniens, et ne laissa sur le bord de l'Eurotas que peu d'alliés sous le commandement d'un Thasien, nommé Symmaque, à gui il ordonna de prendre la fuite aussitôt qu'il verrait les Thébains passer le fleuve. En même temps il mit quelques troupes en embuscade dans des gorges, et avec le reste de son armée il se retira dans un poste sûr et couvert. Les Thébains ne voyant qu'une poignée de gens avec Symmaque, traversèrent hardiment l'Eurotas, et poursuivirent avec ardeur les alliés des Lacédémoniens, qui fuyaient. Cela les fit donner dans l'embuscade, où les Lacédémoniens leur tuèrent six cents hommes.

XXVIII. Agésilas, dans une incursion contre Messène, envoya un espion à la découverte. Il vint lui dire que non seulement les Messéniens étaient sortis de la ville pour venir à sa rencontre, mais que les femmes même, les enfants, et les esclaves, affranchis dans cette rencontre, les accompagnaient. À cette nouvelle, Agésilas se retira, pour ne pas trop hasarder le succès, en combattant contre des gens désespérés qui méprisaient leur propre vie.

XXIX. Les Thébains tenaient les Lacédémoniens assiégés dans Sparte. Ceux-ci souffraient impatiemment d'être enfermés dans leurs murs avec leurs femmes, et d'y tenir garnison. Ils demandaient de faire une sortie, dans la résolution de faire une action d'éclat, et de mourir, s'ils ne pouvaient remporter la victoire. Agésilas modéra leur impatience, en leur disant : « Souvenez-vous que nous avons traité les Athéniens de même, et que nous les avons tenus resserrés dans leurs murs. Ils ne voulurent, point faire de sorties, peur de se perdre inutilement. Ils se contentèrent de faire bonne garde sur leurs murs, et se sauvèrent par ce moyen. Les assiégeants se lassèrent avec le temps, et se retirèrent d'eux-mêmes. »

XXX. Agésilas étant en Asie, conduisait un butin considérable. Les Barbares le harcelaient, et tiraient contre ses troupes beaucoup de flèches et de javelots. Agésilas prit tout ce qu'il avait de Barbares captifs, et les ayant liés, les mit à part à la tête de son armée. Les ennemis les reconnaissant pour être des leurs, cessèrent de tirer.

XXXI. La ville de Mende était athénienne d'inclination. Agésilas s'y présenta secrètement une nuit, et trouva moyen d'y entrer, et de se rendre maître des postes les plus forts. Ceux de Mende le trouvèrent fort mauvais, et s'assemblèrent pour conférer sur ce sujet. Agésilas se trouvant à l'assemblée, leur dit : « Pourquoi tout ce mouvement ? Il y eut la moitié parmi vous qui étaient de concert avec moi pour me livrer la ville. » Les habitants conçurent alors du soupçon les uns contre les autres, et le trouble fut apaisé.

XXXII. Quand Agésilas avait des prisonniers distingués par leur rang et par le grand nombre de leurs amis, il les renvoyait sans rançon, afin de leur ôter la confiance de leurs propres concitoyens.

XXXIII. Quand il s'agissait de faire des traités, Agésilas demandait pour négociateurs et ambassadeurs, les plus considérables d'entre les ennemis, sous prétexte de conférer avec eux sur ce qui était du bien public. Aussitôt qu'il les avait auprès de lui, sa grande attention était de ne les point quitter, de les admettre dans sa maison, et de leur faire part de ses sacrifices. Par ce moyen il les rendait suspects dans leur pays, et disposait par là les choses aux révolutions qu'il méditait.

CHAPITRE II. - CLÉARQUE.

Cléarque conduisant une grande armée, trouva sur sa route une rivière à passer. Il y avait deux gués. Au premier on n'avait de l'eau que jusqu'à mi-jambe, et à l'autre on en avait jusqu'à la mamelle. Il essaya d'abord de passer le premier gué ; mais les ennemis qui étaient de l'autre côté maltraitaient ses troupes à coups de frondes et de flèches. Cléarque voyant cela, prit ceux qui étaient tout armés de fer, et les fit passer au second gué plus profond, afin qu'ils pussent avoir la plus grande partie du corps à couvert dans le fleuve, et le bouclier couvrait suffisamment ce qui paraissait au dehors. Ainsi ces gens passèrent le fleuve en sûreté, et repoussèrent les ennemis, et le reste de l'armée traversa sans obstacle le premier gué plus aisé.

II. Après que Cyrus eut été tué, Cléarque se retira avec les Grecs, et campa dans une bourgade où il y avait des vivres en abondance. Tissapherne lui envoya des ambassadeurs pour lui proposer de demeurer en ce lieu, à condition que les Grecs livreraient leurs armes. Cléarque feignit d'entendre cette proposition, dans la pensée que Tissapherne s'assurant sur le traité, séparerait ses troupes, et leur donnerait des quartiers dans le voisinage. Cela arriva en effet ; et Tissapherne disposa ses troupes, dans l'espérance du traité. Cléarque, profitant de cette faute, délogea la nuit, et eut le temps de marcher un jour et une nuit, avant que Tissapherne eût rassemblé ses troupes, ce qu'il ne put faire que lentement.

III. Cléarque conseillait à Cyrus de ne se point exposer, mais de se contenter d'observer le combat, d'autant que combattant, sa seule personne ne serait pas d'un grand secours, au lieu que sa perte causerait celle de toute l'armée. Quant à la phalange des Grecs, il la fit marcher d'abord lentement, pour étonner les Barbares par sa belle disposition ; mais quand on fut à la portée du trait, il ordonna qu'on prît la course, pour éviter d'être blessé par les javelots des Barbares. Et en effet, cette partie de l'armée eut l'avantage sur les Perses.

IV. Après la mort de Cyrus, les Grecs occupèrent un canton fertile et d'une grande étendue, environné d'un fleuve, et qu'une seule langue de terre empêchait d'être une île parfaite. II ne voulait pas que l'on y campât ; mais il avait de la peine à le persuader à ses Grecs. Il s'avisa de faire semer un faux bruit, que le roi menaçait de faire murer cette langue de terre. Les Grecs l'ayant entendu, se rendirent à l'avis de Cléarque, et campèrent au-delà de cette langue de terre.

V. Cléarque, emmenant un grand butin, se trouva arrêté sur une hauteur par les ennemis, qui l'environnèrent d'une tranchée. Les chefs de ses troupes voulaient qu'on chargeât les ennemis, avant que l'ouvrage fût achevé. « Laissez-les faire, dit Cléarque, et prenez courage ; plus ils avanceront la tranchée, et moins nous aurons d'ennemis à combattre. » En effet, sur le soir, laissant là le butin, il se présenta à l'endroit où l'on n'avait pas encore ouvert la terre, et mit facilement en pièces, dans un lieu si serré, ceux qui se présentèrent devant lui.

VI Cléarque, chargé du butin qu'il avait fait en Thrace, ne put se rendre à Byzance aussitôt qu'il l'aurait souhaité, et fut obligé de camper auprès d'une montagne du pays. Les Thraces se rassemblèrent, et Cléarque jugea bien que ceux qui avaient pu s'échapper des montagnes, viendraient l'attaquer la nuit. C'est pourquoi il ordonna à ses troupes de demeurer sous les armes, et de s'entre éveiller souvent. Lui-même, pour les tenir plus alertes, profitant d'une nuit obscure, prit une partie de l'armée, et se mit à frapper sur les armes, à la manière des Thraces. Le reste de ses troupes croyant que c'étaient les ennemis, se tenait prêt à combattre. Dans ce moment les Thraces se montrèrent effectivement. Ils croyaient trouver les Grecs endormis ; mais ils furent reçus par des gens qui ne l'étaient pas, qui étaient prêts à bien manier les armes, et qui leur tuèrent beaucoup de monde.

VII. Quand ceux de Byzance se furent révoltés, Cléarque fut mis à l'amende par les Éphores, et s'enfuit à Lampsaque avec quatre navires. Il s'y habitua, et fit semblant de n'y penser qu'à boire et à faire bonne chère. Pendant ce temps-là ceux de Byzance furent assiégés par les Thraces, et envoyèrent les commandants de leurs troupes demander du secours à Cléarque. Il affecta de paraître plongé dans l'ivrognerie, et à peine put-on gagner sur lui qu'il leur donnât audience le troisième jour. Ayant écouté leurs prières, il dit qu'il avait pitié d'eux, et promit de les secourir. Outre ses quatre navires, il en arma encore deux autres, et fit voile à Byzance. Là il convoqua l'assemblée, et conseilla de faire monter sur les vaisseaux tout ce qu'il y avait de cavaliers et de gens de pied dans la ville, pour attaquer les Thraces en queue. Cela fut exécuté, et les pilotes eurent ordre de lui, quand ils verraient lever en haut le signal du combat, de mettre en mer, et de rester ensuite à flot sur l'ancre. Quand cela fut fait, Cléarque resté à terre avec les deux chefs, dit : « J'ai soif ; » et se trouvant près d'un cabaret, il y entra avec eux et avec les gardes qu'il y avait fait mettre en embuscade, tua les deux chefs. Il ferma ensuite le cabaret, et ordonna au cabaretier de se taire. Ayant fait ainsi mourir ces deux hommes, et enlevé les forces de la ville, il y fit entrer ses propres soldats, et s'en rendit le maître.

VIII. Cléarque faisait le ravage dans la Thrace, et y fit mourir plusieurs habitants. On lui envoya des ambassadeurs pour le prier de mettre fin à la guerre. Mais comme il estimait que la paix ne lui serait pas avantageuse, il ordonna aux cuisiniers de prendre deux ou trois corps morts des Thraces, de les couper en pièces, et de pendre ces pièces à des crochets. Les ambassadeurs Thraces voyant ces tristes objets, demandèrent à quelle fin cela se faisait. On leur répondit, par ordre de Cléarque, que c'était un régal qu'on préparait pour son souper. Les ambassadeurs, pénétrés d'horreur, se retirèrent, sans avoir osé ouvrir la bouche sur le sujet de leur légation.

IX. Cléarque avait ses troupes dans une plaine, et les ennemis supérieurs en cavalerie, étaient sur le point de l'attaquer. Il fit son ordre de bataille de huit rangs de profondeur, et les desserra plus qu'on ne le faisait ordinairement dans la disposition en carré. Il ordonna à ses gens de baisser l'épée le long du bouclier, et de creuser un fossé profond. Quand le fossé fut fait, il fit avancer ses troupes au-delà, à la rencontre de la cavalerie ennemie, et commanda que dans le moment qu'elle commencerait à agir, on lâchât pied jusqu'aux tranchées. Les ennemis qui ne connaissaient point ce piège, poussèrent avec ardeur, et donnèrent dans les fossés, où ils tombèrent les uns sur les autres, et les troupes de Cléarque tuèrent les cavaliers ennemis tombés par terre.

X. Pendant que Cléarque était en Thrace, l'armée était inquiétée de terreurs nocturnes. Cléarque fit publier : « S'il se fait quelque tumulte la nuit, que personne ne se lève ; et si quelqu'un se lève, qu'on le tue comme ennemi. » Cet ordre apprit aux soldats à mépriser ces terreurs de nuit ; et ils cessèrent ainsi de se mettre inutilement en mouvement.

CHAPITRE III.- ÉPAMINONDAS.

Phébiade, qui avait le commandement de la citadelle de Cadmie, était amoureux de la femme d'Épaminondas. Cette femme le fit savoir à son mari, qui lui ordonna de faire semblant d'aimer Phébiade, et de lui promettre une nuit, avec engagement de mener avec elle d'autres femmes pour ses amis. La parole donnée, les femmes se trouvèrent au rendez-vous, et burent avec Phébiade et ses amis jusqu'à l'ivresse. Elles demandèrent ensuite la permission de sortir un moment pour vaquer à un sacrifice nocturne, et promirent de revenir dans l'instant. Phébiade et ses amis le leur permirent, et ordonnèrent aux gardes de la porte de les laisser rentrer. Étant sorties, elles trouvèrent dehors des jeunes gens sans barbe, avec qui elles changèrent d'habits, à la réserve d'une seule qui rentra avec eux, tant pour dire deux mots aux gardes de la porte, que pour guider ces jeunes gens. Conduits par cette femme, ils tuèrent Phébiade et tous ceux qui étaient avec lui.

II. Épaminondas, prêt de donner bataille à Leuctre, conduisait déjà sa phalange, suivie de ceux de Thespie. Il savait que ceux-ci ne marchaient qu'à regret, et pour éviter qu'ils ne causassent du désordre dans l'action, il fit publier : « Il est permis à ceux des Béotiens qui le voudront de se retirer. » Aussitôt les Thespiens s'en allèrent avec leurs armes. Par ce moyen il ne resta plus à Épaminondas que des troupes sûres et bien disciplinées, dont la valeur lui fit gagner une glorieuse victoire.

III. Épaminondas menait ses troupes dans le Péloponnèse, et les ennemis venant à sa rencontre, campèrent auprès d'Onie. Il tonna, et les troupes d'Épaminondas eurent d'autant plus de frayeur, que le devin commanda de faire halte. « Non, non, dit Épaminondas, Ce sont les ennemis seuls campés-là, que le tonnerre menace. » Le discours du général rendit le courage à ses troupes, et elles le suivirent hardiment.

IV. À la bataille de Leuctres, Épaminondas commandait les Thébains, et Cléombrote était à la tête des Lacédémoniens. L'avantage était égal de deux côtés, aussi bien que la perte. Épaminondas dit aux Thébains : « Accordez-moi seulement encore un pas, et la victoire est à nous. » Ils le crurent, et vainquirent ; les Lacédémoniens lâchèrent pied, et le roi Cléombrote mourut dans le combat.

V, Épaminondas, entré dans la Laconie, y eut tant d'avantages, qu'il ne tint qu'à lui de prendre Sparte. Mais changeant de sentiment, il se retira, sans avoir touché à la ville. Ses collègues menaçaient de le faire condamner. Mais leur montrant les alliés, c'est-à-dire, les Arcadiens, les Messéniens, les Argiens, et les autres du Péloponnèse : « Voyez-vous ces gens, leur dit-il ; ce serait contre eux qu'il faudrait combattre, si nous ruinions entièrement les Lacédémoniens car s'ils sont unis à nous pour abaisser Lacédémone, ils seraient très fâchés que cette union servît à l'agrandissement de Thèbes.»

VI. Épaminondas persuada aux Thébains de lutter avec ceux d'entre les Lacédémoniens qui se trouvaient à Thèbes. Les Thébains n'avaient pas de peine à les mettre par terre, et apprirent par là à les mépriser. Après quoi s'estimant plus forts qu'eux, ils leur firent la guerre avec plus de courage.

VII. Épaminondas avait coutume de ne mener ses troupes qu'après le lever du soleil, comme s'il eût voulu faire profession de ne faire la guerre qu'à découvert. Il changea de méthode quand il fut dans le Péloponnèse, et surprit les Lacédémoniens endormis, en donnant sur eux la nuit.

VIII. Épaminondas commandait les Thébains, et Cléombrote était à la tête des Lacédémoniens et de leurs alliés, au nombre de quarante mille hommes. Ce grand nombre faisait peur aux Thébains. Épaminondas les rassura par deux artifices. Comme ils sortaient de la ville, un homme inconnu, préparé secrètement par Épaminondas, vint à leur rencontre, la tête ornée d'une couronne et de banderoles, et leur dit : « Je suis chargé de la part de Trophonius, de dire aux Thébains, que la victoire sera pour ceux qui commenceront les premiers le combat. » Les Thébains encouragés par cette prédiction, adorèrent le dieu qui la leur faisait. « Ce n'est pas encore assez, dit Épaminondas ; il faut aller faire nos prières à Hercule.» Il avait déjà donné ses ordres au prêtre d'Hercule, qui avait ouvert le temple la nuit, et avait remis les armes en leur place, après les avoir détachées et fourbi avec le secours de ses ministres ; et tout cela s'était fait secrètement, sans qu'ils en eussent rien dit à personne. Les gens de guerre arrivant au temple, et le trouvant ouvert sans ministère d'homme, et voyant toutes ces vieilles armes si brillantes, jetèrent de grands cris, et se trouvèrent animés d'un courage qu'ils crurent inspiré des dieux, parce qu'ils se persuadèrent qu'Hercule voulait leur tenir lieu de général. Cette confiance fut cause qu'ils vinrent à bout de vaincre les quarante mille ennemis qu'ils avaient à combattre.

IX. Épaminondas voulant entrer dans la Laconie fit entendre qu'il passerait (l'isthme) la nuit. La forteresse du mont Aonie (qu'on trouvait à l'entrée) était défendue par une garnison de Lacédémoniens. Épaminondas fit reposer ses troupes au pied de cette montagne, et ceux de la garnison furent toute la nuit sous les armes avec beaucoup de fatigue. À la pointe du jour, Épaminondas donna sur la garnison accablée de sommeil ; et l'ayant facilement vaincue, passa librement.

X. Épaminondas, informé que Sparte était sans soldats, résolut de la surprendre la nuit. Agésilas en fut averti par des transfuges, accourut en diligence au secours, avec ce qu'il avait de troupes, et entra dans la ville, où il attendit les Thébains de pied ferme. Ils se présentèrent et furent vigoureusement repoussés par les Lacédémoniens. Comme le danger était pressant pour les Thébains, dans le trouble et la nuit, ils furent contraints de prendre la fuite ; et plusieurs d'entre eux jetèrent leurs boucliers. Pour éviter qu'ils fussent notés d'infamie à ce sujet, Épaminondas fit crier qu'aucun de ceux qui étaient armés pesamment ne portât son bouclier ; qu'un chacun le donnât à son écuyer, ou à quelque autre serviteur, et le vint joindre avec son dard et son épée seulement, pour le suivre (où il les voudrait mener.) Il cacha de cette manière à la multitude, quels étaient ceux qui avaient jeté leur bouclier : et ce bienfait les rendit dans la suite plus attachés à lui, plus courageux, et plus obéissants dans les entreprises les plus périlleuses.

XI. Épaminondas donna bataille aux Lacédémoniens. L'action fut vive, et il y eut beaucoup de morts de part et d'autre. La nuit survint, qui laissa la victoire indécise, et les deux armées se retirèrent. Les Lacédémoniens campant dans un très grand ordre, il leur fut aisé de savoir le nombre de leurs morts. Cela leur affaiblit le courage, et ils s'endormirent tristement. Épaminondas, pour empêcher que pareille chose n'arrivât de son côté, ordonna que chacun campât comme il se trouverait, sans chercher sa place ordinaire, que tous soupassent à la hâte de ce que chacun pourrait avoir de vivres, ou en demandassent à leurs voisins, et se reposassent au même lieu où ils auraient soupé. De cet ordre, qui fut exécuté sur-le-champ, il en résulta un grand bien, qui fut que les Thébains qui avaient soupé çà et là, et non dans leurs chambrées, ignorèrent le nombre de leurs morts ; en sorte que s'étant remis en bataille le lendemain, ils se battirent beaucoup plus courageusement que les Lacédémoniens, qu'ils vainquirent sans peine, parce qu'ils les trouvèrent déjà consternés de la perte de leurs compagnons.

XII. Épaminondas menait six mille Thébains seulement contre trente mille, tant Spartiates, qu'alliés des Spartiates. Les Thébains, comme il était naturel, avaient peur de cette grande multitude ; mais voici comme Épaminondas leur ôta cette frayeur. Il y avait à Thèbes une statue de Pallas, qui avait une lance à la main droite, et au devant des genoux un bouclier appuyé sur la terre. Épaminondas prit un ouvrier, et le mena la nuit dans le temple où était cette statue, il lui fit changer d'attitude, et passa le bouclier au bras de Pallas. Quand il fut temps de sortir de la ville, Épaminondas fit ouvrir tous les temples, comme pour y faire des sacrifices pour l'heureux succès de l'armée. Les soldats voyant la nouvelle attitude de Pallas, furent surpris, et se persuadèrent fortement que la déesse s'était armée contre les ennemis. Épaminondas ne négligea pas de profiter de cette disposition des esprits, il ne cessait d'exhorter ses troupes à prendre courage, puisque la déesse tendait le bouclier contre les ennemis de l'État. En effet, les Thébains s'animèrent, donnèrent un combat éclatant, et remportèrent la victoire sur un nombre aussi supérieur que l'était celui des Lacédémoniens.

XIII. Épaminondas voulant passer le pont bâti sur le Sperque, voyait les Thessaliens campés devant lui dans le dessein de lui disputer le passage. Il avait remarqué que vers le point du jour il s'élevait du fleuve un brouillard épais. Il commanda à chaque troupe de couper et de porter deux faisceaux de bois, un de bois vert, et l'autre de bois sec ; et d'y mettre le feu sur le minuit, au bois vert au-dessus, et au buis sec au-dessous. De cette sorte, favorisé de la nuit, du brouillard, et de la fumée, qui dérobaient aux ennemis la vue des objets, il fit passer ses soldats sur le pont. Ils se trouvèrent dans le milieu de la plaine, de l'autre côté, avant que la fumée et le brouillard se fussent dissipés. Alors, mais il était trop tard, les Thessaliens s'aperçurent que les Thébains étaient passés.

XIV. Épaminondas étant dans la disposition d'en venir aux mains avec les Lacédémoniens, auprès de Tégée, jugea qu'il devait s'emparer de quelques postes avantageux. Afin de cacher son dessein aux ennemis, il ordonna au commandant de la cavalerie de s'avancer au devant de la phalange avec seize cents chevaux, et de faire plusieurs évolutions, marches et contre-marches de côté et d'autre. Par ce moyen il s'éleva beaucoup de poussière, qui offusqua la vue des ennemis, et à l'aide de cette obscurité les postes furent gagnés secrètement par Épaminondas. Quand la poussière fut apaisée, les Lacédémoniens s'aperçurent quelle avait été la raison d'une cavalcade, dont le but leur avait été d'abord inconnu.

XV. Épaminondas voulant exciter les Thébains à faire un vigoureux effort contre les Lacédémoniens, prit un grand serpent, le leur montra, et lui ayant écrasé la tête en présence de tous, il leur dit : « Vous voyez que la tète ôtée, tout le reste du corps n'a plus de force. La tête de nos ennemis sont les Lacédémoniens que voilà, et le corps sont les alliés : si nous brisons cette tête, le reste du corps demeurera inutile.» Les Thébains, persuadés par cet exemple, attaquèrent courageusement la phalange lacédémonienne et la rompirent, et la multitude des alliés prit la fuite.

CHAPITRE IV. - PÉLOPIDAS.

Pélopidas voulait se rendre maître de deux forteresses éloignées l'une de l'autre de vingt-six stades. Pendant qu'il tenait le siège devant rune de ces places, il donna ordre à quatre cavaliers de venir à toute bride, des couronnes sur la tête, lui annoncer que l'autre ville était prise. À cette nouvelle, il mena ses troupes devant la ville qu'on disait prise, quand il fut devant les murs, il fit allumer un grand feu, dont la fumée fut vue par ceux de l'autre ville, qui s'imaginèrent que Pélopidas avait fait mettre le feu à celle-ci. Ils eurent peur d'un pareil traitement, et se donnèrent d'eux-mêmes à Pélopidas. Il joignit à ses troupes les forces qu'il trouva dans cette ville, et se présenta devant l'autre, qui n'ayant pas le courage de lui résister, lui ouvrit ses portes. Ainsi les deux villes tombèrent sous sa puissance, l'une trompée par une fausse opinion, et l'autre, pour n'avoir pu lui résister.

II. Pélopidas étant en Thessalie, avait une rivière à passer, et ne le pouvait, parce qu'il avait les ennemis à dos. Il campa sur le bord du fleuve, et se retrancha de pieux et de fascinés qu'il fit couper en grande quantité. Il y fit mettre le feu à minuit ; par ce moyen les ennemis se trouvèrent dans l'impossibilité de le poursuivre, et il passa le fleuve en liberté.

III. Thèbes était maîtrisée par des troupes lacédémoniennes qui avaient à Cadmie un chef de garnison. Vint la fête de Vénus, que les femmes célébrèrent avec jeux ordinaires, et les hommes s'amusaient à les regarder. Le commandant de la garnison de Cadmie voulant de son côté honorer la déesse, fit venir des femmes publiques. Pélopidas entra dans le fort avec elles, avec une épée cachée sous ses habits, et mettant le commandant à mort, il délivra Thèbes.

CHAPITRE V. - GORGIAS ou GORGIDAS.

Gorgias fut le premier qui établit la troupe sacrée. Elle était composée d'hommes liés ensemble par l'amour le plus tendre, et au nombre de trois cents. La tendresse qu'ils avaient les uns pour les autres, faisait qu'ils ne s'abandonnaient jamais, qu'ils ne prenaient point la fuite, et qu'ils étaient résolus de vaincre les ennemis, ou de mourir tous ensemble.

II. Gorgias à la tête de la cavalerie thébaine, avait à combattre Phébidas, qui conduisait l'infanterie armée de boucliers. Comme il se trouvait dans un lieu fort serré où la cavalerie ne pouvait pas faire grand effet, il lâcha pied devant l'infanterie de Phébidas. Les ennemis le poursuivirent, et par ce moyen, il les attira dans une plaine ; et c'était le but de cette fuite simulée. Alors Gorgias élevant son casque, au bout d'un javelot, donna le signal à ses gens, qui firent volte-face. L'infanterie de Phébidas, qui ne put soutenir l'effort de la cavalerie Thébaine, fut mise en déroute, et s'enfuit à Thesbies. Ainsi Phébidas, qui courait après des fuyards pour leur donner la chasse, fut contraint de fuir lui-même.

CHAPITRE VI. - DERCYLLIDAS.

Dercyllidas avait juré à Médias, tyran de Scepsis, que s'il venait lui parler de suite, il le laisserait retourner dans la ville. Médias vint, et Dercyllidas commanda qu'on ouvrît les portes de la ville ; sinon il menaça de tuer le tyran. Quand la peur eut contraint celui-ci à tenir les portes ouvertes, Dercyllidas lui dit : « Je te laisse rentrer dans la ville, parce que je l'ai juré mais j'y entrerai aussi avec toutes mes forces. »

CHAPITRE VII. - ALCÉTAS.

Le Lacédémonien Alcétas, levant l'ancre de devant Istiée, voulut cacher aux Thébains qu'il avait plusieurs vais seaux armés. Pour cet effet, il mit sur une galère une partie de ses soldats, et fit faire la manœuvre d'une manière qui pouvait donner à penser aux ennemis qu'il n'avait que ce seul vaisseau armé en guerre. Par ce moyen, il se rendit maître de tout ce qui était sur les galères des Thébains.

CHAPITRE VIII. - ARXILAIDAS.

Arxilaidas, autre Lacédémonien, conduisant des troupes, avait à passer un endroit fort dangereux. Il n'avait aucune assurance que les ennemis y fussent en embuscade ; mais prévoyant que cela pouvait être, il donna ordre à ses troupes de se tenir prêtes à combattre, parce que les ennemis étaient cachés sur le passage. En effet, ils trouvèrent une grande embuscade ; mais comme ils y étaient préparés, par la sage prévoyance du chef, ils attaquèrent les ennemis vigoureusement, et les mirent tous à mort.

CHAPITRE IX. - ISADAS.

Après la bataille de Leuctres, les Thébains s'emparèrent de Gyth, l'un des ports de la Laconie, et y mirent garnison. Isadas, Lacédémonien, prit avec lui cent personnes de son âge, leur ordonna de se frotter d'huile, de se mettre sur la tête des couronnes d'olivier, et de, prendre chacun un poignard sous l'aisselle. Suivi de ces gens nus, il se mit nu lui-même, et courut de toutes ses forces avec eux. Les Thébains furent trompés par cet extérieur, et les reçurent comme des gens qui faisaient quelque jeu. Mais les Lacédémoniens ayant mis le poignard à la main, tuèrent une partie des Thébains, chassèrent le reste, et se rendirent maîtres de Gyth.

CHAPITRE X. - CLÉANDRIDAS.

Cléandridas menait ses troupes dans le pays de Térine, par un chemin creux, dans le dessein de cacher sa marche et de surprendre les Térinois. Ils en furent avertis par des transfuges, et, s'étant hâtés d'aller à sa rencontre, ils se trouvèrent sur sa tête. Cléandridas voyant ses soldats découragés, leur dit de se rassurer. À cet effet, il fit passer un héraut à travers ses troupes, qui cria qu'on regardât comme amis ceux d'entre les Térinois qui diraient le mot dont on était convenu avec lui. Les Térinois entendant cette publication, commencèrent à se regarder les uns les autres avec soupçon, comme s'il y avait eu des traîtres parmi eux, et crurent que le parti le plus sûr était de se retirer au plus vite et de veiller à la garde de leur ville. Quand ils s'en furent allés, Cléandridas fit monter librement ses troupes sur les hauteurs, ravagea le pays, et s'en retourna en sûreté.

II. Cléandridas, chef des Thuriens, gagna une bataille contre les Leucaniens. Après la victoire, il mena ses troupes sur le champ de bataille, et leur fit voir, par la situation des morts épars çà et là, que leur défaite ne venait que de ce que, sans se tenir serrés à leur poste, ils s'étaient trop répandus de côté et d'autre ; d'où venait qu'ils étaient tombés loin les uns des autres, au lieu qu'eux s'étaient tenu serrés et fermes. Pendant qu'il était dans cette occupation, les Leucaniens se présentèrent de nouveau, en plus, grand nombre qu'auparavant. Alors Cléandridas quitta la plaine, et posta son armée dans un lieu étroit. La grande multitude des ennemis ne leu donna aucun avantage. Le peu d'étendue du lieu donna moyen à Cléandrilas d'opposer un front égal à celui qu'il avait devant lui ; et de cette sorte les Thouriens gagnèrent une seconde bataille sur les Leucaniens.

III. Les principaux de Tégée étaient soupçonnés de favoriser les Lacédémoniens. Pour les rendre encore plus suspects, Cléandridas faisant le dégât dans le pays, épargna leurs possessions seules, pendant qu'il ravageait celles de tous les autres. Ceux de Tégée, transportés de colère, intentèrent action de trahison à ces citoyens épargnés. Ceux-ci, appréhendant l'issue du jugement, le prévinrent, et livrèrent la ville à Cléandridas. Ainsi la crainte les força à rendre véritable une accusation qui n'avait pour fondement qu'un faux prétexte,

IV. Cléandridas faisant la guerre aux Leucaniens, avait la moitié plus de troupes qu'eux. Il eut peur que s'ils s'en apercevaient, ils ne prissent la fuite pour éviter le péril. Il s'avisa donc de donner beaucoup de profondeur à sa phalange. Les Leucaniens, voyant un front de peu d'étendue, la méprisèrent, et étendirent leurs rangs, dans le dessein de le déborder. Alors Cléandridas, dédoublant les files de sa phalange, développa son front et vint à bout de déborder lui-même les Leucaniens. Ils furent enveloppés, percés de traits, et tous tués, à la réserve d'un petit nombre qui prit honteusement la fuite.

V. Cléandridas voyant que les Thuriens étaient inférieurs en nombre aux ennemis, leur défendit de donner : « Il faut, leur dit-il, quand la peau du lion ne suffit pas, y coudre celle du renard.»

CHAPITRE XI. - PHARICIDAS.

Pendant que la flotte de Carthage était en route pour aller contre Syracuse, Pharacidas se trouva engagé au milieu de leurs galères. II en prit neuf ; et afin que les Carthaginois ne l'inquiétassent point dans sa route, il fit passer sur ces galères prises ses propres rameurs et ses soldats. Les Carthaginois reconnaissant leurs galères, les laissaient entrer librement dans le port de Syracuse.

CHAPITRE XII. - DÉIPHONTE.

Déiphonte ayant concerté avec les Doriens qu'ils attireraient les Argiens an combat, monta sur ses vaisseaux et alla se cacher derrière une hauteur. Une sentinelle vint lui dire : « Les Doriens mènent un grand butin, et les Argiens ont quitté leur camp pour aller le recouvrer.» Aussitôt Déiphonte et ses alliés firent descente, et courant au camp des Argiens, le trouvèrent sans défense, et s'en rendirent les maîtres. Les Argiens voyant qu'on avait pris leurs pères, leurs enfants et leurs femmes, ne trouvèrent point d'autre moyen de leur rendre la liberté, qu'en livrant aux Doriens le pays et toutes leurs villes.

CHAPITRE XIII. - EURYTION.

Eurytion, roi de Lacédémone, voyant que la guerre contre les Arcadiens traînait en longueur, essaya d'exciter parmi eux une sédition. À cet effet, il envoya dire par un héraut : « Les Lacédémoniens cesseront de faire la guerre, pourvu que vous chassiez les coupables ; et ce sont ceux qui ont pris Égine. » Ceux qui avaient pris part au meurtre, craignant que le peuple, pour l'amour de la paix, ne prît le parti de les chasser, sortirent avec des épées, et tuèrent tout autant de monde qu'ils purent. Ils grossirent même leur troupe de beaucoup de gens à qui ils promirent la liberté. Ceux des habitants qui étaient pour la paix, s'assemblèrent de leur côté en armes, et la ville se trouva partagée en deux armées. Ceux qui étaient bien intentionnés pour le bien public eurent du désavantage. Ils s'enfuirent à un coin des murs, ouvrirent les portes, et reçurent au-dedans de la ville les Lacédémoniens qui se rendirent ainsi maîtres de Mantinée, par une sédition, après l'avoir inutilement attaquée par les ruses ordinaires de la guerre.

CHAPITRE XIV - LES ÉPHORES.

Les Éphores avertis que Cinadon machinait quelque chose contre la tranquillité publique, crurent qu'il n'était par expédient de l'arrêter dans la ville. Ils envoyèrent secrètement quelques cavaliers à Aulon, ville de la Laconie, et ayant appelé quelques jours après Cinadon, ils lui ordonnèrent d'aller avec deux soldats dans cette même ville, pour quelque affaire secrète, dont ils firent semblant de le charger. Dans le moment qu'il arriva, les cavaliers, envoyés auparavant au même lieu, le saisirent, et lui donnèrent la question. Ils apprirent de lui les noms de ses complices, et les envoyèrent aux Éphores, qui les firent mourir sans bruit, et en l'absence de celui qui les avait découverts.

II. Les Éphores ayant eu avis que les Parthéniens avaient pour signal, lorsqu'ils voudraient commencer la sédition, d'élever un chapeau au milieu de la place publique, ordonnèrent au héraut de crier « Que ceux qui doivent élever le chapeau, sortent de la place. » À ce cri, ceux qui avaient part à la conspiration, se tinrent en repos, dans la persuasion où ils furent que tout était découvert.

CHAPITRE XV. - HIPPODAMAS.

Hippodamas était assiégé à Prasios par les Arcadiens, et souffrait beaucoup de la faim. Les Spartiates lui envoyèrent un héraut ; mais les Arcadiens ne lui permirent pas d'entrer. Hyppodamas lui cria de dessus les murs : « Dis aux Éphores qu'ils empêchent la femme qui est dans le temple de la Déesse à la maison d'airain. » Les Arcadiens ne comprirent rien à ce discours ; mais les Lacédémoniens devinèrent qu'il désignait la famine, et qu'Hippodamas demandait des vivres ; car dans le temple de la déesse, à la maison d'airain, la famine était représentée dans un tableau où était peinte une femme pâle et maigre, les mains liées derrière le dos. Ainsi le discours d'Hyppodamas, obscur pour les ennemis, fut clair pour les Lacédémoniens.

CHAPITRE XVI. - GASTRON.

Le Lacédémonien Gastron ayant à combattre les Perses en Égypte, fit changer d'armes aux Grecs et aux Égyptiens, et donnant aux uns les armes des autres, mit les Égyptiens à la queue, et s'avança à la tête avec les Grecs armés à l'égyptienne. Ils attaquèrent vigoureusement, et poussèrent leur pointe sans relâcher. Gastron fit ensuite avancer les Égyptiens armés à la grecque. Les Perses les prenant véritablement pour ce qu'ils paraissaient, se mirent en désordre, et s'enfuirent.

CHAPITRE XVII. - MÉGACLIDAS.

Mégaclidas s'étant retiré sur une montagne fort couverte, y fut assiégé. De ce qu'il avait de troupes, il mit à part ce qu'il avait de plus inutile et de plus pesant, et donna ordre à ceux-là de prendre la fuite à travers les bois. Des ennemis, comme il l'avait bien jugé, s'en aperçurent, et se mirent après ces fuyards ; pour lui, avec ce qui restait, c'est-à-dire les meilleures troupes, il prit la route opposée et s'échappa sans risque.

CHAPITRE XVIII - HARMOSTÈS.

Harmostès, Lacédémonien, était assiégé par les Athéniens, et n'avait plus de vivres que pour deux jours. Il vint un héraut de Sparte. Les Athéniens ne permirent pas qu'il entrât dans la ville assiégée, mais lui ordonnèrent de faire son message de dehors ; et tout haut. Le héraut dit donc : « Les Lacédémoniens te mandent de prendre courage, et d'attendre dans peu du secours de leur part. » Harmostès répondit : « Il n'est pas besoin que vous vous pressiez de venir à notre secours : nous avons encore des vivres pour cinq mois. » L'hiver approchait, et les Athéniens croyant ce discours véritable, désespérèrent de pouvoir tenir le siège pendant une saison si rude, ils décampèrent, et la ville demeura libre.

CHAPITRE XIX. - THIBRON.

Thibron, assiégeant une place en Asie, persuada au commandant de sortir pour venir traiter avec lui, et jura, s'ils ne demeuraient pas d'accord, qu'il le laisserait retourner dans la place. Le commandant vint et on fit quelques propositions. Pendant ce temps, la garnison, qui comptait sur la paix, se négligea dans ses fonctions. Les troupes de Thibron profitèrent de cette conjoncture, attaquèrent la place, et la prirent. Thibron y fit reconduire le commandant, comme il l'avait juré : mais il le fit mourir dans le même lieu.

CHAPITRE XX. - DEMARAT.

Demarat voulant écrire aux Spartiates touchant l'armée de Xerxès, traçait ses lettres sur des tablettes non cirées, et puis les cirait par dessus l'écriture, afin que ces tablettes passassent par les gardes comme tablettes sans écriture.

CHAPITRE XXI. - ERIPPIDAS.

Erippidas étant allé à Héraclée de Traquinie, convoqua l'assemblée et ayant placé ses troupes tout autour, il ordonna aux Traquiniens de s'asseoir à part. Quand ils furent assis, Erippidas leur ordonna de rendre raison devant les juges des injustices qu'ils avaient commises contre les Lacédémoniens, et de subir le jugement à la manière du pays des Spartes, c'est-à-dire liés. Ils se laissèrent lier par les troupes d'Éryppidas : après quoi on les mena hors des portes, et on les fit tous mourir.

CHAPITRE XXII. - ISCHOLAÜS.

Ischolaüs, posté à Ainus, voyant les Athéniens s'approcher avec un grand nombre de navires, eut peur qu'à la faveur de la nuit ils lui enlevassent beaucoup de vaisseaux sans grande résistance. Il les fit tous approcher de la tour qui était sur les fossés, et les y attacha par les mâts, et les plus éloignés furent liés avec des câbles aux plus proches, en sorte que tout se tenait. Les Athéniens vinrent la nuit, et essayèrent d'enlever quelques vaisseaux ; mais ils ne purent en venir à bout. Ceux d'Ainus, avertis par les gardes, sortirent les uns par terre, et les autres avec leurs vaisseaux, et donnèrent la chasse aux Athéniens.

II. Ischolaüs étant en marche, avait d'un côté des précipices et un très mauvais chemin, et de l'autre une montagne occupée par les ennemis : il faisait un vent violent ; pour en profiter, il alluma un grand feu, dont la chaleur et la fumée chassèrent les ennemis, et lui, il passa sûrement avec ses troupes par le chemin qu'ils lui avaient laissé libre.

III. Ischolaüs était assiégé à Drys par Chabrias. Voyant que ce général était prêt à faire approcher les béliers, il le prévint, et fit abattre un grand pan de mur. Il avait deux vues dans cette action la première d'obliger ses soldats à se défendre d'autant plus vigoureusement, qu'ils ne se verraient plus couverts de ce mur ; et la seconde de faire voir aux ennemis qu'il méprisait tout cet appareil de machines de guerre. Les ennemis furent si surpris de cette démolition volontaire, qu'ils n'osèrent approcher de la ville.

IV. Ischolaüs, assiégé par les Athéniens, fut informé qu'une partie des gardes devait le trahir. Il fit la ronde la nuit par tous les postes, et joignit à chaque sentinelle un homme du nombre de ses soudoyés. De cette sorte il évita, sans fracas, le péril dont il était menacé.

CHAPITRE XXIII. - MNASSIPPIDAS.

Mnassippidas avait peu de troupes ; se trouvant auprès des ennemis, la nuit, il ordonna à l'infanterie légère et aux trompettes de gagner la queue des ennemis à la faveur des ténèbres, et, quand ils y seraient, de sonner la charge et de tirer. Les ennemis crurent qu'on les avait enveloppés et se retirèrent à la hâte.

CHAPITRE XXIV. - ANTALCIDAS.

Antalcidas, ayant une grande flotte au port d'Abyde, sut que les galères d'Athènes étaient abordées à Ténédos, et qu'elles n'osaient se hasarder de passer jusqu'à Byzance. Il apprit en même temps qu'Iphicrate, qui commandait à Byzance, était allé assiéger Calcédoine, dont les habitants étaient ses alliés. Antalcidas donna ordre de prendre la route de Calcédoine, et se mit en embuscade dans le pays de Cyzique. Ceux qui étaient à Ténédos, ayant appris le départ d'Antalcidas, se hâtèrent de voguer, pour aller joindre Iphicrate. Ils furent devant les galères des ennemis, avant que de les avoir aperçues. Antalcidas donna à l'improviste sur celles d'Athènes, en fit couler quelques-unes à fond, et se rendit maître des autres, et c'était le plus grand nombre.

CHAPITRE XXV. - AGÉSIPOLIS.

Agésipolis assiégeait Mantinée. Les alliés, qu'il avait dans son armée, étaient portés à favoriser ceux de Mantinée. Cependant comme les Lacédémoniens avaient l'empire de la Grèce, ils les suivaient à la guerre ; mais la nuit ils fournissaient aux assiégés tout ce qui leur était nécessaire. Agésipolis, informé de ce qui se passait, fit lâcher autour du camp une grande multitube de chiens, dont il posta le plus grand nombre du côté qui regardait la ville, afin que la peur d'être découvert par les chiens, empêchât qui que ce fût de passer aux ennemis.

CHAPITRE XXVI. - STHÉNIPPE.

Sthénippe ayant feint de vouloir s'enfuir chez ceux de Tégée, fut puni (en apparence) comme déserteur, et condamné à l'amende par les Éphores. Il se retira ensuite à Tégée ; et comme son ressentiment paraissait bien fondé, ceux de Tégée ne firent point de difficulté de le recevoir. Pendant qu'il y fut, il trouva moyen de corrompre ceux d'entre les habitants qu'il vit en différend avec l'Archonte ou chef de la ville, Aristocle ; et s'étant joint à eux, il se servit de l'occasion d'une pompe religieuse, et le surprenant comme il allait sacrifier, il le tua.

CHAPITRE XXVII, - CALLICRATIDAS.

Callicratidas demanda en grâce à celui qui commandait dans le fort de Magnésie, de donner retraite à quatre des siens qui étaient malades, et cela lui fut accordé. Il mit dans chaque lit un soldat muni de cuirasse et d'épées, le tout caché d'une couverture oui d'un manteau, et chaque lit était porté par quatre jeunes hommes ; en sorte que quand tout cela fut entré dans le fort, c'était vingt soldats vigoureux introduits artificieusement. Ils tuèrent les gardes, et s'emparèrent de la place.

II. Ayant été assiégé dans Magnésie, pendant que les ennemis faisaient approcher les béliers, il démolit une partie de la tour, d'un côté où l'on ne pouvait faire d'approches, et ayant observé le temps que les ennemis se relevaient à l'attaque, il sortit, et faisant le tour du mur, il prit les ennemis en queue, en tua beaucoup, et en fit un nombre considérable prisonnier. Après cette victoire, il fit rebâtir ce qu'il avait démoli.

CHAPITRE XXVIII. - MAGAS.

Magas, partant de Cyrène pour une expédition, laissa la garde de la ville à quelques-uns de ses amis ; mais il fit renfermer dans la citadelle tous les outils, les javelots et les machines, et fit ôter toutes les guérites et les autres défenses de murs ; afin que s'il y avait quelqu'un qui voulût entreprendre quelque nouveauté, la ville lui fut toujours ouverte.

II. Magas s'étant rendu maître de Paretone, gagna les sentinelles chargées de faire les signaux, et convint avec ces gens que le soir ils élèveraient un flambeau en signe de paix et d'amitié, et un pareil à la pointe du jour. Ces signaux, dans cette rencontre, n'étaient que tromperie ; mais elle servit à Magas pour s'avancer dans le pays jusqu'au lieu nommé Chio, ou Chimo.

CHAPITRE XXIX. - CLÉONYME.

Cléonyme, roi de Lacédémone, assiégeant Trézène, plaça autour de la ville en plusieurs endroits des tireurs, à qui il donna ordre de lancer, dans la ville des dards sur lesquels était écrit : « Je viens mettre la ville en liberté. » Il avait des Trézéniens captifs ; il les laissa aller sans rançon. Ces captifs délivrés parlaient avantageusement de Cléonyme ; mais Éudamidas, général de Cratère, alors absent et chargé du soin de garder la ville, s'opposait à tous ceux qui marquaient de l'inclination pour la nouveauté. Les deux partis en vinrent aux mains, et Cléonyme, profitant de ce désordre, présenta l'escalade, prit la ville, la pilla, et y laissa un commandant spartiate avec une garnison.

II. Pendant que Cléonyme assiégeait Édesse, le mur tomba. Les ennemis se présentèrent avec de grandes lances, de la longueur chacune de seize coudées. Cléonyme, voyant cela, donna une grande profondeur à sa phalange, et ne voulut point que les chefs de file, et ceux qui les suivaient immédiatement, eussent des dards. Il leur ordonna de saisir à deux mains, et de tenir ferme les lances des ennemis, dans le moment qu'ils se présenteraient ; et à ceux qui suivaient dans chaque file, il ordonna de se couler à côté des premiers, et de combattre vigoureusement. Il arriva donc que les chefs de file saisirent les lances des ennemis, qui tiraillaient pour les ravoir, pendant que les serre-files, s'avançant de derrière les autres, faisaient un terrible carnage de ces lanciers. Ainsi Cléonyme, par son habileté, fit voir que les longues lances étaient d'un mauvais usage.

CHAPITRE XXX. - CLÉARQUE.

Cléarque d'Héraclée, dans le dessein de parvenir à se faire une citadelle dans sa ville, gagea des gens à qui il suggéra de sortir secrètement la nuit, pour voler, butiner, faire injure, blesser. Les habitants indignés de ces violences, demandèrent du secours à Cléarque. Il leur dit qu'il était impossible de contenir ces hommes enragés, à moins de les enfermer de murs. Ceux d'Héraclée lui en accordèrent la permission. Il choisit un canton de la ville, l'entoura de murs, et en fit une citadelle, non pas pour tenir en bride ces méchants, mais pour se procurer à lui-même la liberté d'exercer toutes sortes d'injustices.

II. Cléarque, devenu tyran d'Héraclée, fit un jour courir le bruit qu'il voulait se retirer avec ses, gardes, et rendre au conseil des trois cents le gouvernement de l'état. Ils s'assemblèrent au lieu ordinaire où ils tenaient leurs séances. Ils étaient dans la disposition de donner de grands éloges à Cléarque, et s'attendaient à rentrer dans la possession de leur ancienne liberté. Cléarque ayant environné le lieu de l'assemblée de ses soldats, appela les trois cents par un héraut, les fit tous prendre un à un, et les fit mener dans la citadelle.

III. Cléarque voulant faire périr la plupart des habitants d'Héraclée, enrôla, sans aucun prétexte légitime et dans les ardeurs de la canicule, tous ceux qui étaient au-dessus de seize ans, comme pour aller faire le siège d'Astaque. Quand il fut arrivé auprès de cette ville, il posta les habitants dans un lieu marécageux, où l'air était sans mouvement, et où il y avait beaucoup d'eaux croupies. Il leur ordonna de camper là, d'observer soigneusement les Thraces, et de prendre garde qu'ils ne se montrassent dans ces cantons. Pour lui, comme s'il eût voulu se charger du plus pénible, qui était d'attaquer la place, il se retira avec les étrangers soudoyés en des lieux hauts, ombragés et arrosés d'eaux vives, et y posa son camp. Il traîna le siège en longueur, jusqu'à ce que les chaleurs et exhalaisons des marais eussent fait périr les habitants d'Héraclée. Quand il s'en fut défait de cette manière, il s'en retourna avec ses troupes soudoyées, et dit que c'était la peste qui lui avait fait perdre tous ces habitants.

CHAPITRE XXXI. - ARISTOMÈNE.

Aristomène, Messénien, donnant du secours à Denis, s'aperçut dans un combat naval, où toutes les galères étaient mêlées, qu'il y avait quelque mouvement désavantageux de son côté. Pour empêcher une déroute, dont il voyait les commencements, il ordonna à ses soldats de crier : « Laissez-les fuir. » Les ennemis entendant ce cri, se persuadèrent qu'ils étaient vaincus, et prirent la fuite.

II. Aristomène, général des Messéniens, pour avoir tué trois fois cent Lacédémoniens, avait fait autant de fois le sacrifice appelé à ce sujet Hécatomphonie. Ayant un jour été blessé en plusieurs lieux, et laissé pour mort, il fut pris avec beaucoup d'autres par les Lacédémoniens. On ordonna que les autres seraient dépouillés et précipités nus, mais qu'Aristomène, à cause de la réputation qu'il s'était acquise par sa valeur, serait précipité avec ses armes. Tous les autres périrent en tombant. Pour Aristomène, l'air qui s'engagea dans son bouclier, modéra la pesanteur de sa chute, et le fit tomber légèrement : arrivé au bas, il leva les yeux de tous côtés, et se voyant environné de hauteurs inaccessibles, il ne perdit pourtant pas courage. Il observa fort attentivement toute la montagne, et remarqua une entrée fort étroite, où passaient des renards. Il prit un ossement d'un des corps morts dont il était environné, et le cassa. Ensuite il saisit un renard par la queue, et quoique cet animal le mordît, il ne quitta point prise qu'il ne s'en fût servi à se tirer de ce lieu. Avec l'ossement dont il s'était muni, il élargit les passages. Enfin il sortit de ce gouffre, et alla joindre les Messéniens qui étaient prêts de donner bataille. Il s'arma incontinent, et se mit à la tète de la phalange. Les Lacédémoniens furent étrangement surpris de voir Aristomène armé de nouveau, qui combattait encore, et qui les mettait en fuite, lui qu'ils venaient de précipiter dans un gouffre profond, dont personne ne s'était jamais sauvé. Ils s'enfuirent tous, et se persuadèrent que ce général était quelque chose de plus qu'un homme mortel.

III. Aristomène, Messénien, pris par les Lacédémoniens, était étroitement gardé. Il se roula dans le feu qui était auprès de lui, et ayant brûlé ses liens, il tua ses gardes, puis prenant leurs boucliers, il entra secrètement dans Sparte, et alla les clouer au temple de la déesse à la maison d'airain et écrivit dessus : Aristomène s'est sauvé des mains des Lacédémoniens ; après quoi il se retira à Messène.

IV. Un jour que les Lacédémoniens célébraient la fête de Castor et de Pollux, et faisaient un sacrifice public, Aristomène et un de ses amis montèrent sur des chevaux blancs, et se mirent sur la tête des étoiles d'or. C'était à l'entrée de la nuit, et tous les Lacédémoniens étaient assemblés hors de la ville avec leurs femmes et leurs enfants. Ces deux hommes se firent voir à eux d'une distance convenable. Les Lacédémoniens persuadés que c'était une apparition des enfants de Jupiter, en eurent une joie extrême, et se mirent à boire avec excès ; Aristomène et son compagnon descendirent alors de cheval, et tirant leurs épées, tuèrent un grand nombre de Lacédémoniens, puis remontèrent à cheval, et se retirèrent en diligence.

CHAPITRE XXXII. - CINÉAS.

À la bataille de Mantinée, le désavantage fut égal, tant du côté des Thébains, que de celui des Mantinéens. Ceux-ci avaient envie d'envoyer un héraut aux Thébains, pour demander la liberté d'enlever les morts. Ils avaient parmi eux un Athénien nommé Cinéas dont le frère Démétrios était mort, dans le combat. Il dit à ceux de Mantinée : « J'aime beaucoup mieux voir mon frère sans sépulture, que de consentir que l'on reconnaisse que les Thébains ont eu le dessus. Aussi bien mon frère n’est mort que pour empêcher que les ennemis ne dressassent un trophée contre lui et contre la patrie. » Ce discours persuada ceux de Mantinée et le héraut ne fut point envoyé.

CHAPITRE XXXIII. - HÉGÉTORIDE

Les Athéniens assiégeaient Thase. Les Thasiens firent cette loi. : « Il y aura peine de mort pour le premier qui parlera de traiter avec les Athéniens.» Il y avait longtemps que la guerre durait, et la famine s'y était jointe ; ce qui faisait périr un grand nombre d'habitants. Hégétoride, Thasien, voyant cela, se mit lu corde au cou, et se présentant à l'assemblée : « Mes compatriotes, faites de moi ce qu'il vous plaira, et comme vous jugerez expédient ; mais sauvez le reste du peuple par ma mort, en abolissant la loi trop sévère que vous avez publiée. » Les Thasiens, pénétrés de ce discours abolirent la loi, et conservèrent Hégétoride.

CHAPITRE XXXIV. - DINIAS

Dinias, fils de Phères et de Télésippe, demeurait à Cranon en Thessalie, et toute son occupation était d'aller à la chasse aux oiseaux qui étaient sur les étangs et les rivières. De cet état il passa à celui de tyran de Cranon, et voici comment il s'y prit. Les Cranoniens soudoyèrent des gens pour la garde de leur ville. Dinias se mit à leur solde, et, pendant trois ans il fit la garde si exactement que l'on était encore plus sûr la nuit que le jour, et que l'on pouvait marcher à toute heure sans crainte. On lui donna là-dessus les louanges qu'il méritait, et chaque jour il faisait soudoyer de nouveaux gardes, afin de s'acquérir la réputation d'un grand zèle pour la défense de la ville. Le temps vint qu'il fallait donner à ferme la dîme des blés de la ville. Il présenta son jeune frère, qui était exempt de tribut, et lui fit donner l'adjudication de la ferme à un prix fort haut. Quand son frère eut été établi de cette sorte fermier des dîmes du pays, cela lui donna occasion de rassembler beaucoup de jeunes gens, pour courir le pays et lever les dîmes. Il vint une fête que les Cranoniens célébraient par toute sorte de jeux. Dinias mêla parmi les gardes de la ville des péagers tous à lui et des gens à jeun, parmi des hommes ivres. Il mit à mort plus de mille habitants et devint tyran de Cranon

CHAPITRE XXXV. - NICON

Le pirate Nicon faisait des courses continuelles, de Phères dans le Péloponnèse, et, endommageait extrêmement les Messéniens. Agémaque, général des Messéniens lui dressa une embuscade, et l'ayant pris, l'amena à l'assemblée des Messéniens, dans le dessein de l'y tourmenter. Nicon leur promit de leur livrer Phères, s’ils voulaient lui donner la vie. Les ayant persuadés, il choisit une nuit sans lune, et ayant dit que la plus grande partie le suivît d'un peu loin, il prit avec lui quelque peu de gens qu'il chargea de grandes bottes de paille. Il s'approcha de cette sorte des murs de Phères vers la seconde veille de la nuit, appela la sentinelle, et dit le mot du guet. On reconnut sa voix et le mot, et les portes lui furent ouvertes. Ceux qui portaient les bottes de paille les jetèrent à l'entrée de la porte, tirèrent leurs épées, et tuèrent les gardes. Ceux qui suivaient survinrent, et faisant irruption dans la ville, s'en rendirent les maîtres.

CHAPITRE XXXVI.- DIÉTAS.

Diétas, général des Achéens, ne pouvant se rendre maître ouvertement de la ville de Héres, usa de ce stratagème. Il gagna par de grands présents quelques habitants de Héres, qui se rendant souvent aux portes, et conversant familièrement avec ceux à qui l'on en avait confié la garde, buvaient avec eux, et trouvèrent moyen de prendre l'empreinte des clés, qu'ils envoyèrent à Diétas. Celui-ci fit faire des clés pareilles à celles dont on avait tiré l'empreinte, et les fit tenir à ceux qui la lui avaient envoyée. Ils lui marquèrent une nuit, pendant laquelle ils promirent de lui ouvrir les portes. Ils tinrent parole, et Diétas entra avec peu de troupes. Mais il eut besoin d'un second artifice pour demeurer en possession de cette ville. Car les habitants, sachant ce qui était arrivé, se levèrent. Ils étaient en grand nombre, et avaient une connaissance parfaite des lieux. Diétas eut peur de cette multitude. Il dispersa dans plusieurs endroits de la ville des trompettes, à qui il ordonna de sonner la charge tous en même temps. À ce bruit qui retentissait de toutes parts, les habitants s'imaginèrent que la ville était pleine d'ennemis. Ils en sortirent à la hâte, et quelque temps après ils envoyèrent prier Diétas de leur donner la liberté de demeurer dams leur patrie, où ils promirent de vivre sous l'obéissance des Achéens.

CHAPITRE XXXVII. - TISAMÈNE.

Tisamène, conduisant une armée, aperçut une grande quantité d'oiseaux qui passaient légèrement sur un certain lieu, sans s'y poser à terre. Il jugea qu'il devait y avoir des hommes postés dans ce lieu même, qui avaient fait peur aux oiseaux. Il chercha, et trouva qu'en effet il y avait là une embuscade d'Ioniens. Il les attaqua, et les défit.

CHAPITRE XXXVIII. - ONOMARQUE.

Les Béotiens assiégeaient Elatée. Onomarque fit sortir toutes ses troupes et tous les habitants, et ayant fait murer les portes, il mit à part, premièrement les enfants et les femmes, puis les mères, et ensuite les pères, et au-devant de tout cela, il arrangea les troupes armées. Pélopidas voyant ce désespoir de gens qui voulaient vaincre ou mourir, ne jugea pas à propos de combattre, et se retira.

Onomarque était en guerre contre les Macédoniens. Il avait à dos une montagne contourée en forme de croissant. Il cacha aux deux extrémités de cette montagne des pierres et des tireurs, et fit avancer ses troupes dans la plaine qui était au-devant de cette montagne. Quand les Macédoniens eurent commencé à lancer leurs traits, les Phocéens firent semblant de fuir vers le milieu de la montagne, et les Macédoniens les suivirent avec ardeur. Ceux qui étaient postés aux deux pointes de la montagne, endommagèrent extrêmement la phalange macédonienne à coups de pierres. En même temps Onomarque fit faire volte-face à ses troupes. Ses Phocéens donnèrent courageusement sur la phalange macédonienne, qui, se trouvant maltraitée en même temps, et en queue, et en tête, eut bien de la peine à faire sa retraite. C'est dans cette fuite qu'on rapporte que Philippe, roi de Macédoine dit : « Je n'ai pas fui ; mais j'ai fait comme le bélier ; j'ai reculé pour commencer à frapper avec plus le force. »



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CHAP. 1er. - Démosthène - CHAP. II. - Paqués - CHAP. III. - Tolmidès - CHAP. IV. - Phormion CHAP. V. - Clisthène - CHAP. VI. - Phrynique - CHAP. VII. - Lacharès - CHAP. VIII. Arquine - CHAP. IX. Iphicrate - CHAP. X. Timothée - CHAP. XI. - Chabrias - CHAP. XII. - Phocion - CHAP. XIII. - Charès - CHAP. XIV.- Charidème - CHAP. XV. Démétrios de Phalère - CHAP. XVI. - Philoclès.

CHAPITRE I. - DÉMOSTHÈNE.

Il y avait à Pyle une garnison lacédémonienne Démosthène mena la flotte du côté du cap. Les Lacédémoniens quittèrent Pyle, dans l'espérance de surprendre Démosthène, occupé à faire descente. Il n'y avait pas loin du cap à Pyle. Démosthène voyant les ennemis proche du cap, cingla en diligence vers Pyle, et trouvant la place sans défenseurs, il s'en rendit le maître.

II. Démosthène conduisant les Acarnaniens et les Amphiloquiens, se trouva campé devant les troupes du Péloponnèse, un grand torrent entre deux. Il vit que les ennemis étaient forts supérieurs en nombre, et qu'ils débordaient son armée. Il fit mettre en embuscade dans un lieu creux et propre à cela, un nombre suffisant de gens armés de toutes pièces, et trois cents fantassins armés à la légère, qui eurent ordre, quand ils verraient la phalange débordée par les ennemis, de fondre en queue sur ce qui s'étendait au-delà de sa phalange. Les ennemis le débordèrent effectivement, et les gens de l'embuscade, s'étant levés à propos, tombèrent tout d'un coup sur les ennemis, qu'ils prirent par derrière, et les vainquirent sans beaucoup de peine.

CHAPITRE II. - PAQUÉS.

Paqués assiégeait Notium. Il demanda à parler avec Hippias, général de Pissouthnès, le pria de sortir pour cet effet hors des murs, et donna parole de le renvoyer sain et sauf dans la ville. Hippias sortit, et Paqués le fit entourer de gardes. En même temps il prit Notium d'assaut. Après cela il fit rentrer Hippias vif dans la ville, comme il l'avait juré; mais il le fit aussitôt percer de traits.

CHAPITRE III. - TOLMIDÈS.

Les Athéniens avaient réglé, par un décret public, qu'on ferait une liste de mille hommes, et qu'on les donnerait à Tolmidès. Il alla trouver les jeunes gens, et parlant à chacun en particulier, il lui dit qu'il le mettrait sur la liste, et qu'il vaudrait bien mieux qu'il vînt à la guerre volontairement que d'y être forcé par autorité. De cette manière il y en eut trois mille qui lui donnèrent leur engagement et leurs noms. Tolmidès n'en put gagner davantage; mais parmi ceux qu'il n'avait pu engager, on lui en choisit mille autres en vertu du décret. Enfin il eut de quoi remplir cinquante galères, et au lieu de mille hommes, il en eut quatre mille.

CHAPITRE IV. - PHORMION.

Phormion ayant fait descente en Chalcide, fit un grand butin dans le pays, et l'emportant sur ses vaisseaux, alla prendre terre à Cyr. Les Chalcidiens envoyèrent une ambassade pour demander la restitution de ce butin. Pendant qu'on était occupé à cette négociation, il disposa sous main un vaisseau de service, qui parut au port, comme envoyé d'Athènes, pour prier Phormion, de la part du peuple, de se rendre en diligence au port de Pirée. Dans l'impatience qu'il témoignait d'aller où l'invitaient les Athéniens, il restitua aux ambassadeurs de Chalcide, tout ce qu'ils demandaient, monta sur un vaisseau, et alla se cacher la nuit derrière une petite île. Les Chalcidiens, contents de ravoir ce qui était à eux, et voyant que Phormion avait mis à la voile pour se rendre à Athènes, n'eurent pas grand soin de garder leur ville et leur pays. Pendant qu'ils se négligeaient, sur cette assurance, Phormion fondit sur eux. Peu s'en fallut qu'il ne prît la ville. Mais tout ce qu'il y avait de bon à prendre dans le pays, il s'en empara, et l'emporta avec lui.

II. Phormion n'ayant que trente vaisseaux, se trouva en face des ennemis, qui en avaient cinquante. Il divisa sa flotte en cinq files ou escadres, et les mena ainsi droit aux ennemis. Les vaisseaux de ceux-ci, conduits par des gens qui s'assuraient de la victoire, se furent bientôt séparés les uns des autres. Phormion voyant ce désordre, mit les six vaisseaux de son escadre sur une ligne de front, et fondit sur les galères qui se trouvèrent les plus proches de lui, et les ayant coulées à fond, il alla chercher les autres. Ceux qui commandaient les quatre autres escadres, firent la même chose. Les ennemis prirent la fuite, après avoir perdu la plupart de leurs galères coulées à fond, et Phormion remporta une victoire signalée.

III. Phormion faisant route sur les côtes de Naupacte, rencontra deux galères qui lui donnèrent la chasse. Il y avait à la rade un vaisseau de charge. Phormion, sur le point d'être pris, se mit à couvert de ce vaisseau, et en ayant fait le tour, il alla donner dans la poupe de la plus lente des deux galères, et la coula à fond. Revirant aussitôt sur l'autre, il la fit de même périr sans beaucoup de peine.

CHAPITRE V - CLISTHÈNE.

Clisthène assiégeait Cyrrha. Il y avait un oracle qui disait que cette ville ne serait point prise jusqu'à ce que la mer touchât là terre sacrée Les Cyrrhéens méprisaient cet oracle, parce que la terre sacrée était fort loin de la mer, et leur ville était entre la mer et cette terre. Clisthène, informé du contenu dans l'oracle, consacra au dieu d'Apollon le pays et la ville de Cyrrha afin que devenu terre sacrée, il fut sujet au malheur prédit par l'oracle; parce qu'alors la mer baignerait la terre sacrée. En effet il eut la victoire, et dédia le pays au dieu

CHAPITRE V. - PHRYNIQUE.

Phrynique, général de Samos avait donné parole aux ennemis de leur livrer la ville. Pendant qu’il différait l’exécution, il fut accusé de trahison et était le point d'être convaincu. Il prévint le jugement, en découvrant aux Samiens tout ce que les ennemis avaient dessein de faire: « Ils viendront, dit-il; et attaqueront Samos du côté que la ville n'est point fermée de murailles, et prendront le temps que là plupart des vaisseaux ne seront point dans le port. Pour déconcerter leur entreprise, il n'y a qu'à murer ce côté. » L'on se mit à travailler cette fortification, sur cet avis. Les ennemis, Alcibiade à leur tête, écrivirent aux Samiens pour leur découvrir la trahison de Phrynique. Mais ses actions parurent un témoignage plus sûr que ces lettres, et malgré tout ce que purentmander les ennemis, il demeurat constant qu'il était un excellent général.

CHAPITRE VII - LACHARÈS.

Quand la ville d'Athènes fut prise par Déméttius, Lacharès se revêtit d'un habit d'esclave des plus rustiques, se barbouilla le visage de noir, prit un panier plein de fumier, et sortit par une petite porte dérobée; ayant trouvé là un cheval, il monta dessus, ayant à la main une bonne quantité de pièces d'or de Darius. Poursuivi avec ardeur par des cavaliers tarentins, il laissa tomber de ces pièces d'or dans le chemin; et ces gens descendirent de cheval pour les ramasser; il fit là même chose plusieurs autres fois de suite, et par ce moyen gagna pays. Enfin il arriva sain et sauf en Béotie.

II. À la prise de Thèbes, Lacharès se coula dans un égout et y demeura trois ou quatre jours, il en sortit un soir, et se rendit à Delphes, d'où il alla trouver Lysimachus.

III, Quand les ennemis se rendirent maîtres de Sest Lacharès passa quelques jours dans une fosse avec autant de vivres seulement qu'il en fallait pour ne pas mourir de faim. Il arriva qu'une femme avait un mort à porter. Lacharès profita de cette occasion, prit habit de femme, et la tête couverte d'un voile noir, il se joignit aux pleureuses, sortit hors des murailles avec le convoi, et la nuit venue, il passa à Lysimaque.

CHAPITRE VIII. - ARQUINE.

Les Argiens, par un décret public, avaient ordonné qu'il serait fait denouvelles armes pour être distribuées aux habitants et que les vieilles seraient offertes et consacrées aux dieux. Arquine fut chargé de l'inspection de cette manufacture, et de la distribution des armes. En donnant les neuves à chaque habitant, il retirait les veilles, mais au lieu de mettre celles-ci dans les temples, il les garda chez lui; et étant demeuré maître de toutes les vieilles armes, il rassembla toutes sortes de gens, étrangers, voisins, pauvres, les prit même parmi la canaille, les arma, et devint tyran d'Argos.

CHAPITRE IX. - IPHICRATE.

Iphicrate menant sa phalange contre les ennemis, s'aperçut qu'il y avait de ses soldats qui traînaien , qui étaient pâles, et qui marquaient peu d'assurance : il s'avança, et comme les ennemis commençaient à paraître, il fit publier : « Si quelqu'un a laissé quelque chose, qu'il s'en aille le chercher, et qu'il revienne. » Les lâches furent ravis d'entendre cette proclamation, et s'en allèrent aussitôt. Sans attendre leur retour, Iphicrate dit: « Hommes, maintenant que nous voilà délivrés de la compagnie de ces vils esclaves, c'est à nous à bien faire. Allons aux ennemis, afin d'être les seuls à jouir des fruits de notre courage.» Ses soldats furent animés par ce discours, et combattant sans mélange des gens timides, ils remportèrent la victoire.

II. Iphicrate ayant mis les ennemis en fuite et étant encore auprès, donnait ces avis à sa phalange : «Vous, qui êtes armés à la légère, prenez garde aux embuscades , ne bouchez point le passage à l'ennemi qui fuit. S'il y a des fleuves à passer, des endroits serrés et des fossés, c'est là justement qu'il ne faut point entamer les ennemis qui sont en fuite, de peur que le désespoir ne les engage à se battre de nouveau. Dans une poursuite, il ne faut pas s'approcher trop près des murs ; car il arrive souvent qu'étant à la portée du trait, on est blessé sans le pouvoir éviter, et l'on se retire en mauvais état. »

III. Iphicrate surprit une ville ennemie à la faveur de la nuit ; les habitants s'enfuirent dans la place publique, et s'y assemblèrent en grand nombre. Iphicrate commanda qu'on ouvrît les portes pour leur donner la commodité de se retirer. Par ce moyen il s'assurait une possession exempte de trouble et de danger.

IV. Iphicrate faisait la guerre en Thrace. Une espèce de terreur panique saisit ses troupes, et elles prirent la fuite. Il fit publier que quiconque découvrirait celui qui avait jeté ses armes, les aurait. Cet avis ranima le courage, des soldats, et les rendit plus disposés à garder leurs rangs.

V. Iphicrate; voulant passer au milieu des ennemis, envoya la nuit des trompettes sur les extrémités des lieux qu'ils occupaient, avec ordre de sonner la charge. Ils obéirent, et les ennemis coururent au bruit. Ils laissèrent ainsi leur centre dégarni, et ce fut par là qu'Iphicrate passa en toute sûreté.

VI. Iphicrate ayant reçu un échec, s'enfuit avec fort peu de troupes dans un lieu fort couvert. Comme on l'y tenait serré, il ordonna qu'on fit beaucoup de bruit à l'une des extrémités, pendant la nuit. Les ennemis allèrent au bruit, et Iphicrate se retira sans empêchement de l'autre côté.

VII. Iphicrate avait un plus grand nombre de soldats que les ennemis, et les devins l'assuraient que les victimes lui promettaient un heureux succès. Cependant il ne voulut point en venir aux mains. Les ennemis regardaient ce retardement comme une chose sans raison, mais Iphicrate dit : « J'ai d'autres victimes dans la pensée qui me disent qu'il ne faut pas combattre. Mes soldats sont en si grand nombre, qu'ils ne peuvent pas donner tous ensemble, ni pousser les cris ordinaires de guerre, et quand je leur ai commandé de baisser le dard, j'ai plus entendu le bruit de leurs dents que celui de leurs armes. »

VIII. Iphicrate ayant les ennemis en présence, fit une marche de trois jours sans être découvert, et voici comment. Il faisait allumer du bois sec, et en faisait mettre du vert par-dessus. Cela faisait une fumée épaisse, qui bouchait la vue aux ennemis.

IX. Quand les devins ne donnaient pas des réponses favorables à Iphicrate, il ne se laissait pas persuader d'abord, mais tantôt il changeait l'ordonnance de son camp, tantôt il changeait de place, et faisait sacrifier de nouveau, sur une seule observation.

X. Iphicrate mettait ses troupes en ordre de bataille, pour combattre les Lacédémoniens; plusieurs lui demandaient des postes d'honneur ; l'un sollicitait le titre de taxiarque l'autre d'être nommé chef de loches, un autre d'avoir la conduite d'un corps moindre. Il remit toutes ces suppliques, et promit d'y satisfaire, quand il en serait temps, et voici celui qu'il prit. Il fit avancer la phalange, et quand elle fut arrangée, il donna ordre en secret qu'on suscitât un bruit propre à causer une terreur panique, comme si les ennemis eussent été prêts à donner. Il y eut beaucoup de mouvement dans la phalange: Les plus timides reculèrent, et les plus courageux s'avancèrent hardiment pour résister aux ennemis. Iphicrate se mit à rire, et avoua que cette terreur panique n'était qu'un artifice dont il s'était servi pour discerner ceux qui étaient dignes de conduire les autres. Il donna les emplois d'honneur à ceux qui étaient demeurés fermes , et commanda aux autres de se contenter de marcher à leur suite.

XI. Iphicrate étant sur le point de camper, détacha quelques gens, et les envoya s'emparer d'un pesté avantageux, mais très éloigné de son armée. Ceux qui étaient autour de lui, furent surpris de cet ordre, et lui demandèrent : « Pourquoi prendre ce poste ? » Iphicrate ne leur répondit autre chose, sinon : « Pensez-vous qu'on se le fût jamais imaginé? » C'était assez leur dire que dans la guerre il faut s'assurer des postes même auxquels on n'eût pas cru qu'on dût penser.

XII. Iphicrate était campé dans une grande plaine , et les ennemis , avec des troupes supérieures aux siennes, venaient au combat. Il fit creuser derrière ses gens une tranchée profonde, afin de leur ôter l'espérance de la fuite, et de les obliger par ce moyen, à combattre courageusement et de pied ferme.

XIII. Quand Iphicrate avait à combattre contre des troupes sans expérience, avec des soldats exercés de longue main, il ne se hâtait pas d'attaquer. Il traînait l'affaire en longueur, lassait par ce retardement des ennemis peu accoutumés à la peine, et puis il les attaquait. Mais au contraire, quand il avait en tête de vieilles troupes, et ne conduisait que de nouvelles levées, il donnait d'abord, pour mettre à profit la première pointe de courage de ses soldats, qui avaient plus d'ardeur que d'expérience.

XIV. Iphicrate ayant battu les ennemis, les poussa jusque dans un lieu fort étroit, d'où il leur était impossible de sortir autrement que parla victoire. Alors il dit : « Ne les contraignons pas à être gens de coeur. Il leur donna le temps et lieu de fuir, afin de se conserver, sans risque, la victoire qu'il avait remportée.

XV. Iphicrate ayant à subir un jugement où sa vie était en danger, fit paraître devant les juges un bon nombre de jeunes gens armés d'épées dont ils laissaient voir la poignée. Les juges saisis de peur, trouvèrent à propos d'absoudre Iphicrate.

XVI. Iphicrate ayant été obligé de se retirer auprès de son beau-père, prit sa cuirasse en entrant dans sa maison, en disant : « Je m'exerce à la conserver ».

XVII. Iphicrate, quoiqu'au milieu d'un pays ami, munissait son camp de palissades, et disait : « Il n'appartient pas à un capitaine d'être réduit à dire « Je n'y pensais pas ».

XVIII. Iphicrate voulant cacher sa marche aux ennemis qui étaient près de lui, et se retirer sans péril, coupa tous les arbres du lieu, y fit mettre des boucliers, des casques et des javelots. Cela avait l'apparence de troupes qui demeuraient dans leur poste. Les ennemis y furent trompés , et Iphicrate fit sa retraite sans risque.

XIX. S'il arrivait qu'Iphicrate eût plus de troupes que les ennemis, il trouvait moyen de leur en cacher le nombre, pour les exciter à le mépriser. Il ordonnait à ses soldats de ne faire qu’un lit pour deux, de s'y reposer tour à tour, et de mettre leurs armes les une sur les autres Mais s'il avait moins de soldats que les ennemis, pour empécherqu'ils ne les méprisassent, il ordonnait que chaque soldat dressât deux lits. Il décampait aussitôt et les ennemis comptant ensuite les lits étaient étonnés. Il profitait de cette disposition, et les attaquait ainsi avec avantage.

XX. Les Thébains étaient prés de faire irruption dans Athènes la huit. Iphicrate avertit les Athéniens de s'assembler la nuit dans la place au moment qu'il leur en donnerait le signal. Il leur dit quand il les vit assemblés : « On me livre la ville de Thèbes, sortons paisiblement et sans bruit, et nous rendons maître de la ville sans coup férir. » Les Thébains furent informés de ce discours, abandonnèrent le dessein de surprendre Athènes, et allèrent veiller à la garde de leur propre ville.

XXI. Iphicrate avait peu de soldats, et les voyait peu animés à bien faire. Voulant leur inspirer de la hardiesse, il fit venir pendant son souper les chefs de lochos et les taxiarques, et leur ordonna de lui apporter tout ce qu'ils avaient d'or et d 'argent, de bijoux et de parures, parce qu'étant en traité pour se faire livrer les ennemis, il avait besoin de présents, et de marcher aussitôt contre le ennemis. Ils apportèrent ce qu'il leur avait demandé, et il leur donna pour mot du guet Mercure ami, dont il supposa qu'il était convenu avec ceux de l’intelligence. Peu de temps après il mena ses troupes, qui, dans l'attente de voir un parti se déclarer pour elles, combattirent avec confiance.

XXII. Iphicrate comparait toute l'armée au corps humain. Il disait que la phalange était la poitrine, que les fantassins, armés à la légère étaient les mains, que les pieds étaient les gens de cheval , et que le général était la tête. Quand il manquait quelque chose, il disait que l'armée était estropiée, et que quand le générai périssait, tout le reste devenait inutile.

XXIII. Iphicrate étant dans Mitylène, fit courir te bruit qu'on aillait préparer des boucliers, pour les envoyer au plus tôt aux esclaves de Chio. Ceux de Chio ayant été informés de ce discours, eurent peur du soulèvement de leurs esclaves, envoyèrent aussitôt des présents à Iphicrate, et firent société avec lui.

XXIV. Iphicrate avait dessein d'attaquer Sicyone. Le commandant des Lacédémoniens y envoya du secours, et le fit mettre en embuscade. Quelques jeunes gens de la Ville ayant rencontré Iphicrate et ses troupes, lui dirent d'un ton menaçant : « Tu le paieras maintenant sans doute. » Iphicrate persuadé qu'il avait des gens qui leur donnaient cette confiance retourna sur ses pas dans le moment, et prenant une autre route difficile et plus courte, avec les plus vigoureux des siens, et tombant tout d'un coup sur ceux qui étaient en embuscade, les fit tous périr. Il 'avoua qu'il avait fait une faute de n'avoir pas observé les lieux, mais la sagacité dé son soupçon et là diligence avec laquelle il donna sur les ennemis, réparèrent avantageusement cette faute.

XXV. Iphicrate voulant, sur le point de livrer bataille aux Barbares, inspirer de la hardiesse à ses soldats, leur dit : « Je crains que ces gens ignorent comme mon nom seul donne de la terreur ex ennemis. Mais je pense à leur faire connaître aujourd'hui, de manière qu'ils en puissent informer les autres. Aidez-moi seulement à maintenir cette réputation.» Quand les armées furent aux mains, quelqu'un dit : « Les ennemis sont à craindre. » Il répondit : « Ne le sommes-nous pas davantage? »

XXVI. Iphicrate priait ses soldats, par toutes les occasions où sa conduite leur avait fait remporter de glorieuses victoires, de ne lui pas refuser cette seule grâce, de se présenter les premiers, quand les ennemis donneraient. Il savait bien que s'ils négligeaient d'en user ainsi, les ennemis ne manqueraient pas de le faire eux-mêmes.

XXVII Iphicrate promit à ses soldats de leur donner la victoire, s'ils voulaient avancer un pas seulement, en s'animant les uns les autres quand il leur en ferait le signal. Dans la plus grande chaleur du combat, au moment que l'affaire allait se décider, Iphicrate éleva le signal. Ses troupes s'avancèrent avec grands cris, et poussant les ennemis vigoureusement, ils les mirent en fuite.

XXVIII. Iphicrate était à la tête des Athéniens, du côté de Corinthe, et faisait la guerre aux thébains. Les Athéniens le pressaient de donner combat; mais voyant les ennemis supérieurs en nombre, et enflés de la victoire qu'ils venaient de remporter à Leuctres, il ne voulut point combattre. Il dit : « Je me sais bon gré de vous avoir animés au point que vous pouvez mépriser les Béotiens. C'en est assez pour moi. Du reste, cherchez quelque meilleur général que moi, qui puisse vous mener contre eux. » Ainsi la vertu du général sut mettre un frein au courage inconsidéré des Athéniens; et les empêcha de se commettre avec des gens trop fiers de leur avantage.

XXIX. Iphicrate fut accusé de trahison à cause qu'ayant rencontré les ennemis à Embate, et avant pu les défaire, n'avait point attaqué leur flotte. L'affaire était poursuivie par Aristophon et Charès. Voyant les juges disposés à le condamner, il cessa de plaider sa cause, et fit entrevoir son épée aux juges. Ils eurent peur qu'armant tous ceux qui étaient dans ses intérêts, il n'environnât l'auditoire; et tous le déclarèrent innocent par leurs suffrage. Après qu'il eut gagné sa cause, quelqu'un'dit qu'il avait forcé les juges. « Il faudrait, répondit-il, que j'eusse perdu l' esprit, si après avoir fait la guerre pour les Athéniens, je n'a vais pas su la faire pour-moi-même. »

XXX. Dans une nécessité où l'on était d'argent, Iphicrate persuada aux Athéniens d'ordonner qu'on démolirait et que l'on vendrait toutes les saillies des maisons qui avançaient sur les rues. Les propriétaires apportèrent de grandes sommes pour empêcher que leurs maisons ne fussent gâtées par ces retranchements.

XXXI. Après une bataille, Iphicrate avait soin de distribuer à chacun, selon son mérite et sa peine, sa part de butin. Et si les villes envoyaient des présents, il en faisait aussi part à tous non pas par tête, mais par compagnies. Il envoyait une portion à un corps, une portion à un autre; telle aux cavaliers, telle à l'infanterie pesamment armée, telle à l'infanterie légère. Avant le combat, ayant fait faire silence il proposait des prix pour ceux qui feraient le mieux, dans la cavalerie, parmi les cuirassiers, et ainsi de tous les autres ordres. Et dans les fêtes et les assemblées publiques, il donnait les premières places à ceux qui avaient montré le plus de courage. Il faisait tout cela pour rendre ses soldats plus courageux dans les occasions périlleuses.

XXXII. Iphicrate exerçait continuellement ses soldats par des faux bruits, de fausses marches, de fausses frayeurs, de fausses embûches, de fausses trahisons, de fausses désertions, de fausses attaques et de fausses nouvelles de secours arrivé aux ennemis, afin qu'on fût moins surpris quand ces choses arrivaient véritablement.

XXXIII. Iphicrate, posté aux environs de la montagne sacrée, avait devant lui, à cinq stades seulement de distance, les ennemis qui avaient occupé un lieu fort élevé sur le bord de la mer. On ne pouvait y aller qu'un à un, et au-delà du chemin ce n'étaient que précipices qui donnaient dans la mer. Iphicrate ayant choisi des hommes robustes, prit le temps d'une nuit tranquille, se frotta d'huile, prit les armes nécessaires, fit le tour par la mer, en nageant dans les endroits les plus profonds, passa au-delà des gardes, et ayant abordé, les prit par derrière et les tua tous. Ensuite il fit avancer ses troupes par un chemin étroit , et comme la nuit durait encore, il surprit les ennemis qui étaient sans sentinelles et qui ne se défiaient de rien, en tua une partie et fit les autres prisonniers.

XXXIV. En hiver, et dans une forte gelée, Iphicrate, voyant l'occasion favorable de donner sur les ennemis, voulut mener ses soldats au combat. S'apercevant que la rigueur du froid et la nuit leur ôtait le courage, il prit le plus mauvais habit qu'il put trouver, et alla de tente en tente exhorter ses soldats à faire effort contre les ennemis. Ces gens voyant leur général si mal vêtu, et sans souliers qui ne laissait pas avec cela de témoigner de l'ardeur pour le salut commun, se sentirent animés à bien faire, et le suivirent courageusement.

XXXV. Quand Iphicrate n'avait point de quoi payer la solde à ses troupes, il les menait dans les lieux déserts et sur les rivages de la mer, où elles n'avaient pas occasion de faire de dépense. Quand la caisse était pleine, il conduisait ses soldats dans les villes et dans les lieux où tout abondait, afin que, consumant leur solde, le manque d'argent les rendit ensuite plus ardents à de nouvelles expéditions. Il ne les laissait jamais dans l'oisiveté, mais il les occupait sans cesse, tantôt à faire des tranchées, tantôt à couper du bois, tantôt à changer de camp , tantôt à déménager et transporter le bagage. Il était persuadé qu'il n'y avait que l'oisiveté qui occasionnait les mouvements séditieux.

XXXVI. Iphicrate ayant pillé Samos, mena sa flotte à Délos. Les Samiens lui envoyèrent des ambassadeurs pour racheter sa proie. Il promit de la rendre, et ayant fait faire secrètement le tour à un vaisseau de service, il le fit aborder comme s'il fût venu. d'Athènes, avec une lettre forgée, par laquelle les Athéniens lui commandaient de revenir. Il transigea avec les Samiens et les traita favorablement. Aussitôt il ordonna aux chefs des galères d'appareiller, et étant parti, il alla se cacher un jour et une nuit derrière une île déserte. Les Samiens, persuadés qu'Iphicrate, s'en était allé, et satisfaits de la manière dont il en avait usé avec eux, furent sans crainte dans leur ville, et en sortaient avec une entière sécurité, comme s'ils n'eussent plus eu rien à craindre. Iphicrate les voyant ainsi dispersés, reprit la route de Samos avec sa flotte , et fit encore un plus grand butin que la première fois. Phormion avait usé le premier d'une ruse semblable contre ceux de Chalcide.

XXXVII. Iphicrate essayait de réconcilier ensemble les Lacédémoniens et les Thébains qui se faisaient la guerre. Il trouvait de l'opposition dans les Argiens et dans les Arcadiens, alliés avec les Thébains. Il donna ordre à quelques troupes d'aller faire le ravage dans le pays d'Argos. Sur les plaintes qu'en firent les Argiens, il dit que c'était leurs propres déserteurs qui avaient fait tout le mal, et ayant fait semblant de leur donner la chasse, il rendit tout le butin aux Argiens. Ce bienfait imaginaire les attacha par reconnaissance à Iphicrate, qu'il regardèrent comme ami, et ils persuadèrent aux Thébains d'acceptée la paix.

XXXVIII. Iphicrate, s'étant uni à Pharnabaze, afin de faire la guerre pour le roi de Perse, mena sa flotte en Égypte. Comme ce pays est sans port de mer, Iphicrate ordonna aux Commandants des galères de se munir chacun de quarante sacs. Quand on fut abordé, il fit remplir tous les sacs de sable, et les enfonça dans la mer, après les avoir attachés aux galères, qui ayant été remorquées, demeurèrent en sûreté par ce moyen.

XXXIX. Iphicrate campé en Epidaurie, un peu au-dessus de la mer se trouvant auprès d'un bois fort épais et couvert, s'écria : « Que l'embuscade se lève. » Les ennemis s'imaginèrent qu'il y avait là effectivement une embuscade considérable, et saisis de frayeur, ils prirent la fuite, montèrent sur leurs vaisseaux, et se retirèrent.

XL. Iphicrate étant en Thessalie, voulut traiter avec le tyran Jason sur le bord d'une rivière. Ils s'envoyèrent réciproquement des gens qui les visitèrent partout, après qu'ils se furent désarmés et dépouillés. Après cette cérémonie, ils s'assemblèrent tous deux sous un pont, et parlèrent ensemble. Il ne restait plus que le serment à faire, et il fallait pour cela sacrifier. Iphicrate monta sur le pont, et Jason ayant pris la victime de la main d'un berger qui s'en alla, se mit à l'égorger et à en répandre le sang dans la rivière. Dans cet instant, Iphicrate, le poignard à la main, sauta à terre. Il ne tenait. qu'à lui de tuer Jason, mais il ne le voulut pas ; il se contenta de le forcer à lui promettre ce qui lui convenait.

XLI. Iphicrate étant campé en Thrace auprès des ennemis, s'avisa'une nuit de mettre le feu à une forêt qui était entre eux et lui ; et laissant dans son camp le bagage et beaucoup de bestiaux, il se retira à la faveur de la nuit, que la fumée rendait encore plus obscure, dans un lieu couvert et fort ombragé. Quand le jour fut venu, les Thraces étant entrés dans son camp, et n'y trouvant aucun Grec, se mirent à piller le bagage et à butiner les bestiaux. Iphicrate les voyant dispersés, se montra en marchant en bon ordre, les vainquit, et sauva tout son bagage.

XLII. Pendant une nuit, Iphicrate voulant se rendre maître d'un certain poste, envoya des trompettes en plusieurs lieux différents, avec ordre de sonner la charge. À ce bruit, les ennemis couraient ça et là. Iphicrate ne trouva plus sur le lieu qu'un petit nombre de gens qui y étaient demeurés il n'eut pas de peine à les vaincre et le poste lui demeura.

XLIII. Pendant qu'Iphicrate était à Corinthe, les Lacédémoniens vinrent se présenter devant la ville il ne jugea pas à propos de hasarder ses troupes dans un combat. Mais ayant su qu'il y avait autour de la ville des lieux très forts, il en saisit secrètement, et fit publier dans la ville qu'on l'y vint joindre. Tous sortirent et s'assemblèrent autour d'Iphicrate. Cette multitude, et le parti qu'elle avait pris de se retirer dans les lieux forts, firent peur aux Lacédémoniens, et ils s'enfuirent sans combattre.

XLIV. Iphicrate faisant la guerre à ceux d'Abyde, était posté aux environs de la Chersonèse. S'y étant saisi d'un certain lieu, il se mit à le fortifier, et y leva une muraille, comme s'il avait peur d'Axibius, Lacédémonien. Les Abydiens voyant Iphicrate occupé à cet ouvrage, le méprisèrent comme un homme timide, et, sortant de leur ville, se répandirent en liberté dus le pays. Iphicrate remarqua le peu d'ordre qu'ils observaient, et, prenant la nuit une partie de ses troupes, il pénétra dans les terres d'Abyde, parcourut toute la campagne, et enleva beau coup de personnes et de biens.

XLV. Iphicrate étant à Corinthe, sut que ceux du parti opposé devaient introduire la nuit suivant dans la ville des Lacédémoniens qu'ils avaient soudoyés. Il assembla ses soldats, et en ayant laissé une partie à la garde de Corinthe, il fit sortir les autres, et les menant lui-même, il les mit en ordre. Ensuite il se présenta à la porte qu'avaient. fait ouvrir ceux qui recevaient les Lacédémoniens. Les derniers entraient actuellement; et comme la nuit empêchait de le reconnaître, il entra et fut admis comme eux. Il profita de l'obscurité, donna sur les ennemis, et en tua plusieurs, et quand le jour parut, il en fit prisonniers un grand nombre d'autres qui s'étaient réfugiés dans les temples.

XLVI. Iphicrate étant monté en Thrace, était campé avec huit mille hommes. Ayant été informé que les Thraces devaient l'attaquer la nuit, il se retira avec ses troupes, le soir, à trois stades de là, dans un vallon où il pouvait se cacher. Les Thraces donnant dans son camp, et le trouvant abandonné, se mirent à piller en désordre, et faisaient des railleries de la fuite des Grecs. Iphicrate parut tout d'un coup, et tombant sur les ennemis, il en tua un grand nombre, et fit les autres prisonniers de guerre.

XLVII. Iphicrate ayant à traverser un pays sans eau, par un chemin de deux journées, ordonna à ses soldats de souper et de faire provision d'eau. Au soleil couché, il se mit en chemin, et marcha toute la nuit. Le jour venu, il campa, fit manger ses troupes, et leur ordonna de boire de l'eau qu'elles avaient apportée. Il les fit reposer après midi, et sur le soir il leur commanda de souper. Après cela leur faisant plier bagage, il marcha encore la nuit. De cette manière il fit en deux nuits le chemin de deux jours; ses troupes furent rafraîchies, et l'eau ne leur manqua pas.

XLVIII. Aux environs d'Épidaure, Iphicrate conduisait un grand butin. Comme il approchait des vaisseaux, Lacon, à qui la garde du pays était confiée, lui donnait la chasse. Les Epidauriens étaient sur une hauteur. Iphicrate fit précéder le butin par de l'infanterie légère, à qui il ordonna de se disperser de côté et d'autre, et attaqua Lacon. Pendant que celui-ci était occupé de tant de côtés différents, Iphicrate se saisit de quelques postes avantageux, d'où, fondant sur les ennemis en queue, il les extermina tous.

XLIX. Iphicrate était à Phlius, et marchait par des lieux fort étroits. Il avait les ennemis à dos, qui pressaient les derniers de ses soldats. Il ordonna à ses troupes de se hâter de sortir au plus tôt de ce lieu désavantageux, et prenant avec lui les plus vigoureux de ses soldats, il partit du centre, et s'avança à la queue, où se trouvant tout frais et en bon ordre, contre des gens débandés, il en fit périr un grand nombre.

L. Dans une expédition qu'Iphicrate fit en Thrace, il campa dans une plaine bordée d'une montagne, où il n'y avait d'issue que par un pont étroit, que les Traces devaient passer la nuit pour le venir attaquer. Il fit allumer un grand nombre de feux dans son camp, et en sortant avec ses troupes, courut se cacher dans les bois qui étaient au pied de la montagne, à côté du pont, et tint en repos. Les Thraces passèrent le pont, et attirés par les feux qu'ils voyaient ils poussèrent jusqu'au camp, dans l'attente de trouver les ennemis. Iphicrate sortant alors du bois traversa le pont avec ses troupes et fit sa retraite en sûreté.

LI. Iphicrate se voyant à la tête d'une grande armée, composée de troupes de terre et de troupes de mer, retenait chaque mois, quand il fallait payer la montre, le quart de la solde de chacun, comme un gage de fidélité, pour s'assurer qu'on ne quitterait point l'armée. De cette manière, il eut toujours des troupes nombreuses, et le quart du prêt mis en réserve, était un dépôt qui mettait dans la suite le soldat à son aise.

LII. Iphicrate se trouvant campé devant les alliés da Lacédémoniens, fit changer de parure à ses troupes, la nuit. Il donna aux soldats les vêtements des esclaves, et aux esclaves les habits des soldats. Ceux-ci, ornés militairement, s'éloignèrent des armes, par son ordre, et se mirent à se promener comme gens qui n'avaient rien à faire ; et les soldats, vêtus en esclaves, se tinrent au milieu des armes et exerçaient les fonctions ordinaires aux esclaves. Les ennemis voyant cela, voulurent l'imite, Leurs gens de guerre, désarmés, sortirent du camp et se promenèrent en repos, et les esclaves demeurèrent à faire leurs fonctions accoutumées. Aussitôt Iphicrate fit donner le signal. Ses soldats prirent les armes à la hâte, et firent irruption dans le camp des ennemis, qui fut bientôt abandonné par les esclaves ; et comme le reste était désarmé, tout ce qu'il y avait d'ennemis fut tué ou fait prisonnier.

LIII. Iphicrate campé en présence des ennemis, avait remarqué qu'ils dînaient tous les jours à la même heure. Il ordonna à ses troupes de dîner avant le jour ; et quand ce fut fait, il attaqua les ennemis, sur lesquels on ne cessa point de tirer jusqu'au soir. Quand les deux armées se furent séparées, les ennemis se mirent à souper. Iphicrate, dont les troupes avaient déjà repu, fondit sur ces gens qui étaient à manger et en fit un grand carnage.

LIV. Iphicrate étant aux, environs de Phliunte, avait un passage difficile à surmonter. Il dédoubla les files de sa phalange, et les ennemis l'attaquaient en queue. Ils blessèrent plusieurs des siens, et enlevèrent beaucoup de dépouilles. Il ordonna à sa phalange de hâter le pas, prit avec lui les chefs et les plus courageux qu'il trouva à droite et à gauche , les plaça en ordre à la queue de la phalange , et donnant sur des gens déjà fatigués de la poursuite, et occupés tumultuairement à plier le bagage, il en tua plusieurs ; mais le plus grand nombre fut fait prisonnier de guerre.

LV. Iphicrate étant à Corcyre, fut averti par ceux qui avaient soin de faire les signaux avec le feu, que Crinippe venait de Sicile avec onze vaisseaux. Il commanda que dans une île déserte, on fit avec les feux le signal qu'on avait coutume de faire aux amis; et s'avançant en mer à la faveur de la nuit, il se rendit maître de dix de ces vaisseaux ; il n'y en eut qu'un qui lui échappa par la fuite.

LVI. Iphicrate étant en Thrace, fut averti que deux de ses chefs méditaient une trahison ; il convoqua les principaux de l'armée et leur ordonna, quand il manderait les deux chefs pour les examiner, de se saisir de leurs armes et de celles de leurs soldats. Les armes furent saisies, et Iphicrate ayant convaincu ces deux hommes de trahison, les fit mourir. Quant à leurs soldats, il les dépouilla, et les chassa du camp.

LVII. Iphicrate voyant que deux mille hommes de ceux qui étaient à sa solde, avaient déserté pour passer du côté des Lacédémoniens, écrivit aux chefs de ces déserteurs une lettre où il les priait instamment de ne pas oublier ce qu'ils lui avaient promis, et de se tenir prêts au temps marqué, qui était le même qu'il devait recevoir du renfort d'Athènes. Il jugea bien que cette lettre serait surprise par les gardes des chemins, et c'était ce qu'il souhaitait. Elle fut portée aux Lacédémoniens, qui voulurent arrêter les transfuges. Ceux-ci s'estimèrent heureux de pouvoir se sauver par la fuite, et eurent également pour ennemis, et les Athéniens qui les avaient trouvés infidèles, et les Lacédémoniens, qui les croyaient traîtres.

LVIII. Iphicrate voulant connaître et convaincre de trahison ceux de Chio qui étaient dans les intérêts des Lacédémoniens, commanda à quelques capitaines de galères de prendre le large pendant la nuit, et de se présenter le lendemain devant Chio, armés et équipés à la façon des Lacédémoniens. Ceux qui étaient pour Sparte, les voyant, se rendirent au port avec beaucoup de joie. Iphicrate les environna, et les ayant pris, les fit transporter à Athènes pour y être punis.

LIX. Iphicrate manquait d'argent, et les soldats faisant un grand bruit, demandaient l'assemblée générale. Il trouva des gens qui avaient l'usage de la langue persane, et leur ayant donné de longues robes comme en portaient les Perses, il leur commanda de se montrer à l'assemblée, quand elle se-rait la plus remplie, et de dire en langue barbare: « Ceux qui apportent l'argent ne sont pas loin; nous avons été envoyés devant pour le faire savoir. » A ces nouvelles les soldats laissèrent l'assemblée se séparer.

LX. Iphicrate emmenait de l'Odrysie un butin considérable. Les Odrysiens allèrent en grand nombre pour le recouvrer. Iphicrate avait peu de chevaux ; il donna à ses cavaliers des flambeaux allumés, avec ordre d'avancer ainsi contre les ennemis. Les chevaux des Odrysiens ne purent supporter cette lueur, à laquelle ils n'étaient pas accoutumés, et se mirent en fuite.

LXI. Iphicrate allait contre une ville ennemie ; il fallait, pour y arriver, passer Une rivière qui coulait vers cette ville, et la traversait, il la passa le soir avec son armée, afin que l'eau brouillée par son passage, eût le temps de s'éclaircir en coulant pendant la nuit, et que son passage fût ignoré de ceux de la ville. Par ce moyen, il les surprit lorsqu'ils s'y attendaient le moins.

LXII. Iphicrate étant en Thrace, y fit beaucoup d'Odrysiens prisonniers. Les Odrysiens le poursuivaient vivement, et tiraient continuellement sur ses troupes. Pour les faire cesser, Iphicrate mit à côté de chaque chef de file un prisonnier nu, les mains attachées derrière le dos. Les Odrysiens ne voulant pas blesser les leurs, s'abstinrent de lancer davantage des traits et des javelots.

LXIII. Iphicrate voguant sur les côtes de Phénicie avec cent galères, chacune de trente bancs, arriva à la vue d'une côte pleine de vases, et mit les Phéniciens en grand mouvement sur le rivage. Il ordonna que, quand on montrerait le signal, les pilotes jetassent l'ancre à la poupe, qu'on abordât en bon ordre, et que les soldats bien armés se coulassent en mer, chacun tout le long de sa rame, sans rompre leurs rangs. Quand il jugea que la mer n'avait plus guère de profondeur, il étendit le signal de la descente. Les galères s'avancèrent en ligne, et furent affermies sur le fer et les hommes sortirent en bon ordre. Les ennemis étonnés de leur belle disposition et de leur hardiesse, prirent la fuite. Les soldats d'Iphicrate les poursuivirent, en tuèrent quelques-uns, prirent les autres vifs, rassemblèrent un grand butin, et le transportèrent sur leurs vaisseaux, après quoi ils campèrent sur terre.

CHAPITRE X. - TIMOTHÉE

L'argent manquait dans l'armée d'Athènes. Timothée persuada aux marchands de prendre pour monnaie l'empreinte de son cachet, et promit, quand ils lui représenteraient ces empreintes, de satisfaire à ce qui leur serait dû. Ils le crurent, et ouvrirent le marché pour les soldats, qui les payaient du cachet du général. Dans la suite, quand Timothée eut recouvré de l'argent, il paya ce qui était dû aux marchands.

II. Timothée partait avec toute la flotte. Quelqu'un éternua. La chose parut de mauvais augure au pilote général qui donna ordre d'arrêter, et les matelots n'osaient monter sur les vaisseaux. Timothée ne put s'empêcher de rire, et dit « Voilà un plaisant augure ! Est-ce donc une si grande merveille, que parmi tant d'hommes que voilà tout autour, il s'en soit trouvé un qui ait éternué? » Les matelots tournèrent aussi la chose en risée, et levèrent l'ancre.

III. Timothée ayant commandé que l'on attaquât les ennemis, vit que peu de ses soldats s'avançaient. Celui qui menait la troupe, dit qu'il fallait attendre les autres. Timothée n'en fut pas d'avis il estimait qu'il suffisait de ceux qui se portaient courageusement au combat, et que la présence de ceux qui étaient si lents à s'avancer était inutile.

IV. Les Athéniens et les Lacédémoniens étaient sur le point de se donner bataille sur mer, devant Leucade. Timothée était général des Athéniens, et Nicomaque commandait la flotte de Lacédémone. Arriva la fête de Squirre, ou du chapeau blanc, qu'on célébrait en l'honneur de Minerve. Timothée fit couronner ses galères de myrte, leva le signal, et ayant fait avancer sa flotte, combattit et remporta la victoire. Les soldats, persuadés qu'ils avaient la déesse à leur secours, furent remplis de confiance, et firent parfaitement bien leur devoir.

V. Timothée ayant assiégé une certaine ville, marqua un espace, dans lequel il permit à ses soldats de faire du butin. Dans le reste du pays, il fit enlever ce qu'il y avait de bon, et le vendit. Il ne voulut pas que l'on démolît aucune maison ni cabane; il défendit de couper aucun arbre fruitier, et voulut que l'on se contentât d'en prendre les fruits. Sa vue était dans cette conduite, que s'ils étaient vainqueurs, les tributs seraient plus abondants; que si la guerre traînait en longueur, ils auraient toujours des vivres et où se loger ; enfin, et c'était encore le plus considérable, qu'on s'attirerait, par cette modération, la bienveillance des habitants.

VI. Timothée faisant la guerre par mer aux Lacédémoniens, garnit de soldats la poupe de ses galères, et s'y tenant en repos, il envoya devant vingt frégates légères, avec ordre de harceler les vaisseaux ennemis par beaucoup de mouvements. Les Lacédémoniens se fatiguèrent extrêmement à ramer, et n'avaient pas un moment de repos. Timothée tout frais, fit avancer ses galères, et ayant donné combat, remporta une victoire signalée.

VII. Timothée voulant traverser le pays d'Olynthe, et craignant la cavalerie des Olynthiens, fit un carré long de son armée, mit le bagage et la cavalerie au centre, avec un grand nombre de chariots accouplés ensemble en dehors, il posta, de côté et d'autre, les gens armés de toutes pièces. De cette sorte, il empêcha la cavalerie des Olynthiens d'agir.

VIII. Timothée avait son camp du côté d'Amphipolis. On lui apprit un soir que les ennemis s'assemblaient pour venir contre lui; qu'ils étaient supérieurs en nombre, et qu'ils l'attaqueraient le lendemain. Pour ne point étonner ses soldats, il ne leur parla point du nombre des ennemis; au contraire, il dit qu'ils étaient peu et en mauvais ordre, et qu'il fallait les combattre. Tout ce qui n'était pas de service dans une action, il l'envoya devant, par des lieux difficiles et les moins gardés par les ennemis. Il se mit ensuite à la tête de la phalange, et la fit suivre par l'infanterie légère. Il avait des galères sur le fleuve de Strymont, et ne pouvant alors les armer, il les brûla. Il ne mit qu'une nuit à faire toutes ces choses, et se retira en sûreté.

IX. Timothée assiégeait Samos avec sept mille hommes étrangers qu'il avait soudoyés. Comme il n'avait point d'argent à leur donner, et voyant la fertilité de l'île, il en désigna un canton pour servir à la nourriture de ses soldats, et réservant tout le reste, il en vendit les fruits, en donnant pleine sûreté à ceux qui venaient les cueillir. De cette manière il eut abondamment de quoi payer le prêt à ses troupes, qui le servirent avec d'autant plus de bonne volonté, et la ville de Samos tomba sous sa puissance.

X. Pendant que Timothée assiégeait Samos, un grand nombre d’étrangers abordaient par mer au camp, et consumaient les vivres. Timothée voyant que cela les rendait rares, défendit de vendre de la farine, ni de l'huile ou du vin, mesure à mesure. Le grain, il défendit d'en vendre moins d'un médimne ou boisseau à la fois, et les liquides de même, moins d'une métrète à chaque fois. Et pour ce qui est des meules à blé, il défendit à personne d'en avoir chez soi ; il ne permit que celles qui étaient sur les hauteurs. Il arriva de là que les étrangers ne trouvant pas marché ouvert pour avoir de ces denrées qui se consumaient chaque jour, en apportaient avec eux pour vivre, et que les provisions furent conservées pour les soldats.

XI. Timothée ayant une flotte de quarante vaisseaux, en voulut envoyer cinq quelque part, avec des vivres pour plusieurs jours. Il n'avait point d'argent à leur donner : mais voici ce qu'il fit. Il commanda que toute la flotte partit avec des vivres pour trois jours. Ayant abordé à une île, il ordonna aux commandants des galères, de lui donner de chaque vaisseau les vivres de deux jours. Il les distribua aux cinq autres, qui furent ainsi ravitaillés pour plusieurs jours, et il se retira avec les trente-cinq autres vaisseaux, à son premier poste.

XII. Timothée devait donner un combat naval, du côté de Leucade, à Nicoloque, général de la flotte de Sparte. Il fit mettre à terre l'équipage et les soldats de la plupart des navires, et leur ordonna de s'y tenir en repos sur le bord de la mer. Ensuite s'étant avancé avec vingt vaisseaux des plus légers à la course, il leur défendit d'approcher des ennemis à la portée du trait: mais il voulut qu'ils virassent de bord, et ne se battissent qu'en fuyant, afin de lasser les ennemis, qui ne cesseraient de ramer pour les atteindre. En effet, la chaleur et lé travail leur firent perdre toutes leurs forces. Alors Timothée montra le signal de revirer ; et étant allé prendre à la hâte ceux qu'il avait mis à terre, et qui s'étaient reposés, il donna la chasse aux ennemis épuisés, fit couler à fond un grand nombre de leurs galères, et mit les autres hors d'état de servie.

XIII. Timothée faisant la guerre aux Lacédémoniens sur mer, avait peur que dix vaisseaux Laconiens de conserve, que le général de la flotte ennemie avait donnés pour escorte aux barques chargées de vivres, ne vinssent donner sur les Athéniens, lorsqu'ils se retireraient. Il ordonna aux commandants des galères de ne se point s’amuser à chercher leur poste ordinaire; mais de se tenir chacun au lieu où il se trouverait, de peur que dans le mouvement qu'on ferait pour reprendre les postes accoutumés, les ennemis ne vinssent fondre sur une flotte en désordre. Il fit une ligne courbe de sa flotte; et la disposa en formé de croissant. Il mit au centre les vaisseaux de charge et les prisonniers, et se tenant sur la poupe, il présenta aux ennemis le bec de proue et les côtés.

XIV. Timothée faisant la guerre à ceux de Chalcide avec Perdiccas, fit fondre avec de l'argent de Macédoine du cuivre de Chypre, et de ce billon fit fabriquer de la monnaie, où sur cinq dragmes anciennes il n'y avait qu'un quatrième d'argent, et le reste était de mauvais cuivre. Ayant ainsi en abondance de quoi payer les troupes, il voulut persuader aux marchands du pays de recevoir ce cuivre dans le commerce. Ils aimèrent mieux trafiquer par échange, et ne gardèrent point de cette monnaie, qui revint ainsi aux soldats, et servit de nouveau à payer leurs montres.

XV. Timothée assiégeait Torone. Ceux de la ville élevaient des cavaliers fort haut, par le moyen de poches de cuir, et de corbeilles pleines de sable. Timothée prépara de grandes machines, où il y avait des mâts avec des pointes de fer et des faux. Par le moyen des pointes, on déchira les poches de cuir, et avec les faux on rompit les corbeilles, et le sable s'écoula. Les Toroniens voyant cela, se rendirent.

XVI. Timothée accompagné de ceux de Corcyre et des autres alliés, faisait la guerre aux Lacédémoniens sur mer. Il mit à part les vaisseaux qui voguaient le plus légèrement, et leur ordonna de se tenir en repos. Les autre navires s'avancèrent contre les ennemis; et quand Timothée les eut assez harcelés, pour les fatiguer, il fit signe aux vaisseaux qui se reposaient, de s'avancer. Comme ils étaient frais, les ennemis, déjà las, ne purent soutenir leur effort.

XVII. Dans un combat naval, qui fut donné devant Leucade, Timothée remporta la victoire sur les Lacédémoniens, qui perdirent plusieurs vaisseaux : mais il leur en restait dix qui n'avaient point combattu, et qui donnaient de la crainte à Timothée. Étant revenu à son premier poste, il arrangea sa flotte en demi-lune, et présenta aux ennemis, la pointe et les côtés après avoir mis au centre les vaisseaux de charge. Dans cette disposition il s'approcha de la terre, en reculant par la poupe, afin de présenter toujours la proue aux dix vaisseaux des ennemis, qui le voyant en cette posture, n'osèrent l'attaquer.

CHAPITRE XI. - CHABRIAS.

Chabrias étant sur le point de livrer bataille, dit à ses soldats : « En allant combattre, pensons moins que ce sont nos ennemis, que des hommes qui ont sang et chair, et de même nature que nous. »

II. Chabrias étant du côté de Naxe avec son armée navale, remporta la victoire le 16 du mois de Boëdromion. Il jugea que ce jour, qui était le second des neuf des mystères, serait favorable à son entreprise, comme une autre fête avait porté bonheur à Thémistocle devant Salamine. Mais Thémistocle avait eu à son secours Jacchus ; et Chabrias eut pour lui la divinité en l'honneur de laquelle on disait: « A la mère, les initiés. »

III. Les Lacédémoniens avaient envoyé douze vaisseaux à la découverte, et ces vaisseaux n'osaient sortir d'un port où ils s'étaient retirés. Chabrias, pour les inviter à prendre le large, joignit deux à deux douze vaisseaux qu'il avait aussi, et transporta sur un seul les voiles de deux. Les ennemis, estimant qu'il n'y avait que six galères, en eurent du mépris, et se voyant douze, allèrent hardiment contre les ennemis. Quand Chabrias les vit fort avancés, il sépara ses vaisseaux, attaqua ceux des Lacédémoniens, et en prit la moitié, avec tout l'équipage, et les soldats qui étaient dessus.

IV. Chabrias se retirant par des lieux étroits, avec peu de troupes, était poursuivi par une multitude d'ennemis. Il se mit à la tête, et les plus vigoureux, il les mit à la queue, pour résister à l'impression des ennemis. De cette sorte personne de la queue ne prit la fuite; car on n'aurait pu le faire sans passer à la face du général, qui n'aurait pas manqué de l'empêcher ou de punir; et l'armée de Chabrias continua sa route en sûreté.

V. Thamus, roi d'Égypte, n'avait point d'argent: Chabrias lui suggéra de commander aux plus riches du pays de lui apporter tout ce qu'ils avaient d'or et d'argent, avec promesse à ceux qui en apporteraient, qu'on n'exigerait point d'eux le tribut annuel. De cette manière on ramassa beaucoup de richesses, sans faire tort à personne ; et dans la suite tout fut rendu à ceux qui avaient fait les avances.

VI. Chabrias ayant passé pendant la nuit une rivière, fit incursion sur Helos, ville de la Laconie, et emmena un grand butin, qu'il envoya au-dessus du fleuve dans une contrée où les esprits étaient bien disposés pour lui ; et ce qui lui restait de troupes, il les fit repaître et se reposer jusqu'à midi, dans l'attente de ce qu'il présumait qui ne manquerait pas d'arriver. En effet, les Lacédémoniens sortirent pour aller recouvrer du butin, et coururent avec ardeur jusqu'au fleuve, à deux cents stades de distance. En y arrivant ils se trouvèrent las et débandés; et Chabrias leur lâchant ses soldats frais et repus, n'eut pas de peine à faire périr la plupart de ces Lacédémoniens.

VII. Chabrias était général des troupes du roi d'Égypte, à qui le roi de Perse faisait la guerre avec une armée de terre et une armée de mer. Le roi d'Égypte avait beaucoup de vaisseaux, mais point de rameurs pour les faire voguer. Chabrias choisit parmi les jeunes gens le nombre suffisant pour équiper deux cents vaisseaux. Ensuite ayant tiré les rames des galères, il fit mettre sur le rivage de longues pièce de bois et asseoir dessus ces jeunes gens un à un. Il leur mit les rames à la main, et ayant pris des comites qui savaient les deux langues égyptienne et grecque, en peu de jours, par leur moyen, il apprit à toute cette jeunesse à manier la rame, et les vaisseaux se trouvèrent garnis suffisamment de chiourme.

VIII. Lorsque Chabrias devait donner bataille avec de nouvelles troupes, il faisait publier par un héraut, que ceux qui se trouveraient mal, eussent à mettre leurs armes à part. Tout ce qu'il y avait de gens timides feignaient de se trouver mal, et mettaient les armes bas. Chabrias ne se servait point de ceux-là dans le combat. Mais quand il était question de garder des postes avantageux, il les y mettait, parce que les ennemis apercevant leur multitude, en avaient peur ; et le temps venait enfin que ces gens se rendaient capables de gagner leur solde.

IX. Chabrias menant sa flotte contre une ville ennemie, fit mettre la nuit à terre les soldats armés de boucliers, et lui se présenta au port avec ses vaisseaux, à la pointe du jour, assez loin de la ville. Les habitants sortirent en diligence pour l'empêcher de faire descente. Alors les gens armés de boucliers sortirent de leur embuscade, prirent les habitants par derrière, en tuèrent une partie, firent les autres prisonniers remontèrent sur leurs vaisseaux, et s'en allèrent.

X. Chabrias mit sur chacun de ses vaisseaux douze soldats, porteurs de boucliers, des plus légers à la course qu'il y eût, et la nuit il les fit débarquer dans le pays ennemi. Il jugea que ceux de la ville sortiraient en armes pour empêcher ceux-ci de butiner, et il se hâta de voguer contre la ville. Les habitants le voyant, se présentèrent aussitôt pour l'empêcher de la prendre. Pendant ce temps-là Chabrias, fit approcher ses vaisseaux de la côte, y reprit ses porteurs de boucliers, et ayant chargé tout le butin qu'ils avaient fait, il se retira.

XI. Chabrias étant sur le point de livrer bataille sur mer à Pollis, général des Lacédémoniens, du côté de Naxe, ordonna aux commandants des galères d'ôter secrètement les pavillons et les autres marques de leurs galères, et de se souvenir que les vaisseaux qui auraient de ces sortes de marques seraient aux ennemis. Quand cela fut fait, les pilotes des vaisseaux de Pollis rencontrèrent les navires des Athéniens, et n'y voyant point les marques athéniennes passèrent outre. Au contraire les vaisseaux des Athéniens attaquèrent des deux côtés ceux qui avaient des marques reconnaissables, et cet artifice donna la victoire aux Athéniens.

XII. Chabrias ayant fait voile du côté d'Égine, la nuit, mit à terre trois cents soldats, et passa outre. Ceux de la ville sortirent, attaquèrent ces trois cents hommes, et en tuèrent un grand nombre. Pendant ce temps-là Chabrias se présenta en diligence devant la ville. Les habitants craignant d'être enfermés dehors, cessèrent d'attaquer 1es trois cents, et se retirèrent dans Égine.

XIII. Chabrias voulant mettre ses rameurs à couvert des flots, pavoisa de peaux les côtés de ses galères, à la hauteur du pont ou du tillac où les gens de guerre avaient coutume de se tenir. De cette manière il défendit ses vaisseaux de la fureur des flots, et préserva l'équipage d'être mouillé. Outre cela les rameurs ne voyant plus les vagues, à cause de cette espèce de rideau, ne furent plus sujets à se lever de peur, et firent la manoeuvre plus sûrement.

XIV. Dans les navigations maritimes, Chabrias voulant se munir contre les tempêtes, mettait dans chaque vaisseau un double gouvernail. En temps calme il n'employait que l'ordinaire mais quand la mer devenait grosse et agitée, il faisait planter l'autre à la proue en dehors des rameurs, de manière que le timon du gouvernail surpassât le tillac, et de cette sorte, quand les flots élevaient trop la poupe, le vaisseau était gouverné à l'autre bout.

XV. Chabrias ayant fait incursion dans la Laconie, en enleva un butin considérable Agésilas, à la tête des Spartiates, marcha pour le ravoir ; Chabrias rassembla ses troupes sur une hauteur, et ayant placé dans un lieu sûr le bagage et les prisonniers, campa tout autour. Les Lacédémoniens se campèrent à cinq stades de là. Chabrias ordonna qu'on allumât une grande quantité de feux pendant la nuit; qu'environ la seconde veille on laissât dans le camp les bêtes de charge et les bestiaux, et que l'on se retirât par derrière cette hauteur; ce qui fut exécuté, sans que les ennemis en sussent rien. Les Lacédémoniens voyant les feux, et entendant le bruit que faisaient les bêtes, crurent que les Athéniens étaient encore là, levèrent le camp à la pointe du jour, et s'étant donné le mot pour le combat, s'avancèrent vers la hauteur. Quand ils en furent près, ils trouvèrent le camp des Athéniens vide, et Agésilas ne put s'empêcher de s'écrier : « Il faut convenir que Chabrias est un excellent capitaine. »

CHAPITRE XII. - PHOCION.

Phocion voyant les Athéniens entêtés de faire la guerre aux Béotiens, les en détournait le plus qu'il était possible. Malgré tous ses efforts la guerre fut résolue par décret public, et lui nommé général. Aussitôt il fit crier par un héraut : « Que tout Athénien, depuis l'âge de puberté, jusqu'à soixante ans prenne des vivres pour cinq jours en sortant de l'assemblée, et me suive. » Aussitôt voilà toute la ville dans le trouble et l'agitation. Les vieillards surtout criaient, allaient et venaient, et témoignaient du mécontentement. « De quoi vous plaignez-vous, leur dit Phocion, je suis général; quoique j'aie quatre-vingts ans, je mourrai avec vous? » A ce discours les Athéniens se modérèrent dans leur ardeur inconsidérée, et renoncèrent à la guerre.

CHAPITRE XIII. - CHARÈS.

Charès soupçonnant qu'il y avait des espions dans son camp, fit poser des gardes autour des retranchements, et commanda que chacun prenant son voisin, ne le laissât point aller qu'il n'eût dit qui il était, et de quelle section. De cette manière les espions furent découverts, parce qu'ils ne purent dire ni le corps, ni le poste, ni la section, ni la chambrée dont ils étaient, ni le mot du guet.

II. Charès se trouvant en Thrace dans un hiver très rude, s'aperçut que ses soldats épargnaient leurs habits, et devenaient paresseux à s'acquitter de leurs fonctions. Il ordonna que chacun changeât d'habit avec son voisin. Alors ne se souciant pas tant d'épargner les habits d'autrui, tous se trouvèrent plus disposés à faire ce qui leur était ordonné.

III. Charès retirait ses troupes de Thrace, et les Thraces le poursuivant, lui blessaient beaucoup de monde à son arrière-garde. Voulant les détourner et se procurer un passage sûr dans des lieux suspects, il fit monter des trompettes à cheval, et les faisant escorter par quelques cavaliers, il leur ordonna d'user de diligence pour gagner la queue des ennemis, et quand ils y seraient, de sonner la charge. Ils le firent, et à ce bruit les Thraces s'imaginèrent qu'il y avait là une embuscade, ils se débandèrent et prirent la fuite, et Charès fit sa retraite en sûreté.

CHAPITRE XIV. - CHARIDÈME.

Ceux d'Ilion faisaient du butin sur le territoire de la ville de Charidème. Il surprit un esclave ilien qui pillait avec les autres, et lui persuada à force de présents de lui livrer la ville. Et afin de le faire passer auprès des gardes des portes pour un homme très fidèle, il lui donna par deux ou trois fois un grand nombre de bestiaux et de prisonniers à emmener. Les gardes en ayant fait le partage, prirent confiance en cet homme, et lui permirent de sortir plusieurs fois la nuit, avec un bon nombre de personnes, pour faire de nouvelles prises. Charidème ayant pris ces gens, les lia, et donna leurs habits à autant de ses soldats bien armés. Leur donnant ensuite le butin, et même des chevaux, il les envoya vers la ville. Les gardes ouvrirent toutes les portes, jour faire passer les chevaux. Les soldats entrant avec les chevaux, tuèrent les gardes, et s'étant rendus maîtres des autres habitants, s'emparèrent de la ville. De cette manière, s'il est permis de badiner, on peut dire qu'Ilion fut encore pris une fois par le moyen d'un cheval.

CHAPITRE XV. - DÉMÉTRIUS DE PHALÈRE.

Démétrius de Phalère était sur le point d'être pris par le roi de Thrace. Il se cacha dans une charrette chargée foin, et se sauva ainsi dans une région voisine.

CHAPITRE XVI. - PHILOCLÈS

Philoclès, général de Ptolémée campé auprès de Gaune trouva moyen de corrompre par argent ceux qui gardaient les vivres. Ceux-ci firent publier dans la ville qu'ils en donneraient aux gens de guerre. Les soldats abandonnèrent alors les postes où ils étaient en faction; et s'en allèrent mesurer du blé. Philoclès attaquant en ce moment la ville, la trouva sans défense, et s'en rendit maître.


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LIVRE QUATRIÈME. — CHAP. Ier. — Argée— CHAP. II. — Philippe. — CHAP. III. — Alexandre — CHAP. IV. — Antipater — CHAP. V. — Parménion — CHAP. VI. — Antigone — CHAP. VII. — Démétrius — CHAP. VIII. — Eumène — CHAP. IX. — Séleucus — CHAP. X. — Perdicas — CHAP. XI. — Cassandre — CHAP. XII. — Lysimachus — CHAP. XIII. — Cratère — CHAP. XIV. — Polysperchon — CHAP. XV. — An-tiochus, fils de Séleucus — CHAP. XVI. — Antiochus, fils d’Antiochus — CHAP. XVII. — Antiochus Hiérax ou l’Epervier — CHAP. XVIII. — Philippe, fils de Démétrius— CHAP: XIX. — Ptolémée — CHAP. XX. — Attale — CHAP. XXI. — Persée.

LIVRE QUATRIÈME.

CHAPITRE I.

ARGEE.

Argée était roi de Macédoine, et Galaure l'était des Taulantiens. Les Taulantiens firent la guerre aux Macédoniens dans un temps qu'Argée n'avait que peu de troupes. Il ordonna aux filles des Macédoniens, quand les ennemis feraient avancer leur phalange, de descendre de la montagne Erébée et de se faire voir aux ennemis. À l'approche des Taulantiens, ces filles descendirent de la montagne, branlant les thyrses, au lieu des dards, et le visage ombragé des couronnes qu'elles avaient sur la tête. Gaulaure, frappé d'étonnement, et prenant de loin cette troupe pouf des hommes, donna le signal de la retraite. Les Taulantiens prirent la fuite, jetèrent leurs armes, et laissèrent leur bagage. Argée ayant eu la victoire sans combat, bâtit un temple et le dédia à Bacchus trompeur; et les filles que les Macédoniens appelaient auparavant Ctodones (d’un nom formé pour exprimer le bruit qu'elles faisaient dans les orgies de Bacchus), il ordonna qu'on les appelât Mimallones (comme qui dirait imitatrices), parce qu'elles avaient imité les hommes.

CHAPITRE II.

PHILIPPE.

Philippe, informé qu'il y avait à l'armée un Tarentin, homme de grande considération, qui se servait du bain chaud, lui ôta le commandement qu'il lui avait confié, et lui dit : « Il me semble que tu ignores les usages des Macédoniens, parmi lesquels une femme même qui vient d'accoucher, ne se lave pas avec de l'eau chaude. »

II. Philippe, campé devant les Athéniens à Chéronée, jugea à propos de leur céder, et plia devant eux. Stratoclès, général des Athéniens, s'écria : « Il ne faut point cesser de les poursuivre, jusqu'à ce que nous les ayons enfermés dans la Macédoine. » Et en effet, il les poursuivit avec ardeur; Philippe dit : « Les Athéniens ne savent pas vaincre. » En lâchant toujours pied, il fit serrer sa phalange, et la tint à couvert sous les armes, jusqu'à ce qu'étant parvenu dans un poste avantageux, il encouragea la multitude, et faisant demi-tour, il attaqua si vivement les Athéniens, qu'il remporta la victoire.

III. Pendant que Philippe faisait la guerre aux Thébains, il fût informé que deux de ses chefs avaient fait venir d'un lieu public, dans le camp, une chanteuse. Il les chassa tous deux des limites de son royaume.

IV. Philippe avait des ambassadeurs dans une ville ennemie de Thrace. Les habitants convoquèrent l’assemblée et ordonnèrent aux ambassadeurs de parler. Pendant qu'on était attentif à les écouter, Philippe surprit les habitants qui ne s'y attendaient point, et ayant attaqué la ville, s'en rendit maître.

V. Philippe demanda trêve aux Illyriens ses ennemis, afin de pouvoir retirer ses morts. Ils la lui accordèrent, et comme on enlevait les derniers, il donna le signal, et fondit sur les ennemis, dans le temps qu'ils ne s'y attendaient point.

VI. Philippe et Ménégète, maîtres d'exercices, luttaient ensemble dans un lieu destiné à ces sortes d'occupations. Les soldats qui l'environnaient se mirent à crier pour lui demander leur prêt. Philippe n'avait point alors de finances. Il s'avança tout trempé de sueur, et s'étant frotté de poussière, il leur montra un visage riant, et leur dit : « Camarades, c'est pour cela que je m'exerce, afin d'en être plus disposé à battre les Barbares, dont la défaite me mettra en état de récompenser vos services. » En disant cela, il se mit à battre des mains, et courant à travers ses soldats, il alla se précipiter dans le bain. Les Macédoniens se mirent à rire, et le roi demeura si longtemps à se jouer dans l'eau avec Ménégète, et à se faire jeter par lui de l'eau au visage, que les soldats, las de l'attendre, se retirèrent l'un après l'autre. Philippe parlait souvent depuis de cette ruse, quand le vin le mettait en gaîté, et se savait bon gré d'avoir éludé l'importunité des demandes par cet artifice.

VII. Lorsque Philippe était à Chéronée, il fit réflexion que les soldats des Athéniens avaient beaucoup d'ardeur et fort peu d'expérience; au lieu que les troupes macédoniennes étaient endurcies au travail, et exercées de longue main. Il différa le plus qu'il put de combattre, et ce délai ayant amorti le feu des Athéniens, il les vainquit plus facilement.

VIII. Philippe faisait la guerre dans le pays d'Amphisse. Les Athéniens et les Thébains s'étaient emparés de certains passages étroits, et il lui était impossible de faire avancer ses troupes. Pour donner le change aux ennemis, il écrivit à Antipater, en Macédoine, qu'il remettait à un autre temps la guerre d'Amphisse, et qu'il fallait se hâter d'aller en Thrace, parce qu'il avait appris qu'il y avait quelque mouvement. Le courrier traversant ces lieux étroits, fut pris par les généraux Charès et Proxène. Ils ouvrirent la lettre, la lurent, et ayant été trompés, ils abandonnèrent la garde de ces lieux. Philippe les trouvant libres, passa en toute sûreté, vainquit les généraux qui s'étaient avisés de revenir sur leurs pas, et se rendit maître d'Amphisse.

IX. Philippe vint à bout de beaucoup plus de choses par la négociation et par les discours, que par la force des armes. Il s'en savait beaucoup plus de gré, et avec raison ; car les avantages qui dépendaient des combats, il les devait en partie à ses troupes, au lieu qu'il ne partageait avec personne l'honneur de la persuasion.

X. Philippe exerçait ses troupes pour le péril, en les obligeant de marcher l’espace de trois cents stades, armés de toutes pièces, et leur faisait porter tout à la fois le casque, les boucliers, les bottines, les longues lances, les vivres et les ustensiles qui servent chaque jour,

XI. Philippe étant arrivé à Larisse, voulut détruire les maisons des Aleuades. Pour en venir à bout, il feignit d'être malade, dans le dessein de les faire arrêter lorsqu'ils viendraient le voir. Boësque leur découvrit l'embûche, et par ce moyen la ruse n'eut point d'effet.

XII. Philippe, étant allé en Illyrie, demanda à ceux de Sarnous de pouvoir leur parler dans une assemblée publique, Ils lui accordèrent l'entrevue, et s'assemblèrent pour l'entendre. Philippe ordonna à ses soldats de prendre chacun un lien sous l'aisselle. Il étendit la main somme pour haranguer. C'était le signal qu'il avait donné à ses soldats. Dans le moment ils lièrent tous les habitants de Sarnous qui étaient à l'assemblée, au nombre de plus de dix mille, et les menèrent en Macédoine.

XIII. Philippe poursuivi par les Thraces, ordonna à ceux de la queue, dans le moment que la trompette donnerait le signal de la fuite, de tenir ferme et à tous les autres de fuir. De cette manière il trouva moyen d'arrêter les ennemis, en leur opposant de la résistance, et de sauver ses troupes en leur procurant la commodité de gagner pays.

XIV. Les Béotiens gardaient les passages les plus difficiles de leurs frontières, et entre autres la gorge étroite d'une montagne. Philippe ne les y attaqua point, mais il porta le feu dans le plat pays, et ravagea les vil-les. Les Béotiens ne purent souffrir de voir leurs villes si maltraitées, et descendirent de la montagne. C'était ce que Philippe souhaitait, et alors il fit passer son armée par la montagne que les ennemis avaient abandonnée.

XV. Philippe présenta l'escalade aux murs de Méthone, et, fit monter un grand nombre de ses Macédoniens pour prendre la ville. Quand il les vit sur les murs, il fit ôter les échelles, afin que ces gens n'ayant plus d'espérance de descendre, eussent plus d'ardeur à se rendre maîtres des murs et de la place.

XVI. Philippe fit irruption dans le pays d'Argile, couvert de bois et montagneux. Les Barbares s'étaient cachés dans des forêts et des taillis. Philippe lâcha après une grande quantité de chiens de chasse, qui les découvrirent, et la plupart de ces gens furent pris de cette manière.

XVII. Les Athéniens demandaient Amphipolis à Philippe, qui était alors en guerre contre les Illyriens. Il ne rendit pas cette ville aux Athéniens, mais il la laissa libre. Les Athéniens en furent contents. Mais quand Philippe eut dompté les Illyriens, se trouvant alors avec de plus grandes forces, il se rendit maître de nouveau d'Amphipolis, et ne s'embarrassa pas de donner aux Athéniens cette marque de mépris.

XVIII. Philippe assiégeait Phalcidoine, ville de Thessalie. Les habitants livrèrent leur ville, et Philippe y envoya ses troupes soudoyées. Elles donnèrent dans une embuscade qui leur avait été dressée par ceux de la ville qui, montés sur les toits et sur les tours, jetaient de tous côtés et pierres et dards. Philippe voyant cette embuscade, y remédia promptement. Il observa que la partie de la ville qui était derrière, était fort tranquille, parce que tous les habitants s'étaient rendus au lieu de l'embuscade. Il la fit escalader; et quand les Phalcidoniens virent ses soldats sur le mur, ils cessèrent de tirer sur les soudoyés, pour combattre ceux qui s'étaient emparés du mur. Mais avant que l'on en fût venu aux mains les Macédoniens étaient déjà maîtres de la ville.

XIX. Philippe voulant se rendre maître de la Thessalie, ne fit point la guerre ouvertement aux Thessaliens. Mais il profita des divisions qui étaient entre ceux de Péline et de Pharsale, et entre ceux de Phérès et de Larisae, qui se faisaient la guerre, car tout le pays, partagé en factions, prenait parti pour les uns ou pour les autres. Philippe donnait secours à ceux qui lui en demandaient; et lorsqu'il avait vaincu, il ne détruisait point ceux qui avaient eu du désavantage, il ne les désarmait point, il ne rasait point leurs murailles; en un mot, il nourrissait plutôt les divisions qu'il ne les apaisait ; il protégeait les plus faibles, et détruisait les plus puissants; il était aimé des peuples et en favorisait les orateurs. Ce fut par ces artifices, et non par les armes, que Philippe se rendit maître de la Thessalie.

XX. Philippe n'ayant pu venir à bout de prendre Garés, ville très forte, après avoir tenu le siège devant, un assez long espace de temps, prit la résolution de se retirer. Pour le faire sûrement et sauver ses machines, il attendit une nuit fort obscure, et commanda à ceux qui avaient la conduite des machines, de les démonter, mais en faisant le même bruit que l'on fait en les dressant. Ceux de la ville entendant ce bruit, barricadèrent leurs portes en dedans, et préparèrent des machines pour opposer à celles des ennemis. Pendant qu'ils étaient occupés de cette sorte, Philippe disparut la même nuit avec toutes ses machines.

XXI. Philippe assiégeait Byzance, où ceux de la ville avaient à leur secours un grand nombre d'alliés. Pour induire ces alliés à quitter les Byzantins, Philippe fit passer dans la ville des transfuges, qui dirent que Philippe assiégeait leurs villes ; qu'il y avait envoyé d'autres troupes, et qu'il était près de s'en rendre maître. Et pour rendre ces nouvelles encore plus croyables, Philippe faisait publiquement des détachements qu'il envoyait de côté et d'autre, plus pour faire mine d'entreprendre, que pour rien entreprendre en effet. Les alliés entendant et voyant tout cela, quittèrent Byzance, et s'en allèrent chacun en son pays.

XXII. Philippe s'étant rendu maître des pays d'Abdère et des Maronites, s’en retournait avec une flotte assez nombreuse et une armée de terre. Charès était en embuscade avec vingt galères; du côté de Néapolis. Philippe choisit parmi les siennes les quatre meilleures, qu'il remplit des rameurs les plus vigoureux et les plus habiles qu'il eût sur toute sa flotte, et leur ordonna de gagner les devants, et de couler le long de Néapolis, assez près de terre. Comme ils voguaient, Charès crut qu'il lui serait aisé d'enlever ces quatre galères, et se mit à les suivre avec ses vingt. Mais les quatre étaient légères, et remplies d'excellents rameurs ; elles eurent bientôt pris le large ; et pendant que Charès leur donnait la chasse en bon ordre, Philippe lui déroba la connaissance de sa marche, passa sans risque devant Néapolis, et Charès ne put prendre les quatre galères.

CHAPITRE III.

ALEXANDRE.

Alexandre, dans le dessein d'attirer tout le monde à lui, en marquant une bienveillance extraordinaire, avait résolu, au lieu des termes usités d'hommes, de gens, de personnes, de mortels, ou comme la langue grecque s'exprime : Brotoi, Andrès, Photès, Meropès et Anthropoi, d'appeler tous les hommes Alexandres.

II. Alexandre faisant la guerre, ordonna aux généraux de faire raser la barbe aux Macédoniens, afin d'ôter cette prise aux ennemis.

III. Alexandre étant au siège de Tyr, et voulant faire une grande digue pour aller de plain pied aux murs de cette ville, fut le premier à prendre le panier, à. le remplir de terre et le porter. Les Macédoniens voyant leur roi mettre lui-même la main à l'œuvre, quittèrent aussitôt leurs manteaux, et se hâtèrent de hausser le terrain.

IV. Pendant qu'Alexandre était au siège de Tyr, il mena un détachement du côté de l'Arabie. Les Tyriens, animés par son absence, méprisèrent les troupes demeurées au siège, et faisant des sorties, ils remportèrent plusieurs avantages. Parmenion rappela Alexandre, qui revint en diligence. A son retour, voyant les Macédoniens maltraités et en désordre, il les laissa sans secours, et alla droit contre la ville qui se trouvait alors dégarnie d'hommes, et la prit d'assaut. Les Tyriens voyant leur ville prise, se donnèrent aux Macédoniens, et leur livrèrent leurs armes.

V. Sur le point de donner bataille à Darius, Alexandre donna cet ordre aux Macédoniens : «Quand vous serez tout auprès des Perses, mettez-vous à genoux, et foulez la terre avec les mains, et dans le moment que la trompette sonnera la charge, levez-vous et fondez sur les ennemis vigoureusement. » Les Macédoniens le firent, et les Perses les voyant dans cette posture d'adoration, ralentirent leur impétuosité, et leur cœur s'amollit. Darius, à ce même objet, conçut de grandes espérances, et montra un visage gai, comme s'il eût déjà remporté la victoire sans combattre. Mais au son de la trompette, les Macédoniens se levèrent, donnèrent impétueusement sur les Perses, les rompirent et les mirent en fuite.

VI. Dans le dernier combat qu'Alexandre donna à Darius, à Arbelles, un grand détachement des Perses; ayant tourné l'armée des Macédoniens, donna sur leur bagage et le pilla. Parmenion conseillait à Alexandre de porter du secours au bagage : « Non, dit Alexandre, il ne faut point séparer notre phalange, il faut combattre les ennemis de pied ferme. Si nous sommes vaincus nous n'aurons pas besoin de bagage, et si nous devenons les vainqueurs, nous aurons le nôtre et celui des ennemis. »

VII. Quand Alexandre se fut rendu maître de l'Asie, les Macédoniens devinrent insolents et importuns, et voulaient tout emporter de lui par force. Ne pouvant plus les souffrir, il leur ordonna de se mettre à part, et fit ranger les perses d'un autre côté. Voyant ainsi les uns et les autres séparés, il dît: « Macédoniens, choisissez qui vous voudrez d'entre vous pour vous commander, et moi je me mettrai à la tête des Perses. Après cela, si vous remportez la victoire, je ferai tout ce que vous m'ordonnerez. Mais si vous êtes vaincus, vous saurez par expérience que vous ne pouvez rien sans moi, et vous vous tiendrez en repos. » Ce trait de hardiesse étonna les Macédoniens, qui devinrent plus modérés.

VIII. Dans le premier combat qu'Alexandre donna contre les Perses, voyant les Macédoniens lâcher pied, il courut à cheval devant eux, et leur cria : « Encore un effort, Macédoniens, donnons encore une seule fois. » Il fut obéi, les Macédoniens poussèrent vivement, et les Barbares furent mis en fuite. Ce seul mouvement décida pour lors de la victoire.

IX. Alexandre étant dans l'Inde, avait le fleuve Hydaspe à traverser. Porus, roi des Indes, avait son armée rangée en bataille de l'autre côté du fleuve, et rendait le trajet difficile à Alexandre. Car si celui-ci tentait le passage en haut, Porus se trouvait en haut, s'il l'essayait en bas, Porus se trouvait encore en bas. Cela se fit plusieurs fois et plusieurs jours de suite, et les Barbares s'étaient accoutumés à se railler de la timidité de leurs ennemis, en sorte qu'ils ne prenaient d'autre peine que d'imiter leurs mouvements, et du reste se tenaient fort en repos, parce qu'ils s'imaginaient qu'après avoir inutilement et tant de fois essayé dépasser, ils n'auraient plus la hardiesse de l'entreprendre. Mais enfin Alexandre courant avec rapidité vers le bord du fleuve, monta sur ce qu'il put rassembler de bateaux, de radeaux, et d'outres de cuir remplis de foin, et passa le fleuve maigre les Indiens, qu'il trompa heureusement pour lui, par cette résolution à laquelle ils ne s'attendaient pas.

X. Quand Alexandre faisait la conquête des Indes, ses soldats chargés des dépouilles de la Perse, dont ils avaient tiré des richesses infinies, qu'ils faisaient traîner sur des chariots, n'estimaient pas qu'il fût nécessaire de combattre les Indiens, puisqu'ils étaient maîtres d'un butin si précieux Alexandre fit mettre le feu aux chariots de la couronne, et ensuite à tous les autres. Par ce moyen les Macédoniens rendus plus légers, et se voyant dans la nécessité d'acquérir de nouvelles richesses, se trouvèrent plus disposés à continuer de faire la guerre avec ardeur.

XI. Alexandre, informé que les Thraces avaient dessein de lâcher contre les Macédoniens un grand nombre de chariots, donna ordre à ses troupes de les éviter le plus que l'on pourrait; mais si l'on s'en trouvait surpris quelque part, de se jeter à terre, et se couvrir du bouclier, afin que les chariots passassent par dessus, sans blesser le soldat. L'exécution de cet ordre rendit inutile, dans l'expérience, le grand préparatif des Thraces.

XII. Alexandre, dans le dessein de s'emparer de Thèbes, cacha une partie de ses troupes, et en donna la conduite à Antipater. Avec ce qui lui en restait, il alla attaquer à découvert les lieux les plus forts du pays, et les Thébains lui résistèrent avec assez de courage. Pendant qu'il en était aux mains, Antipater se levant de-Tëmbus7cade avec ses troupes, et ayant fait un grand circuit, attaqua Thèbes par les endroits les plus faibles et les moins gardés, et se rendit maître de la ville. Aussitôt qu'il fut dedans, il éleva le signal. A cette vue Alexandre s'écria : « Thèbes est à nous. » Les Thébains qui se battaient courageusement, s'étant tournés, virent que leur ville était prise. Il ne leur resta plus d'autre parti à choisir, que celui de la fuite.

XIII. Afin d'empêcher que les soldats ne prissent la fuite, Alexandre ne leur fit donner que des demi-cuirasses, qui leur mettaient la poitrine à couvert, et leur laissaient le dos désarmé. Par ce moyen ils avaient de quoi résister en face aux ennemis, en demeurant fermes ; et s'ils tournaient le dos, ils n'avaient rien qui pût les garantir. Il arriva de là que personne ne prit la fuite, et que tous demeurant à leur poste, remportèrent la victoire.

XIV. Quand Alexandre avait appris des devins que l'inspection des victimes promettait un bonheur certain, il faisait porter ces victimes partout le camp, pour les montrer aux soldats, afin que le témoignage de leurs yeux se joignît à ce qu'ils avaient déjà entendu, et qu'ils se sentissent animés de confiance dans les dangers qui se présentaient.

XV. Alexandre ayant passé en Asie, ordonna à ses troupes, qu'en faisant le dégât, elles épargnassent les terres de Memnon, général des Perses. Il vint à bout, par ce moyen, de le rendre suspect.

XVI. Comme Alexandre traversait le Granique, il avait en face les Perses postés en des lieux avantageux. Menant ses troupes à travers le fleuve, il les arrangea de telle sorte qu'il trouva moyen de déborder les ennemis, et poussant contre eux sa phalange, il les mit en fuite.

XVII. Alexandre campé à Arbelles, fut averti que Darius avait fait semer des chausse-trapes entre les deux camps. Alexandre s'était mis à la tête de l'aile droite. Il commanda qu'elle marchât à droite après lui. Par ce moyen il évita les chausse-trapes qu'il avait en face. Darius, de son côté, marchant à gauche, sépara sa cavalerie, et Alexandre donna dans cette ouverture. A la gauche Parménion eut soin pareillement d'éviter les chausse-trapes ; et l'un et l'autre, c'est-à-dire, Alexandre et lui, contraignirent les ennemis à prendre la fuite.

XVIII. Alexandre ayant passé le Tigre, et voyant que les Perses mettaient le feu partout dans leur propre pays, envoya des troupes leur donner la chasse, afin de les sauver malgré eux, et que le pays ne fût point endommagé.

XIX. Alexandre étant en Hyrcanie, fut informé que les Macédoniens et les Grecs parlaient mal de lui. Là dessus ayant assemblé ses amis, il leur dit qu'il avait dessein d'écrire en Macédoine, pour y faire savoir qu'il serait de retour en trois ans. Il invita ses amis à écrire aussi chez eux. Tous écrivirent. Les courriers, après trois postes, furent rappelés par Alexandre, qui ouvrit tous les paquets, et apprit par là ce que chacun pensait de lui.

XX. Alexandre avait assiégé dans l'Inde un lieu très fort. La peur contraignit les Indiens à parlementer, et Alexandre leur donna sûreté pour s'en aller avec leurs armes. Ils allèrent de là sur une autre hauteur, s'y postèrent, et y mirent des gardes. Alexandre alla les investir avec son armée. Les Indiens crièrent à l'injustice et lui opposèrent la parole qu'il leur avait donnée. Alexandre répondit : « Il est vrai que je vous ai donné sûreté pour vous retirer d'où vous étiez : mais je n’avais pas promis de cesser de vous poursuivre.

XXI. Alexandre, informé que Pittacus, neveu de Porus, était en embuscade dans un chemin, le long d'une vallée assez longue, mais qui n'avait que quatre stades de largeur, et une issue fort étroite, après avoir bien observé la nature du lieu, fit deux phalanges de sa cavalerie, commanda de faire route à gauche, et que chacun suivît son chef en cet ordre, jusqu'à ce qu'on eût les ennemis à droite; et alors que la demi-phalange de la droite fît route à droite, et le reste toujours à gauche, jusqu'à ce qu'il se trouvât de front avec la queue de la demi-phalange qui aurait marché à droite. Ayant donné ces ordres, il fit avancer sa double phalange en équerre ; et quand ceux de la gauche virent les derniers rangs de ceux de la droite, ils s'avancèrent contre les ennemis, en poussant des cris de guerre, et ceux de l'aile droite tournant à gauche, fondirent pareillement sur les Indiens. Ceux-ci craignant d'être enfermés, se hâtèrent de gagner l'issue étroite; et dans ce tumulte les uns furent défaits par les Macédoniens ; les autres, et en plus grand nombre, se foulèrent aux pieds les uns les autres, et se détruisirent eux-mêmes,

XXII. Dans la bataille qu'Alexandre donna à Partis, il plaça une partie de la cavalerie à la tête de l'aile droite, et le reste en ligne courbe, mit à l'aile gauche la phalange avec les éléphants, en donnant encore à cette aile la forme de ligne courbe. Porus opposa de son côté un grand nombre d'éléphants, se plaça à la gauche sur le sien, suivi sur la même ligne jusqu'à l'aile droite de ses autres éléphants, posés en distance de cinquante pieds seulement les uns; des autres, et les intervalles étaient garnis d'infanterie ; de manière que le tout ressemblait à un grand mur, dont les éléphants représentaient les tours,: et l'infanterie faisait, la courtine. Alexandre ayant donné ordre à son infanterie de pousser contre les ennemis, s'avança vivement à droite avec la cavalerie, dans le dessein de déborder, les Indiens. Porus prit garde à ce mouvement, et donna des ordres pareils. Mais la lenteur des éléphants fut cause qu'il se fit quantité d'ouvertures dans les rangs, par où les Macédoniens firent irruption. Porus fut obligé de se retourner pour leur faire face. Dans ce moment Alexandre, avec sa cavalerie, ayant gagné le derrière des Indiens, les attaqua en queue, leur donna la chasse, et remporta une victoire complète.

XXIII. Les Thessaliens étaient postés sur les hauteurs de Tempé, pour s'opposer au passage d'Alexandre. Il fit creuser les rochers d'Ossa, posés presqu'à pied droit ; et ayant fait faire des pas en forme de marches, il s'en servit pour monter jusque sur le sommet, et se rendit maître de la Thessalie, pendant que les Thessaliens étaient encore à garder les passages de Tempe. Ceux qui passent en ce lieu peuvent encore, y voir les vestiges de ce travail, que l'on appelle l'Échelle d'Alexandre.

XXIV. Le trône d'Alexandre n'avait rien que de modeste et de populaire, tant qu'il fut parmi les Macédoniens et les Grecs : mais quand il se vit parmi les Barbares, il porta la magnificence à l'excès, pour leur imprimer de la terreur par un appareil éclatant. Lors donc qu'il rendait justice, et donnait audience en public dans la Bactriane, l'Hyrcanie, et l'Inde, voici comme était disposée sa tente. Son étendue était d'une grandeur à contenir cent lits. Elle était soutenue de cinquante colonnes d'or, et ombragée de dais, où brillaient l'or et les ornements les plus précieux. Au dedans de la tente, tout autour, il y avait premièrement cinquante Perses vêtus d'habits de couleur de pourpre et orangé ; ensuite autant d'archers, les uns vêtus d'habits, couleur de feu, les autres, d'étoffe bleue, les autres, de jaune. Au devant étaient cinquante Macédoniens, de la plus grande taille, qui portaient des boucliers d'argent. Vers le milieu de la tente était le trône, tout d'or, sur lequel Alexandre prononçait ses oracles ; et lorsqu'il donnait audience, ses gardes faisaient Un grand cercle autour de lui. Au dehors de la tente étaient postés les éléphants avec mille Macédoniens vêtus à la mode de leur pays. Après ceux-là étaient cinq cents Susiens vêtus de pourpre ; et tout. cela était terminé d'un grand cercle composé de dix mille Perses des plus beaux et des plus grands qu'on avait pu trouver, tous ajustés à la manière de .leur pays, et armés de cimeterres. Tel était l'appareil du trône d'Alexandre parmi les Barbares.

XXV. Alexandre faisant route par un pays aride, souffrait beaucoup de la soif, et son armée n'en souffrait pas moins que lui. Ceux qu'il avait envoyés à la découverte, trouvèrent un peu d'eau dans le creux d'un rocher, et lui en apportèrent dans un casque. Alexandre la fit voir à ses troupes, pour les animer à supporter patiemment la soif, dont le remède était proche ; et au lieu de boire, pour étancher la sienne, il répandit cette eau à terre en présence de tout le monde. Les Macédoniens, à la vue de cette admirable modération de leur roi, firent de grandes acclamations; et méprisant alors la soif, lui dirent qu'il pouvait les conduire où bon lui semblerait, et qu'ils le suivraient partout avec persévérance.

XXVI. Alexandre se hâtait d'aller contre Darius vers les bords du Tigre. Une terreur panique se répandit tout d'un coup dans son armée, à commencer depuis l'arrière-garde jusqu'aux premiers rangs. Alexandre ordonna aux trompettes de donner un signal d'assurance, et aux premiers rangs de son infanterie, de poser les armes à terre à leurs pieds, et de dire à ceux qui étaient derrière eux d'en faire autant. Tous, de suite, firent la même chose, et cela servit à découvrir l'origine du faux bruit. La vaine terreur fut dissipée ; les soldats reprirent leurs armes, et continuèrent leur marche.

XXVII. Quand Alexandre eut vaincu Darius dans la plaine d'Arbelles, Phrasaorte, proche parent de Darius, à la tête d'un corps considérable de Perses, gardait le pas de Suses, appelé les portes de Suses. Ce sont des montagnes escarpées, dont les entrées sont fort étroites. Les Barbares, postés avantageusement dans ces lieux, repoussaient les Macédoniens en les accablant de pierres à coups de frondes, et les perçant de traits. Alexandre fut contraint de faire reculer ses troupes ; et ayant pris du terrain à trente stades de là, il les mit à couvert derrière de bons retranchements. Un oracle d'Apollon lui avait promis qu'un étranger, nommé Lycus, serait son conducteur dans l'expédition contre les Perses. Un bouvier, vêtu de peaux, se présenta devant Alexandre, et lui dit qu'il était Lycien. Il ajouta que dans cette enceinte de montagnes il y avait une route couverte par l'épaisseur des bois, et qu'il était le seul qui en eût connaissance, pour l'avoir fréquentée en menant ses bœufs à la pâture. Alexandre se rappelant l'oracle d'Apollon, ajouta foi au bouvier. Il commanda à la plus grande partie de son armée de demeurer dans le camp, et d'y allumer beaucoup de feux, pour amuser les Perses par cet objet. Mais en secret il laissa ordre à Philotas et Ephestion, quand ils verraient les Macédoniens sur les hauteurs, de donner par en bas sur les ennemis. Pour lui, prenant ses gardes, avec une phalange de soldats bien armés de toutes pièces, et tout ce qu'il avait d'archers Scythes, il s'avança quatre-vingts stades dans le petit sentier ; et s'étant mis à couvert dans l'épaisseur de la forêt, pour y prendre haleine, enfin à minuit, il tourna les ennemis, et les surprit comme ils dormaient encore. A la pointe du jour les trompettes sonnèrent la charge de dessus les montagnes. Alors Ephestion et Philotas, sortant des retranchements avec les Macédoniens, attaquèrent les Perses, qui se trouvèrent ainsi environnés d'ennemis d'en haut et d'en bas, et furent, les uns tués, les autres précipités, et les autres faits prisonniers.

XXVIII. Pendant les chaleurs de l'été, Alexandre faisait marcher son armée le long d'une rivière, en présence des ennemis. Il voyait que les soldats altérés, regardaient l'eau avec avidité; mais il craignit que s'ils s'arrêtaient à boire, ils ne se missent en désordre, et retardassent sa marche. Il ordonna au héraut de dire: « Retirons-nous du fleuve ; l'eau en est vénéneuse. » L'armée se hâta de s'éloigner de ces bords dangereux. Quand Alexandre eut fait sa marche, il campa; et lui, aussi bien que ses généraux, buvaient publiquement de cette eau. Les soldats n'eurent pas de peine à deviner pour quelle raison ils avaient été trompés. Ils tournèrent la chose en raillerie, et se désaltérèrent sans crainte avec les eaux de ce fleuve;

XXIX. Alexandre voulait pénétrer dans la Sogdiane. Tout le pays est rude et inaccessible, et traversé d'un rocher sur lequel il n'y avait que les oiseaux qui pussent monter ; et tout autour il y avait des bois si épais, que le peu de sentiers que l'on y trouvait, en étaient rendus tout à fait impraticables. Ariomazès s'était saisi de la roche, et la gardait avec un nombre de Sogdiens bien armés. Il ne manquait là ni d'eau ni de vivres, dont il avait fait un grand amas; Alexandre étant monté à cheval pour observer la nature des lieux, fit le tour de la roche ; et après avoir tout remarqué, choisit trois cents jeunes hommes exercés à grimper sur les lieux les plus escarpés et leur commanda de monter sans armes par derrière la roche à couvert des bois et des halliers, de se traîner comme ils pourraient, et de se guinder les uns les autres avec des cordes ; et quand ils seraient arrivés au sommet, de défaire leurs ceintures blanches, les attacher au bout de longues perches, de les élever par dessus la cime des arbres et leur donner du mouvement, afin de les faire voir, tant aux Barbares qui étaient en haut, qu'aux Macédoniens qui étaient en bas. Les jeunes gens grimpèrent sur la roche avec beaucoup de peine, et au moment que le soleil se levait, ils mirent en mouvement leurs ceintures blanches. Les Macédoniens à cette vue, jetèrent de grands cris. Ariomazès, frappé d'étonnement, s'imagina que toute l'armée était montée et qu'il allait être pris. Admirant la force plus qu'humaine et la fortune d'Alexandre, il se rendit à lui, et lui livra la roche.

XXX. Alexandre ayant rencontré dans le Cathai, qui est une partie des Indes, des gens qui s'étaient défendus en désespérés, fit passer au fil de l'épée jusqu'aux enfants, et renversa de fond en comble leur ville appelée Sangala. A cette occasion le bruit se répandit parmi les Indiens, qu'Alexandre faisait la guerre d'une manière barbare et cruelle. Gomme cette mauvaise réputation était contre ses intérêts, il prit à tâche de la détruire par des faits opposés. Il se rendit maître d'une autre ville de l'Inde par composition, et en ayant pris des otages il se présenta devant une troisième ville grande et peuplée, et mit à la tête de sa phalange les otages de la seconde; vieillards, femmes et enfants. Les as sièges reconnaissant leurs voisins, et apprenant d'eux les bons traitements et la douceur d'Alexandre, lui ouvrirent leurs portes, et le reçurent en postures de suppliants. Aussitôt la nouvelle s'en répandit de toutes parts et les Indiens se sentirent portés par ce moyen à se soumettre volontairement:

XXXI. Alexandre trouva que le pays des Cosséens était rude et plein de montagnes hautes et de difficile accès, et gardées par de bonnes troupes. Il ne voyait point d'apparence de pouvoir s'en rendre maître. Sur ces entrefaites on lui vint dire qu'Ephestion était mort à Babylone. Il ordonna un deuil général, et se hâta d'aller rendre les devoirs de la sépulture à Ephestion. Les Cosséens avertis par leurs gardes avancées qu'Alexandre se retirait, commencèrent aussi à déloger. Alexandre envoya la nuit sa cavalerie se saisir de l'entrée des montagnes, que les ennemis avaient laissée sans gardés, et s'étant détourné de la route de Babylone il vint joindre sa cavalerie ; et paraissant tout d'un coup à sa tête, il se rendit maître du pays des Cosséens. On dit que cet avantage servit à le consoler de la perte d'Ephestion.

XXXII. Alexandre étant dans le palais des rois de Perse y fut servi suivant ce qui était réglé pour le dîner et le souper du roi. Le tout était gravé sur une colonne de cuivre; là même où se lisaient les autres lois de Cyrus. En voici le contenu :
De fine fleur de farine de froment, quatre cents artabes. L'artabe des Mèdes est le médimne ou boisseau attique.
De la seconde farine, après la fine fleuri trois cents artabes;
Et autant de la troisième farine.
En tout, pour le souper mille artabes de farine de froment.
De fine fleur de farine d'orge, deux cents artabes.
Delà seconde farine, quatre cents artabes.
Et autant de la troisième.
En tout mille artabes de farine d'orge.
De gruau, deux cents artabes;
De coulis de fariné, dix artabes.
De cresson haché et criblé.
De tisane, dix artabes.
De sénevé, le tiers d'une artabe.
Quatre cents moutons.
Cent bœufs; Trente chevaux.
Quatre cents oies grasses.
Trois cents tourterelles.
Six cents petits oiseaux de toutes espèces;
Cent jeunes albrans.
Trois cents agneaux.
Trente chèvres.
Du lait doux du jour, dix mâris. Le mâris fait dix mesures attiques, appelées cherès, ou gobelets;
Du petit lait adouci, dix mâris.
D'ail, le poids d'un talent.
D'oignons âcres ; le poids d'un demi talent.
De mercuriale, une artabe.
De suc de silphium, deux mines.
De cumin, une artabe.
De silphium, le poids d'un talent.
De moût sucré de pommes adouci, le quart d'une artabe.
De cire de cumin, le quart d'une artabe.
De staphis, le poids de trois talents.
De fleurs de carthame, le poids de trois mines.
De graine de nielle, le tiers d'une artabe.
De graine d'arum, ou pied de veau, deux capetis, ou chôenix.
De sésame, dix artabes.
De raisiné doux, cinq mâris.
De raves confites et de radix; accommodés au sel, cinq mâris.
De câpes confites au sel, dont on fait des farces de haut goût, appelées abyrtaques, cinq mâris.
De sel, dix artabes.
De cumin d'Éthiopie, six capétis. Le capétis est le choenix attique,
D'anis sec, le poids de trente mines,
De graine d'ache, quatre capétis.
D'huile de sésame, dix mâris.
D'huile tirée du lait, cinq mâris.
D'huile de erminthe; cinq mâris.
D'huile d'acanthe, autant.
D'huile d'amandes douces, trois mâris.
D'amandes douces sèches, trois artabes.
Cinq cents mâris de vin.
Quand le roi se trouve en Babylone ou à Suses, la moitié du vin qui se boit est tirée du palmier, et l'autre moitié de la vigne.
De gros bois, deux cents charretées.
Et de menu, cent.
De miel ferme, cent masses carrées, chacune du poids de dix mines.
Quand le roi est dans la Médie, voici ce que l'on donne:
Trois artabes de graine de carthame.
Safran, le poids de deux mines.
Tout cela pour le souper et le dîner.
Outre cela il est consommé de fine fleur de farine de froment, cinq cents artabes.
De fine fleur de farine d'orge, mille artabes.
Et autant de la seconde farine.
Et cinq cents artabes de la plus grosse farine de froment.
Cinq cents maris de gruau.
Pour les bêtes de charge et chevaux de maîtres, vingt mille mesures d'orge.
Dix mille chariots chargés de paille, et cinq mille de foin.
D'huile de sésame, deux cents maris.
De vinaigre, cent mâris.
De cresson haché menu, trente artabes.
Voilà tout ce qu'on donne aux troupes ; et c'est la dépense que fait le roi chaque jour, soit pour sa bouche, à son dîner et à son souper, soit pour ce qu'il fait distribuer aux autres.
Les Macédoniens, à la lecture de ce grand et splendide appareil de table, admiraient la félicité des rois de Perse ; mais Alexandre s'en moqua comme d'une occupation pénible et fâcheuse, et commanda qu'on ôtât la colonne où ces choses étaient écrites. Il dit à ce sujet à ses amis : « Il ne convient pas que les rois apprennent à vivre ainsi dans la mollesse, et souper si délicieusement. Il faut de nécessité que les plaisirs affaiblissent le courage. Aussi savez-vous par expérience que ceux qui faisaient de tels soupers, ont été facilement vaincus dans les combats, »

CHAPITRE IV.

ANTIPATER.

Antipater, faisant la guerre dans le pays des Tétrachorites, commanda qu'on mît le feu au fourrage des chevaux qui se trouvait ramassé autour de sa tente. Aussitôt que le feu eut été allumé, les trompettes donnèrent le signal, et les Macédoniens se rendirent autour de la tente royale, le dard haut. Les Tétrachorites voyant ce mouvement, prirent l'épouvante, et abandonnèrent le lieu, dont Antipater se rendit ainsi maître sans combat.

II. Antipater voulait passer le fleuve Sperquie, et en était empêché par la cavalerie des Thessaliens. Il ramena ses troupes dans le camp qu'il venait de quitter : mais il ordonna aux Macédoniens de demeurer sous les armes, et de ne point délier le bagage. La cavalerie thessalienne, de son côté, se retira dans Lamis, et chacun s'en alla souper chez soi. Antipater les ayant ainsi trompés, passa le fleuve avec ses troupes, avant que les Thessaliens fussent en état de s'y opposer de nouveau, et attaquant à l'improviste Lamis, s'en rendit le maître.

III. Antipater se trouvant en Thessalie, voulut faire accroire aux ennemis qu'il avait une cavalerie fort nombreuse. Il rassembla un grand nombre d'ânes et de mulets, les arrangea en escadrons, fit monter dessus des gens armés en cavaliers, et à la tête de chaque escadron, il ordonna que le premier rang fût de véritables chevaux. Les ennemis voyant ces premiers rangs, se persuadèrent que tout le reste était de même, prirent l'épouvante, et se mirent en fuite. Agésilas s'est servi d'une ruse pareille en Macédoine contre Erope ; et Eumène l'a mise en pratique en Asie contre Antigone.

CHAPITRE V.

PARMÉNION.

Après la bataille d'Issus, Parménion fut renvoyé à Damas par Alexandre, pour en faire amener le bagage des Perses. Il fut obligé d'en venir aux mains avec les goujats; ce qui fit peur aux Barbares, et les obligea à prendre la fuite. C'était eux qui faisaient le transport, et Parménion vit bien que leur retraite le rendrait impossible. Pour sauver tant de richesses, il envoya trois escadrons de cavalerie après les Barbares, avec ordre de leur dire, qu'on ferait mourir quiconque refuserait de mettre la main à la conduite de ses propres bêtes de charge. Cette publication les intimida tous; ils revinrent prendre leurs bêtes de charge, et firent le transport ordonné.

CHAPITRE VI.

ANTIGONE.

Antigone se rendit maître de Corinthe par cette ruse. Alexandre, au pouvoir de qui était la citadelle de Corinthe, mourut et laissa veuve sa femme Nicée assez avancée en âge. Antigone la demanda en mariage pour son fils Démétrius. Nicée accepta avec joie pour époux un jeune roi. On fit un sacrifice magnifique ; on indiqua une assemblée générale des Grecs. Amebée devait y jouer de la lyre; chacun s'empressait pourvoir le spectacle; et les gardes conduisaient en cérémonie Nicée, portée sur un brancard royal. Elle faisait voir dans ses manières mêlées de mollesse et de hauteur les dispositions de son âme. Mais comme elle entrait au théâtre, Antigone laissant là le joueur de lyre et la noce, surprit la citadelle que les gardes avaient abandonnée pour courir au spectacle. Il n'y trouva aucune résistance, et s'en empara aussi bien que tout le reste de Corinthe, par le moyen de ce faux mariage.

II. Lorsque Antigone recevait des ambassadeurs, il avait soin de marquer sur ses mémoires quels étaient les ambassadeurs qu'on lui avait envoyés, quels étaient leurs compagnons, et quelles affaires on avait traitées. Dans les négociations il savait rappeler tout cela exactement, et spécifiait chaque chose dans un grand détail, en sorte que les ambassadeurs étaient surpris de lui trouver une mémoire si vaste et si présente.

III. Antigone assiégeant Mégare, fit avancer des éléphants. Les Mégariens prirent des pourceaux, et les ayant frottés de poix liquide, y mirent le feu, et les poussèrent hors de la ville. Les pourceaux, dévorés des flammes, et grognant d'une manière épouvantable, allèrent donner au milieu des éléphants, qui, entrant en fureur, se mirent à fuir de côté et d'autre. A cette occasion Antigone ordonna aux Indiens de nourrir désormais des pourceaux avec les éléphants, pour, éviter que la vue et les cris des pourceaux; ne produisissent une autre fois le même désordre.

IV. Antipater était sur le point d'être lapidé par les Macédoniens. Voici comme Antigone le sauva. L’armée était séparée en deux par un fleuve rapide sur lequel il y avait un pont. Antigone avait ses tentes d'un côté, et de l'autre était Antipater, avec le reste de l'armée et quelques cavaliers dont il était sûr. La partie de l'armée qu'il commandait, lui demandait sa solde avec de grands cris, et menaçait de l'accabler de pierres s'il ne la payait à l'instant. Antipater était sans finances, et dans l'impossibilité de satisfaire les mutins. Antigone lui manda : « J'aurai soin de te faire évader. » Il part aussitôt, couvert de toutes ses armes, court au pont, le traverse, et s'insinuant dans le milieu des phalanges, il s'approchait des uns et des autres comme s'il eût eu dessein de haranguer. Les Macédoniens s'ouvrirent volontiers pour faire place à l'un de leurs chefs de la plus grande distinction, et tous le suivirent, pour entendre ce qu'il avait à dire. Quand Antigone se vit entouré de la multitude, il fit un long discours pour excuser Antipater ; il promit, il consola, il tâcha de concilier les esprits. Pendant qu'il amusait les auditeurs par un discours qui ne finissait point, Antipater, suivi des cavaliers qui lui étaient fidèles, fila par le pont, et évita de cette sorte d'être lapidé par ses soldats.

V. Antigone, le premier (de ce nom), quand il se voyait à la tête d’une armée plus forte, que celle des ennemis, faisait, la guerre plus mollement et avec une espèce de négligence ; mais, quand il se trouvait le plus faible, il affrontait les dangers avec un courage intrépide, persuadé qu'il est plus avantageux de mourir généreusement, que d'être redevable de la conservation de sa vie à une lâche timidité.

VI. Ce même Antigone avait ses quartiers d'hiver en Cappadoce. Trois mille piétons Macédoniens, armés de toutes pièces, désertaient, et s'étant saisis de quelques hauteurs très fortes, ravagèrent la Lycaonie et la Phrygie. Antigone estima qu'il y aurait de la cruauté à mettre à mort tant de gens ; mais il appréhendait aussi qu'ils ne se joignissent aux ennemis commandés par Alcétas. Il leur détacha Léonidas, l'un de ses capitaines, avec ordre de feindre qu'il avait déserté comme eux. Ces gens le reçurent avec joie, et le firent leur général. Léonidas commença par leur persuader de ne se joindre à personne ; et ce fut déjà un grand service rendu au roi. Ensuite il les amena dans une plaine favorable aux opérations de la cavalerie, d'autant qu'ils étaient à pied. Antigone fondit sur eux avec sa cavalerie ; et prit Holeias et deux autres chefs de leur révolte. Ceux-ci demandèrent la vie avec de grandes instances, et Antigone promit de les laisser aller, s'ils voulaient s'en retourner paisiblement en Macédoine. Ils le promirent avec serment, et partirent sous la conduite de Léonidas, qui les escorta jusqu'en leur pays.

VII. Antigone essayait de couper les vivres à trois généraux macédoniens de grande réputation, Attale, Al-cétas et Docime, qui s'étaient campés dans un vallon de Pisidie. Le cri et le frémissement des éléphants leur fit connaître qu'Antigone approchait : car il n'y avait que lui qui en eût. Aussitôt Alcétas prenant les porteurs d'écus, se pressa de se rendre maître d'une route scabreuse et difficile qui traversait les montagnes. Antigone ne jugea pas à propos de pousser Alcétas; mais faisant marcher ses troupes de biais, il les mena par les côtés des montagnes, et se hâta de se présenter devant le camp des ennemis. Il les surprit, les uns qui s'armaient, les autres désarmés, tout le monde en désordre. Il ne tua personne, promit la vie à tous, et vainquit sans avoir combattu.

VIII. Antigone avait une flotte de cent trente vaisseaux, commandée par Nicanor, et elle se battit sur l'Hellespont contre celle de Polysperchon, commandée par Clitus. Le peu d'expérience des pilotes et des troupes de Nicanor, et la violence des flots, lui firent perdre soixante-dix navires, et les ennemis remportèrent une éclatante victoire. Antigone se trouva le soir sur le lieu, et ne fut point étonné de cette défaite. Il ordonna que la même nuit ceux qui étaient sur les, soixante vaisseaux de reste, se tinssent prêts à combattre de nouveau. Il choisit les plus vigoureux de ses gardes, et les ayant fait monter sur des esquifs, il leur commanda de, menacer de la mort tous ceux qui n'iraient pas au combat. On n'était, pas loin de Byzance, ville qui était dans ses intérêts. Il en fit venir à la hâte des vaisseaux de charge, et les ayant remplis de porteurs déçus, d'infanterie légère, et de mille archers, il leur donna ordre de tirer, tant, de ces vaisseaux, que du rivage, des dards et des, flèches contre, les, navires ennemis qui paraîtraient. Tout cela fut prêt dans une nuit, Au point du jour tous ces gens commencèrent à tirer de, dessus les côtes et de ces vaisseaux leurs flèches et leurs dards; une partie des ennemis dormait encore; les autres ne faisaient que de s'éveiller ; tous se trouvaient percés de coups, sans avoir le temps de se mettre à couvert. Les uns amenaient les amarres, les autres retiraient, au dedans, les pontons, d'autres levaient les ancres; on n'entendait que cris et que tumulte. Antigone fit donner le signal aux soixante navires, qui s'avancèrent avec courage et impétuosité. De cette sorte, tant par le secours de ceux qui tiraient de dessus la côte, que par l'irruption que firent les soixante vaisseaux:, ceux qui avaient été vaincus remportèrent enfin la victoire.

IX. Antigone, après, cette victoire i navale remportée sur l'Hellespont, fit avancer sa flotte du côté de la Phénicie. Il ordonna aux matelots de prendre des couronnes, d’orner, les poupes de leurs vaisseaux des dépouilles des ennemis et des banderoles des galères vaincues; et aux pilotes de mouiller à toutes les rades et à toutes les villes maritimes, qui se trouveraient sur leur route, afin que le bruit de cette victoire se répandît dans toute l'Asie. Il y avait des navires de Phénicie, qui avaient abordé au port de Rose en Cilicie. Ils étaient chargés d'argent qu'on portait à Eu mène, et Sosigène, qui en avait la conduite, s'amusait à Orthiomague à considérer, le mouvement de la mer. Ceux qui étaient sur les vaisseaux phéniciens voyant la flotte, victorieuse si magnifiquement ornée, enlevèrent l'argent d'Eumène, et, s'enfuirent sur, les galères d'Antigone, qui partirent aussitôt avec ces richesses, et ce renfort d'alliés, pendant que Sosigène satisfaisait sa curiosité à regarder la mer agitée.

X. Antigone et Eumène se donnèrent bataille : la victoire ne se déclara point. Eumène envoya un héraut demander la permission d'enlever ses morts. Antigone voulant lui cacher le nombre des siens, qui était plus grand que celui des soldats d'Eumène, amusa le, héraut jusqu'à ce qu’on; eût brûlé les morts d'Antigone. Aussitôt que cela fut fait, il renvoya le héraut avec la permission qu'Eumène avait fait demander.

XI. Antigone avait pris ses quartiers aux environs de Gadamartes en Médie. Eumène l'avait prévenu, s'était saisi du chemin jusqu'à mille stades, et avait tout garni de ses troupes. Le chemin était bordé de montagnes, et la plaine qui s'étendait au devant était unie, sans eau, sans aucune habitation, sans herbes, sans aucune plante, sans arbres, pleine de bitume et de mares salées, en sorte que ni hommes ni bêtes n'y pouvaient passer. Cependant Antigone, pour éviter le chemin si bien gardé par les ennemis, résolut de traverser cette triste plaine. Il ordonna de coudre dix mille outres, et de les remplir d'eau, de cuire des vivres pour dix jours, et de porter de l'orge et du fourrage pour les chevaux. Tout fut préparé, et il se mit en marche avec son armée par le mi-lieu de la plaine. Il avait eu la précaution de défendre d'allumer du feu la nuit, pour dérober la connaissance de sa marche aux ennemis qui étaient en garde au pied des montagnes. Effectivement ils auraient ignoré son passage, si les ordres d'Antigone eussent été fidèlement exécutés. Mais un petit nombre de ses soldats ne pouvant supporter la gelée qu'il fit une nuit, allumèrent du feu. Les ennemis virent la flamme, et devinèrent ce que c'était. Ils donnèrent sur la queue des troupes d'Antigone qui était déjà hors de la plaine, et tuèrent quelques traîneurs. Mais il ne tint pas à Antigone que tous ne s'échappassent en sûreté ; ce qu'il avait ordonné fut salutaire à ceux qui furent exacts à lui obéir.

XII. Antigone, campé devant Eumène, sur le penchant d'une colline, s'aperçut que les troupes de l'ennemi postées dans la plaine, n'étaient ni fermes, ni bien retranchées. Il détacha contre les gardes de la queue quelques escadrons de cavalerie, qui enlevèrent une partie du bagage d'Eumène.

XIII. Antigone en vint aux mains avec Eumène, auprès de Gabienne. La bataille se donna dans un lieu sablonneux, où la terre était sèche et légère. Au mouvement des deux armées, il s'éleva de toutes parts des nuages de poussière qui offusquaient la vue des amis et des ennemis. Comme on en était aux prises, Antigone comprit que les soldats d'Eumène avaient abandonné leur bagage, où étaient leurs femmes, leurs enfants, leurs maîtresses, leurs esclaves, leur or et leur argent, et tout ce qu'ils avaient gagné aux guerres d'Alexandre. Il ordonna à des troupes d'élite d'aller attaquer ce bagage et de le détourner dans son camp ; ce qu'il leur fut facile d'exécuter, pendant que l'ennemi était occupé au combat et aveuglé par la poussière. La bataille se termina. Antigone y perdit cinq mille hommes, et Eumène n'y en perdit que trois cents. Les Euméniens se retiraient tout fiers de leur victoire. Mais quand ils virent leur bagage perdu, avec tout ce qu'ils avaient de plus cher au monde, les vainqueurs tombèrent dans le découragement et la tristesse. La plupart, excités par la tendresse qu'ils avaient pour les objets de leur amour, envoyèrent des ambassadeurs vers Antigone, pour le supplier d'accepter leur réunion. Antigone, maître de tout ce que les Euméniens regrettaient si douloureusement, fit publier qu'il rendrait gratuitement tout. Cette publication fit changer de parti, non seulement les Macédoniens, mais encore dix mille Perses commandés par Peuceste, quand il vit que les Macédoniens s'engageaient avec Antigone; Enfin il se fit un si grand changement de sentiments et de fortune, que le corps même de ceux qui portaient des boucliers d'argent se saisit d'Eumène, et le livra lié à Antigone ; et Antigone fut proclamé roi d'Asie.

XIV. Antigone, informé que Pithon, satrape de Médie, levait des troupes étrangères et faisait amas d'argent, dans le dessein de se révolter, fit semblant de ne point ajouter foi à ce qu'on lui en disait. « Je ne saurais me persuader, disait-il, que Pithon en use de la sorte, lui à qui j'avais dessein d'envoyer dans son gouvernement un renfort de cinq mille Macédoniens armés de toutes pièces, de Thraces, et de mille gardes. » Pithon ayant été instruit de ce discours, fit fond sur la bonté d'Antigone, et se hâta de venir recevoir ce renfort. Anti-gone fit venir Pithon au milieu des Macédoniens, le prit et le punit du dernier supplice.

XV. Antigone honora de présents les Argyraspides, qui lui avaient livré Eumène lié, mais ne se fiant pas trop à des gens dont la fidélité devait naturellement être suspecte, il en détacha mille pour renforcer les troupes de Siburte, satrape d'Aracosie, et mit le reste en garnison dans plusieurs lieux différents et de difficile accès, sous prétexte de leur commettre la garde du pays : de cette sorte il les fit tous disparaître en peu de temps.

XVI. Antigone assiégeant Rhodes, donna la conduite du siège à son fils Démétrius. Il fit publier qu'il donnait sûreté à tous les Rhodiens qui étaient dans la ville. Il la promit de même par mer à tous les marchands et mariniers rhodiens qui étaient répandus dans la Syrie, la Phénicie, la Cilicie et la Pamphylie. Son but était de les empêcher devenir au secours de la ville, parce que dénuée de ces forcés, elle ne pourrait résister, avec les seules troupes auxiliaires de Ptolémée, aux attaques de Démétrius.

XVII. Antigone soudoya des troupes de Gaulois, commandées par Bidore, et promit à chacun d'eux une certaine somme d'or de Macédoine. Pour sûreté de sa parole, il leur donna en otage des hommes et des enfants des meilleures maisons. Suivit la bataille contre Antipater. Après l'action, les Gaulois demandèrent leur récompense, et Antigone offrit de payer tous ceux qui portaient la targe. Les Gaulois voulaient que les gens sans armes, même les femmes et les enfants, tirassent pareille solde, vu que le marché portait : « Tant par tête à chaque Gaulois. » A ne payer que les gens armés, cela faisait trente talents, et il en eût fallu cent en payant tout le reste. L'armée gauloise se retira, et menaça de tuer les otages. Antigone craignant pour eux, envoya un ambassadeur aux Gaulois pour leur dire qu'il donnerait tout ce qu'il avait promis et qu'ils n'avaient qu'à lui envoyer des gens pour recevoir l'or. Les Gaulois, leurrés de cette espérance qui les comblait de joie, envoyèrent les principaux d'entre eux pour recevoir cet or, Antigone les arrêta tous, et manda aux autres qu'il ne les rendrait point s'ils ne lui renvoyaient les otages. Les Gaulois, pour sauver leurs gens, rendirent les otages, et Anti-gone leur renvoya leurs députés avec les trente talents.

XVIII. Antigone assiégeait Cassandrie, dansée dessein de détruire la domination d'Apollodore, qui s'était fait tyran des Cassandriens. Après dix mois de siège Antigone se retira: mais il se servit d'Aminias, chef des pirates, et lui persuada de feindre de lier amitié avec Apollodore, Aminias envoya au tyran un héraut pour l'assurer qu'il viendrait à bout d'adoucir Antigone. Le héraut ajouta encore par son ordre qu'il fournirait à la ville des vivres en abondance et en vin. Aminias parut aux Cassandriens homme de bonne foi, et Apollodore se reposant sur son amitié et sur l'absence d'Antigone qu'il commençait à mépriser, ne veilla pas assez, à la garde de la place. Pendant ce temps Aminias fit fabriquer des échelles de la hauteur des murs, et cacher sous un lieu appelé. Bolus, qui n'était pas éloigné des murs, deux mille soldats, auxquels se joignirent dix pirates Etoliens commandés par Mélotas. Ces gens voyant, à la petite pointe du jour, qu'il y avait peu de gardes sur les murs se coulèrent au pied de la courtine qui joignait les tours, et posant les échelles, levèrent le signal. Alors Aminias s'approchant avec ses deux mille soldats, escalada les murs et serait dans la ville. Antigone parut aussitôt, se rendit maître de Cassandrie, et mit fin à l'usurpation d'Apollodore.

XIX. Antigone, avec, des troupes inférieures en nombre, était campé devant celles d'Eumène. Il y avait entre les deux camps de fréquents pourparlers. Antigone ordonna que dans le moment que le, héraut d'Eumène reviendrait, il accourût un soldat tout hors d'haleine et couvert de poussière qui dît : « Les alliés arrivent. » Antigone, à cette, nouvelle, sauta de joie, et renvoya le héraut. Le jour suivant, doublant le front de sa phalange, il la fit: sortir des retranchements. Les ennemis informés par le héraut de l’arrivée prétendue des alliés, et voyant ce vaste front, sans savoir quelle en était la profondeur, n'osèrent en venir aux mains, et prirent la fuite.

XX. Antigone voulant se rendre maître d'Athènes, fit la paix sur la fin de l'automne. Les Athéniens ensemencèrent leurs terres, et ne gardèrent de grains que ce qu'il en fallait jusqu'à la récolte. Mais quand le temps de la maturité fut venu, Antigone conduisit de nouveau son armée dans l’Attique. Les Athéniens ayant consumé ce qu'ils avaient de vivres, et ne pouvant faire la récolte, reçurent Antigone dans leur ville, et promirent d'obéir à tous ses ordres.

CHAPITRE VII.

DÉMÉTRIUS.

Quoique Démétrius manquât d'argent, il ne laissait pas: de soudoyer des troupes au double de ce qu'il en avait auparavant. Quelqu'un lui en marqua sa surprise, en lui disant: « On n'a point d'argent pour payer le petit nombre, et où en prendre pour, tant de gens? » Il répondit : « Elus nous serons forts, plus nous trouverons les ennemis faibles. Nous nous rendrons maîtres de leur pays ; les uns nous apporteront des tributs, les autres nous enverront des couronnes. Ce sera l'effet de la crainte que leur donnera notre grand nombre. »

II. Démétrius voulant naviguer en Europe, sans que l'on pût savoir où il avait dessein d'aborder, donna à chacun des pilotes un paquet cacheté. « Si nous faisons route ensemble, leur dit-il, ne les décachetez point ; mais s'il arrive que nous soyons séparés, vous ouvrirez le paquet, et vous vous rendrez au Heu que vous, y trouverez désigné.»

III. Démétrius voulant surprendre Sicyone à l'improviste, se retira à Cenchrées et y passa plusieurs jours dans les plaisirs et la débauche. Quand il vit que les Sicyoniens étaient sans aucun soupçon de son dessein, ce qu'il avait de troupes étrangères sous la conduite de Diodore, il l'envoya, la nuit, attaquer les portes du côté de la ville de Pallène ; les troupes de mer il les fit se montrer du côté du port ; et lui, avec le reste de son armée, se présenta devant la ville. De cette manière, il l'attaqua de tous les côtés à la fois, et s'en rendit maître.

IV. Démétrius avait confié la garde d'Éphèse à Diodore, commandant de la garnison, et était allé avec sa flotte en Carie. Diodore traita secrètement avec Lysimachus, et promit de lui livrer Éphèse pour cinquante talents. Démétrius, informé de cette trahison, prit ses grands vaisseaux, et en ayant envoyé la plus grande partie de côté et d'autre dans le pays, il se mit sur un, et prenant avec lui Nicanor, il fit voile à Éphèse. Étant arrivé au port, il se cacha sous le tillac, et ne fit paraître que Nicanor, qui appela Diodore sous prétexte de traiter avec lui de ce qui regardait les soldats, et d'obtenir la liberté de mouiller et de se retirer. Diodore, persuadé que Nicanor était venu seul, monta sur une felouque, et parut disposé à traiter avec lui. Dans le moment qu'il approcha, Démétrius sortant de dessous le tillac, fit couler à fond la felouque avec tout ce qui était dessus, et saisir fous ceux qui essayèrent de se sauver à la nage. Ce fut ainsi que, prévenant la trahison, il sut conserver Éphèse dans son obéissance.

V. Démétrius ayant pris Égine et Salamine dans l'Attique, envoya un de ses généraux au port de Pirée demander des armes pour mille hommes, sous prétexte de se joindre aux habitants contre le tyran Lacharis. On le crut, et les armes lui furent envoyées ; mais les ayant reçues, il s'en servit pour armer des gens, avec le secours desquels il se rendit maître de Pirée.

VI. Quand Démétrius se rendit maître de Pirée, il n'y mena pas d'abord toute sa flotte. Il fit rester sous le cap de Sunium la plus grande partie, de ses galères, et en ayant détaché vingt de celles qui étaient les plus légères à la course, il leur ordonna de voguer, non pas droit à la ville, mais comme pour prendre la route de Salamine. Démétrius de Phalère, général des Athéniens, qui était dans les intérêts de Cassandre, observant du haut de la citadelle, et voyant ces vingt galères prendre la route de Salamine, jugea quelles étaient ennemies et qu'elle? s'en allaient à Corinthe. Mais ceux qui, montaient ces vingt galères, ayant coupé court, se présentèrent devant Pirée et furent jointes par le reste, de la flotte partie du cap de Sunium. La plus grande partie des troupes débarqua et s'empara des tours et du port. Les hérauts criaient : « Démétrius délivre Athènes du joug. » Les Athéniens, à ce cri de liberté, admirent Démétrius.

VII. Démétrius assiégeait Salamine en Chypre, avec cent quatre-vingts galères. Ménélas, général de Ptolémée, gardait la vile avec soixante, narres, et l'on attendait de jour à autre Ptolémée qui devait arriver avec cent quarante vaisseaux. Démétrius ne se trouvant pas en état de résister à deux cents galères à la fois, doubla un cap qui s'avançait, et se mit en embuscade dans une anse où le mouillage était bon et où ses galères étaient cachées derrière de hauts rochers. Ptolémée, sans prendre garde à ce qu'il laissait derrière lui, prit terre à une rade étendue où la descente était facile. Pendant qu'il faisait débarquer ses troupes, Démétrius sortit de son embuscade et se montrant aux ennemis, donna sur les navires égyptiens, qui ne faisaient que d'aborder, et remporta la victoire en peu de temps. Ptolémée prit aussitôt la fuite, et Ménélas, qui s'était avancé pour le soutenir, s'enfuit avec lui.

VIII. Démétrius s'avança la nuit, pour se mettre en possession de Corinthe qu'on lui avait donné parole de lui livrer. Comme les auteurs de la trahison devaient lui ouvrir les portes de la hauteur, il craignit que pendant qu'il entrerait par là, ceux de la ville ne lui dressassent des embûches. Pour les attirer d'un autre côté, il fit marcher un grand nombre de troupes du côté des portes qui donnaient vers le fort de Léchée. Aux cris militaires de ces troupes, les Corinthiens coururent tous de ce côté, pendant que les traîtres ouvrirent les portes de la hauteur et y firent entrer les ennemis. C'est ainsi que Démétrius surprit Corinthe, pendant que les habitants gardaient les portes du côté de Léchée.

IX. Démétrius était campé contre les Lacédémoniens. Les deux armées étaient séparées par la montagne Lycéon, et les Macédoniens n'étaient pas sans crainte à la vue d'un lieu qu'ils ne connaissaient point. Il faisait un vent de bise violent, qui portait contre les ennemis. Démétrius fit mettre le feu au bois et aux broussailles, et le vent poussant la flamme et la fumée contre les Lacédémoniens, les obligea tous à tourner le dos. Démétrius et ses troupes profitèrent de ce désordre, et ayant attaqué vigoureusement les ennemis remportèrent la victoire.

X. Démétrius se retirait par un chemin fort serré. Les Lacédémoniens pressaient son arrière-garde, et lui blessaient beaucoup de monde. Il entassa dans l'endroit le plus étroit tous les chariots de bagage et y mit le feu. Les ennemis rie purent passer à travers cet incendié, et pendant que les chariots brûlaient, Démétrius gagna du terrain, prévint les ennemis, et évita leur poursuite.

XI. Démétrius envoya un héraut aux Béotiens pour leur déclarer la guerre. Le héraut se rendit à Orchomène, et présenta aux commandants de Béotie la déclaration par écrit. Dès le lendemain, Démétrius assiégea Chéronée, et les Béotiens furent bien surpris de voir la guerre commencée en même temps que déclarée.

XII. Démétrius avait à passer le fleuve Lycus, qui est très rapide, et au courant duquel son infanterie ne pouvait résister. Il choisit parmi ses cavaliers les plus grands, les plus vigoureux, et les mieux montés, et en ayant fait trois lignes, il s'en servit à rompre l'effort du fleuve, en l'opposant à son courant, et par ce moyen il rendit le passage de ses gens de pied plus facile.

CHAPITRE VIII.

EUMENE.

Eumène était poursuivi par les Gaulois, et son indisposition l'obligeait à se faire porter dans une espèce de litière. Sa fuite était lente, et les ennemis étaient près de l'atteindre. Ayant trouvé sûr sa route un tertre élevé, il commanda à ses porteurs d'y poser sa litière. Les Barbares, qui n'étaient pas éloignés, se persuadèrent qu'Eumène n'en eût pas usé de la sorte s'il n'avait eu aux environs quelque renfort considérable caché. C'est pourquoi ils cessèrent de le poursuivre,

II. Eumène était informé que les Argyraspides commençaient à penser à la révolte ; et voyait surtout qu'Antigène et Teutamate leurs chefs, prenaient des manières, hautaines avec lui, et, négligeaient de se rendre à sa tente. Il rassembla tous les chefs, et leur dit que deux fois de suite il avait eu le même songe, accompagné de promesses du salut commun, si l'on obéissait, et de menaces d'une ruine totale, si l'on n'obéissait pas. C'était le roi Alexandre dans sa tente au milieu du camp, assis sur un trône d'or, le sceptre à la main, qui donnait ses ordres à tous, et qui commandait particulièrement aux Chefs de ne traiter d'aucune affaire publique et royale hors de la tente royale, et d'appeler cette tente seule, la tente d'Alexandre. Les Macédoniens adorèrent Alexandre, et ordonnèrent que du fond de l'épargne de la couronne, on dressât une tente royale ; qu'il y fût fait un trône d'or paré royalement, avec une couronne d'or au-dessus, accompagnée d'un diadème royal ; qu'on mît auprès du trône des armes, un sceptre au milieu ; au-devant du trône une table d'or et dessus un petit foyer et un encensoir aussi d'or, avec de l'encens et des parfums ; enfin que la tente fût garnie de tabourets d'argent pour placer les chefs quand on tiendrait conseil sur les affaires publiques. Tout cela fut exécuté sur le champ. Eumène dressa sa tente joignant celle d'Alexandre, et les autres chefs dressèrent les leurs ensuite de la sienne. Il arriva de là que lorsque Eumène entrait dans la tente d'Alexandre, c'était lui qui recevait les autres chefs, et parmi eux Antigène et Teutamate, commandants des Argyraspides, qui allaient effectivement trouver Eumène, quand il paraissait qu'ils ne voulaient qu'honorer Alexandre.

III. Eumène voyant que les troupes qu'il avait en Perse étaient sur le point d'être débauchées par Peuceste, qui leur faisait distribuer du vin et des présents, craignit qu'il n'eût dessein de partager l'empire. Il fit voir une lettre, qu'il supposa que lui avait écrite en syriaque Oronte, satrape d'Arménie, par laquelle il mandait qu'Olympias venait d'Épire avec le fils d'Alexandre, et se rendait maîtresse de la Macédoine, après la mort de Cassandre. A ces nouvelles, les Macédoniens ne pensèrent plus à Peuceste; ils se livrèrent à la joie, et proclamèrent rois la mère et le fils.

IV. Eumène avait mis ses troupes en quartier d'hiver dans quelques bourgades de la Perse. Antigone en ayant été averti, résolut de les attaquer. Eumène ordonna aux chefs de prendre leurs valets la nuit, de monter à cheval, de porter du feu dans des vaisseaux, et de gagner les hauteurs, jusqu'à la distance de soixante-dix stades, et d'allumer, sur les sommets les plus exposés à la vue, des feux éloignés les uns des autres d'environ vingt coudées, de les faire fort grands à la première veille, un peu moindres à la seconde, et très faibles à la troisième, afin que tout cela donnât l'idée d'un: véritable campement. A cet aspect Antigone se persuada qu'Eumène avait été joint par toute son armée, et n'osant l'attaquer, il fit sa retraite par un autre chemin qui n'était point occupé par les ennemis.

V. Eumène voyant ses soldats dans la disposition de piller le bagage des ennemis, les en détourna comme d'une entreprise qui : ne convenait pas. Mais n'ayant pu gagner cela sur eux, il envoya donner avis aux ennemis de faire bonne garde à leur bagage. Les soldats d'Eumène y trouvant les gardes renforcées, abandonnèrent leur dessein.

CHAPITRE IX.

SELEUCUS.

Séleucus et Antigone se donnèrent bataille. Il n'y eut rien de décidé; la nuit sépara les combattants, et tous deux furent d'avis de remettre le reste du lendemain: Les troupes d'Antigone campèrent et se désarmèrent : mais Séleucus ordonna à ses soldats de souper et de dormir tous armés, et de bien garder leurs rangs. Dès la pointe du jour les troupes de Séleucus se présentèrent en bon ordre et sous les armes, et celles d'Antigone, surprises, dérangées et sans armés furent vaincues avec beaucoup de facilité.

II. Séleucus était campé contre Démétrius. Séleucus était animé de confiance, et Démétrius au contraire comptait peu sur un succès favorable. La nuit survint ; et Démétrius voulant la mettre à profit, entreprit d'attaquer l'ennemi à la faveur des ténèbres, dans l'espérance que cette surprise imprévue lui pourrait être avantageuse. Ses troupes lui obéirent volontiers; et crurent trouver dans une chose qui paraissait si fort contre raison, une ressource capable de leur donner la victoire, ils s'armèrent donc et se mirent en mouvement. Deux jeunes Étoliens, qui portaient le bouclier dans les troupes de Démétrius, ayant rencontré la garde de Séleucus, demandèrent d'être menés promptement au roi. Aussitôt qu'ils lui eurent été présentés, ils lui apprirent ce qui se devait faire la nuit même. Séleucus eut peur que les ennemis ne fussent plus ardents à l'attaquer que les siens diligents à prendre les armes. Il ordonna aux trompettes de sonner la charge ; aux soldats qui s'armaient, de pousser de grands cris, et à chacun d'allumer devant sa tente tout ce qui se trouverait de fagots et de bourrées. Démétrius voyant le camp ennemi si éclairé de toutes parts; et entendant retentir les trompettes et les cris militaires, sentit bien qu'on se préparait à le recevoir et n'osa l’attaquer

III. Séleucus informé que les soldats de Démétrius perdaient courage; prit les plus robustes de ses gardes, et ayant mis au-devant d'eux huit éléphants, se coula le long d'un sentier étroit, à côté des ennemis; et ayant jeté son casque il se mit à crier : « Jusqu'à quand aurez-vous la rage de demeurer avec un chef de brigands, qui meurt de faim, pendant que vous pouvez gagner votre solde auprès d'un roi riche, et prendre part à une royauté véritable et existante, au lieu d'un empire chimérique et qui ne subsiste encore qu'en idée? » La plupart entendant ce discours, jetaient leurs dards et leurs épées; et tendant les mains; se joignaient à Séleucus.

IV. Séleucus attaquait la citadelle de Sardes; où étaient les trésors gardés par Théodote, à qui Lysimachus en avait confié le soin. Séleucus ne pouvant forcer la placé; qui était bien munie; fit publier qu'il donnerait cent talents à qui pourrait tuer Théodote. Cette grande récompense tentait un grand nombre de soldats et Théodote, vivant dans la crainte et la défiance, n'osait se montrer dehors. Ses soupçons lui attirèrent l'indignation de la plupart de ceux de dedans. Théodote, pour se délivrer de ses craintes, prévint les mal intentionnés, et ayant ouvert la nuit une fausse porte, il introduisit Séleucus dans la citadelle, et lui livra les trésors de Lysimachus.

V. Démétrius était campé au pied du Mont Taurus. Séleucus appréhendant qu'il ne se retirât secrètement en Syrie, envoya Lysias avec plusieurs Macédoniens se saisir des montagnes qui sont au-dessus des portes Amanides, qui était la route que Démétrius devait tenir, et lui ordonna d'y allumer un grand nombre de feux. Démétrius voyant qu'il avait été prévenu, et que ces passages étaient occupés, se détourna de cette route.

VI. Séleucus ayant été obligé de prendre la fuite en Cilicie, après un combat donné contre les Barbares, voulut cacher à ses amis même la honte qu'il avait de fuir en petite compagnie ; il se fit passer pour un des écuyers d'Amaction, commandant de la brigade royale, et prit des habits convenables à cet état. Mais quand il vit qu'il s'était rallié un nombre considérable de cavaliers et de fantassins, il reprit la robe royale et se montra aux soldats.

CHAPITRE X.

PERDICAS.

Les Illyriens et les Macédoniens se faisaient la guerre. Il arriva que plusieurs Macédoniens furent faits prisonniers, et Perdicas s'aperçut que l'espérance d'être mis à rançon rendait les autres moins ardents au combat. Comme on envoyait de part et d'autre pour traiter de la rançon des prisonniers, Perdicas chargea le héraut des ennemis de leur dire de sa part qu'il était inutile que les Illyriens s'attendissent à des rançons, et qu'ils pouvaient condamner les prisonniers à mort. Les Macédoniens ne s'attendant plus à être rachetés, en cas qu'ils fussent pris, mirent tout l'espoir de leur salut dans la victoire, et se battirent avec plus de courage.

II. Perdicas faisant la guerre à ceux de Chalcide, se trouva en disette d'argent. Il fit de la monnaie de billon mêlé de cuivre et d'étain, dont il paya les soldats. Les marchands reçurent la monnaie du roi ; mais comme elle n'avait pas de cours hors des limites, ils furent réduits à ne trafiquer que de fruits et de grains du pays.

CHAPITRE XI.

CASSANDRE.

Cassandre se servit de cet artifice pour prendre Nicanor qui avait la garde du fort de Munichia et qui n'était pas dans de bonnes dispositions à son égard. Il feignit de vouloir retirer sa flotte de l'Afrique, et comme il était près de s'embarquer, il vint un courrier qui lui apporta des lettres de la part de ses amis de Macédoine, qui lui mandaient que les Macédoniens, irrités contre Polysperchon, l'appelaient pour le faire régner dans le pays. A la lecture de ces lettres, Cassandre marqua beaucoup de joie, et ayant tiré à part Nicanor qui le re-conduisait, il fui dit : « Il est question maintenant de prendre de nouveaux conseils. Conférons ensemble sur la conduite que j'ai à garder dans le rang où je suis appelé. » En parlant ainsi, Cassandre mena insensiblement Nicanor dans une maison voisine, comme pour communiquer avec lui de ses plus sécrètes affaires. Il avait caché dans cette maison un détachement de ses gardes, qui se saisirent de Nicanor et se tinrent autour de lui. Cassandre convoqua l'assemblée, et permit à ceux qui voulaient accuser Nicanor, de le faire librement. Pen-dant qu'on instruisait l'accusation, Cassandre se rendit maître du fort de Munychia. Quant à Nicanor, comme il avait fait beaucoup de choses contre les lois et sans retenue, l'assemblée fut d'avis de le condamner à mort.

II. Dans le même temps que Cassandre assiégeait Salamine, il faisait la guerre par mer aux Athéniens. Ayant vaincu sur mer, tout ce qu'il trouva de gens de Salamine parmi les Athéniens, il les renvoya sans rançon. Les habitants de Salamine, informés de l'humanité de Cassandre, furent gagnés par sa douceur, et se joignirent à lui.

III. Cassandre assiégeait Pydna en Macédoine, où s'était retiré Olympias. Polysperchon envoya la nuit sur la côte une galère à cinquante rames, avec une lettre où il avertissait Olympias de monter sur cette galère pour éviter de tomber au pouvoir de Cassandre. Le porteur de la lettre fut pris et mené à Cassandre, à qui il avoua le sujet de son voyage. Cassandre n'ouvrit point la lettre, et la laissant cachetée comme elle était du sceau de Polysperchon, il permit au porteur de la rendre à son adresse, sans dire qu'il eût eu connaissance de rien. La lettre fut rendue, et dans le même temps Cassandre fit disparaître la galère. Olympias ajoutant foi à la lettre de Polysperchon, sortit secrètement la nuit, mais elle ne trouva point la galère. Elle crut que Polysperchon l'avait trompée, perdit courage, et se livra à Cassandre, avec Pydna.

IV. Cassandre revenant d'Illyrie, et n'étant qu'à une journée d'Epidamne, cacha ses troupes. Il en détacha de la cavalerie, qu'il envoya brûler des bourgades situées sur les hauteurs de l’Illyrie et de l’Alintanie, dont les habitants favorisaient les Epidamniens. Ceux d'Epidamne s'imaginant alors que Cassandre s'en était allé, sortirent de leur ville, et vaquèrent à leur labourage. Cassandre faisant sortir ses troupes du lieu où il les avait tenues cachées, prit environ deux mille de ces habitants qui étaient sortis, et trouvant les portes de la ville ouvertes, il entra dans Epidamne, et s'en rendit maître.

CHAPITRE XII.

LYSIMACHUS.

Dans la bataille donnée contre Démétrius, aux environs de Lampsaque, les Autariates perdirent tout leur bagage. Lysimachus eut peur que ces Barbares, dans la douleur d'avoir tout perdu, ne se révoltassent. Il les fit sortir des retranchements, comme pour leur distribuer des vivres, et ayant donné le signal, il les fit tous périr : ils étaient cinq mille hommes.

II. Lysimachus conduisit Ariston, fils d'Autoléon, en Péonie, qui était le royaume de son père, comme pour faire reconnaître aux Péoniens le jeune prince royal, et lui concilier leur affection. Quand on eut baigné Ariston, à la façon des rois, dans le fleuve Arisbe, on lui servit le festin royal selon la coutume du pays. Lysimachus saisit ce moment pour donner le signal de prendre les armes. Ariston monta en diligence à cheval, et s'enfuit chez les Adraniens. Lysimachus s'empara de la Péonie.

CHAPITRE XIII

CRATERE.

Les Tyriens ayant attaqué les Macédoniens occupés à creuser des retranchements, leur firent tourner le dos. Cratère ordonna de céder, et les Tyriens s'acharnèrent à la poursuite. Quand Cratère les vit las de courir après les Macédoniens, il ordonna à ceux-ci défaire volte-face, et de pousser les Tyriens à leur tour. Aussitôt ceux qui poursuivaient prirent la fuite, et ceux qui avaient fui jusque là donnèrent la chasse aux autres.

CHAPITRE XIV.

POLYSPERCHON.

Polysperchon, pour animer ses soldats à combattre courageusement contre les Péloponnésiens qui gardaient les frontières, et mépriser le danger, prit un chapeau arcadien, avec une robe double, attachée d'une agrafe, et un bâton à la main, et leur dit: «Voilà comme sont ceux contre qui nous devons combattre. » Et puis ayant ôté tout cela, et pris toutes ses armes, il ajouta : « Et voici comme sont ceux qui doivent avoir affaire à eux ; gens qui jusqu'à présent ont remporté tant de victoires signalées. » A ce discours les soldats furent animés à bien faire, et demandèrent d'être aussitôt menés au combat.

CHAPITRE XV.

ANTIOCHUS, FILS DE SÉLEUCUS.

Antiochus, dans le dessein de se rendre maître de Damas, qui était gardée par Dinon, général de Ptolémée, publia dans son armée un ordre de célébrer une fête à la manière des Perses, et commanda à tous les chefs de préparer des banquets somptueux et de grandes réjouissances. Dinon, instruit qu'Antiochus avec toutes ses troupes, ne s'occupait que de plaisirs et de bonne chère dans cette solennité, se relâcha de sa vigilance ordinaire, et négligea de faire faire la garde. Antiochus ordonna qu'on prît du blé pour quatre jours, et menant son armée par les déserts et des sentiers écartés et bordés de précipices, se montra lorsqu'on l'attendait le moins. Binon ne put lui résister, et Damas tomba au pouvoir d'Antiochus.

CHAPITRE XVI.

ANTIOCHUS, FILS D'ANTIOCHUS.

Antiochus attaquait Cypsèle, ville de Thrace. Il avait avec lui un grand nombre de Thraciens des meilleures maisons, à la tête desquels étaient Tyris et Dromichetès. Il leur donna à tous des colliers d'or et des armes garnies d'argent, et s'avança pour livrer combat. Ceux de Cypsèle, voyant des gens de leur pays et de leur langue si richement parés d'or et d'argent, les estimaient heureux de servir sous Antiochus. Ils mirent bas les armes, et se joignant à lui, d'ennemis qu'ils étaient auparavant, se rendirent ses alliés.


CHAPITRE XVII.

ANTIOCHUS HIÉRAX OU L'ÉPERVIER.

Antiochus ayant quitté son frère Séleucus, s'enfuit en Mésopotamie. Quand il eut passé les montagnes d'Arménie, il fut reçu par Arsabès son ami. Les généraux de Séleucus, Achée et Andromaque, poursuivirent Antiochus avec de nombreuses troupes, et l’attaquèrent vivement. A la fin Antiochus blessé fut obligé de prendre la fuite, et de se cacher sur un coteau, au pied et aux côtés duquel était une plaine unie, où campait l'armée de son frère. Antiochus fit courir le bruit qu'il était mort dans le combat; et pendant la nuit il fit occuper les hauteurs par une partie de ses troupes. Le lendemain les soldats d'Antiochus envoyèrent deux ambassadeurs, Philetère, capitaine Crétois, et Denis de Lysimaquie, demander sûreté pour enlever le corps d'Antiochus, moyennant quoi ils promirent de se rendre et de livrer leurs armes. Andromaque répondit qu'on n'avait point encore trouvé le corps, mais qu'on pouvait le chercher parmi les prisonniers, et qu'on l'y trouverait mort ou vif. Pour ce qui était du reste, il dit qu'il enverrait des gens pour recevoir les soldats et les armes. En effet, il envoya quatre mille hommes, disposés, non pas à combattre, mais à recevoir et emmener les prisonniers. Quand ils furent arrivés aux côtés de la montagne, les troupes d'Antiochus, qui s'étaient saisies des hauteurs, fondirent sur ces gens, et en firent un grand carnage. Antiochus reprit ses habillements royaux, et se montra vivant et victorieux.


CHAPITRE XVIII.

PHILIPPE, FILS DE DÉMÉTRIUS.

Philippe assiégeait Prinasse, ville des Rhodiens en terre ferme. Les murs étaient d'une structure très forte, et Philippe voulut les saper. Mais en minant on rencontra une roche qui ne cédait point aux outils des mi-neurs. Philippe ordonna qu'en plein jour on descendît à la mine, et que les travailleurs se couvrissent de mantelets, comme pour se cacher aux assiégés. Ceux de la ville voyaient tout cela de dessus leurs murailles. La nuit, Philippe faisait apporter par ses soldats de la terre d'un vallon éloigné de la ville de huit ou dix stades, et la faisait amonceler à l'entrée du lieu où l'on avait ouvert la mine. Le jour suivant, ceux de la ville voyant cette grande quantité de terre élevée, s'imaginèrent que le mur était enfin percé. La peur les contraignit à livrer leur ville à Philippe. Mais quand ils eurent découvert la tromperie dans la suite, leur sottise leur causa de tristes, mais inutiles regrets.

II. Philippe, fils de Démétrius, faisant la guerre au roi Attale et aux Rhodiens, forma le dessein de se retirer par mer. Pour le pouvoir faire sans empêchement, il envoya secrètement un transfuge égyptien, qui alla dire aux ennemis que Philippe donnerait le lendemain un combat naval. La nuit, il fit allumer un grand nombre de feux, pour faire croire que l'armée demeurait en son poste. Attale et ses troupes se disposèrent au combat, et l'on retira les gardes posées auparavant, pour empêcher qu'on ne prît le large. C'était ce que souhaitait Phi-lippe; et trouvant la sortie libre, il s'en alla avec sa flotte.

CHAPITRE XIX.

PTOLÉMÉE.

Ptolémée voyant que Perdicas avait entrepris de passer le fleuve, vers Memphis, et qu'une grande quantité de ses troupes l'avait déjà traversé, fit assembler tout ce qu'il y avait dans le pays de troupeaux de chèvres, de pourceaux et de bœufs, et fit attacher à chaque animal un fagot, avec ordre aux pâtres et à ses cavaliers de pousser tout cela à travers les sables, afin d'exciter une grande poussière. Et lui, à la tête de, ce qui lui restait de cavalerie, se présenta aux ennemis. Ceux-ci, jugeant à cette grande poussière que Ptolémée amenait des troupes nombreuses, prirent aussitôt la fuite. Beaucoup périrent dans le fleuve; il y en eut aussi un grand nombre de pris.

CHAPITRE XX.

ATTALE.

Attale étant près d'en venir aux mains avec les Gaulois qui avaient des troupes nombreuses; s'aperçut que ses soldats marquaient de l'étonnement. Pour animer leur courage, il fit faire, avant le combat, un sacrifice, auquel présida comme ministre principal, un devin chaldéen, nommé Sudin. Pendant qu'il faisait les prières et la dissection de la victime, le roi prenant de la noix de galle en poudre, forma dans sa main droite ces mots: « Victoire au roi, » qu'il traça, non pas de gauche à droite, mais de droite à gauche. Dans le moment qu'on levait les parties internes de la victime, le roi enfonça la main écrite dans l'endroit le plus chaud et le plus mollasse, et l'appuya de manière que la poudre de noix de galle y demeura empreinte. Le devin examinant les lobes du foie, la vessie du fiel et les autres parties internes, vint à trouver le lobe où s'était imprimée l'écriture qui promettait la victoire au roi. Il en eut une joie excessive, et montra cette écriture à la multitude des soldats dont il était environné. Tous s'approchèrent et lurent ces mots : « Victoire au roi. » Leur courage se ranima. D'un cri commun ils demandèrent qu'on les menât contre les Barbares, et ayant combattit vigoureusement, ils remportèrent la victoire sur les Gaulois.

CHAPITRE XXI.

PERSEE.

Persée, informé que les Romains amenaient des éléphants, les uns venus de Lybie, les autres qui étaient des Indes, que leur avait envoyés Antiochus, roi de Syrie, prévit que la nouveauté et la figure formidable de ces bêtes, pourraient étonner ses chevaux. Pour éviter cet inconvénient, il fit faire par des ouvriers des figures de bois, auxquelles on donna la forme et la couleur des éléphants. Il restait à contrefaire ce que la bête a de plus terrible, qui est son cri. Persée fit entrer dans les machines des hommes qui, par le moyen de certaines flûtes, dont le son paraissait sortir de la bouche des faux éléphants, imitaient le cri naturel aigu et rude des véritables. De cette manière il apprit aux chevaux des Macédoniens à mépriser la vue et le cri des éléphants.



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CHAP. Ier. — Phalaris — CHAP. II. — Denis — CHAP. III. —Agathocle — CHAP. IV. — Hipparin — CHAP. V. — Théocle — CHAP. VI. — Hippocrate — CHAP. VII. — Daphnée — CHAP. VIII. — Leptine — CHAP. IX. — Hannon — CHAP. X. — Himilcon — CHAP. XI. Gescon — CHAP. XII. — Timoléon — CHAP. XIII. — Ariston — CHAP. XIV. — Thrasiméde — CHAP. XV. — Mégaclés — CHAP. XVI. — Pammenès — CHAP. XVII. — Héraclide — CHAP. XVIII. — Agathostrate — CHAP. XIX. — Lycus — CHAP. XX. — Ménécrate — CHAP. XXI. — Athénodore — CHAP. XXII. — Diotime — CHAP. XXIII. — Tynnique — CHAP. XXIV. —- Clitarque — CHAP. XXV. —- Tymarque —CHAP. XXVI. — Eudocime — CHAP. XXVII. — Pausistrate — CHAP. XXVIII. — Théognis. . — CHAP. XXIX. — Dioclès — CHAP. XXX. — Chilius — CHAP. XXXI. — Cypséle — CHAP. XXXII. — Télésinique. — CHAP. XXXIII. — Pompisque. — CHAP. XXXIV. — Nicon — CHAP. XXXV. — Néarque — CHAP. XXXVI. —Dorothée — CHAP. XXXVII. Sosistrate — CHAP. XXXVIII. — Diognète. — CHAP. XXXIX. — Archebius — CHAP. XL. — Aristocrate — CHAP. XLI. —Aristomaque — CHAP. XLII. — Charimène — CHAP. XLIII. — Cal-liade — CHAP. XLIV. — Memnon — CHAP. XLV. — Philomèle — CHAP. XLVI. — Démoclès — CHAP. XLVII. — Pannetius — CHAP. XLVIII. — Pyrechmès — CHAP. XLIX. — Satyre (manque).

CHAPITRE PREMIER.

PHALARIS.

Les Agrigentins avaient formé le dessein d'élever un temple à Jupiter gouverneur, dans leur citadelle, bâtie très solidement sur un roc, qui était d'ailleurs un lieu sacré, et d'y poser, comme au plus, haut lieu, la statue de cette divinité. Ils destinaient à cet ouvrage deux cents talents. Phalaris, receveur des impôts, s'offrit pour avoir la direction de l'ouvrage, et promit d'y employer les plus habiles ouvriers, de fournir abondamment tous les matériaux, et de donner des cautions suffisantes pour la sûreté des deniers publics. Le peuple admit volontiers toutes ses propositions, et crut que l'expérience qu'il pouvait avoir acquise dans son emploi, lui rendait cette direction plus facile qu'à tout autre. Il commença donc par se charger de l'argent du public; il gagea plusieurs étrangers, acheta un grand nombre d'esclaves, et fit porter dans la citadelle toutes sortes de matériaux, pierres, bois et fer. On n'en était encore qu'à creuser les fondements, qu'il fit descendre à la ville un homme qui dit : « Quiconque indiquera ceux qui ont dérobé dans la citadelle du bois ou du fer, recevra une telle somme d'argent. » Le peuple marqua beaucoup d'indignation de ces vols. Phalaris dit : « Permettez-moi donc de fortifier la citadelle. » La permission lui fut accordée de l'environner de murailles. Alors Phalaris ayant ôté de la chaîne ses esclaves, les arma de pierres et de haches, tant simples, qu'à deux tranchants, et ayant pris l'occasion de la fête des Thesmophories, il fit irruption dans la ville, tua la plupart des hommes, se rendit maître des femmes et des en fans, et usurpa l'autorité souveraine dans l'État.

II. Phalaris voulant désarmer les Agrigentins, fit publier qu'il donnerait; au public hors de la ville, un spectacle magnifique d'athlètes. Mais pendant que tous les habitants étaient dehors pour voir les jeux, il fit fermer les portes de la ville, et commanda à ses gardes d'enlever les armes de toutes les maisons.

III. Les Agrigentins faisaient la guerre à ceux de Sicile. Phalaris ne pouvant venir à bout de les dompter parce qu'ils avaient des vivres en abondance, fit retirer son armée, et laissa même ses grains à ceux de Sicile, à, condition qu'il enlèverait ce qui avait été semé, quand le temps de la moisson serait venu. Les Siciliens acceptèrent la condition avec joie. Mais Phalaris corrompit par argent ceux qui avaient la garde des blés des Siciliens. Ils découvrirent les toits des greniers, et les blés furent pourris. Phalaris enleva toute la moisson, et les Siciliens se trouvant sans blés, par l'un et l'autre moyen, furent contraints par la disette de se soumettre à Phalaris.

IV. Teute commandait dans Vessa, ville des Siciliens, fameuse par sa grandeur et l'abondance de toutes choses. Phalaris envoya des gens demander sa fille en mariage. Quand Teute eut accepté la proposition, Phalaris prit de jeunes soldats sans barbe, et les ayant habillés en filles, les envoya sur des chariots avec des présents, comme des filles destinées à servir la nouvelle mariée. Quand ils se furent emparés de la maison, ils tirèrent leurs épées, et Phalaris s'étant montré, se rendit maître de Vessa.

CHAPITRE II.

DENIS.

Les troupes soudoyées avaient pris la résolution de mettre à mort Denis, tyran de Sicile, et s'étant donné le mot, firent irruption dans sa maison. Denis se présenta devant eux, vêtu d'une manière à leur faire compassion, et les cheveux salis de poussière, et s'abandonna à tout ce qu'on voudrait lui faire souffrir. Les conjurés le voyant dans ce misérable état en eurent pitié et le laissèrent aller sans lui faire de mal. Mais peu de temps après, Denis ayant trouvé moyen de les enfermer chez les Léontains au milieu de ses troupes, les extermina tous.

II. Denis, fils d'Hermocrate, était l'un des ministres des Syracusiens et secrétaire d'état pour la guerre. Dans celle que l'on eut contre Carthage, les Syracusiens furent plusieurs fois vaincus. Ils s'en prirent aux généraux, et Denis ne fit point difficulté de les accuser, publiquement de trahison. Il y en eut de condamnés à mort, et d'autres qui prirent la fuite. Alors Denis prenant prétexte de la haine que son zèle lui avait attirée, et du danger pressant de la guerre des Carthaginois, demanda au peuple des gardes pour la sûreté de sa personne, et les obtint. Par ce moyen il devint tyran de Syracuse, et très puissant, et non seulement il conserva son autorité jusqu'à la vieillesse, mais encore il la transmit à son fils après lui.

III. Denis avait une attention particulière à tâcher de deviner les complots qui se pouvaient former contre lui. Il se présenta un étranger dans la ville, qui se vanta qu'il avait un secret infaillible pour découvrir toutes sortes de conspirations. Il fut appelé à la citadelle, mais il dit à Denis qu'il voulait lui parler seul à seul, pour tenir son secret caché. Tout le monde s'écarta, et cet homme dit à Denis : « Tu n'as qu'à dire avec satisfaction que tu as véritablement appris le moyen de prévoir toutes les conspirations. Il n'y aura plus personne qui ose conspirer. » Cette ruse plut à Denis ; il fit de grands présents à l'homme, et fit savoir à ses gardes et à toutes ses troupes, qu'il avait appris le plus merveilleux moyen de prévoir toute sorte de factions et de complots. On le crut, et personne n'osa plus rien entreprendre contre lui.

IV. Denis le jeune étant parti pour une expédition maritime, avait laissé la garde de la citadelle et des trésors à Andron; Timocrate l'engagea à se joindre avec lui pour se rendre maîtres de la place et des richesses. Denis revint peu de jours après, et n'ayant rien su d'Andron, il ne laissa pas de lui dire qu'il avait tout appris des autres, et qu'il souhaitait seulement qu'il lui confessât qui avait été le plus ardent à vouloir profiter de l'occasion de son absence. Andron séduit, lui nomma Timocrate. Denis fit aussitôt mourir Andron, pour le punir, disait-il, de ne lui avoir pas découvert cette conspiration aussitôt après son retour. Pour ce qui est de Timocrate, mari de sa sœur, il se contenta de le faire arrêter, et même depuis, à la prière de cette sœur, il lui rendit la liberté, et l'envoya dans le Péloponnèse.

V. Quelques habitants de Naxe avaient donné parole à Denis de lui livrer la ville. Il se présenta sûr le soir devant la place, avec sept mille hommes. Les habitants, avertis de la trahison, montèrent sur les tours, et ceux qui étaient du complot, appelaient aussi du haut des tours Denis et ses troupes. Denis menaça ceux qui étaient sur les murs, de passer tout au fil de l'épée, s'ils ne livraient pas volontairement la ville. Dans le même temps et à la faveur de l'obscurité il fit avancer dans le port de Naxe une galère à cinquante rames, qui portait un grand nombre de comités avec leurs sifflets; Comme chacun donnait son signal, les Naxiens crurent qu'il y avait autant de galères ennemies qu'ils entendaient de signaux distingués ; et la peur les contraignit à se rendre volontairement à Denis.

VI. Denis voyant qu'Himilcon était venu avec sa flotte boucher l'entrée du port de Motyée, retira ses troupes de devant cette place, et étant allé camper en présence des ennemis, dit aux matelots et aux soldats de prendre courage et de travailler à mettre les galères en sûreté. Sous le cap qui environnait le port, il y avait un espace uni et plein de boue, qui pouvait avoir vingt stades de largeur. Les soldats ayant couvert le terrain de madriers, firent passer par dessus, dans un seul jour, quatre-vingts galères. Himilcon eut peur que Denis ayant rassemblé toute sa flotte, ne fît le tour du cap et ne vînt l'enfermer dans le port. Il profita d'un vent de nord favorable, mit à la voile, et se retira, et Denis sauva de cette sorte le port, la ville et sa flotte.

VII. Denis poursuivi par Dion, n'avait plus que la citadelle de Syracuse. Il envoya vers les Syracusiens pour traiter avec eux. Ils répondirent que s'il renonçait à la domination, l'on écouterait ses envoyés ; mais que s'il n'y renonçait pas, on lui ferait la guerre sans composition. Denis renvoya d'autres gens dire que si Ton voulait traiter avec lui par députés, il abdiquerait volontiers. On le crut, la ville lui députa, et la joie que l'on avait de voir la fin de la tyrannie, fit que les gardes se dissipèrent. Denis retint les députés de la ville, et sortant du fort, mena ses soldats avec de grands cris contre les murs, et fit une violente irruption dans la ville. De cette manière il conserva la jouissance de la citadelle, et recouvra la ville.

VIII. Les députés des Syracusiens que Denis avait retenus, il les renvoya le lendemain aux habitants. Ils furent suivis de plusieurs femmes qui portaient à Dion et à Mégaclès son frère des lettres de leur sœur et de la femme de l'un des deux, et d'autres lettres aux autres habitants dont les femmes étaient enfermées dans la citadelle. On fut d'avis de faire lecture publiquement de ces lettres dans l'assemblée. Dans la plupart on ne voyait autre chose que des supplications des femmes qui conjuraient les habitants de ne les laisser point périr et de faire la paix avec Denis. Il se trouva une lettre dont l'adresse était : « Hipparin à son père. » Et ce père était Dion. Quand le greffier eut lu l'adresse, il ouvrit la lettre ; mais ce n'était pas le fils de Dion qui avait écrit, c'était Denis lui-même, qui écrivait familièrement et avec de grandes marques d'union et d'amitié à Dion, et lui faisait de grandes promesses. Cette lecture rendit Dion suspect aux Syracusiens, qui n'eurent plus tant de confiance eh lui, et c'était ce que Denis avait eu principalement en vue.

IX. Denis voyant que les Carthaginois venaient fondre dans le pays avec une armée de deux cent mille hommes, fit élever de tous côtés des forts, et y mit des gens de guerre, avec ordre de traiter avec les Carthaginois et de recevoir leurs garnisons. Les Carthaginois furent fort aises de prendre possession du pays sans coup férir, et partagèrent en différentes garnisons la plupart de leurs troupes. Quand Denis vit leurs plus grandes forces dispersées par tous ces détachements, il attaqua le reste, et remporta la victoire.

X. Denis voulant subjuguer la ville d'Himère, fit amitié avec les habitants, et attaquâtes petites villes de leur voisinage. Cependant au lieu de les presser vivement il passait le temps à des pourparlers. Ceux d'Himère fournirent assez longtemps des vivres à son armée, mais voyant qu'il n'avançait rien, ils jugèrent que c'était véritablement contre eux-mêmes qu'il avait assemblé tant de troupes, et cessèrent de lui envoyer des vivres. Denis prit prétexte de ce refus pour se dire offensé par eux ; il tourna ses armes contre Himère, en fit le siège, et s'en rendit maître de force.

XI. Denis avait dessein de réformer les plus vieux soldats, et de leur ôter la paie. Ils murmurèrent hautement contre lui, et les jeunes mêmes prenaient leur parti, en disant qu'il était indigne de traiter ainsi la vieillesse. Denis, informé de ce tumulte, convoqua l'assemblée, et décida de cette sorte : « Les jeunes gens, je les destine pour les dangers et les combats ; et les vieux, je les mettrai en garnison dans les forts, ou ils tireront la même solde qu'auparavant. Ils sont d'une fidélité éprouvée ; les lieux seront en sûreté sous leur garde, et ils auront moins de peine. » Tous les soldats furent contents, et se séparèrent les uns des autres avec joie. Mais quand Denis vit les anciens distribués en différentes garnisons, et qu'ils n'avaient plus l'appui de la multitude, il les cassa comme il avait résolu.

XII. Denis ayant dessein de surprendre une ville maritime, voulut en même temps, et connaître la fidélité de chacun, et tenir son entreprise secrète, en sorte que personne ne sut où il voulait aborder. Pour cet effet il donna à chaque capitaine de galère un paquet cacheté, dans lequel il n'y avait rien d'écrit, avec ordre de ne l'ouvrir que quand il aurait élevé le signal, mais de l'ouvrir, alors, et d'aller aborder au lieu qui serait marqué dans l'écrit: La flotte se mit en route, et Denis, avant que de donner le signal, se mit sur une barque légère, et allant de vaisseau en vaisseau, demanda à chaque capitaine le paquet qu'il lui avait fait donner. Tous ceux dont les paquets se trouvèrent décachetés, il les fit punir de mort, comme traîtres ; et aux autres, il leur donna d'autres paquets où ils trouvèrent indiqué le lieu de la descente. Ce secret si bien couvert fut cause qu'il surprit Amphipolis et s'en empara.

XIII. Denis voulant savoir ce que pensaient de lui ceux qui étaient sous sa domination, fit dresser un état de toutes les chanteuses et autres courtisanes, et se fit apporter la liste de tous leurs noms. La plupart des gens s'imaginèrent que c'était une disposition pour un nouvel impôt. Mais Denis n'en mit aucun sur ces femmes. Il leur fit donner la question à chacune en particulier pour les forcer à lui rendre compte de tout ce qu’elles avaient entendu dire contre la tyrannie, par ceux à la débauche desquels elles avaient servi ; et de tous ceux qu'il apprit par ce moyen qu'ils avaient mal parlé de lui, les uns furent tués par ses ordres, et les autres exilés.

XIV. Denis avait désarmé les habitants. Or quand l'occasion se présentait de faire la guerre aux ennemis, il commandait aux habitants de se rendre à cent stades hors de la ville. Là il leur rendait les armes. Mais après le combat, avant qu'on rentrât dans la ville, et que les portes en fussent ouvertes, il ordonnait de nouveau aux habitants de quitter toutes leurs armes.

XV. Denis voulant savoir qui étaient ceux qui avaient le plus d'éloignement pour sa domination, se retira dans un petit port d'une côte écartée d'Italie, et fit courir le bruit que ses soldats l'avaient tué. Ceux à qui sa domination avait déplu, en marquèrent beaucoup de joie et couraient se faire part les uns aux autres de la chute du tyran. Leur joie ne fut pas de longue durée; Denis les enleva tous et les fit périr.

XVI. Denis feignit une autre fois d'être malade, et fit courir le bruit qu'il n'était pas possible qu'il en réchappât. Et comme il vit que cette nouvelle avait donné une excessive joie à bien des gens, il se montra tout à coup avec ses gardes en public, et ordonna qu'on fît mourir ceux qui avaient donné des marques de joie.

XVII. Denis tirait de grandes rançons des prisonniers Carthaginois; mais les prisonniers Grecs, il les renvoyait sans rançon. Cette humanité du tyran parut suspecte aux Carthaginois ; ils congédièrent tous les Grecs qui étaient à leur solde. Denis y gagna de n'avoir point de Grecs pour ennemis.

XVIII. Denis faisait la guerre aux Messinois, et il y en avait parmi les habitants que l'on soupçonnait de vouloir lui livrer la ville. Pour en augmenter le trouble et le soupçon, Denis faisait ravager les terres des autres et épargner les leurs. Je sais que d'autres généraux ont usé de la même adresse ; mais voici ce que Denis fit de plus. Il envoya un soldat chargé d'un talent d'or, comme pour le distribuer à ceux que l'on soupçonnait. Il fut pris par les Messinois avec son or ; on l'interrogea et l'on sut de lui à qui il portait cet or. On voulut punir sur-le-champ, comme traîtres, ceux qu'il avait nommés. Mais c'étaient des personnes puissantes, qui résistèrent vigoureusement. Cela donna lieu à une sédition, et la sédition rendit Denis maître de Messine.

XIX. Denis manquant d'argent, eut recours à un nouvel impôt sur les habitants. Ils refusèrent de le payer, et dirent qu'ils étaient épuisés par les précédents. Denis ne voulut point les forcer ; mais ayant laissé passer quelque temps, il ordonna aux archontes de tirer hors du temple tout ce "qui était dans le trésor d'Esculape, et il y avait beaucoup de présents d'or et d'argent, de faire porter le tout au marché, comme chose profane, et le vendre à l'encan. Les Syracusiens achetèrent ces ouvrages avec beaucoup d'empressement, et Denis ramassa des sommes considérables. Quand il les eut en son pouvoir, il fit publier un ordre, sur peine de la vie, à tous ceux qui avaient acheté quelque chose qui eût été dédié à Esculape, de le rendre incontinent au trésor de son temple. Tout fut rendu au trésor d'Esculape, et Denis garda l'argent qu'il avait extorqué.

XX. Denis ayant pris une ville dont la plupart des habitants étaient morts, ou avaient pris la fuite, vit bien qu'elle était trop grande pour pouvoir être gardée par peu de personnes. Il y laissa quelques troupes en garnison, et pour suppléer au reste, il fit épouser aux esclaves qui étaient restés les filles de leurs maîtres, afin que devenus par là irréconciliables avec eux, ils lui gardassent plus fidèlement la Ville.

XXI. Denis alla dans le pays des Tyrrhéniens avec une flotte de cent galères et quelques vaisseaux de débarquement, chargés de chevaux. Il fit descente au temple de Leucothée, en enleva soixante-dix talents d'argent monnayé, et remit aussitôt à la voile. Il fut informé que les soldats et les matelots avaient butiné de leur côté et caché quelques talents d'or et un plus grand nombre de talents d'argent. Il fit publier, avant que de mettre à terre, qu'il laisserait à ceux qui avaient pillé, la moitié de ce qu'ils avaient pris, pourvu qu'ils lui donnassent fidèle ment l'autre moitié ; mais, qu'il punirait de mort ceux qui n'obéiraient pas. Les soldats et les matelots apportèrent la moitié de leur butin. Denis trouva moyen de leur tirer le reste ; et pour les dédommager, il leur donna des vivres pour un mois.

XXII. Il y avait du côté de l'Italie des Pariens attachés aux principes de Pythagore, et Denis, tyran de Sicile, traitait avec ceux de Métaponte et les autres peuples d'Italie pour les engager à faire amitié avec lui. Evéphème insinuait aux enfants qu'il avait sous sa conduite, et à leurs pères, de ne prendre aucune confiance au tyran. Denis en fut dans une grande colère, et trouva moyen de se rendre maître de la personne d'Evéphème, comme il passait de Métaponte a Rège, et l'accusa en plein conseil de lui avoir fait un tort infini. Evéphème n'en disconvint pas, mais il soutint qu'il avait eu raison, parce que les gens qu'il avait persuadé, étaient ses amis, au lieu qu'il ne connaissait pas seulement le tyran de vue. Denis le condamna à mort. Evéphème, sans se troubler, lui dit : « Je m'y soumets, puisque c'est une chose résolue. Mais j'ai à Pare une sœur qui n'est point mariée. Je veux aller en mon pays, et la marier ; après cela je reviendrai mourir. » Ce discours fut reçu des assistants avec de grands éclats de rire: mais le tyran en fut étonné. Il dit: « Et quelle assurance donneras-tu de ton retour? Je donnerai caution, dit Evéphème, et je trouverai qui mourra pour moi, si je ne reviens pas. » Aussitôt ayant fait appeler Eucite, il le pria de demeurer caution pour lui. Celui-ci l'accepta sans difficulté, et se soumit à la mort, si Evéphème manquait de se représenter en six mois. En attendant il se constitua prisonnier. La chose était déjà digne d'admiration : mais ce qui le fut bien davantage, c'est qu'Evéphème, après avoir établi sa sœur, vint se livrer lui-même en Sicile, et demander la délivrance de son garant. Denis, pénétré d'estime pour l'un et pour l'autre, les délivra tous deux, et les prenant par la main, les pria de l'admettre pour troisième ami, de vivre à sa cour, et de partager avec lui ses biens et sa puissance. Ils rendirent grâces au tyran de sa bonne volonté : mais ils le prièrent de leur permettre de retourner à leurs occupations ordinaires, qui étaient d'élever la jeunesse ; et Denis le leur accorda. Cette action concilia à Denis l'affection des peuples de la côte d'Italie.

CHAPITRE III.

AGATHOCLE.

Agathocle, tyran de Sicile, après avoir fait serment aux ennemis, le viola, et tua ceux qui s'étaient rendus sur sa parole. Il tourna la chose en raillerie avec ses amis, et dit: « Nous avons soupé ; vomissons les serments que nous avions avalés. »

II. Agathocle ayant vaincu les Léontins, leur envoya Dinocrate, l'un de ses généraux, pour leur dire qu'il voulait imiter à leur égard l'humanité dont avait usé Dénis pour sauver les Italiens qui avaient été vaincus auprès du fleuve Elépore. Les Léotins le crurent, et s'estimèrent heureux. Agathocle étant entré dans la ville, ordonna qu'ils se rendissent tous à l'assemblée sans armes. Le général dit: « Que celui-là lève la main, qui est du même sentiment qu'Agathocle. » Agathocle dit aussitôt: « Mon sentiment est qu'ils soient tous mis à mort. » Ils étaient dix mille; et les soldats d'Agathocle les tuèrent sur le lieu même.

III. Agathocle, informé que les principaux de Syracuse penchaient à la révolte, prit occasion d'une victoire remportée sur les Carthaginois pour faire un sacrifice et un festin où il convia cinq cents hommes du nombre de ceux qui lui étaient suspects. L'appareil du banquet était magnifique, et quand le vin eut mis tout le monde dans la joie, Agathocle parut au milieu de rassemblée, vêtu d'une robe légère à la tarentine, joua de la flûte et de la lyre, et dansa. Le plaisir avait tout mis en mouvement, et l'assemblée était tumultueuse. Il feignit que la lassitude l'obligeait de se retirer, et dans le mo ment des gens armés en grand nombre étonnèrent le lieu de l'assemblée. Ils étaient mille, de sorte que deux se mirent contre chacun des conviés, et les tuèrent tous.

IV. Ophélas le Cyrénien, faisait la guerre avec des troupes nombreuses : Agathocle ayant su qu'il aimait les garçons, lui donna en otage son fils Héraclide, qui était d'une grande beauté. Il avertit seulement son fils de résister pendant quelques jours, et de ne pas céder aux caresses d'Ophélas. L'enfant vint, et le Cyrénien, charmé de sa beauté, ne s'occupait que de lui, et lui donnait tous ses soins, Agathocle amenant les Syracusiens sur ces entrefaites, tua Ophélas, s'empara de tout ce qui était sous sa domination, et recouvra son fils qui n'avait point encore été déshonoré.

V. Agathocle voulait aller porter la guerre du côté de Carthage. Jetant près de mettre à la voile, il fit, dans le dessein d'éprouver ceux qui seraient en disposition de le suivre courageusement, courir une déclaration, par laquelle il permettait à ceux qui voudraient penser à leur conservation, de sortir des vaisseaux, et d'emporter ce qui était à eux. Il y eut assez de gens qui prirent ce parti. Agathocle les fit tous mourir, comme lâches et sans foi, et ayant loué comme courageux et fidèles ceux qui étaient demeurés, il fit le trajet avec soixante vaisseaux, et ayant pris terre en Lybie, mit le feu à tous ses navires, afin que ses soldats perdant l'espérance de la fuite, missent tout leur salut dans leurs efforts et dans la victoire. Ce fut ainsi qu'Agathocle demeura maître des Carthaginois et de plusieurs villes de la Lybie.

VI. Agathocle demanda aux Syracusiens deux mille soldats équipés de tout, sous prétexte de les mener en Phénicie, où il disait que l'appelait une faction qui s'était déclarée en sa faveur. Les Syracusiens le crurent, et lui donnèrent ce qu'il souhaitait. Mais ayant reçu les soldats, il laissa là la Phénicie, et fondant sur les alliés, il alla raser les forts de la côte de Tauromène.

VII. Agathocle fit trêve avec Amilcar. Celui-ci s'en retourna en Lybie, et Agathocle ayant convoqué l'assemblée à Syracuse, dit : « Voici le jour que j'ai souhaité avec tant d'empressement, jour heureux où je vois ma patrie jouir de la liberté. » Dans le moment il ôta son manteau militaire et son épée, et paraissant au milieu de tous comme un simple habitant sans distinction, il donna lieu d'espérer que l'autorité demeurerait entre les mains d'un homme populaire et modéré. Mais an bout de six jours, il tua un grand nombre d'habitants, en chassa plus de cinq mille, et s'empara de la souveraine puissance dans Syracuse.

VIII. Agathocle ayant été informé que Tysarque, Anthropin, Dioclès, et leurs amis, entreprenaient quelque chose contre lui, les fit venir et les mit à la tête des troupes nombreuses, qu'il voulait, disait-il, envoyer sous leur conduite, au secours d'une place des alliés que les ennemis attaquaient. « Trouvez-vous demain, dit-il, au palais de Timoléon avec vos armes et vos chevaux, et nous réglerons le temps et l’ordre de l'expédition. » Cette proposition fit d'autant plus de plaisir aux conjurés, qu'ils voyaient qu'Agathocle leur fournissait lui-même des troupes pour exécuter leur dessein. Mais quand ils furent assemblés le lendemain au palais de Timoléon, des gens préparés par Agathocle et qui attendaient son signal, ayant été avertis, fondirent sur Dioclès, Tysarque et Anthropin, et percèrent de coups plus de deux cents hommes. Leurs amis voulurent les secourir, et de ceux-ci il en demeura six cents sur la place.

CHAPITRE IV.

HIPPARIN.

Pendant qu'Hipparin était chez les Léontins, il apprit que Syracuse était sans défense, parce que les habitants étaient sortis avec Callippe pour quelque expédition. Trouvant l'occasion favorable, il partit de chez les Léon, tins la nuit, et envoya des gens à Syracuse, avec ordre de tuer les gardes. Il fut obéi ; les gardes furent tués; on lui ouvrit quelques fausses portes, et Hipparin faisant entrer par là des étrangers, se rendit maître de Syracuse.

CHAPITRE V.

THÉOCLE.

Théocle ayant amené avec lui des Chalcidiens d'Eabée, se rendit maître de la ville des Léontins, avec le secours des Siciliens qui l'avaient habitée auparavant. Dans la suite, une colonie de Platéens, sortie du pays de Mégare, vint se répandre dans le pays des Léontins. Théocle dit que les serments l'empêchaient de chasser les Siciliens; mais qu'il ferait ouvrir les portes la nuit à la colonie, et qu'elle pouvait traiter les Siciliens eh ennemis. Les Mégariens se saisirent de la place publique et du château, et tombant en arrhes sur les Siciliens qui étaient désarmés, les contraignirent à prendre la fuite. Par ce moyen les Chalcidiens eurent pour concitoyens la colonie de Mégare, au lieu de ceux de Sicile.

II. Six mois après, Théocle trouva moyen de chasser les Mégariens de la ville. Il dit qu'il avait fait vœu pendant la guerre, s'il demeurait maître de la ville, de sacrifier aux douze dieux, et de faire une procession en armes. Les Mégariens furent sans soupçon, et dirent : « A la bonne heure, faites un heureux sacrifice. » Ils prêtèrent même leurs armes aux Chalcidiens pour la cérémonie. On fit le sacrifice, et les Chalcidiens marchaient en grande pompe. Quand ils furent tous rassemblés dans la place et bien armés, Théocle ordonna au héraut de crier : « Mégariens, sortez de la ville avant que le soleil se couche. » Les Mégariens eurent recours aux autels, et supplièrent, ou qu'on ne les chassât point, ou qu'on les renvoyât avec leurs armes. Mais Théocle ayant pris conseil avec les Chalcidiens, ne fut pas d'avis de laisser tant d'ennemis emporter des armes. Les Mégariens désarmés se réfugièrent à Troïle pour y passer l'hiver, et les Chalcidiens ne les y souffrirent pas plus longtemps.

CHAPITRE VI.

HIPPOCRATE.

Hippocrate ayant dessein d'assujettir la ville d'Ergète, avait des distinctions flatteuses pour les Ergetins qui étaient à sa solde ; il leur donnait toujours la meilleure part du butin, de plus grandes récompenses, et des louanges excessives, comme aux plus braves de tous ses soldats ; le tout dans le dessein d'attirer dans ses troupes un plus grand nombre de leurs compatriotes. Ceux de la ville, informés de cette conduite, estimaient heureux ceux qui portaient les armes sous Hippocrate, et tous venaient s'engager avec lui, en sorte que la ville se trouvait déserte. Hippocrate les ayant reçus gracieusement, se mit en marche la nuit, et s'avança dans la plaine des Lestrygons. Il fit camper les Ergetins du côté de la mer, et le reste de ses troupes plus avant en terre ferme. Pendant que les Ergetins étaient bornés par les côtes et par les flots, Hippocrate fit avancer sa cavalerie contre leur ville, et la surprenant sans défense, il lui fit déclarer la guerre par un héraut, et donna le signal à ses troupes de Gélos et de Camarine, défaire main basse sur tous les Ergetins.

CHAPITRE VII.

DAPHNÉE.

Dans une bataille que donnaient à ceux de Carthage les Syracusiens et les Italiens, les Syracusiens avaient l'aile droite, et les Italiens la gauche. Daphnée entendit de grands cris du côté de l'aile gauche, et s'y étant rendu en diligence, y vit les Italiens maltraités, et sur le point d'être vaincus. Il retourna avec précipitation à l'aile droite, et dit aux Syracusiens : « Les Italiens gagnent la victoire à l'aile gauche; il serait bon que nous fissions aussi un effort de notre côté. » Les Syracusiens persuadés que leur général disait la vérité, s'écrièrent : « Poussons tous sans nous épargner. » Ils firent de si grands efforts, qu'à la fin ils mirent les Barbares en fuite.

CHAPITRE VIII.

LEPTINE.

Les Carthaginois, après avoir passé le cap de Pachyn, avaient fait une descente, et ravageaient tout sur terre et sur mer. Leptine posa la nuit des cavaliers en embuscade ; et ayant envoyé secrètement quelques gens plus loin, il leur ordonna de mettre le feu aux logements. Les Carthaginois voyant le feu, y coururent, pour enlever ce que les flammes épargneraient. Mais ils furent coupés par l'embuscade, dans laquelle ils donnèrent, furent poursuivis jusqu'à leurs galères, et la plupart même furent tués.
II. Leptine, parti de Lacédémone, était abordé à Tarente. Les Tarentins ne firent point de mal aux matelots, quand ils les virent à terre, parce qu'ils étaient Lacédémoniens : mais ils cherchaient à se saisir de Leptine. Il quitta ses habits ordinaires, et se chargeant lui-même de son bagage et d'un faix de bois, il remonta sur son vaisseau, coupa l'amarre, retira l'esquif, et reprenant ceux de ses matelots qui purent revenir à la nage, il alla se réfugier auprès de Denis.

CHAPITRE IX.

HANNON.

Hannon conduisait quelques troupes de débarquement amenées de Cartilage, et voguait le long des côtes de la Sicile. Denis le tyran envoya un grand nombre de vaisseaux lui donner la chasse. On était presque sur le point d'en venir à l'abordage, lorsqu'Hannon s'avisa de baisser les voiles. Les ennemis en firent autant. Dans l'instant Hannon commanda que l'on déferlât, et qu'on mît au vent; ce qui fut fait avec une promptitude surprenante. Cette manœuvre donna lieu aux Carthaginois de, s'échapper par la fuite, pendant que les ennemis, qui n'étaient pas si bons hommes de mer, n'agissaient que lentement et avec embarras.

CHAPITRE X.

HIMILCON.

Himilcon de Carthage, sachant le penchant que les Lydiens avaient pour le bon vin, remplit de vin mixtionné de suc de mandragore plusieurs cruches de terre ; et les ayant laissées par-ci par-là dans les faubourgs, se renferma dans la ville, comme s'il n'eût pu résister aux efforts des Lydiens. Ceux-ci bien joyeux de l'avoir réduit à se renfermer au dedans de ses murs, trouvèrent les cruches et n'épargnèrent pas le vin. Ils en burent avec excès, et un sommeil profond les livra sans défense à l'ennemi.

II. Himilcon passant avec la flotte de Carthage, de Lybie en Sicile, la nuit, avait marqué par écrit aux capitaines de ses vaisseaux le lieu où l'on devait se railler, en cas que l'on se séparât par quelque accident imprévu. C'était une précaution contre les avis que les transfuges pouvaient donner aux ennemis. Pour ôter encore aux ennemis la connaissance de sa route, il avait bouché son fanal par-devant, afin de leur en cacher la lumière.

III. Himilcon avait dessein de prendre une ville de Lybie, à laquelle on arrivait par deux chemins malaisés et gardés tous deux par les Lybiens. Il leur envoya un transfuge qui leur dit : « Des deux chemins qui conduisent ici, les Carthaginois veulent en aplanir un pour faciliter leur passage et faire une tranchée à l'autre, pour vous empêcher de les surprendre et les environner. » Les Lybiens voyant qu'en effet on portait des terres dans l'un de «es chemins, et qu'on rendait l'autre impraticable par des tranchées, ajoutèrent foi au transfuge, et se rendirent tous au chemin que Ton aplanissait, bien résolus de s'opposer au passage des ennemis. Mais pendant la nuit, Himilcon, faisant porter des madriers qu'il avait fait préparer, les jeta sur les tranchées et en ayant fait des ponts, fit passer son armée dessus et prit la ville, pendant que les Lybiens gardaient l'autre chemin.

IV. Himilcon assiégeait Agrigente. Les assiégés firent une sortie considérable. Himilcon ayant partagé son armée, donna un ordre secret à une partie de ses troupes qu'il avait mises aux mains avec eux, de prendre la fuite. Il fut obéi, et les Agrigentins poursuivirent les fuyards avec ardeur. Pendant que cela se passait, Himilcon fit mettre le feu tout auprès des murs, à une pilé de bois, et plaça une embuscade dans un lieu couvert. Ceux qui poursuivaient les fuyards, ayant aperçu la fumée, s'imaginèrent que les habitants les rappelaient. Ils reprirent le chemin de la ville ; et alors ceux qui avaient feint de prendre la fuite, se mirent à les pousser jusqu'au lieu de l'embuscade. Ainsi ces Agrigentins serrés de tous côtés, furent tous tués ou faits prisonniers.

V. Himilcon était auprès de Cronium, campé devant les généraux de Denis. Les habitants de Cronium voulaient recevoir les Carthaginois ; mais les généraux n'en étaient pas d'avis. Il y avait une grande forêt entre le camp d'Himilcon et celui des ennemis. Himilcon sachant les dispositions des habitants, prit l'occasion d'un vent qui portait au visage des ennemis, et ayant mis le feu à la forêt, profita de la fumée qui les aveuglait, et se coula vers les murs de la ville sans être aperçu. Les portes lui furent ouvertes par ceux qui le voulaient recevoir, et il fut dedans avant que les généraux de Denis le sussent.

CHAPITRE XI.

GESCON.

L'un des généraux de Lybie et des Carthaginois qui avait eu le plus de réputation, et qui avait le mieux réussi à la guerre avait été Amilcar. Mais l'envie de ses adversaires l'avait attaqué ; ils l'avaient accusé d’aspirer à la tyrannie, et l'avaient fait condamner à mort. Gescon son frère avait été envoyé en exil, et les biens de l'un et de l'autre avaient été vendus et distribués publiquement aux habitants. Apres cela les Carthaginois eurent d'autres généraux, furent vaincus en plusieurs rencontres, et souvent en danger de voir leur état au pouvoir des ennemis. Enfin ils se repentirent d'avoir chassé Gescon. Ils le firent revenir, le réhabilitèrent dans son grade, et lui livrèrent tous ses ennemis, afin qu'il en prît telle vengeance qu'il jugerait à propos. Les ayant reçus liés, il les fit amener devant toute la multitude assemblée, et leur ayant fait mettre ventre à terre, il leur donna à chacun deux ou trois légers coups de pied sur le cou, pour toute punition du meurtre de Son frère. Après cela il les renvoya en leur disant : « Nous n'avons pas rendu le mal pour le mal; mais nous avons voulu vaincre le mal par le bien. » Cette action lui concilia non seulement tous les Carthaginois, mais les ennemis même, et ceux qui étaient en liaison avec eux ; et tous généralement lui rendirent obéissance, comme à un excellent capitaine. La confiance du peuple ranimée par l'habileté du général, changea la face des affaires, et la victoire accompagna Gescon dans ses combats.

CHAPITRE XII.

TIMOLÉON.

Les Carthaginois avaient fait une descente en Sicile, et Timoléon s'avançait contre eux avec son armée. Les Carthaginois ayant fait rencontre d'un mulet chargé d'aches, le prirent à mauvais augure et se découragèrent, parce que dans leur pays l'on orne les tombeaux des morts de festons d'aches. Timoléon, au contraire, fit envisager cet accident à ses soldats comme un présage de la victoire, d'autant que ceux de Corinthe couronnaient d'aches ceux qui remportaient le prix aux jeux isthmiques. Le leur ayant dit, il prit une couronne d'aches» et en fit prendre à tous les chefs qui étaient autour de lui. A leur exemple tous les soldats en firent autant, et se trouvèrent animés à remporter la victoire.

II. Timoléon poursuivait Mamereus, tyran de Catane, qui avait trompé beaucoup de personnes, et leur avait ôté la vie contre la foi des serments; Le tyran se rendit à Timoléon, et consentit d'être jugé par ceux de Syracuse, pourvu que Timoléon ne l'accusât point. Timoléon jura qu'il ne l'accuserait point, et sur cette assurance Mamereus vint à Syracuse. Timoléon l'ayant amené à l'assemblée, dit: «Je ne l'accuse point, parce que je l'ai promis ainsi, mais je conseille que l'on s'en défasse au plus tôt, car il est juste que celui qui a trompé tant de gens, le soit aussi une fois à son tour.

III. Timoléon ayant joint ses troupes à celles des Syracusiens, aperçut d'une hauteur, les Carthaginois, au nombre de cinquante mille hommes, répandus dans la plaine. En même temps il s'éleva un orage qui portait contre les ennemis. Il convoqua l'assemblée, et dit : « Les ennemis sont pris; il y a un oracle qui assure que campant en ce lieu, ils seront exterminés, et le moment de leur défaite est spécifié dans l'oracle même : l'orage s'élèvera subitement; et le voilà. Ce discours releva le courage des Grecs, et le petit nombre, animé par l'oracle prétendu, remporta la victoire sur le plus grand.

CHAPITRE XIII.

ARISTON.

Ariston, capitaine de vaisseau, escortait avec son navire de guerre trois barques chargées de grains. Il parut une galère ennemie, et dans le moment le vent tomba. Ariston fit rapprocher ensemble les trois barques, et les suivit de près, afin que si la galère ennemie attaquait les barques il pût de son vaisseau lancer des traits sur les ennemis, et si les barques essayaient de faire irruption sur la galère ennemie, il pût l'enfermer entre elle et son vaisseau.
II. Pendant que les Athéniens et les Syracusiens se faisaient la guerre sur mer, Ariston Corinthien capitaine de vaisseau, voyant que les uns et les autres demeuraient dans l'inaction, manda aux archontes d'envoyer des vivres sur la flotte. Quand cela eut été fait, il recula sur la côte ; et ayant mis son monde à terre, il fit dîner. Les Athéniens crurent que ces gens se retiraient, et qu'ils se tenaient pour vaincus. Dans la joie que leur donna cette confiance, ils prirent terre et se disposèrent aussi à prendre leur repas. Les Syracusiens remontèrent sur leurs navires, et profitant du trouble des Athéniens n'eurent pas de peine à vaincre, eux qui avaient bien repu des gens qui n'avaient pas eu le temps de manger.

CHAPITRE XIV.

THRASIMEDE.

Thrasimède, fils de Philomèle, aimait la fille de Pisistrate. La rencontrant un jour qui marchait en cérémonie dans une procession, il courut lui donner un baiser. Les frères de la fille se plaignirent de cette action, comme d une grande insulte. Mais Pisistrate dit : « Si nous punissons ceux qui nous aiment, que ferons-nous à ceux qui nous haïssent? »
II. Thrasimède ne pouvant plus résister à la violence de son amour, prit avec lui quelques jeunes gens de son âge, et épia l'occasion que la fille de Pisistrate allait faire un sacrifice au bord de la mer. Ils mirent l'épée à la main, écartèrent la; foule, prirent la fille, la mirent sur un vaisseau, et s'en allèrent à Égine. Hippias, fils aîné de Pisistrate, qui donnait la chasse aux écumeurs de mer, ayant fait rencontre de ce vaisseau, jugea à l'ardeur avec laquelle il le voyait ramer, que c'était un pirate, et l'ayant attaqué, le prit. Il délivra sa sœur, et emmena prisonniers Thrasimède et ses compagnons. Quand on les eut présentés devant le tyran, ils n'eurent point recours aux prières. Ils lui dirent hardiment qu'il pouvait les traiter comme bon lui semblerait, et que dans le moment qu'ils s'étaient résolus à l'enlèvement de sa fille, ils avaient tous fait état de mépriser la mort. Pisistrate admira le courage intrépide de ces jeunes gens, et consentit au mariage de sa fille avec Thrasimède. Il acquit par là leur estime et leur amitié. Ils ne le regardèrent plus comme un tyran, mais comme un bon père et un bon citoyen.

CHAPITRE XV.

MEGACLES.

Mégaclès était de Messine en Sicile. Il était fort opposé à Agathocle, tyran de Syracuse, et avait ligué contre lui beaucoup de Siciliens; il avait même promis de grandes récompenses à qui pourrait lui ôter la vie. Agathocle irrité, se prépara pour assiéger Messine. Il envoya un héraut demander Mégaclès aux Messinois, et s'ils refusaient de le livrer, il menaça de prendre la ville, et de faire tous les habitants esclaves. Mégaclès n'eut point peur de la mort; il s'y offrit volontairement, à condition seulement qu'on l'enverrait comme ambassadeur. Les Messinois y consentirent, et Mégaclès étant venu dans le camp d'Agathocle, dit : ce Me voilà venu vers toi, et comme ambassadeur et comme victime. Donne-moi d'abord audience avec tes amis, comme à un ambassadeur. » Agathocle rassembla ses amis, et Mégaclès exposa en leur présence les droits de sa patrie. Il finit en disant : Si les Messinois attaquaient Syracuse, seraitce pour eux ou pour les Syracusains que tu te déclarerais ? » Agathocle sourit à ces paroles; ses amis le prièrent de pardonner à l'ambassadeur. Agathocle mit fin à la guerre et fit amitié avec les Messinois.

CHAPITRE XVI.

PAMMENES.

Pammenès conduisait ses troupes à Thèbes à travers la Phocide. Les ennemis s'étaient saisis d'une hauteur appelée Phïlobéote. On y allait par deux chemins étroits, l'un desquels était déjà pris. Pammenès donna de la profondeur à ses rangs ; et ayant disposé ses troupes de manière qu'elles pussent marcher sans embarras, il feignit d'avancer par la droite. Les ennemis quittant alors sa gauche, coururent à sa droite pour s'opposer à sa marche, et Pammenès profitant de leur erreur, courut en diligence à la gauche, et fit passer ses troupes en toute sûreté.

II. Pammenès avait dans son armée beaucoup de cavalerie. Les ennemis étaient supérieurs en nombre de gens couverts d'écus. Il leur opposa le peu qu'il en avait, avec son infanterie le gère, c'est-à-dire ce qu'il avait de plus faible à ce que les ennemis avaient de plus fort, avec ordre de prendre la fuite, afin de séparer les porteurs d'écus d'avec le reste de leur phalange. Quand cela fut fait, il prit la cavalerie de l'autre aile, et fondit avec sur les ennemis qui se trouvèrent enveloppés, tant par cette cavalerie que par ceux qui avaient feint auparavant de prendre la fuite, et avaient fait volte-face ; et de cette manière ils furent entière ment défaits.

III. Pammenès avait dessein de se rendre maître du port des Sycioniens. Il se proposa de l'attaquer par terre, et en même temps, ayant chargé de soldats un vaisseau rond, il l'envoya à l'entrée du port. Quelques-uns de ces soldats descendirent à terre le soir, sans armes, comme gens qui ne venaient là que pour acheter des vivres. Le soir même Pammenès voyant le vaisseau arrivé, attaqua la ville à grand bruit. Les habitants du port accoururent au tumulte pour secourir la ville ; et pendant ce temps-là les soldats qui étaient dans le vaisseau ayant fait descente, s’emparèrent du port, sans y trouver de résistance.

IV. Pammenès trompa les ennemis, en leur faisant prendre le change par de faux signaux. Il avait ordonné à ses soldats d'aller à la charge, quand la trompette sonnerait la retraite, et de faire retraite quand la trompette sonnerait la charge. De l'une et de l'autre manière il déconcerta les ennemis, et leur fit souffrir de grandes pertes.

V. Pammenès se trouvant avec peu de troupes, environné d'une grande multitude, envoya un transfuge dans le camp des ennemis. Cet homme ayant eu l'adresse d'attraper le mot, revint le dire à Pammenès, qui attaqua les ennemis la nuit ; et traversant le camp à cheval, à la faveur du mot qu'il avait appris, il y fit un grand carnage, sans que les ennemis, trompés par ce signal, pussent reconnaître leurs compagnons dans les ténèbres.

CHAPITRE XVII.

HÉRACLIDE.

Démétrius, après avoir laissé Athènes à la garde d'Héraclide, s'en était allé en Lydie. Les généraux des Athéniens résolurent, dans un conseil secret, de persuader à Jéroclès le Carien, chef des étrangers, d'ouvrir les portes la nuit, et de donner entrée à des soldats de l'Attique qui tueraient Héraclide. Cela fut réglé à Hisse, dans le temps qu'on y faisait la cérémonie lustrale des petits mystères ; et les généraux Hipparque et Mnésiéme prirent et donnèrent le serment. Mais Jéroclès demeura fidèle à Héraclide, et lui découvrit toute la conspiration. Celui-ci convint avec Jéroclès qu'il laisserait entrer les conjurés la nuit, et qu'à cet effet, on démolirait, pour leur faciliter l'entrée, une partie des portes. On introduisit la nuit quatre cent vingt hommes, conduits par Mnésidème, Polyclès, Callisthène, Théopompe, Satyre, Anétoride, Sthénocrate et Pythion. Héraclide fit fondre sur eux deux mille soldats bien armés, qui les tuèrent tous à mesure qu'ils entraient.

II. Un autre Héraclide, architecte de Tarente, avait promis à Philippe, père de Persée, de brûler lui seul la flotte des. Rhodiens. Pour disposer la chose, il sortit de la cour de Philippe, portant sur lui des marques des mauvais traitements qu'il disait avoir reçus; et s'étant réfugié au pied d'un autel, il prit des branches sacrées à la manière des suppliants, et implora la miséricorde de la multitude. Il fit tout cela si naturellement, qu'il y eut beaucoup de Macédoniens qui ne purent s'empêcher de dire qu'on avait eu tort d'en user avec lui de la sorte. Ensuite il monta sur une barque, et venant à Rhodes, il dit : « Je me réfugie auprès de vous, car c'est à cause de vous-mêmes que je suis maltraité et chassé de Philippe. Il voulait vous faire la guerre et je tâchais de l'en empêcher, et pour vous faire voir que je dis la vérité, voilà des lettres qu'il a écrites aux Crétois pour les exciter à vous attaquer conjointement avec lui. » Les Rhodiens se laissèrent persuader par ces lettres, et reçurent parmi eux Héraclide, comme un homme qui leur rendrait de grands services contre Philippe. Il prit occasion d'un grand vent, et mit le feu la nuit aux arsenaux et aux ateliers des Rhodiens, qui furent tous brûlés avec les galères qui s'y trouvèrent. Pour lui, après avoir fait son coup, il remonta sur une barque, et s'en étant retourné en Macédoine, il tint le premier rang entre les amis de Philippe.
CHAPITRE XVIII.

AGATHOSTRATE.

Les Rhodiens faisaient la guerre au roi Ptolémée ; ils étaient du côté d'Éphèse, et Chrémonide commandait la flotte de Ptolémée, destinée contré eux. Agathostrate commandait celle des Rhodiens. Quand il fut à la vue des ennemis, il recula, et retourna mouiller pendant quelque temps ait même lieu d'où il était parti. Les ennemis se persuadèrent qu'il n'osait en venir aux mains, poussèrent de grands cris de joie, et rentrèrent dans le port. Agathostrate serrant sa flotte, attaqua les ennemis par ses deux ailes. Ils ne l'attendaient plus, et avaient pris terre au temple de Vénus. Il les surprit et remporta la victoire sur eux.
CHAPITRE XIX.

LYCUS.

Ainette, général de Démétrius avait la garde d'Éphèse, et permettait aux Pirates de faire des coursés sur les confins. Lychus, général de Lysimachus, trouva moyen de gagner, à force de présents, Andron, chef des pirates, qui le rendit maître d'Éphèse; et voici comment. Il prit les soldats de Lycus, les désarma, les lia comme prisonniers, et les fit voir aux habitants en veste et en manteau, sans aucune arme qui parût; mais ils avaient des dagues cachées sous l'aisselle, dont ils avaient ordre de se servir quand ils seraient auprès de la citadelle. Pendant qu'ils mettaient à mort les gardes et les portiers du fort, on donna le signala Lycus et à ceux qui étaient avec lui. Ils firent irruption dans la place, prirent Ainette, et s'emparèrent d'Éphèse. Ils récompensèrent les Pirates, mais ils les renvoyèrent aussitôt, parce qu'ils n'estimèrent pas qu'il fût de la ; prudence de se fier à des gens qui avaient eu si peu de fidélité pour leurs anciens amis.
CHAPITRE XX.

MENECRATE.

Menecrate, voulant s'emparer de Salamine en Chypre, donna l'assaut deux fois et fut repoussé. Toutes les deux fois ses soldats prirent la fuite et se retirèrent sur leurs vaisseaux. Il résolut d'attaquer la place une troisième fois, et ayant mis ses troupes à terre, il ordonna aux pilotes d'emmener les vaisseaux au signal qu'il leur ferait, et de les aller cacher derrière un cap voisin. Les soldats vont encore à l'assaut, et sont repoussés comme auparavant; mais ne voyant plus leurs vaisseaux, vers lesquels ils prenaient la fuite, ils mirent toute leur ressource dans le désespoir, et ne pouvant plus fuir, ils se battirent avec tant d'ardeur, qu'ils remportèrent la victoire, et demeurèrent maîtres de Salamine.

CHAPITRE XXI.

ATHÉNODORE.

Athénodore faisant la guerre pour le roi, fut vaincu par Phocion, auprès d'Atarne. Il engagea ses soldats et les capitaines à se battre avec acharnement jusqu'à la mort. Ayant lié ses soldats par ce serment, il les ramena à la charge, et l'on vit alors les vainqueurs vaincus, et ceux qui avaient auparavant été défaits, remporter la victoire.

CHAPITRE XXII.

DIOTIME.

Diotime escortait avec deux galères, des barques chargées de grains. Il fut atteint du côté de Chio, pendant un temps calme, par vingt galères lacédémoniennes. Il prit la fuite autour de ses barques, et comme ses vaisseaux étaient très légers à la course, il ne reçut aucun dommage. Au contraire, donnant de temps en temps par la poupe sur les vaisseaux ennemis qui s'avançaient le plus, il en fit couler dix à fond. Il était contre toute apparence, que ceux qui fuyaient remportassent la victoire contre ceux qui leur donnaient la chasse, et c'est cependant ce qui arriva dans cette rencontre.

II. Diotime, avec dix navires, rencontra les Lacédémoniens qui en avaient autant, mais qui n'osaient cependant approcher, parce qu'ils craignaient les Athéniens, et savaient qu'ils étaient meilleurs hommes de mer. Diotime, pour les tromper, ôta les rames d'un côté de ses galères, et les ayant accouplés deux à deux, ne mit qu'une voile à chaque couple, et vogua de cette manière. Les Lacédémoniens ne voyant que cinq voiles, crurent qu'il n'y avait que cinq vaisseaux, et continuèrent leur route avec mépris. Diotime détacha les galères, et donnant sur les ennemis avec dix vaisseaux et une manœuvré bien conduite, il fit couler à fond six vaisseaux lacédémoniens, et en prit quatre avec tous ceux qui étaient dessus.

III. Diotime, général de la flotte des Athéniens, ayant une expédition à faire, assembla secrètement les capitaines de galères, et leur dit qu'il prendrait pour faire sa route les vaisseaux les plus légers à la course. Mais il ne donnait cet avis que pour empêcher les capitaines de demeurer seuls, ce qui serait arrivé, s'il eût emmené sans eux le plus grand nombre des meilleurs vaisseaux.

IV. Diotime conduisit la flotte dans un canton du pays ennemi, la nuit. Il tira de chaque vaisseau un bon nombre de gens, et les ayant mis à terre, il les posa en embuscade. Au point du jour il fit arrêter ses navires du côté de cette embuscade. Il avait donné ordre à ceux qui étaient sur le tillac de se préparer au combat, et aux trois ordres des rameurs, de hausser les rames les uns après les autres, c'est-à-dire ceux du plus bas rang les premiers; le second pont ensuite, et puis ceux d'en haut. Pendant ce temps-là il essaya de faire prendre terre à l'une de ses barques. Les ennemis accoururent pour s'y opposer; mais les gens qui étaient en embuscade, se montrèrent, tuèrent un grand nombre d'ennemis, et mirent le reste en fuite ; après quoi Diotime fit sa descente sans péril.

CHAPITRE XXIII.

TYNNIQUE.

Theudosie, ville du Pont, était assiégée par des tyrans du voisinage, et était en danger d'être prise. Voici comme Tynnique en fit lever le siège. Il partit d'Héraclée avec un vaisseau rond et une galère, qu'il chargea d'autant de soldats qu'il en put rassembler. Il prit aussi trois trompettes et autant de canots d'une seule pièce, dans chacun desquels il ne pouvait tenir qu'un homme; il part la nuit, et étant arrivé près: de Theudosie, il mit les canots à l'eau, et un trompette dans chacun, avec ordre de s'écarter raisonnablement les uns des autres, et au signal qu'on leur ferait du vaisseau rond et de la galère, de se mettre à sonner de la trompette les uns après les autres, en sorte qu'il parût qu'elles étaient en grand nombre. Au signal qui fut donné, les trompettes firent leur devoir avec tant d'éclat que toute la ville et les environs en retentissaient. Les assiégeants s'imaginèrent qu'il était venu une flotte considérable au secours de la place. Ils abandonnèrent honteusement les gardes qu'ils avaient posées, et s'en allèrent. Tynnique s'avança avec ses deux vaisseaux, et jouit de la gloire d'avoir délivré Theudosie.

CHAPITRE XXIV.

CLITARQUE.

Les ennemis venaient contre Clitarque. Il ne voulut pas être réduit à se défendre derrière ses murs. Il fit sortir toutes ses troupes hors de la ville, en fit fermer les portés, et s'en fit jeter les clefs par-dessus les murailles. Les ayant prises, il les montra aux soldats. Ils se tinrent pour dit qu'ils n'avaient que faire d'espérer de trouver une retraite dans la ville; ils s'animèrent à combattre courageusement, et remportèrent la victoire.

CHAPITRE XXV.

TYMARQUE.

Tymarque, étolien, ayant fait descente en Asie, se trouva dans un pays très peuplé. La multitude des ennemis était grande, et il avait sujet de craindre que ses troupes ne prissent la fuite. Pour les en empêcher, il mit le feu à tous ses navires. Les soldats n'ayant plus d'espérance de pouvoir fuir, combattirent courageusement, et remportèrent la victoire.

CHAPITRE XXVI.

EUDOCIME.

Eudocime voyant ses soldats animés les uns contre les autres dans un tumulte, et prêts à s'entre attaquer, ne trouva point de meilleur moyen, pour apaiser la sédition, que d'ordonner aux coureurs de crier partout que les ennemis venaient attaquer les retranchements. A cette nouvelle, le tumulte cessa, chacun reprit son poste, et tous veillèrent à la garde du camp.

CHAPITRE XXVII.

PAUSISTRATE.

Pausistrate, général de la flotte des Rhodiens, indiqua une revue générale de ses troupes. Tous les soldats parurent avec leurs plus belles armes. Il les fit tous monter sur leurs vaisseaux, et chacun, par ses ordres, arrangea régulièrement ses armes en son lieu; après quoi, Pausistrate établit des gardes pour empêcher qu'il en fût emporté aucune.

CHAPITRE XXVIII.

THÉOGNIS.

Théognis, général des Athéniens, voyant ses soldats en différend pour les rangs et la marche, et que l'envie d'avoir le pas les uns sur les autres mettait tout en désordre, fit partir la nuit quelques cavaliers, et les envoya vers des hauteurs, avec ordre de se montrer comme ennemis, parce qu'en effet on en attendait de ce côté là. Ils obéirent, et Théognis aussitôt rallia toutes ses troupes avec empressement. La crainte des ennemis fit cesser les contestations, et chacun reprit son poste. Alors Théognis leur dit: « Ce n'est rien, vos ennemis sont vos amis. Mais vous êtes bien; gardez désormais les rangs que vous vous êtes donnés vous-mêmes. »

II. Théognis soupçonnant qu'il y avait des espions dans le camp, posa des gardes au dehors des retranchements, et ordonna que chacun se tînt sous les armes. De cette manière, il lui fut aisé de découvrir les espions, parce qu'ils ne se" trouvèrent pas; armés comme les autres.

CHAPITRE XXIX.

DIOCLÈS.

Dioclès, général des Athéniens, étant dans le pays ennemi, s'aperçut que ses soldats marchaient en désordre et à la débandade, et négligeaient de porter leurs armes. Il s'avisa de changer coup sur coup le mot du guet. Les soldats en conjecturèrent que l'ennemi était proche, reprirent les armes et gardèrent exactement leurs rangs dans la marche.

CHAPITRE XXX.

CHILIUS.

Chilius l'Arcanien, étant à Lacédémone, apprit que les Spartiates mettaient en délibération de murer l'isthme, et d'abandonner les Athéniens et tous les autres Grecs qui étaient hors du Péloponnèse. Il dit à ce sujet: « Quand les Athéniens et les autres Grecs, abandonnés par vous, auront traité de leurs intérêts avec les Perses, les Barbares trouveront aisément plusieurs lieux propres à faire descente dans le Péloponnèse. » Les Lacédémoniens, persuadés par ce discours, laissèrent là, leur projet de l'isthme, et admirent tous, les Grecs dans la guerre contre les Barbares.

CHAPITRE XXXI.

CYPSÈLE.

Cypsèle prit les plus illustres d'entre les. Bacchiades, et les envoya à Delphes comme députés, pour consulter l'oracle, pour le bien public des Corinthiens. Mais il leur défendit de remettre le pied dans le pays de Corinthe. C'est ainsi qu'il continua de se maintenir dans la tyrannie en sûreté, en chassant les plus nobles des citoyens.

CHAPITRE XXXII.

TÉLÉSINIQUE.

Télésinique de Corinthe, se battait sur mer avec les Athéniens dans le port de Syracuse. Quand le combat eut duré une partie du jour, il envoya une chaloupe à la ville demander aux Syracusains de lui envoyer des vivres au port. Aussitôt qu'on les eut apportés, il leva le signal ; et laissant la victoire indécise, il entra dans le port. Les Athéniens, de leur côté, prirent terre et se séparèrent ça et là, pour prendre leur repas. Télésinique avait trouvé des vivres tout prêts ; ses troupes eurent bientôt repu. Sans perdre de temps, il plaça sur le tillac ses archers et ses autres gens de trait, et fondant avec cette multitude bien en ordre sur les Athéniens troublés et embarrassés dans les mouvements qu'ils faisaient pour se rembarquer, il leur présenta l'éperon de ses galères, et les mit en déroute.

II. Télésinique ayant pris garde que les ennemis mangeaient aux mêmes signaux que lui, en un mot qu'ils l'imitaient dans toute, sa manœuvre, ordonna à ceux qui étaient sur ses galères les plus légères à la course, de, dîner ayant le jour, et puis de se, reposer sur leurs vaisseaux. Quand l'heure du dîner fut venue, il fit faire le signal, ordinaire, et l'on se mita manger dans les vaisseaux où l'on n'avait pas encore repu. Les ennemis, de leur côté, voyant ceux-là occupés à manger, en firent autant. Alors Télésinique faisant avancer sur le tillac ceux qu'il avait eu soin de faire repaître avant le jour, donna sur les ennemis occupés à prendre leur repas, et fit périr un grand nombre de leurs galères.

CHAPITRE XXXIII.

POMPISQUE.

Pompisque, Arcadien, avait cette pratique dans ses campements. Les chemins qui conduisaient à son camp, il les coupait par des tranchées, et les rendait impraticables, et en dressait de nouveaux, afin que les espions et ceux qui auraient pu faire des entreprises de nuit, marchant par les anciens chemins, tombassent dans les tranchées, faute d'avoir connaissance des chemins nouvellement dressés.

II. Pompisque s'étant aperçu que les ennemis observaient avec attention ses signaux et ses ordres, commanda en secret à ses soldats de faire tout le contraire de ce qui serait ordonné à cri public,.

III. Pompisque ayant bloqué une ville, tenait la plus grande partie du pays fermée aux habitants. Il n'y eut qu'un certain canton qu'il laissa libre, et défendit à ceux qui faisaient le dégât d'y toucher. Les habitants se répandirent en liberté de ce côté-là. Pompisque ayant appris par les coureurs que les habitants s'étaient rassemblés en ce lieu en grand nombre, les y surprit, et les fit presque tous prisonniers.

IV. Pompisque assiégeait une place, et ne pouvait venir à bout de la prendre. Il fit passer du côté des assiégés un transfuge, qui leur dit que les Arcadiens le rappelaient, et qu'ils ne savaient comment se résoudre à souffrir la honte de lever le siège. Ces nouvelles donnèrent de la joie aux habitants. Elle fut bien plus grande, lorsque, peu de jours après, ils virent les ennemis décamper. Alors ajoutant pleinement foi au transfuge, ils sortirent et se mirent à piller le camp. Pompisque retourna contre eux, les prit et se rendit maître de la place.

V. Pour découvrir plus aisément les espions des ennemis, Pompisque avait coutume, après avoir placé son camp sur des hauteurs, d'y faire des avenues fort étroites, dont les entrées étaient marquées par des chapeaux. C'était par là qu'il ordonnait à ceux qui allaient aux vivres et au fourrage d'entrer et de sortir. Les espions évitaient ces chemins, comme trop fréquentés, et le soin qu'ils prenaient de tenir des chemins de traverse, les faisait découvrir et prendre.

VI. Pompisque employait pour espions des gens inconnus les uns aux autres, pour les empêcher de se concerter ensemble, et de dite de fausses nouvelles. Il leur défendait aussi de s'entretenir avec qui que ce fût de l'armée, de peur que par jalousie contre eux, on ne fît savoir aux ennemis leurs démarches.
CHAPITRE XXXIV.

NICON.

Nicon, pilote samien, voulant passer à travers les galères ennemies qu'il avait rencontrées, et n'être point découvert, goudronna et espalma la sienne de la même manière qu'il sut que les autres avaient accommodé les leurs ; et ayant choisi les plus habiles et les plus vigoureux rameurs, il vogua le long des proues des autres navires, comme étant de la même flotte, au grand étonnement des ennemis, qui ne le reconnurent pour n'être pas des leurs, que lorsqu'il n'était plus possible de l'arrêter.

CHAPITRE XXXV.

NÉARQUE.

Telmisse était au pouvoir d'Antipatride, Néarque de Crète voulant s'en emparer, aborda au port, et demanda à parler à Antipatride, avec qui il était en liaison d'amitié depuis longtemps. Antipatride descendit du fort, et conféra avec Néarque, qui lui dit qu'il voulait confier à sa garde des filles de joie et des jeunes gens qu'il avait faits captifs. Antipatride s'en chargea sans difficulté. Les jeunes gens liés portèrent le bagage de musique des courtisanes ; mais dans les étuis des flûtes il y avait des dagues nues, et dans les sacs il y avait des targes. Quand on fut arrivé dans le fort, ceux qui menaient les courtisanes et les jeunes gens, empoignèrent les dagues, et de cette manière Néarque se rendit maître de Thelmisse.

CHAPITRE XXXVI.

DOROTHÉE.

Dorothée, de Leucade, n'avait qu'un seul vaisseau, poursuivi par deux vaisseaux ennemis. Il avait quelque peu d'avance, et enfila la route du port. Mais au lieu d'y entrer, il détourna tout d'un coup à côté. Le premier vaisseau qui le poursuivait, ne put retenir sa course, et Dorothée revirant dessus, le fit couler à fond. L'autre galère qui suivait, voyant ce qui était arrivé à celle-là, prit le large, et s'échappa par la fuite.

CHAPITRE XXXVII.

SOSISTRATE.

Sosistrate persuada au peuple de Syracuse d'envoyer en exil les amis d'Agathocle, et ceux qui lui avaient prêté secours pour usurper la domination dans l'état. Quand on eut mis hors de la ville tous ces gens qui se trouvaient au nombre de mille, les cavaliers et les autres gens de guerre qui les conduisaient, en tuèrent dès lors une partie; et ceux qui avaient pris la fuite, Sosistrate permit qu'on les fît mourir. Il s'empara des biens de tous les bannis ; et ayant ramassé des soldats grecs et barbares, et même des malheureux tirés des mines où ils étaient condamnés, il en fit ses gardes, et demeura maître de Syracuse.

CHAPITRE XXXVIII.

MOGNETE.

Diognete, Athénien, voulant prendre une certaine ville, «ut des troupes à terre la nuit, et les fit poser en embuscade. Le jour venu, il s'avança à découvert avec sa flotte. Les habitants sortirent pour s'opposer à sa descente. Pendant ce temps-là, ceux de l'embuscade attaquèrent la ville et la prirent sans grande résistance, et Diognete, de son côté, fit sa descente; malgré tous les efforts des habitants, qu'il contraignit à se soumettre.

CHAPITRE XXXIX.

ARCHEBIUS.

Archebius, d'Héraclée, voyant que les ennemis faisaient des descentes continuelles, rassembla plusieurs barques de pêcheurs; et les ayant amarrées par la quille, d'une manière qu'il était difficile de les détacher, il se mit en embuscade avec quelques soldats, et fit mettre un trompette en sentinelle au haut d'un arbre. Cet homme aperçut les ennemis qui s'avançaient avec une frégate longue, et deux galères à trente bancs, et qu'ayant débarqué, les uns faisaient le dégât sur la côte, et les autres s'attachaient à défaire les amarres des barques des pêcheurs. Il sonna de la trompette, et dans le moment Archebius sortant de son embuscade, attaqua et défit les ennemis, prit leurs trois vaisseaux, et les emmena dans le port de la ville.

CHAPITRE XL.

ARISTOCRATE.

Aristocrate, Athénien, ayant pris un vaisseau lacédémonien, le monta et alla mouiller à une ville amie des Spartiates. Le vaisseau fut reçu dans le port comme ami. Mais ceux qui étaient dessus avaient des dagues cachées. Ayant pris terre au port, ils firent irruption sur ceux qui s'y promenaient, en tuèrent dix, et en enlevèrent vingt-cinq, qu'ils entraînèrent sur leur vaisseau, et s'en allèrent avec cette proie, dont Aristocrate retira depuis une grosse rançon.
CHAPITRE XLI.

ARISTOMAQUE.

Aristomaque ayant pris des galères des Cardiens, fit passer dessus ses rameurs, et orna ces galères des dépouilles des siennes propres. Il s'avança de cette sorte, au son des flûtes, eh faisant remorquer après lui ses propres galères, comme gagnées sur l'ennemi, et arriva sur le soir au port des Cardiens. Ils sortirent hors de la ville en grande joie. Ils s'imaginaient que leurs galères avaient remporté la victoire. Mais la descente des soldats d'Aristomarque les détrompa. Il prit un grand nombre de ces habitants.

CHAPITRE XLII.

CHARIMÈNE.

Charimène, de Milet, s'étant réfugié dans la Phasélide, y fut poursuivi par des frégates longues de Périclès le Lycien. Pour se sauver, il prit une fausse chevelure, et traversant à pied le pays même qui était sous l'obéissance de Périclès, il eut le bonheur de s'échapper.

CHAPITRE XLIII.

CALLIADE.

Le pilote Calliade se voyant vivement poursuivi par un vaisseau très léger à la course, changeait de moment à autre le mouvement de son gouvernail, selon qu'il voyait qu'on venait sur lui, pour éviter que le vaisseau ennemi ne donnât de son avant dans son gouvernail, et afin qu'il ne fît tout au plus effort que contre les basses rames.

CHAPITRE XLIV.

MEMNON.

Memnon avait dessein de faire la guerre à Leucon, tyran du Bosphore. Pour savoir au juste quelle était la force et la multitude des ennemis, il envoya un ambassadeur à Leucon, avec une galère, comme pour traiter aveclui d'alliance et d'amitié. Il joignit à l'ambassadeur, Aristonique d'Olynthe, le plus fameux joueur de lyre qui fût alors dans toute la Grèce, afin que la réputation de ce maître si renommé attirât tout le monde dans les lieux où l'ambassadeur aborderait. Le concours prodigieux qui se devait faire dans les théâtres pour entendre Aristonique, devait sans doute fournir à l'ambassadeur, un moyen sûr de connaître le nombre de ces hommes.

II. Memnon voyant que les ennemis rie voulaient point descendre d'un poste très avantageux qu'ils avaient occupé, et ne pouvant les forcer à combattre, se retira du lieu où il s'était fortifié, et partageant son armée en deux, il la disposa de sorte qu'une moitié semblait menacer l'autre d'en venir aux mains. En même temps il fit passer un transfuge du côté des ennemis, qui leur dit qu'il y avait une sédition générale dans le camp des Grecs, qu'ils étaient prêts de s'égorger les uns les autres, que c'était pour cela surpris par les ennemis pendant qu'ils se battraient eux-mêmes ; et qu'on ne devait pas laisser échapper une si belle occasion sans prendre les armes et fondre sur des gens qui n'étaient pas en état de résister. Les ennemis ajoutèrent foi au rapport du transfuge; d'autant plus qu'ils croyaient voir les choses comme il les leur disait. Ils descendirent enfin, des hauteurs où ils étaient postés; mais dans le moment que Memnon les vit dans la plaine, ce fut contre eux que combattirent ses troupes, et non pas contre elles-mêmes, et tous furent réduits sous son obéissance.

III. Charès tenait Aristonyme as siégé dans Métymne. Memnon lui envoya une ambassade pour le prier d'épargner Aristonyme, qui était son ami, qui l'avait été de son père, et avec qui il avait des liaisons d'hospitalité. Au surplus il l'avertissait que la nuit sui vante il serait au secours d'Aristonyme avec tous ses soldats. Charès méprisa l'avis des ambassadeurs, et crut qu'il était impossible qu'une armée pesante comme celle de Memnon, fût à Métymne la nuit même. Memnon ayant marché le soir cinq stades, mit sur des barques douze cents soldats, et leur donna ordre, quand ils seraient mon tés au fort, d'allumer du feu, et de fondre sur les ennemis. Cela fut fait. La nuit augmenta la terreur de l'attaque, et le feu s'élevant, obligea Charès éprendre la fuite, parce qu'il s'imagina qu'en effet Memnon était entré dans le fort avec toutes ses troupes.

IV. Memnon, à la tête de quatre mille soldats, plaça son camp à quarante stades de Magnésie, et l'environna d'un bon mur tout autour. Parmenion et Atale étaient dans Magnésie avec dix mille hommes. Memnon, après avoir bien fortifié son camp, en fit sortir ses troupes préparées au combat, et s'avança jusqu'à dix stades. Les ennemis vinrent à sa rencontre : On se battit; Memnon fit sonner la retraite, et se renferma dans l'enceinte de ses murs. Les ennemis en firent autant de leur côté. Un autre jour Memnon mena ses troupes contre les ennemis, qui se présentèrent pareillement ; il se retira encore, et ils firent de même ; et ce jeu se fit plus d'une fois par jour. Enfin Memnon s'étant aperçu qu'ils avaient quitté leurs armes, et se mettaient à dîner, il se montra de nouveau en bon ordre, et les trouva désarmés, dans l'embarras et l'agitation, et leur phalange toute dérangée; il en tua un grand nombre, en fit beaucoup de prisonniers, et contraignit le reste à se retirer dans Magnésie.

V. Memnon faisant incursion dans le pays de Cyzique, se mit sur la tête un chapeau macédonien, et ordonna à tous les commandants d'en faire autant. Ceux de Cyzique voyant cela de dessus leurs murs, s'imaginèrent que c'était Chalcus le Macédonien, leur ami et leur allié, qui venait à leur secours. Ils ouvrirent aussitôt les portes pour le recevoir. Mais ayant reconnu ces gens aies voir de près, ils refermèrent leurs portes. Memnon ravagea le plat pays, et s'en alla chargé de butin.

CHAPITRE XLV.

PHILOMÈLE.

Dans le temps que les Thébains et les Thessaliens faisaient la guerre aux peuples de la Phocide. Philomèle demanda la conduite des armes, et répondit du succès si on le faisait général. Ayant obtenu cette charge, il soudoyades troupes étrangères, et s'étant emparé des deniers sacrés, il les employa avec effronterie à son profit particulier, et changea en tyrannie une autorité qu'il n'avait reçue que par commission.

CHAPITRE XLVI.

DÉMOCLÈS.

Démoclès ayant été chargé d'une ambassade, fut accusé par les autres ambassadeurs, qu'il avait eu pour collègues, d'avoir fait un tort considérable aux affaires de Denis. Le tyran en fut irrité. Démoclès leur dit : « Tout notre différend vient de ce qu'après le souper ils ont voulu chanter les vers de Stésiphore et de Pindare, et moi je me suis mis à chanter des pièces de ta façon »; et dans le moment il entonna un des airs qu'avait fait Denis. Gela fit plaisir au tyran, qui ne voulut plus entendre parler de l'accusation.

CHAPITRE XLVII.

PANNETIUS.

Pannetius était général des Léontins; dans le temps qu'ils étaient en guerre avec les Mégariens au sujet des limites du pays. Il trouva moyen d'animer les pauvres et les gens de pied contre les marchands et les cavaliers, en suggérant aux premiers de se plaindre que dans les combats tout l'avantagé était pour ceux-ci, et toute la peine et la perte pour eux. Ensuite il ordonna une revue générale des armes, et la fit faire hors des portes. U compta toutes les armes, et prit soin de les examiner ; après quoi délivrant les chevaux aux palefreniers et aux postillons, il leur ordonna de les mener à la pâture. Il avait préparé, pour l'exécution de son dessein, six cents hommes armés d'écus, et avait chargé celui qui les commandait de compter les armes. Il fit semblant d'avoir besoin de se mettre à l'ombre, et se retira sous des arbres. Il persuada aux palefreniers et aux postillons d'attaquer leurs maîtres. En effet ils montèrent sur les chevaux, saisirent les armes qui avaient été comptées, et trouvant leurs maîtres sans armes, les mirent à mort, Les porteurs d'écus donnèrent leur consentement à ce carnage. Ils coururent avec précipitation dans la ville, et la mirent au pouvoir de Pannetius, qui en devint ainsi le tyran par leur ministère.

CHAPITRE XLVIII.

PYRÉCHMÈS.


Ce chapitre manque dans le texte, aussi bien que le suivant. Pour savoir qui était Pyrechmès, il n'y a qu'à voir Strabon, liv. 8, et Pausanias au commencement du premier des Héliaques.

CHAPITRE XLIX.

SATYRE.

Manque.
On croit que Satyre était un des rois du Bosphore Cimmérien. Il est encore fait mention de Satyre dans Polyen, liv. 8, chap. 54. Diodore en a aussi parlé.



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LIVRE SIXIEME — CHAP. Ier. — Jason — CHAP. II. — Alexandre de Phérès. — CHAP. III. — Athénocle — CHAP. IV. —Philopoemen — CHAP. V. — Aratus — CHAP. VI. — Pyrrhus — CHAP. VII. — Apollodore — CHAP. VIII. — Egypte — CHAP. IX. — Leucon — CHAP. X. — Alexandre, gouverneur d’Eolie — CHAP. XI. — Aristide —CHAP. XII. — Alexandre, fils de Lysimacus —CHAP. XIII. — Les Amphicthyons. — CHAP. XIV. — Les Samnites. — CHAP. XV. — Les Campaniens — CHAP. XVI. — Les Carthaginois — CHAP. XVII. — Las Ambraciens— CHAP. XVIII. Les Phocéens. —CHAP. XIX. — Les Platéens. — CHAP. XX. — Les Corcyréens — CHAP. XXI. — Les Egestiens — CHAP. XXII. — Les Locriens. . — CHAP. XXIII. — Les Corinthiens. — CHAP. XXIV. — Les Lampsaciens. — CHAP. XXV. — Les Chalcédoniens. — (Manque ici 19 chapitres.) — CHAP. XLV. — Syloson. — CHAP. XLVI. — Alexandre le Thessalien — CHAP. XLVII. — Thrasybule, tyran de Milet — CHAP. XLVIII. — Mentor. — CHAP. XLIX. — Anaxagore — CHAP. L. — Pindare — CHAP. LI. — Théron — CHAP. LII. — Sisyphe — CHAP. LIII. — Agnon — CHAP. LIV. — Amphirète

LIVRE SIXIÈME.

CHAPITRE PREMIER.

JASON.

Jason voulant se rendre maître d'une ville de Thessalie, sans que son dessein fût connu de personne, ordonna une revue générale, et fit des levées de troupes. Quand tous furent armés et en bonne disposition, il fit couler secrètement des coureurs, qui vinrent dire que les ennemis avaient fait irruption dans le pays, à peu près du côté de la ville, qu'il avait dessein de surprendre. Tous ses soldats, portés à bien faire, demandèrent d'être incessamment menés contre les ennemis. Jason les conduisit contre la ville. On ne les y attendait point, et il s'en rendit maître, sans que son entreprise eût été connue aux vainqueurs même, non plus qu'aux vaincus.

II. Jason le Thessalien n'ayant point d'argent à donner à ses troupes soudoyées qui lui en demandaient, s'en fuit chez sa mère, comme s'il eût été poursuivi par ses soldats, dont deux ou trois le talonnaient de si près, qu'ils entrèrent avec lui. Sa mère était riche, elle paya les soldats.

III. Jason ayant gagné une bataille, dit à sa mère que les deux fils jumeaux de Jupiter lui avaient donné un se cours visible dans cette rencontre, et qu'en reconnaissance, il avait promis après la victoire, de régaler ces dieux par un festin auquel il avait invité tous les capitaines et officiers de l'armée. La dame crut ce que lui disait son fils, et lui envoya tout ce qu'elle avait de coupes, de gobelets de table, toute sa vaisselle d'or et d'argent, en un mot tout ce qu'elle avait de plus précieux. Jason se voyant maître de tant de richesses, s'en servit à payer ses troupes.

IV. Jason ayant pris une ville fort riche, en tira un butin considérable. Il pria sa mère de lui envoyer celles de ces femmes qui se connaissaient le plus en étoffes et en ouvrages, afin que parmi les dépouilles elles fissent choix de ce qui conviendrait le mieux à leur maîtresse. La dame envoya toutes ses femmes pour faire ce triage ; mais Jason les enferma et obligea sa mère à lui en payer la rançon.

V. Jason, accompagné d'un de ses frères, alla trouver sa mère qui était avec ses femmes dans un lieu où elle leur faisait faire leurs ouvrages de tapisserie. Il dit qu'il voulait prendre conseil avec elle sur les affaires du gouvernement, et fit retirer toutes ces femmes. Ses gardes avaient ordre de les enlever toutes, et l'exécutèrent. Jason, après une longue conférence avec sa mère,; lui dit en riant, que si elle voulait ravoir ses femmes, elle n'avait qu'à lui envoyer de l'argent.

VI. Jason avait un frère appelé Mérione, homme fort riche, mais avare, et qui ne lui donnait rien. Jason eut un fils, et lorsqu'il fut question de le nommer, il convoqua les principaux seigneurs de Thessalie, et invita son frère à faire la cérémonie de l'imposition du nom. Pendant que Mérione était dans cette occupation, Jason, sous prétexte d'une partie de chasse, fit une incursion du côté de Pagases, où était la maison de Mérione, et Payant investie avec des gens armés de dards, il fit violence aux receveurs, et leur ayant enlevé vingt talents d'argent, revint en diligence prendre sa place au souper, en faisant toujours l'honneur à son frère de vouloir que ce fût lui qui nommât l'enfant. Dans le moment on vint apprendre à Mérione que sa maison avait été pillée. Il nomma l'enfant Porthaon, c'est-à-dire, Pillard.

VII. Jason avait un autre frère nommé Polydore, qu'il mena contre une ville qu'il allait prendre, et dont il lui avait promis de partager le butin avec lui. A l'heure du butin, Jason pria son frère de le frotter bien fort partout. Polydore frottait vigoureusement. Jason se plaignit que sa bague le blessait, et le pria de l'ôter. Polydore la tira de son doigt, et la donna à un homme qui était là et dont on était sûr. Mais cet homme était déjà instruit de ce qu'il fallait faire. Il courut trouver la femme de Polydore, et lui montrant la bague de son mari, dit qu'il avait ordre, en lui remettant cette bague, de recevoir d'elle dix talents d'or. La femme trompée par la bague de son mari, donna l'or. L'homme revint et Jason cessa de se faire frotter.

CHAPITRE II.

ALEXANDRE DE PHÉRÈS.

Pendant que Léosthène assiégeait Panorme, Alexandre n'osant combattre à découvert contre tous les navires de l'Attigue, envoya la nuit une chaloupe avertir les soldats enfermés dans la place, que si quelques navires quittaient leur poste au premier feu qui serait élevé, d'en allumer un .second, pour le faire voir à ceux qui étaient à Magnésie, qui feraient le même signal à ceux de Pagases. En effet Léosthène fit partir trois galères, dont l'une pris la route de Samos, l'autre celle de Thase, et la troisième alla vers l'Hellespont. Les assiégés firent les signaux avec les feux, et Alexandre survenant tout d'un coup avec ses navires, attaqua les Athéniens, et gagna sur eux une victoire navale.

II. Après la bataille navale de Péparèthe, Alexandre espéra de surprendre les Athéniens, que la joie de leur victoire avait rendus négligents. Il ordonna à ceux qui étaient sur ses navires, de se hâter d'aborder au marché du port de Pirée, et d'y enlever tout ce qu'ils trouveraient sur les boutiques. Les Athéniens virent aborder ces gens, et crurent que c'était des vaisseaux amis. Mais les soldats d'Alexandre ayant pris terre, sonnèrent la charge, et tirant l'épée, fondirent sur les boutiques du marché. Les Athéniens coururent dans la ville, annoncer aux généraux la prise de Pirée, et les soldats d'Alexandre ayant tout pillé, remontèrent sur leurs vaisseaux, et se retirèrent.

CHAPITRE III.

ATHENOCLE.

Athénocle soutenant un siège, opposa aux béliers et aux trépans, des poutres de plomb qu'il fit poser en travers sur les créneaux des murs, afin que les machines des ennemis frappant contre, se rompissent. Les ennemis s'avisèrent d'une autre invention, au moyen de laquelle frappant dans un bout de ces poutres, ils les faisaient tomber en ligne perpendiculaire à terre, de dessus les créneaux, sans en être blessés. Après cela ils firent avancer des tortues, dans le dessein d'ébranler les murs par la sape. Les assiégés munis de plomb fondu qu'ils portaient dans des vaisseaux de cuivre, le versaient sur les assiégeants, et disloquaient toutes leurs tortues. A ce plomb fondu, et à toutes les autres matières enflammées que l'on jetait du haut des tours, les assiégeants opposaient le vinaigre, qui a une propriété particulière d'éteindre le feu ; et c'est le plus sûr remède contre la brûlure, car le feu ne fait rien sur le vinaigre. On se sert aussi d'épongés imprégnées d'eau. D'autres, pour préserver les machines contre l'injection du plomb fondu, les enduisent de mortier fait de terre et de crin.

CHAPITRE IV.

PHILOPOEMEN.

Philopœmen ne croyait pas qu'il fût convenable qu'un général marchât à la tête de sa phalange. Il estimait qu'il devait se mettre tantôt à la queue, tantôt au centre, et caracoler souvent de côté et d'autre, pour observer si tout était dans l'ordre, et redresser ce qui n'y était pas.

II. Philopœmen était poursuivi par les Lacédémoniens, et ils le tenaient presque déjà. Philopœmen passa l'Eurotas, et commanda à ses cavaliers d'ôter la bride à leurs chevaux, et de les abreuver à la rivière. Tout le voisinage était couvert d'une forêt épaisse. Les Lacédémoniens voyant la sécurité avec laquelle la cavalerie de Philopœmen avait débridé et menait les chevaux à l'eau, s'imaginèrent qu'il était venu du secours à Philopœmen, et qu'il l'avait placé en embuscade dans cette forêt. Ils n'osèrent passer le fleuve, et se retirèrent.

III. Philopœmen apprit aux peuples d'Achaïe à quitter les longues targes et le javelot, et prendre à la place le bouclier et la pique. Il leur donna encore des casques et des cuirasses, et leur arma les jambes. Il les exerçait à se battre de pied ferme, et non à darder en courant, comme faisaient ceux qui étaient armés d'écus. Il ôta des repas et des habits toutes les superfluités, et tout ce qui n'y était que pour fomenter la mollesse ; et voulait qu'à l'armée on se contentât du simple nécessaire. Par le moyen de cette discipline, Philopœmen forma des troupes qui s'acquirent beaucoup de réputation dans les combats.

CHAPITRE V.

ARATUS.

Antigone avait laissé garnison au Haut-Corinthe. Elle était commandée par Persée le Philosophe, et le général Archélaüs. Il y avait à Corinthe quatre frères syriens qui étaient du nombre de ceux qui gardaient le Haut-Corinthe: Dioclès et ses trois frères. Les trois frères ayant volé l'or du roi, allèrent à Sicyone trouver le changeur Arsias, dont Aratus se servait pour la fabrique des monnaies, et ce fut chez cet homme que les frères trafiquèrent. L'un d'eux, nommé Ergine, passait souvent à Sicyone, et logeant chez le changeur, raisonnait familièrement avec lui. Car occasion il parla de la garde du Haut-Corinthe, et dit qu'à travers un précipice, il avait aperçu une ouverture qui allait de biais, au bout de laquelle il se présentait un mur assez bas et facile à monter. Le changeur en avertit Aratus, qui trouva moyen de gagner Ergine, et promit de lui donner sept talents, s'il pouvait le rendre maître du Haut-Corinthe. Ergine promit de s'y employer avec ses frères. Quand tout fut disposé pour l'entreprise, Aratus ayant donné ordre au reste de ses troupes de veiller et de se tenir sous les armes, détacha quatre cents hommes choisis et les menant avec lui la nuit, s'approcha du mur, y appuya les échelles, et monta. La garnison sentit ce mouvement, et l'on se battit vigoureusement au milieu des ténèbres. La lune éclairait quelquefois les combattants; mais les nuages la venaient souvent cacher, et l'obscurité augmentait la terreur. A la fin Aratus remporta l'avantage, et quand le soleil fut levé, ceux qui étaient avec lui, ouvrirent les portes au reste de ses troupes. Aratus ayant pris Archélaüs, le laissa aller. Il fit mourir Théophraste, qui ne voulut point traiter avec lui. Pour ce qui est du philosophé Persée, voyant que le Haut-Corinthe était pris il s'enfuit à Cenchrées, et de là auprès d'Antigone.

CHAPITRE VI.

PYRRHUS.

Pyrrhus ayant été vaincu par les Romains, et ayant perdu ses éléphants, envoya des ambassadeurs demander du secours à Antigone. Il fut refusé ; mais il ordonna à ses envoyés d'annoncer le contraire à tout le monde, c'est-à-dire, qu'Antigone avait promis de venir le joindre avec une puissante armée. L'espérance de ce renfort attendu de la part d'Antigone, fit que les Tarentins et tout ce que Pyrrhus avait d'alliés en Italie et en Sicile, demeurèrent attachés à lui, au lien qu'ils étaient auparavant sur le point de l'abandonner.

II. Pyrrhus ayant fait irruption dans le Péloponnèse, reçut une ambassade des Spartiates au sujet de l'Arcadie. Il traita avec humanité les ambassadeurs, et promit d'envoyer ses enfants dans leur ville, pour y être élevés dans la discipline de Lycurgue. Les ambassadeurs annoncèrent cette nouvelle à leur retour. Pyrrhus ne laissa pas depuis d'attaquer Sparte. Les Spartiates lui reprochèrent qu'il parlait d'une façon et qu'il agissait de l'autre. Il leur répondit : « Et vous, quand vous voulez faire la guerre, avez-vous coutume d'en avertir auparavant ? Ne trouvez point mauvais si nous avons employé contre les Lacédémoniens une ruse lacédémonienne. »

III. Pyrrhus, avant que d'en venir à la guerre avec ses ennemis, estimait qu'il fallait tout employer pour les gagner la crainte, les présents, les plaisirs, la commisération, la justice, les lois, l'utile et le possible.

CHAPITRE VII.

APOLLODORE.

Apollodore de Cassandrie fut accusé d'avoir aspiré à la tyrannie; il parut en public, habillé de noir, et mena avec lui sa femme et ses filles vêtues de même, et tenant en main les rameaux d'olivier entortillés de laine, à la manière ordinaire des suppliants, il s'abandonna à toute la rigueur des juges. Ils furent émus de compassion, et le renvoyèrent absous. Mais peu de temps après, Apollodore se fit tyran de Cassandrie, et n'épargna pas même les juges qui lui avaient fait grâce. Il disait qu'il était redevable de son salut à son adresse, plutôt qu'à leur humanité.

II. Pendant qu'Apollodore n'était que ministre d'état des Cassandriens, il affectait dans tous ses discours et dans toute sa conduite, de paraître ennemi juré des tyrans et de la tyrannie. Ce fut lui gui fut auteur du décret donné contre le tyran Lacharès, pour le chasser du pays, parce qu'il établissait des liaisons avec le roi Antiochus, pour se rendre maître de Cassandrie. Il s'opposa au décret par lequel Théodore voulait qu'on lui donnât des gardes pour sa sûreté. De plus, il institua une fête publique à l'honneur d'Eurydice, qui avait donné la liberté aux Cassandriens, et l'appela de son nom Eurydicte. Il donna des lois aux soldats qui sortaient du fort, et leur distribua des héritages dans la Pallène, afin qu'ils se rendissent les gardiens de la liberté publique. Enfin, dans les repas, on l'entendait souvent dire qu'il n'y avait rien de plus cruel et de, plus malheureux que la tyrannie. Ayant ainsi trompé tout le monde et acquis la réputation d'homme populaire, il souleva les esclaves et les artisans, et ayant enlevé un jeune enfant appelé Callimèle, il le sacrifia et donna son corps à accommoder au cuisinier Léontomène. Il fit servir les intestins de l'enfant aux conjurés à souper, et après leur en avoir fait boire le sang, mêlé avec du vin rouge, il leur montra le cadavre, pour s'assurer de leur persévérance dans l'entreprise, par cette société d'abomination. Ce fut avec le secours de ces gens qu'il se déclara tyran; et il fut le plus cruel et le plus sanguinaire de tous ceux qui ont porté cette qualité parmi les Grecs, et même parmi les Barbares.

CHAPITRE VIII.

EGYPTE.

Mausole avait envoyé Égypte à Milet, pour concerter la reddition de la place avec ceux qui la .devaient livrer. Égypte y étant abordé avec son vaisseau, découvrit qu'on lui dressait des embûches. Il se hâta de remonter sur son vaisseau, et sachant que ceux qui lui en voulaient étaient cachés sur le bord de la mer pour le surprendre, il fit sortir un homme de son vaisseau, qui dit : « Il faut se hâter d'aller chercher le pilote et Égypte. On n'attend plus qu'eux : il est temps de mettre à la voile. » Les Milésiens ayant entendu ce discours, s'éloignèrent du navire, et allèrent dans la ville chercher Égypte. Le pilote arriva dans l'instant; Égypte coupa le câble, et s'en alla en sûreté.

CHAPITRE IX.

LEUCON.

Leucon, dans une disette d'argent, fit publier qu'il ferait frapper de nouvelles monnaies, et que chacun lui apportât tout ce qu'il en avait d'anciennes, afin que tout fût au même coin et de bon aloi. On lui apporta toutes les vieilles espèces. Il n'y fit d'autres changements que de les refrapper et d'en doubler le prix. Parce moyen il gagna la moitié de tout ce qu'il avait amassé, sans avoir fait tort aux particuliers.

II. Leucon informé que plusieurs habitants, liés ensemble d'amitié, avaient conspiré contre lui, fit venir tous les marchands, et emprunta d'eux tout ce qu'ils avaient d'argent, sous prétexte qu'il en était pressé pour gagner des ennemis avec qui il était en traité et qui devaient se livrer à lui. Les marchands lui accordèrent volontiers ce qu'il demanda. Quand il eut leur argent, il les assembla tous dans son palais, et leur découvrit la conspiration. Il les pria de se rendre ses gardes, d'autant plus que de la conservation de sa personne dépendait la sûreté de leur fortune. Les marchands, pour conserver leurs biens, prirent les armes, et se firent gardes de Leucon et du palais. Avec leur secours et celui de ses autres affidés, Leucon vint à bout d'exterminer tous ceux qui avaient eu part à la conspiration, et ayant affermi son autorité, il rendit l'argent aux marchands.

III. Dans la guerre contre ceux d'Héraclée, Leucon ayant été averti qu'il y avait des capitaines de galères, qui, par trahison, devaient passer du côté des ennemis, les fit prendre, et leur dit qu'on lui avait fait des rapports fâcheux, auxquels il n'ajoutait point foi ; mais que comme il pourrait arriver qu'on soupçonnât leur fidélité, en cas que la fortune ne favorisât pas ses armes, il était expédient qu'ils se tinssent en repos; et il nomma d'autres capitaines en leur place. Cependant il ne laissa pas de donner de l'emploi dans les bourgades du pays aux parents et aux amis des capitaines suspects, comme s'il les eût toujours honorés de sa bienveillance. Mais quand il eut mis fin à la guerre, il dit qu'il était juste de juger les suspects, afin qu'on ne l'accusât pas de les avoir faussement soupçonnés. Ils vinrent à l'auditoire avec leurs parents et leurs amis, et Leucon, les ayant enveloppés de ses troupes, les fit tous mourir.

IV. Pendant que cette guerre durait encore, ceux d'Héraclée faisaient de fréquentes descentes dans le pays. Leucon voyant que ses soldats étaient négligents à s'y opposer, et ne faisaient pas leur devoir, opposa à la descente des ennemis, dans la première ligne, ses propres soldats armés de toutes pièces, et derrière eux il plaça les Scythes, à qui il ordonna publiquement de tirer sur ses propres soldats, s'ils les voyaient négligents à repousser les ennemis. Les soldats ayant entendu ces ordres, s'opposèrent vigoureusement aux efforts que faisaient les ennemis pour aborder.

CHAPITRE X.

ALEXANDRE, GOUVERNEUR D'ÉOLIE.

Alexandre, chargé de la garde des bourgades de l'Éolie, fit venir, à prix d'argent, d'Ionie, les plus fameux athlètes, des joueurs de flûte de grands réputation, Thersandre et Philoxène, et deux acteurs qui étaient en grande vogue, Callipide et Nicostrate ; et indiqua des spectacles. Il se fit un grand concours de toutes les Villes voisines, attiré par la réputation de ces gens. Quand le théâtre fut rempli, Alexandre l'environna des soldats et des Barbares qu'il avait dans les garnisons, et s'étant rendu maître de tous les spectateurs, avec leurs femmes et leurs enfants, il tira de grandes rançons de la plupart, et ayant laissé les lieux au pouvoir de Thibron, il se retira.

CHAPITRE XI.

ARISTIDE.

Pendant que Bénis assiégeait Caulonie, Aristide d'Éléate vint contre lui avec une flotte de douze galères. Denis l'ayant su, lui en opposa quinze bien fournies d'hommes. Aristide jugea à propos de se retirer. La nuit il alluma ses fanaux, et les navires de Denis le suivaient à l'aide de ces lumières, peu s'en fallait même qu'ils ne l'atteignissent. Peu de temps après Aristide ôta les fanaux de ses galères, et en mit d'autres sur des grandes pièces de liège, qu'il abandonna à la merci des flots, et prenant à côté, il se rendit à Caulonie, pendant que les galères de Denis perdaient leur route en donnant la chasse aux pièces de liège.

CHAPITRE XII.

ALEXANDRE, FILS DE LYSIMACHUS.

Alexandre, fils de Lysimachus et de Mécride, voulant surprendre Cotilion, ville de Phrygie, cacha dans une gorge enfoncée, près de la ville, ceux qui l'accompagnaient ; et au point du jour ayant pris un gros habita la phrygienne, tout sale, avec un bonnet, il se fit accompagner de deux enfants, dont l'un et l'autre étaient chargés de bois et avaient une épée sous l'aisselle. Il entra par la porte sous cette figure de paysan. Il ôta son chapeau quand il fut entré, et s'étant fait connaître, il tendit la main, à tout le monde, et dit qu'il était venu pour le salut de la ville. Les gens qu'il avait cachés, sortirent au signal qui leur fut fait, et donnant par la porte qu'ils trouvèrent ouverte, ils s'emparèrent de Cotilion.

CHAPITRE XIII.

LES AMPHICTHYONS.

Les Amphicthyons assiégeaient Cirrha. Une source abondante fournissait de l'eau à la ville par un aqueduc secret. Par le conseil d'Euryloque, on fit apporter d'Anticyre une grande quantité d'ellébore, et on le mêla dans cette eau. Les Cyrrhéens en ayant bu, furent tourmentés de grandes douleurs de ventre. Tous demeurèrent malades et sans forces, et les Amphicthyons se rendirent ainsi maîtres de la ville, sans peine.

CHAPITRE XIV.

LES SAMNITES.

Les Samnites, par un traité fait avec leurs ennemis, promirent par serment de mettre fin à la guerre, et de se contenter, en s'en allant, d'ôter un seul rang de pierre tout autour des murs. Les ennemis ne trouvèrent pas que ce fût grand'chose, et y consentirent. Les Samnites ôtèrent la première assise d'en bas, afin que par ce moyen tout le mur fût renversé.

CHAPITRE XV.

LES CAMPANIENS.

Les Campaniens, par un traité avec leurs ennemis, arrêtèrent que ces gens leur donneraient la moitié de leurs armes. Pour exécuter le traité comme ils l'entendaient, les Campaniens coupèrent les armes par la moitié, et ne laissèrent aux ennemis que les moitiés retranchées.

CHAPITRE XVI.

LES CARTHAGINOIS.

Les Carthaginois, renfermés par Denis dans un lieu qui manquait d'eau, envoyèrent des ambassadeurs pour traiter de la paix avec lui. Denis voulait qu'ils sortissent de toute la Sicile, et qu'ils payassent tous les frais de la guerre. Ils parurent y consentir, mais ils dirent qu'ils n'étaient pas les maîtres de donner Une parole positive, sans le général de la flotte, et demandèrent la liberté d'aller joindre son camp. Denis le leur accorda, quoique Leptive s'y opposât. Quand les Carthaginois eurent décampé, ils renvoyèrent les hérauts de Denis sans rien conclure.

II. Pendant que les Carthaginois faisaient le dégât dans la Sicile, ils s'avisèrent, pour avoir promptement toutes sortes de secours de la Libye, de faire deux horloges d'eau de pareille structure. La hauteur de chacune était divisée en plusieurs cercles. Sur l'un ils avaient écrit : « Il faut des vaisseaux; » sur l'autre : « Envoyez des barques rondes » ; sur un autre : « Il nous faut de l'or » ; sur un autre : « Des machines » ; sur d'autres: « Des vivres, des bêtes, des gens de pied ou de la cavalerie. » De ces deux horloges d'eau ainsi marquées, ils en gardèrent l'une en Sicile, et envoyèrent l'autre à Carthage, avec ordre, quand on verrait un feu allumé, de prendre bien garde au cercle où s'arrêterait l'eau quand on allumerait le second feu. Par ce moyen on lisait à Carthage dans un instant ce que l'on demandait en Sicile, et on l'envoyait sur le champ. C'est ainsi que les Carthaginois vinrent à bout d'avoir très promptement tous les secours dont ils avaient besoin pour soutenir la guerre.

III. Les Carthaginois, prenant la route de Sicile avec une flotte composée de galères et d'autres vaisseaux, furent découverts par Denis, qui vint à leur rencontre avec un grand nombre de navires. Les Carthaginois voyant sa flotte, firent un cercle de leurs barques rondes, en les éloignant raisonnablement l'une de l'autre. Ils placèrent leurs galères au milieu, et mirent beaucoup de monde sur les navires de transport. Ce fut dans cette ordonnance qu'ils soutinrent l'effort des ennemis. Leurs galères s'avancèrent par les espaces vides, et poussées sur les vaisseaux de Denis, en coulèrent une partie à fond, et ruinèrent toutes les manœuvres et les défenses des autres.

IV. Pendant que les Carthaginois faisaient la guerre à Hiéron, ils firent avancer leur flotte, la nuit, assez près de Messène, sous le cap d'Argenne. Il y avait dans le port un grand nombre de galères et de barques rondes, et l'entrée du port était gardée par d'autres navires. Le général carthaginois ayant mandé le capitaine de la galère qui était la plus légère à la course, lui ordonna de voguer le plus près qu'il pourrait de l'entrée du port, et si les ennemis sortaient pour lui donner la chasse, de prendre le large en pleine mer. Le capitaine s'approcha de l'entrée du port. Les commandants des vaisseaux qui étaient à la rade, crurent que cette galère était envoyée à la découverte, et se mirent après avec toute l'ardeur imaginable. Quand ils furent fort éloignés en mer, les Carthaginois se hâtèrent de faire avancer leurs autres vaisseaux, entrèrent dans le port, et trouvant les galères vides, y mirent le feu, et emmenèrent la plupart des vaisseaux de charge.

V. Les Carthaginois, informés que les Romains avaient, du côté de Sicile, une flotte supérieure à la leur en nombre de vaisseaux, résolurent de la diviser. Pour en venir à bout, ils engagèrent quelques particuliers à passer du côté des ennemis comme transfuges, et de promettre à leur général le consul Cneius Cornélius, de lui livrer l'île de Lipara, qui est au-devant de la Sicile. Cornélius les crut, et se disposa avec la moitié de ses vaisseaux, à passer à Lypara. Les Carthaginois le voyant engagé, et la moitié de sa flotté séparée du reste, lui envoyèrent des ambassadeurs pour lui demander la paix et la lui offrir de leur part. Ils le prièrent en même temps de passer dans leur barque, parce que leur général était malade, et que le, traité, pour être plus sûr, devait être fait en sa présence. Le Romain se laissa persuader et passa dans le vaisseau des Carthaginois. Quand les Lybiens furent maîtres de sa personne, ils donnèrent avec tous leurs vaisseaux, et n'eurent pas de peine à remporter la victoire.

CHAPITRE XVII.

LES AMBRACIENS.

Au siège que les Romains avaient mis devant Ambracie, voyant que les ennemis leur blessaient et leur tuaient beaucoup de monde, ils voulurent essayer de se rendre maîtres de la place par le moyen d'une mine. Ils se mirent donc à creuser la terre et leur travail demeura quelque temps caché aux assiégés. Mais la terre qui s'amoncelait, apprit enfin aux Ambraciens ce qui se passait. Ils se mirent à contre-miner de leur côté, et tirant tout à travers une fosse au bout de leurs travaux, ils y mirent des vases légers d'airain, afin de connaître par leur bruit et leur mouvement quand les Romains seraient dessous, et de s'y présenter à eux la pique à la main. Mais comme ces armes ne pouvaient pas être d'un grand usage dans une mine étroite et obscure, ils prirent un tonneau d'une capacité propre à remplir toute la largeur de la mine. Ils percèrent l'un des fonds et y agencèrent un tuyau de fer. Ils remplirent le tonneau de plume menue, y placèrent quelque peu de feu, et ayant mis pardessus une enveloppe de copeaux, ils présentèrent la machine par un bout, dans la mine des ennemis, et à l'autre bout, qui était de leur côté, ils appliquèrent un soufflet de forgeron au tuyau de fer. Le feu s'alluma; la mine fut remplie d'une fumée acre et épaisse, et les Romains ne la pouvant supporter, abandonnèrent leurs travaux souterrains.

CHAPITRE XVIII.

LES PHOCÉENS.

Les Phocéens s'étant renfermés sur le Parnasse avec leurs armes, prirent l'occasion d'une nuit que la lune était pleine, et descendant de la montagne, ils se jetèrent sur leurs ennemis, dont les uns regardant cela comme une apparition nouvelle et surprenante furent saisis de frayeur, et les autres s'imaginèrent que c'étaient de nouveaux ennemis qui étaient survenus. Enfin les Thessaliens furent vaincus, et leur perte fut de quatre mille hommes.
II. Pour rompre la cavalerie des Thessaliens, les Phocéens firent une tranchée auprès de leur ville ; la remplirent de cruches vides, et couvrirent le tout d'un peu de terre. Les ennemis donnèrent dans ce piège, et y perdirent hommes et chevaux.

CHAPITRE XIX.

LES PLATÉENS.

Les Platéens avaient fait des prisonniers sur les Thébains. Ceux-ci firent ensuite une incursion dans le pays de Platée. Les Platéens leur envoyèrent dire qu'ils tueraient leurs prisonniers, s'ils ne sortaient au plus tôt du pays. Les Thébains ne se retirèrent point, et les Platéens exécutèrent leur menace.

II. Les Platéens, assiégés par les Lacédémoniens, attaquèrent leur circonvallation la nuit. Les Lacédémoniens, pour demander du renfort à Thèbes, allumèrent les feux qu'on avait coutume de faire paraître en de pareilles rencontres, et qu'on appelait ennemis. Les Platéens en élevèrent d'op posés dans la Ville, comme amis des Thébains. Leur dessein était de tenir ; ceux de Thèbes en suspens, par les Oppositions de ces signaux ; et ils en vinrent à bout. Les Thébains ne sachant à quoi se déterminer, n'amenèrent point de renfort aux assiégeants.

III. Pendant que les Lacédémoniens et les Thébains assiégeaient Platée, deux cents habitants de cette ville profitant d'une nuit sans lune et fort ombrageuse, excitèrent les autres habitants à faire une fausse attaque d'un côté, pour y attirer les Lacédémoniens, pendant qu'eux se présenteraient de l'autre et s'échapperaient par-dessus les murs avec des échelles. Cela fat fait, et ces gens passèrent heureusement. Après cela, ils ne prirent pas le droit chemin d'Athènes, mais ils suivirent celui de Thèbes, par où il n'y avait pas d'apparence qu'on les suivît; comme en effet les Lacédémoniens coururent après par le Citheron. Les Platéens, par des chemins de traverse, arrivèrent à Thèbes, et de là se sauvèrent à Athènes.

CHAPITRE XX.

LES CORCYRÉENS.

Des exilés de Corcyre s'étaient emparés de la montagne d'Istone, les Athéniens leur firent la guerre ; les exilés leur rendirent les armes et se soumirent à eux, à condition que le traité serait nul, s'il leur arrivait 'dé prendre la fuite. Les Corcyréens ayant peur que les Athéniens ne traitassent ces gens trop favorablement ; envoyèrent quelques personnes sous main, qui persuadèrent aux exilés de s’enfuir chez les Argiens, et leur offrirent un vaisseau. En prenant ainsi le parti de la fuite, ils rendaient nul leur traité avec les Athéniens, qui les traitèrent en parjures, les livrèrent aux Corcyréens, et ceux-ci les firent tous mourir.

CHAPITRE XXI.

LES EGESTIENS.

Les Égestiens ayant besoin du secours des Athéniens, leur en demandèrent, et pour l'obtenir, ils prodiguèrent les offres et les promesses. Les Athéniens envoyèrent des députés pour voir quelles étaient les ressources pécuniaires des Égestiens, Ceux-ci ayant emprunté dans les villes voisines de l'or et de l'argent, en ornèrent les temples des dieux et les maisons des particuliers. Les députés d'Athènes ayant vu toutes ces richesses, en firent le récit chez eux, et le secours fut envoyé par les Athéniens.

CHAPITRE XXII.

LES LOCRIENS.

Les Locriens d'Italie, dits Epizephyriens, dans un traité fait avec les Siciliens, avaient juré: « Nous vous garderons la foi tant que nous marcherons sur votre terre, et tant que nous aurons les têtes sur les épaules. » C'est qu'ils avaient mis sur leurs épaules, par-dessous leurs robes, des têtes d'ail et de la terre sous leurs pieds dans leurs souliers. Les Siciliens se fièrent à ce serment, mais dès le lendemain les Locriens ayant ôté leurs gousses d'ail de dessus leurs épaules, et vidé la terre de leurs souliers, se crurent quittes du serment, et tuèrent tous les Siciliens.

CHAPITRE XXIII.

LES CORINTHIENS.

Les Corinthiens envoyaient du secours à ceux de Syracuse. Ils furent informés qu'une flotte de l'Attique, composée de vingt navires, les attendait du côté de Naupacte. Ils équipèrent vingt-cinq galères, et les firent se tenir à Panorme, à la côte de l'Achaïe, en présence de la flotte des Athéniens. Pendant que les uns et les autres se tenaient réciproquement en respect, des vaisseaux de transport, chargés de soldats corinthiens, partirent du Péloponnèse pour aller au secours des Syracusiens, et les Athéniens s'amusèrent à observer la flotte ennemie qui était devant eux.

CHAPITRE XXIV.

LES LAMPSACIENS.

Les Lampsaciens et les Pariens étaient en différend pour les limites. Ils convinrent ensemble de faire partir de chacune des villes, au premier chant du coq, un certain nombre d'hommes, et que le lieu où ils se rencontreraient, serait la limite des deux États. Quand cela eut été réglé, les Lampsaciens persuadèrent aux pécheurs qui étaient sur !a route des Pariens, de mettre cuire beaucoup de poissons, d'y joindre du vin, comme pour faire sacrifice à Neptune, et d'inviter les Pariens avec amitié à prendre part à l'honneur qu'ils rendaient au Dieu. Les pêcheurs le firent, et les Pariens s'étant amusés à boire et à manger, se ralentirent dans leur course. Les Lampsaciens, de leur côté, poussèrent jusqu'au temple de Mercure, qui n'était éloigné de Pare que de soixante-dix stades, et de Lampsaque de deux cents. Ce fut ainsi que les Lampsaciens gagnèrent une si grande quantité de terrain sur les autres, et eurent pour borne le temple de Mercure.

CHAPITRE XXV.

LES CHALCÉDONIENS.

Les Chalcédoniens étant en guerre avec ceux de Byzance, firent trêve pour cinq jours, et nommèrent de chaque côté dix hommes pour traiter ensemble de la paix. Ils travaillèrent pendant trois jours; le quatrième jour les Chalcédoniens s'absentèrent, sous prétexte de quelques autres occupations, et les Byzantins y consentirent. Mais pendant la nuit les Chalcédoniens ayant armé leurs vaisseaux, fondirent sur les Byzantins, qui ne s'attendaient pas à cette surprise, d'autant plus qu'il restait encore deux jours de trêve.

Il manque ici 19 Chapitres.

CHAPITRE XLV.

SYLOSON.

Syloson, fils de Callitélès, ayant paru homme populaire aux Samiens, fut nommé général. Les Samiens avaient la guerre avec les Eoliens. La fête de Junon vint, et les Samiens ne la célébrèrent point au temple de la Déesse qui était fort loin de la ville. Syloson, persuadé qu'il étonnerait les ennemis par la réputation de son courage et de sa piété, s'il faisait observer religieusement une fête de son pays, dit qu'un général ne devait point souffrir de diminution dans le culte de la Déesse. Les Samiens louèrent la vertu et la religion de leur général, et s'étant assemblés autour du temple, ils y dressèrent des tentes et célébrèrent la fête avec toutes les cérémonies ordinaires. La nuit même Syloson entra dans la ville, et ayant appelé tous les gens de mer qui étaient sur les galères, il se rendit maître de Samos.

CHAPITRE XLVI.

ALEXANDRE LE THESSALIEN.

Alexandre le Thessalien étant prêt de donner un combat sur mer, fit distribuer aux soldats qui étaient sur le tillac une grande quantité de cailloux, et ordonna de les jeter sur les matelots des ennemis, quand les vaisseaux s'approcheraient. Par ce moyen il prétendait mettre leur manœuvre en déroute.

CHAPITRE XLVII.

THRASYBULE, TYRAN DE MILET.

Thrasybule, tyran de Milet, étant assiégé par Alyatte, qui était prêt de prendre la ville par famine, lui envoya demander une trêve d'autant de temps qu'il lui en fallait pour achever le temple de Minerve Assesie. En même temps il ordonna aux habitants d'apporter au marché tout ce qu'ils avaient de vivres, de s'y mettre à table, et de se régaler. Le héraut d'Alyatte ayant vu ces choses, en fit son rapport à son maître qui, croyant par là les Milésiens dans une grande abondance de toutes choses, leva le siège et se retira.

CHAPITRE XLVIII.

MENTOR.

Pendant qu'Hermias était le maître, Mentor envoya aux villes qui lui obéissaient des lettres cachetées du propre cachet d'Hermias, portant commandement de livrer toutes choses à ceux qui présenteraient ces lettres. Ces villes voyant le cachet d'Hermias, crurent se livrer à lui, mais ce fut à Mentor qu'elles se livrèrent.

CHAPITRE XLIX.

ANAXAGORE.

Anaxagore, Codrus et Diodore, fils d'Echéanax, tuèrent Hégésias, tyran d'Iphèse. Philoxène, lieutenant d'Ionie pour le roi Alexandre, demanda ces gens aux Ephésiens, qui les lui refusèrent. Sur leur refus il mit garnison dans la ville, et ayant enlevé les trois hommes, il les mit aux fers dans la citadelle de Sardes. Après qu'ils y eurent souffert une longue prison, un de leurs amis leur fournit une lime, avec quoi ils brisèrent leurs liens, et ayant pris des habits d'esclaves, ils se coulèrent pendant la nuit comme domestiques de la prison ; et ayant déchiré des habits et des nattes, ils s'en servirent comme de cordes pour descendre du fort. Diodore s'estropia des deux pieds en tombant, fut pris par les Lydiens, et envoyé au roi Alexandre pour être puni. La mort d'Alexandre arrivée à Babylone, fut cause que Diodore fut envoyé à Perdicas, à Éphèse, pour y être jugé selon les lois. Anaxagore et Codrus s'étaient sauvés à Athènes, Ayant su la mort d'Alexandre, ils revinrent à Éphèse, et sauvèrent leur frère Diodore.

CHAPITRE L.

PINDARE.

Pendant que Crésus assiégeait Éphèse, une des tours, appelée traîtresse, tomba. Cet accident fit craindre pour la ville, dont on voyait la prise certaine. Pindare, tyran d'Éphèse, persuada aux habitants d'attacher aux colonnes du temple de Diane des ficelles, dont les bouts tenaient aux portes et aux murs de la ville, comme pour marquer qu'on la dédiait à la Déesse. Crésus voulut marquer son respect pour cette divinité, en épargnant une chose qui lui paraissait consacrée ; il traita avec les Éphésiens, et les laissa en liberté.

CHAPITRE LI.

THERON.

Théron avait secrètement dans Agrigente des troupes qu'il avait soudoyées, mais il n'avait point de quoi les payer. Il vola, pour cet effet, les deniers publics, et voici comment. La ville avait dessein d'élever un temple somptueux à Minerve. Théron persuada aux habitants de donner de l'ouvragé aux entrepreneurs, de les obliger à donner caution suffisante, et de leur fixer un terme pour rendre l'ouvrage parfait. Gorgue, fils de Théron, se chargea de l'exécution de l'entreprise : mais Théron ayant touché l'argent de la ville, ne prit ni architectes, ni tailleurs de pierres, ni autres ouvriers, il donna cet argent aux troupes qu’il avait levées contre la ville, et ce fut par leurs propres deniers que les Agrigentins tombèrent sous la domination tyrannique de cet homme.

CHAPITRE LII.

SISYPHE.

Autolycus avait souvent volé des bœufs de Sisyphe. Celui-ci s'avisa de couler du plomb dans la corne du pied de ses bœufs, et de graver dessus ces mots: Autolycus l'a volé. Autolycus continua ses vols ordinaires, à la faveur de la nuit ; et le jour venu, Sisyphe faisant lire aux laboureurs de soin voisinage les caractères imprimés dans les pas des bœufs, convainquit Autolycus de larcin.

CHAPITRE LIII.

AGNON.

Agnon se mit à la tête d'une colonie de l'Attique, dans le dessein de s'aller établir au lieu appelé les Neuf-Voies, sur le bord du Strymon. Un oracle donné aux Athéniens, portait: « Enfants des Athéniens, pourquoi vouloir bâtir dans un lieu coupé de tant de chemins? L'entreprise est difficile, sans le secours des Dieux. Il est réglé d'en haut que la chose ne se fera point, que vous n'ayez trouvé ce qui reste de Rhésus, et que l'ayant apporté de Troie, vous ne l'ayez caché religieusement. Alors votre entreprise aura un heureux succès. » Le général Agnon, pour obéir à cet oracle, envoya des gens à Troie, qui ouvrant la terre, en tirèrent les ossements de Rhésus, et les ayant mis dans un manteau de pourpré, les apportèrent sur le bord du Strymon. Les Barbares qui en occupaient les rivages, empêchaient Agnon de passer la rivière. Agnon fit trêve avec eux pour trois jours, et les Barbares se retirèrent. Pendant ta nuit Agnon passa le Strymon avec ses troupes, et enterra les ossements de Rhésus sur le bord du fleuve ; après quoi, travaillant au clair de la lune, il se mit à creuser des tranchées et fortifier le lieu de mur : mais le jour il se tenait en repos. Enfin l'ouvrage fut achevé en trois nuits. Les Barbares revenant au bout de trois jours, virent le mur élevé. Ils se plaignirent qu'Agnon avait violé la trêve. Il répondit qu'il n'avait rien fait contre la parole donnée; qu'il n'avait travaillé que la nuit, et qu'il était demeuré en repos pendant les trois jours. Ce fut ainsi qu'il établit sa colonie aux Neuf-Voies, et la ville qu'il y bâtit, il lui fit porter le nom d'Amphipolis.

CHAPITRE LIV.

AMPHIRETE.

Amphirete d'Acanthe ayant été pris par des larrons, fut mené lié par eux à Lemnos. Ils espéraient en le tenant dans les fers, en tirer une grosse rançon. Amphirete s'abstint de manger, et but de l'eau saumâtre, où il avait délayé du cinabre. Les larrons voyant ses déjections, crurent qu'il avait la dysenterie. Ils lui ôtèrent ses chaînes, de peur que le chagrin n'augmentât son mal, et que sa mort ne les privât de ce qu'ils espéraient de sa rançon. Amphirete délivré de ses chaînes, s'enfuit à la faveur des ténèbres, et étant monté sur une barque de pêcheurs, se sauva; dans Acanthe.



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LIVRE SEPTIÈME. - CHAP. Ier. Déjocès. - CHAP. II. - Alyatte - CHAP. III. - Psammetic. - CHAP. IV. - Amasis - HAP. V. - Midas. - CHAP. VI. - Cyrus. - CHAP. VII. - Harpace. - CHAP. VIII. - Crésus. - CHAP. IX. - Cambyse. - CHAP. X. - ébarès - CHAP. XI. - Darius . - CHAP. XII. - Syracès. - CHAP. XIII. - Zopyre. - CHAP. XIV. - Oronte - CHAP. XV. - Xerxès - CHAP. XVI. - Artaxerxès. - CHAP. XVII.- Ochus. - CHAP. XVIII. - Tisaphernes - CHAP. XIX. - Pharnabaze. - CHAP. XX. - Glos. - CHAP. XXI - Datamès. - CHAP. XXII. - Cosingas. - CHAP. XXIII. - Mausole. - CHAP. XXIV. - Borgès. - CHAP. XXV. - Dromichetès. - CHAP. XXVI. - Ariobarzane. - CHAP. XXVII.- Autophradate. CHAP. XXVIII. - Arsamès. - CHAP. XXIX. - Mithridate. - CHAP. XXX. - Mempsis. - CHAP. XXXI. - Kersoblepte. - CHAP. XXXII. - Senthès. - CHAP. XXXIII. - Artabaze. - CHAP. XXXIV. - Aryande. - CHAP. XXXV. - Brennus. - CHAP. XXXVI. - Mygdonius. - CHAP. XXXVII. - Parisade. - CHAP. XXXVIII. - Senthe. - CHAP. XXXIX. - Sellès. - CHAP. XL. - Borzus. - CHAP. XLI. - Surenas. - CHAP. XLII. - Les Celtes. - CHAP. XLIII. - Les Thraces. - CHAP. XLIV. - Les Scythes. - CHAP. XLV. - Les Perses. - CHAP. XLVI. - Les Tauriens. - CHAP. XLVII. - Les Palléniens. - CHAP. XLVIII. - Annibal. - CHAP. XLIX. - Les Thyrréniens. - .CHAP. L. - Les Gauloises.

Les livres de Polyen n'étant pas, comme ceux de Frontin, classés dans un ordre méthodique, nous avons supprimé jusqu'ici les préfaces de cet écrivain compilateur. Il paraît singulier que Polyen, qui semble ne les produire que pour exalter son travail et répéter jusqu'à satiété qu'il a parcouru avec peine un grand nombre d'histoires, ne dise pas un mot de la ruse du jeune Horace, resté seul contre ses trois adversaires, quoique ce fait eût été bien plus convenablement placé dans un recueil de stratagèmes que plusieurs vieux contes dont Polyen devait faire grâce à ses lecteurs. Peut-être, il est vrai, cette action si mémorable se trouvait-elle rapportée dans les chapitres qui manquent. Quoi qu'il en soit, nous ne pouvions laisser passer la préface du septième livre : elle renferme des conseils excellents, et nous parait surtout digne d'être méditée dans les circonstances actuelles.
« Sacrés empereurs, Antonin et Vérus, dit Polyen, je vous offre un septième livre des ruses de guerre, où vous apprendrez ce qu'ont aussi pensé les Barbares. Il ne faut pas s'imaginer qu'ils manquent d'esprit. Ils ont de l'invention, de la malignité, du talent pour la fourberie, et il est bon de vous avertir vous-mêmes, quand vous leur ferez la guerre, et les généraux que vous enterrez contre eux, de ne pas mépriser les Barbares comme gens sans finesse et sans malice. Leur plus grande étude, au contraire, est de tromper et de chercher des prétextes à manquer de foi : et tout Barbare fera plus de fond sur ces sortes d'artifices, que sur le courage et les armes. La précaution la plus sûre qu'on puisse donc prendre contre eux, est la défiance, qui nous fera prévoir et découvrir leurs ruses et leurs artifices, en même temps que nous emploierons contre eux la force des armes. »

CHAPITRE PREMIER. - DEJOCÈS.

Dejocès, Mède, usurpa l'Empire de son pays de la manière qui suit. Les Mèdes habitaient çà et là, sans ville, sans loi et sans police. Dejocès jugeait les différends de ses voisins, et leur apprenait à vivre dans l'égalité. Le juge leur plut; sa réputation se répandit de tous côtés, et tout le monde venait à lui comme juge équitable. Après qu'il eut ainsi concilié l'affection du public, il rompit lui-même ses portes la nuit, et remplit sa tour de pierres, et le jour suivant montrant cela aux Mèdes, il leur dit qu'il avait été en danger de mort, pour le soin qu'il prenait de les juger. La multitude en fut indignée, et conclut qu'il fallait lui donner une garde, et établir sa demeure dans un lieu fort. On lui destina la forteresse d'Ecbatane, et pour sa garde il choisit ceux qu'il voulut. Pour son entretien, on lui permit de prendre les deniers sacrés. Avec ces gardes, qu'il eut soin d'augmenter dans la suite, de simple juge qu'il était il se rendit roi.

CHAPITRE II. - ALYATTE.

Alyatte étant en guerre contre les Cimmériens, qui étaient d'une taille avantageuse et d'une figure épouvantable, mena au combat, outre ses troupes ordinaires. Une grande quantité de. chiens puissants, qu'il lâcha contre les Barbares comme contre des bêtes. Par ce moyen il en fit périr un grand. nombre, et força le reste à prendre honteusement la fuite.

II. Alyatte ayant dessein de se rendre maître des chevaux des Colophoniens qui abondaient en cavalerie, fit alliance avec eux, et avait soin, en fournissant ce qui était nécessaire aux troupes, de favoriser toujours la cavalerie avec le plus de distinction. Enfin étant à Sardes, il convoqua une grande assemblée, sous prétexte de donner une double paie. Les cavaliers étaient campés hors de la ville. Ils laissèrent leurs chevaux à leurs palefreniers, et entrèrent dans la ville, pour avoir part à la libéralité d'Alyatte. Il fit alors fermer les portes; et ayant enveloppé ces cavaliers avec ses propres soldats, il les fit tous mourir, et donna leurs chevaux à ses troupes.

CHAPITRE III.- PSAMMETIC.

Thémenthés, roi d'Égypte, fut détruit par Psammetic. L'oracle du dieu Ammon avait répondu à Thémenthès, qui le consultait sur son règne, qu'il se donnât de garde des coqs. Dans la suite Psammetic, ayant avec lui Pégrès le Carien, apprit par ses discours que les Cariens étaient les premiers qui avaient porté des casques crêtés. Cela lui donna l'intelligence de l'oracle. Il soudoya plusieurs Cariens, et les établit à Memphis autour du temple d'Isis; et campant dans le palais royal qui en était éloigné de cinq stades, il donna bataille, et remporta la victoire. C'est de ces Cariens qu'une partie de Mephis s'appelle Caro-Memphis.

CHAPITRE IV. - AMASIS.

Dans la guerre contre les Arabes, Amasis fit mettre derrière les Égyptiens les statues des dieux qu'ils avaient en plus grande vénération ; dans le dessein de les faire marcher d'autant plus courageusement au combat, qu'ils seraient persuadés d'avoir leurs dieux pour spectateurs, et qu'ils feraient tous leurs efforts pour ne pas laisser au pouvoir des ennemis les objets les plus précieux de leur culte.

CHAPITRE V. - MIDAS.

Midas, sous prétexte de faire un sacrifice aux grands dieux, fit sortir les Phrygiens la nuit avec des flûtes, des tambours et des cymbales, et de plus chacun d'eux était armé secrètement d'une dague. Les habitants sortirent de leurs maisons pour voir le spectacle. Les Phrygiens tout en jouant de leurs tambours et de leurs cymbales, poignardèrent les spectateurs, et s'emparant de leurs maisons, qu'ils trouvèrent ouvertes, établirent Midas tyran.

CHAPITRE VI. - CYRUS

Cyrus combattit trois fois contre les Mèdes, et fut vaincu autant de fois. Il donna un quatrième combat à Pasargades, ou étaient les femmes et les enfants des Perses. Ceux-ci prirent encore la fuite : mais le danger où ils laissaient leurs femmes et leurs enfants les fit revenir à la charge ; et donnant sur les Mèdes qui s'étaient débandés dans la poursuite, ils remportèrent une victoire si complète, que Cyrus n'eut pas besoin de combattre de nouveau.

II. Cyrus ayant fait trêve avec Crésus, retira ses troupes. Mais la nuit suivante, il retourna promptement, et se présenta devant Sardes où il n'était point attendu. Il donna l'escalade, et se rendit maître de la place.

III. Quand Cyrus prit Sardes, Crésus demeura dans la forteresse, où il attendait le secours des Grecs. Cyrus prit les parents et les amis de ceux qui étaient dans la forteresse, et les leur montrant liés, il ordonna au héraut de dire aux assiégés qu'il leur délivrerait ces gens, s'ils lui rendaient la citadelle : mais que s'ils ne la rendaient pas, il ferait pendre tous ces prison­niers. Ceux de la forteresse ne s'amusèrent point aux vaines espérances qu'avait Crésus d'être secouru par les Grecs, ils livrèrent la forteresse à Cyrus pour procurer la liberté à leurs parents et à leurs amis.

IV. Cyrus voyant qu'après que Crésus avait été pris, les Lydiens pensaient encore à se révolter, poussa du côté de Babylone. Mais il envoya en Lydie le Mède Mazare, à qui il ordonna, quand il aurait subjugué le pays, d'ôter aux Lydiens armes et chevaux; de les forcer à porter des robes de femmes, de leur défendre de tirer de l'arc et de monter à cheval, mais de les porter à travailler à la tapisserie, à chanter, à jouer des instruments. Il est clair que son dessein en cela était de leur amollir le cœur. En effet les Lydiens, qui étaient auparavant la nation la plus belliqueuse sont devenus très mous et incapables de faire la guerre.

V. Cyrus assiégeant Babylone, creusa des fossés pour détourner le cours de l'Euphrate qui traversait la ville; et quand tout fut achevé, il emmena son armée assez loin de là. Les Babyloniens crurent qu'il avait renoncé à son entreprise, et ne firent plus la gardé si exactement. Mais Cyrus ayant détourné le cours du fleuve, ramena ses troupes, et les ayant fait entrer en diligence par l'ancien canal demeuré à sec, il se rendit maître de Babylone.

VI. Cyrus était campé devant Crésus. Les Lydiens avaient une cavalerie nombreuse, et se tenaient fiers de cet avantage. Pour rendre ce corps inutile, Cyrus mit à la tête de ses cavaliers un grand nombre de chameaux. Et comme la vue et l'odeur du chameau fait fuir le cheval, les chevaux des Lydiens emportèrent leurs maîtres et prirent la fuite, en sorte que Cyrus gagna la victoire avant même que d'avoir combattu.

VII. Voici comment Crésus persuada aux Perses de se soulever contre les Mèdes. Leur ayant montré une plaine sauvage et remplie de ronces, il leur ordonna de la défricher. Ils le firent et y prirent beaucoup de peine. Le lendemain il leur commanda de se laver et de le venir joindre, et quand ils furent arrivés, il leur fit servir un repas abondant. Il leur demanda ensuite laquelle des deux journées leur paraissait la plus agréable. Ils répondirent que la différence qu'il y avait de la première à la seconde, était celle qui est naturellement entre un état heureux et un état malheureux. « Vous aurez donc, leur dit-il, ce qui rend les hommes heureux, si vous vous retirez de la servitude des Mèdes. » Les Perses se soulevèrent aussitôt, et ayant déclaré Cyrus roi, détruisirent l'empire des Mèdes, et se rendirent maîtres du reste de l'Asie.

VIII. Cyrus assiégeait Babylone. Les assiégés avaient des vivres pour plusieurs années, et se moquaient de l'entreprise. Cyrus, par le moyen d'une tranchée, détourna dans un lac voisin le cours de l'Euphrate, qui traversait la ville. Les Babyloniens n'ayant plus d'eau à boire, se livrèrent aussitôt à Cyrus.

IX. Cyrus ayant été vaincu par les Mèdes, s'enfuit à Pasargades. Voyant que beaucoup de Perses passaient du côté des Mèdes, il dit aux autres : « Demain nous aurons un secours de cent mille alliés, ennemis des Mèdes. Mais pour se disposer à les recevoir, il faut que chacun de vous se munisse d'une fascine. » Les fascines furent préparées, et les transfuges ne manquèrent pas d'en avertir les Mèdes. La nuit venue, Cyrus ordonna que chacun mit le feu à la fascine. Les Mèdes voyant ces feux, crurent que le secours était arrivé, et prirent la fuite.

X. Pendant que Cyrus assiégeait Sardes, il prit quantité de pièces de bois, de la hauteur des murs, et y fit des figures d'homme, avec des barbes, des habits à la persane, un carquois derrière le dos, et des arcs à la main ; et planta tout cela, pendant la nuit, contre les murs de la forteresse, de manière qu'on les pouvait voir par-dessus. D'un autre côté, au point du jour, il donna une attaque à la ville. Pendant que les troupes de Crésus repoussaient cette attaque; quelques-uns tournèrent la tête du côté de la citadelle ; et voyant de loin ces figures qui paraissaient être dessus, ils jetèrent un grand cri. La peur saisit tout le monde, comme si la citadelle eût été prise par les Perses. On ouvrit les portes, chacun s'enfuit de son côté, et Cyrus emporta Sardes d'assaut.

CHAPITRE VII. - HARPACE.

Harpace avait écrit une lettre à Cyrus, qu'il voulait lui envoyer secrètement. Il ouvrit un lièvre, et lui fourra sa lettre dans le corps. Après avoir recousu l'animal, il le donna à porter à un homme, qu'il accommoda en même temps en chasseur, en l'entortillant de tirasses, afin que les gardes des chemins le laissassent passer sans défiance.

CHAPITRE VIII. - CRÉSUS.

Les secours que Crésus attendait des Grecs, tardaient à venir. Il choisit parmi ses Lydiens les hommes les plus forts et de la plus belle taille, et leur donna des armes grecques. Les soldats de Cyrus furent surpris de cet objet qui leur fut nouveau. De plus le bruit que faisait le frottement des dards contre les boucliers, troubla les Perses, et leurs chevaux furent éblouis de la lueur des boucliers d'airain fourbi. Cyrus fut vaincu, et fit trêve pour trois mois.

II. Crésus ayant été vaincu du côté de Cappadoce, par Cyrus, et voulant s'échapper par la fuite, ordonna à ses troupes de ramasser beaucoup de bois, et le fit entasser dans le chemin qui se trouvait serré. La nuit venue, il prit la fuite en diligence, et laissa seulement la cavalerie et la partie de son infanterie légère qui était la plus agile. Ceux-ci mirent le feu au bois, Crésus gagna pays et fut sauvé par ce feu.

CHAPITRE IX. - CAMBYSE.

Cambyse assiégeait Péluse. Les Égyptiens lui résistaient vigoureusement, lui fermaient les entrées de l'Égypte, et lui opposaient des catapultes et d'autres machines, au moyen desquelles ils lançaient sur ses troupes des traits, des pierres et du feu. Cambyse prit de tous les animaux que les Égyptiens adoraient, comme chiens, brebis, chats, ibis, et les plaça au-devant de ses troupes. Les Égyptiens cessèrent de tirer, de peur de blesser quelqu'un de ces animaux sacrés, et Cambyse ayant pris Péluse, pénétra de cette sorte dans le centre de l'Égypte.

CHAPITRE X. - ÉBARÈS.

Darius et les six autres Satrapes de sa ligue ayant mis à mort les Mages qui dominaient dans la Perse, tinrent conseil ensemble pour l'élection d'un roi. Ils résolurent de monter à cheval, et de sortir de la ville, et que celui-là serait roi, dont le cheval hennirait le premier. Ébarès, palefrenier de Darius, ayant su le résultat du conseil, prit le cheval de son maître un jour devant, et l'ayant mené dans le lieu marqué pour le rendez-vous, il y fit trouver une cavale, et la fit saillir par son cheval. Cela fait, il le ramena. Le lendemain, Darius, monté sur le même cheval, alla sur le lieu, dans la compagnie des autres Satrapes. Le cheval de Darius reconnut l'endroit où il avait rencontré la cavale, fut ému d'ardeur amoureuse, et se mit à hennir tout le premier. Les Satrapes mirent aussitôt pied à terre, adorèrent Darius et l'établirent roi des Perses.

CHAPITRE XI. DARIUS.

Pendant que Darius était campé contre les Scythes, il arriva qu'un lièvre se mit à courir devant la phalange des Scythes. Aussitôt ils s'attachèrent à poursuivre le lièvre. Darius dit : « Je crois qu'il est juste de fuir les Scythes, puisqu'ils méprisent assez les Perses, pour s'amuser en leur présence à courir après un lièvre. » En effet, il fit sonner la retraite, et pensa au retour.

II. Darius et les autres Perses de sa ligue, ayant résolu d'attaquer les Mages la nuit, réglèrent entre eux, par l'avis de Darius, pour pouvoir s'entre-reconnaître tous sept pendant les ténèbres, de faire sur le front le nœud qui liait la tiare, au lieu qu'ils le faisaient ordinairement derrière la tète. De cette manière le seul toucher pouvait servir de reconnaissance au milieu des ténèbres.

III. Darius fut le premier qui mit des impôts sur les peuples. Afin de les leur faire supporter plus patiemment, il ne les ordonnait pas lui-même, mais il les faisait régler par ses Satrapes, qui en mettaient d'excessifs. Darius, sous prétexte de favoriser ses sujets, réduisait ces impositions à la moitié. Les peuples recevaient la diminution comme un bienfait considérable, et payaient le reste de bon cœur.

IV. Darius, dans une expédition contre les Scythes, ne put avoir aucun avantage sur eux ; il manquait même de vivres. Il fut donc obligé de songer à la retraite. Mais afin de le cacher aux Scythes, il laissa son camp tel qu'il était, avec un grand nombre de blessés, d'ânes, de mulets et de chiens, et ordonna qu'on allumât la nuit quantité de feux. Les Scythes voyant tout cela, et les tentes sur pied, et, entendant le bruit de cette multitude d'animaux, crurent que les Perses étaient encore au mérite lieu. Mais ils étaient bien loin. Les Scythes apprirent leur fuite trop tard. Ils voulurent aller après ; mais il ne leur était plus possible de les atteindre.

V. Darius assiégea Chalcédoine. Les murs étaient si forts et la ville si bien garnie de vivres, que les habitus ne se mettaient pas en peine du siège. Darius ne fit point approcher ses troupes des murs, et même il ne fit point le dégât dans le pays. Il se tint en repos comme s'il eût attendu un renfort considérable de troupes auxiliaires. Mais pendant que ceux de Chalcédoine gardaient leurs murs, il ouvrit au tertre d'A phase, éloigné de la ville de quinze stades, une mine souterraine, qui fut conduite par les Perses, jusque sous la place du marché. Ils jugèrent qu'ils étaient directement sous ce lieu, par les racines qu'ils trouvèrent des oliviers, qu'ils savaient qui étaient dans cette place. Alors ils donnèrent jour à leur, mine, et montant par cet endroit, ils prirent la ville d'assaut, pendant que les assiégés étaient encore occupés à la garde des murs.

VI. Darius faisait la guerre contre les Saques, divisés en trois corps. À près avoir vaincu l'un des trois, il fit prendre à ses Perses, les habits, les ornements et les armes des vaincus, et les envoya, ainsi déguisés, vers le second corps des Saques, auxquels ils se présentèrent comme amis. Les Saques trompés par les habits et les armes, reçurent ces gens avec de grandes démonstrations d'amitié. Mais les Perses, selon l'ordre qu'ils en avaient, les tuèrent tous. Après cela Darius marcha contre le troisième corps des Saques, qui n'étant plus soutenu des deux autres, ne fit aucune résistance.

VII. Les Égyptiens ne pouvant supporter la cruauté du Satrape Oryandre, se révoltèrent. Darius traversa l'Arabie déserte, et vint à Memphis. Il arriva dans le même temps que les Égyptiens étaient dans la douleur, pour la perte qu'on avait faite d'Apis qui ne paraissait plus. Darius. donna une déclaration par laquelle, il promettait cent talents d'or à celui qui ramènerait Apis. Les Égyptiens, charmés de sa piété, quittèrent le parti de la révolte, et se soumirent à Darius.

CHAPITRE XII. - SYRACÈS.

Darius faisait la guerre aux Saques, Saquespharès, Homargès. et Thamyris, rois des Saques, tenaient conseil dans un lieu désert sur l'état présent des affaires. Un palefrenier, nommé Syracés, vint se présenter devant eux, et promit de faire périr l'armée des Perses, si l'on voulait s'engager par serment à donner à ses enfants et à ses descendants des biens et des maisons. On le lui promit, avec toutes les assurances qu'il put souhaiter. Aussitôt ayant tiré sa dague, il s'en coupa le nez et les oreilles, et se fit d'étranges blessures dans tout le reste du corps. Dans cet état, il passa, comme transfuge, dans le camp de Darius, et dit qu'il avait été traité de la sorte par les rois des Saques. L'excès du mauvais traitement rendit Darius facile à persuader. Alors Syracès, après avoir pris à témoin le feu éternel et l'eau sacrée, dit : « Je punirai les Saques; et voici de quelle manière. La nuit qui vient ils doivent lever le camp. Nous n'avons qu'à leur couper chemin en prenant par le plus court, et nous les prendrons tous comme au piège. Je suis palefrenier; ma profession est d'élever des chevaux ; je connais le pays, et je vous servirai de guide. Prenez seulement des vivres et de l'eau pour sept jours. » On le crut et on le suivit. Au bout de sept jours il mit l'armée des Perses au milieu d'un pays aride, où il n'y avait ni eau ni vivres. Rhanosbate, l'un des Chiliarques, lui dit « À quoi as-tu pensé de tromper un si grand roi, et de mener une si grande multitude de Perses dans un lieu sec où nous ne voyons ni oiseau, ni autre bête, et où l'on ne peut ni avancer n'y reculer ? » Syracès frappant des mains, dit avec un grand éclat de rire : « J'ai vaincu. Tout mon dessein était de sauver les Saques mes compatriotes, et de faire périr les Perses de faim et de soif. » Le Chiliarque coupa sur-le-champ la tête à Syracès. Darius monta sur une hauteur fort élevée, et ayant enfoncé son sceptre à terre, il mit dessus sa robe, sa tiare, et son diadème. C'était au point du jour. Il pria le dieu Apollon de sauver les Perses, et de leur envoyer de l'eau du ciel. Le dieu l'exauça., il tomba une pluie abondante. Les Perses la ramassèrent dans des peaux et dans des vases, et eurent le moyen de se retirer sains et sauves au fleuve de Bactre, en rendant grâces au dieu d'avoir procuré leur salut. Mais il ne tint pas au palefrenier qu'ils ne périssent tous. Cet homme fut depuis imité par Zopyre; qui s'étant pareillement mutilé le visage, trompa les Babyloniens et les subjugua.

CHAPITRE XIII. - ZOPYRE.

Darius assiégeait Babylone depuis longtemps, et ne pouvait venir à bout de s'en rendre maître. Zopyre, l'un de ses satrapes, se mutila le visage, et passa, comme transfuge, du côté des Babyloniens, à qui il se plaignit amèrement de la cruauté de Darius. Les Babyloniens furent persuadés par l'excès de l'outrage, et abandonnèrent à Zopyre le gouvernement de la ville. Il en ouvrit les portes la nuit, et Darius s'en empara. Mais il dit cette parole mémorable : « Je ne voudrais pas avoir vingt Babylone à pareil prix : j'aimerais mieux que Zopyre n'eût rien souffert. »

CHAPITRE XIV.- ORONTE.

Le roi Artaxerxès avait dit à Oronte : «Amène-moi lié Tiribaze, Satrape de Chypre. » Oronte craignait Tiribaze, et n'osant l'attaquer à force ouverte, il lui tendit un piège. Il fit faire une fosse profonde dans une maison, et couvrit le lieu de tapis, en forme de lit : il fit venir Tiribaze; comme pour lui parler d'affaires secrètes, 'et le fit asseoir sur ces tapis Tiribaze tomba dans la fosse, et ayant été pris et lié, fut envoyé au roi.

II. Oronte s'étant soulevé, faisait la guerre aux généraux du roi. Il se retira sur une hauteur du mont Tmolus, et se munit de retranchements. Voyant que les ennemis s'étaient campés devant lui, il ordonna à ses soldats de se fortifier de plus en plus, et de montrer aux ennemis qu'ils faisaient exactement les rondes et la garde. Pour lui, profitant de la nuit, il prit de la cavalerie, et faisant une sortie sur la route de Sardes, il enleva le convoi que l'on conduisait aux ennemis, et un butin considérable qu'il fit sur les Sardiens. Cela fait; il l'envoya dire à ceux qu'il avait laissés dans les retranchements, et leur donna ordre en même temps d'attaquer les ennemis le lendemain. Ils l'exécutèrent. courageusement, et Oronte, de son côté, prenant les ennemis en queue, tua les uns, fit les autres prisonniers, et se retira en sûreté.

III. Oronte, à la tête de dix. mille Grecs armés de toutes pièces, était campé à Cyme devant Autophradate, qui avait un pareil nombre de troupes. Il commença par ordonner aux Grecs de regarder autour d'eux, et de considérer l'étendue de la plaine. Il voulut par-là leur donner à entendre que s'ils quittaient leurs rangs, ils ne pourraient échapper à la cavalerie des ennemis. Quand les deux armées eurent donné, la cavalerie des ennemis n'ayant pu rompre la phalange d'Oronte, tourna bride. Oronte ordonna aux Grecs, si la cavalerie ennemie revenait à la charge, d'avancer seulement de trois pas. Les Grecs avancèrent, et la cavalerie d'Autophradate croyant qu'ils voulaient donner, prit la fuite.

IV. Oronte ayant perdu beaucoup de ses alliés qu'Autophradate avait fait périr dans des embuscades, envoya en secret des gens qui dirent qu'il venait au secours d'Oronte des troupes soudoyées, et cette nouvelle fut rapportée à Autophradate. La nuit Oronte prit les plus vigoureux des Barbares, et les ayant armés à la grecque, il les mêla avec les autres Grecs au point du jour. Il eut soin en, même temps d'envoyer des interprètes qui savaient les deux langues, et qui expliquèrent aux Barbares les ordres donnés par les commandants grecs. Autophradate voyant, les armes grecques, se persuada que c'était le renfort dont il avait entendu parler, et n'osant hasarder le combat; il leva le camp, et s'enfuit.

CHAPITRE XV. - XERXÈS.

Xerxès, pour réussir dans son expédition de Grèce, rassembla plusieurs nations. Il fit courir le bruit de toutes parts que les principaux d'entre les Grecs étaient d'accord de lui livrer le pays. Ce n'était donc pas au combat que l'on croyait aller, mais à un gain assuré que l'on se proposait de faire. C'est ce qui fit que tout le monde s'engageait volontiers à l'entreprise, et plusieurs même s'y présentèrent sans en avoir été priés. II. Des espions des Grecs furent pris dans le camp de Xerxès. Au lieu de les faire punir, il ordonna qu'on les menât tout autour du camp, afin qu'ils pussent voir toutes ses forces. Quand ils eurent tout considéré, il leur dit : « Allez-vous-en maintenant, et faites un fidèle récit aux Grecs de tout ce que vous avez vu. »

III. Xerxès ayant sa flotte vers Abyde, prit un convoi de vaisseaux grecs, chargés de vivres. Les Barbares voulaient qu'on les fit couler à fond avec tout l'équipage. Xerxès, au contraire, demanda à ces gens : « On menez-vous- ces vaisseaux ? Ils dirent : en Grèce. C'est aussi, dit-il, où nous allons; les vivres qu'on porte aux Grecs sont à nous, suivez votre route. » Ces gens, sauvés de cette manière, firent le récit de leur aventure aux Grecs, qui n'en furent pas médiocrement étonnés.

IV. Xerxès voyant qu'il avait perdu une grande quantité de Barbares aux Thermopyles, voulut dérober aux ennemis la connaissance du nombre des morts. À cet effet, il ordonna aux proches de ceux qui avaient péri, de les enterrer pendant la nuit.

V. Xerxès ayant perdu à l'affaire des Thermopyles un grand nombre de Perses, à cause de la situation des lieux trop resserrée, trouva un Tarquinien, nommé Ephialtès, qui lui enseigna un chemin étroit à travers les hauteurs. Xerxès envoya par là vingt mille hommes, qui, prenant les Grecs par derrière, les tuèrent tous. Ces Grecs avaient pour chef Léonidas.

CHAPITRE XVI. - ARTAXERXÈS.

Artaxerxès ayant dessein de prendre Tisapherne, envoya Tithrauste chargé de deux lettres , l'une pour Tisapherne même, au sujet de la guerre contre les Grecs, dont il lui abandonnait toute la conduite; et l'autre adressée à Ariée, portant ordre à lui et à Titrauste de se saisir de la personne de Tisapherne, et le lui envoyer. Ariée ayant lu la lettre dans la ville de Colases en Phrygie , envoya prier Tisapherne de le venir trouver pour affaires où il avait besoin de son conseil, surtout pour ce qui regardait les Grecs. Tissapherne, sans se défier de rien, prit seulement trois cents Arcadiens et Milésiens d'élite, et vint à la maison d'Ariée. Étant prêt d'entrer au bain, il quitta son cimeterre. Dans le moment Ariée, accompagné de ses domestiques, se saisit de lui, et l'ayant enfermé dans un chariot cousu, le livra de cette sorte à Tithrauste. Celui-ci le mena ainsi cousu, jusqu'à Célaines. En ce lieu, il lui coupa la tête, et la porta au roi, qui l'envoya à sa mère Parisatis. Il y avait longtemps qu'elle souhaitait avec ardeur de voir la mort de Cyrus vengée par celle de Tissapherne. Cette mort et cette punition ne devaient pas non plus être indifférentes aux mères et aux femmes des Grecs qui avaient été dans les intérêts de Cyrus, et qui avaient été trompées par Tissapherne.

II. Artaxerxès prenait soin de fomenter la guerre parmi les Grecs : mais il se déclarait toujours pour le parti le plus faible. Il affectait d'égaler le vaincu au vainqueur : mais son véritable but était de ruiner peu à peu les forces de ceux qui avaient l'avantage.

CHAPITRE XVII. - OCHUS.

Quand Artaxerxès fut mort, son fils Ochus, voyant jusqu'à quel point il avait été redouté de ses sujets, et ayant peur d'en être méprisé, gagna les eunuques, les officiers de la chambre, et le capitaine des gardes ; et de concert avec eux il cacha pendant dix mois la mort de son père. Pendant ce temps-là, il envoya de tous côtés des lettres scellées du sceau de son père dans lesquelles il était ordonné de la part d'Artaxerxès de reconnaître son fils Ochus pour roi. Quand Ochus eut été proclame roi partout, alors il apprit au public la mort de son père, et il fit faire le deuil royal à la manière des Perses.

CHAPITRE XVIII.- TISSAPHERNE.

Tissapherne fit un traité solennel avec Cléarque, et en le régalant, il lui présenta des courtisanes. Il dit qu'il voulait prendre les mêmes engagements avec les autres chefs. Ils vinrent tous;,à savoir, Proxène le Béotien, Ménon le Thessalien, Agis d'Arcadie, Socrate d'Achaïe, suivis de vingt autres capitaines et de deux cents soldats. Tissapherne prit les chefs, et les ayant enchaînés, les envoya au roi. Pour ce qui est des autres , il les fit tous mourir.

II. Tissapherne ayant dessein d'attaquer Milet, et d'y faire rentrer les exilés, n'avait pas tout ce qu'il fallait pour l'exécution, de son dessein. Il ne laissa pas de le publier comme s'il eût été sur le point de marcher contre la ville. Sur ce bruit, ceux de Milet enlevèrent tout en qu'ils avaient à la campagne, et se préparèrent à la défense. Tissapherne ayant fait ses préparatifs, fit semblant après cela de congédier ses troupes ; mais il ne les écarta pas trop des Milésiens voyant son armée débandée, changèrent de sentiment, et se mirent à sortir librement à la campagne Tissapherne, au signal dont il était convenu , rassembla ses troupes eu diligence, et fondant sur les Milésiens qu'il trouva dehors, les subjugua tous.

CHAPITRE XIX, - PHARNABAZE.

Pharnabaze écrivit aux Lacédémoniens contre Lysandre, et les Lacédémoniens rappelèrent celui-ci d'Asie, en lui envoyant le rouleau. Lysandre, obligé de s'en retourner, pria Pharnabaze de lui donner une autre lettre qui lui fût favorable. Pharnabaze le lui promit, et en écrivit publiquement une telle qu'il la souhaitait. Mais en secret, il en fit une autre de la même ferme, et sans aucune différence extérieure. Dans le moment qu'il fallut la cacheter, il changea une lettre pour l'autre, et mit le cachet à celle qu'il avait écrite secrètement. Lysandre, de retour à Lacédémone, présenta sa lettre aux Éphores, selon la coutume. Ils la lurent, et la lui ayant montrée, ils lui dirent qu'un homme qui apportait de telles lettres, espérait inutilement de pouvoir faire sen apologie,

CHAPITRE XX. - GLOS.

Pendant que Glos était en Chypre, il sut que les Grecs qui étaient auprès de lui, écrivaient à son désavantage à ceux d'Ionie. Voulant découvrir les auteurs de ces lettres, il équipa, une galère, et ayant donné des vivres aux rameurs, il ordonna de prendre la route d'Ionie. Le pilote affecta de retarder son départ, et beaucoup de gens, pendant ce délai, donnèrent des lettres aux rameurs. On partit enfin, et la galère aborda auprès d'une ville d'Ionie. Glos mit pied à terre, et se présentant aux rameurs, il leur ordonna de lui remettre toutes les lettres qui leur avaient été données. Il les ouvrit, et ayant découvert par là qui étaient ceux qui écrivaient contre lui, il n'y en eut aucun qu'il ne fit périr dans les tourments.

CHAPITRE XXI. - DATAMÈS.

Datamès devait à ses soldats la solde de plusieurs mois. Comme ils demandaient d'être payés, il les assembla tous, et leur dit qu'il avait beaucoup d'argent dans un lieu éloigné de là de trois journées, et qu'il n'y avait qu'à se hâter de s'y rendre. Les soldats le crurent, et le suivirent. Après qu'il eut fait une journée de chemin, il leur dit de se reposer et de l'attendre. Il prit quelques personnes du nombre de ceux qu'il avait ordinairement auprès de lui des chariots et des mulets, et étant allé dans un temple du pays, orné de beaucoup de richesse, il en enleva trente talents d'argent, et chargeant le tout sur les chariots et les mulets, il revint au camp. Il n'y avait que peu de vases qui fussent pleins : mais il en avait fait accommoder un grand nombre de semblables, pour faire croire qu'il amenait des richesses immenses. Il ouvrit aux soldats quelques-uns des vases pleins, et leur fit concevoir de grandes espérances d'avoir de l'argent; mais il leur dit qu'il fallait pousser jusqu'à Amise, pour y faire monnayer cet argent. Or, Amise était éloigné de plusieurs journées, et l'hiver était rude dans le pays. Les soldats patientèrent tout l'hiver, et ils passèrent sans demander leur solde.

II. Datamès avait des desseins sur Sinope : mais ceux de Sinope avaient une flotte, et lui, manquait non seulement de vaisseaux mais même de charpentiers pour en faire. Il fit amitié avec les Sinopiens, et promit de prendre Seste, celle de toutes les villes qui leur était la plus contraire , et de la mettre en leur pouvoir. Les Sinopiens le crurent, et lui offrirent de leur côté toutes les choses dont il avait besoin pour le siège. Il dit qu'il avait des troupes et des munitions de reste : mais qu'il manquait de charpentiers pour dresser des béliers, des tortues et d'autres machines propres à l'attaque des places. Les Sinopiens lui envoyèrent tout ce qu'il y avait d'ouvriers dans la ville, et Datamès s'en servit non pas à faire ce qu'il avait dit, mais à bâtir des navires et des machines, qu'il employa à faire le siège de Sinope, au lieu de celui de Seste.

III. Datamès ayant passé l'Euphrate, faisait la guerre au grand roi, qui se mit à le poursuivre avec une armée nombreuse; mais qui marchait lentement, parce qu'elle manquait de provisions: Datamès ayant fait beaucoup de chemin, au-dessus du fleuve, s'avisa, pour le repasser, de joindre les chariots deux à deux, et d'y en ajouter par-dessus deux autres. Le tout était cloué fortement ensemble, et sous les jantes des roues il élima aussi des planches, pour empêcher les roues d'enfoncer dans le lit de la rivière qui était limoneux. Ensuite il fit passer le fleuve à la nage à des hommes vigoureux qui traînaient avec des cordes les plus fortes bêtes de charroi qu'il eût. Cela fait, tant par le moyen de ceux qui poussaient par derrière, que par le moyen des bêtes qui tiraient de l'autre côté sur les traits, il fit avancer les chariots dans le fleuve, et ayant jeté dessus des sarments et des fascines, il s'en servit comme de pont pour faire passer ses troupes, et se rendit chez lui dix jours avant que le roi fût arrivé au fleuve.

IV. Datamès sut que quelques-uns de ses propres soldats avaient conspiré contre lui. Se trouvant dans une plaine où il devait livrer combat à ses ennemis, il donna ses. armes à un autre, et combattit déguisé. Ceux qui avaient formé des desseins contre lui, se trompèrent aux armes ; et leur erreur servit à les faire découvrir.

V. Datamès assiégeant Sinope reçut une lettre du roi, par laquelle il lui était défendu de continuer le siège. Quand il en eut fait la lecture, il adora la lettre, et offrit le sacrifice qu'on a coutume d'offrir pour les heureuses nouvelles. Il dit qu'il ne pouvait. recevoir un plus grand bienfait du roi ; et la nuit même remontant sur sa flotte, il se retira.

VI. Datamès, fuyant devant Autophradate qui le poursuivait, arriva sur le bord du fleuve : mais n'osant le passer, il campa là. Il opposa à la vue de l'ennemi ses plus hautes tentes: mais il défendit qu'on déliât le bagage, qu'il fit tenir caché derrière ces tentes, et ne permit pas aux soldats déposer les armes. Les ennemis voyant les tentes dressées, dressèrent aussi les leurs. De plus, ils dépaquetèrent le bagage, envoyèrent la cavalerie au fourrage, et se disposèrent i souper. Datamès, qui avait ses troupes toutes prêtes à marcher, passa le fleuve, pendant que les ennemis rassemblaient leurs troupes débandées les mettaient en ordre équipaient leurs chevaux, et reprenaient leur armes. Datamès profita de cet embarras, et prévint les ennemis par sa diligence.

VII. Datamès était sur le point d donner bataille. Dans ce moment, le général de sa cavalerie, emmenant avec lui les cavaliers de l'aile gauche, passa du côté des ennemis. L'infanterie demeura étonnée de cette trahison. Datamès courut la rassurer, et pour animer chacun à conserver son rang, il dit que la cavalerie les seconderait en temps et lieu, suivant l'ordre qu'elle en avait de lui. L'infanterie le crut, et se hâta de remporter la victoire, sans attendre le secours de la cavalerie. En effet, les gens de pied donnèrent avec tant d'animosité, qu'ils eurent un avantage complet, et ne furent assurés de la trahison de la cavalerie, que quand ils eurent défait le ennemis.

CHAPITRE XXII. - COSINGAS.

Il y a deux nations parmi les Thraces, appelées les Cerréniens et les Borcobiens. C'était la loi chez eux d'avoir pour chefs des prêtres de Jupiter. Leur prêtre, et par conséquent leur chef, était Cosingas. Mais les Thraces refusaient de lui obéir. Cosingas prit un grand nombre d'échelles de bois, et les dressa bout à bout. Il disait qu'il voulait s'en servir pour monter au ciel, et s'y plaindre à Junon de la désobéissance des Thraces. Ces gens, comme de vrais Thraces qu'ils étaient, c'est-à-dire des bêtes sans esprit, eurent peur que leur chef n'exécutât son entreprise. Ils lui demandèrent pardon, et jurèrent qu'ils suivraient ses ordres en tout.

CHAPITRE XXIII. - MAUSOLE.

Mausole, roi de Carie, voulant tirer de grandes sommes de ses amis et n'osant les leur demander ouvertement, leur dit par dissimulation : « Le grand roi veut m'ôter le royaume. » Et ayant fait venir les plus riches, il fit tirer en leur présence tout ce qu'il avait de meubles précieux d'or, d'argent, et de riches habits, comme pour envoyer tout cela au grand roi, afin d'en obtenir d'être conservé dans l'empire paternel. Les amis de Mausole crurent qu'il disait vrai et dès le même jour ils lui envoyèrent une quantité prodigieuse de richesses.

II. Mausole ayant dessein de se rendre maître de Latmus, qui était une ville très forte, feignit de se lier d'amitié avec les Latmiens. Il leur rendit les otages qu'Hidriée avait pris pendant la guerre, et voulut avoir une garde de Latmiens, comme si c'eussent été les seules personnes en qui il pût prendre confiance. Il en était servi à toutes choses où il les voulait employer; enfin il sut les gagner absolument. S'étant ainsi assuré de leur affection, il feignit que devant aller à Pygèle il avait peur de l'Éphésien Proplyte, et pria ceux de Latmus de lui donner encore trois cents hommes pour renforcer sa garde. Les Latmiens firent choix de trois cents hommes, et les lui envoyèrent. Mausole les ayant reçus, marcha avec eux et avec le reste de son armée, et prit la route de Pygèle. Comme il passait auprès de Latmus, les habitants de la ville sortirent pour voir l'ordre et la pompe de la marche. Mausole avait posé la nuit précédente des troupes nombreuses en embuscade. Elles surprirent la ville qu'elles trouvèrent vide, et les portes ouvertes , et Mausole ayant mené tente son armée y entra et s'en empara.

CHAPITRE XXIV. - BORGÈS.

Le grand roi avait donné à Borgès le commandement d'Éione, ville située sur le bord du Strymon. Les Grecs assiégèrent la place, Borgès la défendit le plus long temps qu'il lui fut possible mais désespérant enfin de la pouvoir conserver, et ne pouvant souffrir de voir au pouvoir des ennemis une place que le grand roi lui avait confiée, il mit le feu à la ville, la brûla, et s'y brûla lui-même avec sa femme et ses enfants.

CHAPITRE XXV. - DROMICHETÈS .

Dromichetès était roi des Thraces, et Lisimachus l'était de Macédoine. Le Macédonien faisait la guerre en Thrace, et fut trompé par l'ennemi, dont le général Éthès fit semblant de vouloir passer du côté de Lisimachus, et ayant gagné sa confiance ; engagea les Macédoniens en des lieux difficiles, où ils eurent extrêmement à souffrir de la faim et de la soif. Alors Dromichetès donnant sur Lysimachus et ses troupes, les fit tous périr. Le nombre de ceux qui moururent en cette rencontre avec Lysimachus, fut de cent mille hommes.

CHAPITRE XXVI. - ARIOBARZANE.

Ariobarzane, maître d'Adramut, y était assiégé par Autophradate par mer et par terre. Il eût bien voulu se munir de provisions et de quelque renfort de troupes ; mais l'ennemi l'empêchait d'en pouvoir faire entrer. Il commanda à Prélüs, qui avait la garde de l'île située devant Adramut, de feindre de la vouloir livrer à Autophradate. Ce général crut le commandant de l'île, et envoya une flotte pour prendre possession du pays. Pendant que les vaisseaux d'Autophradate étaient occupés à cette expédition, Ariobarzane fit entrer dans Adramut des provisions en abondance, et des troupes de renfort.

CHAPITRE XXVII. - AUTOPHRADATE.

Autophradate voulant faire incursion dans le pays des Pisidiens, trouva que l'entrée en était fort étroite et bien gardée. Il s'y présenta avec ses troupes, et comme s'il eût été rebuté par la difficulté des lieux, il recula jus-qu'à six stades. La nuit survint, et les Pisidiens s'imaginant que les ennemis s'étaient retirés tout-à-fait, s'en allèrent aussi : quand Autophradate le sut, il prit son infanterie armée à la légère, et ceux de ses soldats qui étaient les plus agiles, et courant avec une extrême diligence, il traversa les passages étroits, et ravagea le pays des Pisidiens.

II. Autophradate campé devant les Éphésiens, s'aperçut que la plupart d'entre eux s'amusaient à badiner et à se promener. Il invita leurs chefs à venir conférer avec lui sur les affaires communes. Ils le firent, et l'on se mit à raisonner ensemble. Mais Autophradate avait auparavant donné ordre aux capitaines des gens de guerre, tant de pied que de cheval, de fondre sur les Éphésiens, quand ils le verraient en conférence avec leurs chefs. La chose fut exécutée; et les Éphésiens surpris dans le dérangement et la négligence, furent les uns tués, et les autres faits prisonniers.

III. Autophradate, voulant mener ses troupes soudoyées au combat, fit courir le bruit qu'il ne faisait sortir son armée que pour en faire la revue, et qu'il avait dessein de priver de la solde ceux qui ne comparaîtraient pas, et qui ne seraient pas suffisamment armés. Tous les soldats se hâte­rent de prendre leurs armes et de se faire voir en bonne disposition. Dans le fond ce n'était pas tant une revue qui était l'objet d'Autophradate, que le dessein d'étonner les ennemis, par la connaissance qu'elle leur donnerait de la multitude de ses troupes.

CHAPITRE XXVIII. - ARSAMÈS.

Arsamès assiégeait la ville de Barca. Les habitants lui demandèrent la paix par des ambassadeurs; il la leur accorda, et en signe d'alliance il leur envoya sa main droite à la manière des Perses. Ensuite il leva le siège, et invita ceux de la ville à se joindre au roi pour l'expédition de Grèce; entre autres choses il leur demanda de l'aider de charrois. Ils envoyèrent leurs commandants conférer avec Arsamès à ce sujet. Arsamès les reçut splendidement, les régala, et présenta aux habitants un marché garni de toutes les provisions nécessaires. Pendant que ceux de Barca étaient à ce marché, Arsamès donna le signal aux Perses. Dans le moment, armés de dagues, ils se saisirent des portes, et faisant irruption dans la ville, ils tuèrent tous ceux qui voulurent-faire résistance.

II Arsamès s'étant révolté contre le roi, s'empara de la grande Phrygie. Des troupes du roi vinrent pour le combattre, et dans le moment qu'on en devait venir aux mains, le général de la cavalerie d'Arsamès avait donné parole de passer du côté des ennemis. Arsamès ayant été informé de cette trahison, vint à la tente du général la nuit, le prit, lui fit donner la question. Quand il eut tout confessé, Arsamès fit prendre à des cavaliers, de la fidélité desquels il était sûr, les habits et les armes des traîtres, et arma un autre général de la même manière que devait être celui qui avait fait la trahison. Il leur ordonna, quand ils verraient le signal dont les ennemis étaient convenus, de passer de leur côté ; mais de se placer derrière leur phalange, afin de la prendre en queue. Tout fut fait comme il l'avait disposé. Les faux transfuges attaquèrent les ennemis en queue, et Arsamès les poussa de front. Les ennemis se débandèrent, et la plupart périrent dans la fuite.

CHAPITRE XXIX. - MITHRIDATE.

Datamès s'était révolté contre le roi et le roi avait donné ordre à Mithridate de le tuer ou de l'amener prisonnier. Pour en venir à bout, Mithridate feignit de se révolter aussi. Datamnès fit difficulté de le croire, à moins qu'il ne lui vît faire de grands dégâts dans les terres de l'obéissance du roi. Mithridate le fit ; il rasa plusieurs forts, brûla des bourgades, saisit les deniers du roi, et enleva du butin. Après qu'il se fut ainsi montré ennemi du roi, Datamès prit confiance en lui, et tous deux convinrent de se trouver sans armes dans un certain lieu, pour se concerter ensemble. Pendant la nuit qui précéda l'entrevue, Mithridate cacha en quelques endroits du lieu où elle se devait faire, des poignards, et mit des marques pour les reconnaître. Datamès vint, et Mithridate se promena pendant quelque temps avec lui. Quand ils eurent fini leurs discours, Datamès embrassa Mithridate, et prit congé ; Mithridate ayant promptement ramassé un poignard, et l'ayant caché sous sa main gauche, rappela Datamès, comme pour lui dire quelque chose qu'il avait oublié. Datamès se retourna, et Mithridate lui montrant une montagne, lui dit que c'était un poste qu'il fallait fortifier; et pendant que Datamès regardait cette montagne, Mithridate le frappa et le tua.

II. Mithridate étant en Paphlagonie, s'enfuit dans une ville. Les ennemis le poussèrent vivement. Voulant gagner de l'avance sur eux, il fit tirer hors des maisons tout ce qu'il y avait de meubles, de vases et d'ustensiles, et parsemer tout cela dans les rues; et la nuit il s'en alla en diligence. Ceux qui le poursuivaient ayant fait irruption dans la ville, trouvèrent tous ces biens répandus çà et là, et se mirent à les piller, sans vouloir entendre les chefs, qui leur commandaient de poursuivre Mithridate. Ces soldats, animés au pillage, ne voulurent point perdre un profit présent, et Mithridate profita de leur cupidité pour gagner pays.

CHAPITRE XXX.- MEMPSIS.

Mempsis, assiégé par Aribbée, ne voulut pas s'enfermer dans les murs de sa ville. Il fit tout sortir, et plaça devant la ville les femmes, les enfants, tous les biens, et fit même démolir les portes; Aribbée voyant cette résolution désespérée, eut peur de ces gens qui se disposaient à combattre jusqu'à la mort, et fit retirer ses troupes.

CHAPITRE XXXI. - KERSOBLEPTE..

Les parents de Kersoblepte s'étant révoltés contre lui, s'approprièrent une partie de ses finances. II fit la paix avec eux, et leur donna le gouvernement de quelques villes, en les séparant les uns des autres. Avec le temps il trouva moyen de leur redemander son argent, les prit, les chassa des villes qu'il leur avait confiées, et recouvra entièrement tous ses fonds.

CHAPITRE XXXII. - SEUTHÈS.

Seuthès, général de la cavalerie de Kersoblepte, voyant son maître dans une disette d'argent, ordonna aux laboureurs d'ensemencer chacun une pièce de terre de cinq boisseaux; une grande multitude de laboureurs obéit à cet ordre. La terre produisit des blés en abondance, et Seuthès les ayant fait porter à la mer, les vendit à meilleur marché que les autres ne les vendaient. Par ce moyen il amassa beaucoup d'argent en peu de temps, et l'envoya à Kersoblepte.

CHAPITRE XXXIII. - ARTABAZE.

Pendant qu'Artabaze assiégeait une certaine ville, un homme de Sicyone, appelé Timoxène, lui livra la place. Ils étaient convenus tous deux, pour s'envoyer des billets, de les attacher à un dard, et de les lancer dans un lieu qu'ils avaient marqué, et là ils trouvaient les billets qu'ils s'écrivaient.

II. Artabaze soupçonnant Pammenès de traiter avec les ennemis, le fit venir, comme pour lui faire des présents, et donner des vivres aux soldats; il le fit arrêter, et donna l'armée à conduire à deux frères, Oxythras et Dibicte.

III. Artabaze, fils de Pharnace, s'enfuyant de Platée, s'avança dans la Thessalie. Les Thessaliens lui demandaient des nouvelles de la bataille; au lieu d'avouer sa défaite, il dit qu'il se hâtait d'aller en Thrace pour des affaires secrètes dont le roi l'avait chargé; Mardonius, qui l'avait vaincu, le suivit, et apprit aux Thessaliens le détail de la victoire. Ainsi Artabaze traversa la Thessalie en faveur d'une fausse nouvelle, avant que les Thessaliens eussent appris la déroute des Perses.

CHAPITRE XXXIV. - ARYANDE

Aryande, assiégeant la ville de Barca, creusa un fossé la nuit, mit par dessus quelques branches d'arbres, et autres bois de peu de poids, et couvrit le tout d'un peu de terre. Le jour venu, traita avec ceux de Barca, et faisant la cérémonie du serment sur la fosse couverte, il jura qu'il garderait la parole donnée, tant que la terre demeurerait dans le même état. Le serment fait, ceux de Barca ouvrirent les portes; les soldats d'Aryande ayant bouleversé la terre qui couvrait la fosse, se rendirent maîtres de la ville, d'autant que la terre n'était plus dans le même état.

CHAPITRE XXXV. - BRENNUS.

Brennus, roi des Gaulois, voulant leur persuader de faire la guerre aux Grecs, fit une grande assemblée d'hommes et de femmes, et y produisit quelques captifs Grecs, petits de taillé, faibles de complexion, la tête rasée, et vêtus misérablement ; et mit à côté les plus grands et les plus beaux des Gaulois, armés à la manière du pays. Cela fait, il dit : « Voilà ce que nous sommes, et quelles sont les petites et faibles gens contre qui nous aurons à combattre.» Les Gaulois conçurent du mépris pour les Grecs, et se laissèrent aisément persuader de porter la guerre en Grèce.

II. Brennus ayant mené les Gaulois en Grèce, fit les statues d'or qui étaient à Delphes, et ayant fait venir les captifs de Delphes, il leur demanda par interprète si ces statues étaient d'or massif. Ils répondirent que tout cela n'était que du cuivre par dedans, couvert seulement à la surface d'une légère lame d'or. Il menaça de les faire mourir, s'ils disaient la même chose aux autres, et leur ordonna au contraire de dire constamment à tout le monde que c'était de l'or massif. Alors ayant fait venir quelques-uns des chefs, il interrogea de nouveau les captifs en leur présence. Selon l'ordre qu'ils en avaient de lui, ils dirent que tout était d'or. Brennus commanda de répandre cette bonne nouvelle partout, afin que la multitude, animée par l'espérance d'une part considérable à un si riche butin, combattit avec d'autant plus de courage.

CHAPITRE XXXVI. - MYGDONIUS.

Mygdonius, assiégé par les ennemis, souffrait une grande disette de vivres. Il fit faire, dans la place du marché des monceaux de terre et de pierres, qu'il enduisit de boue, et sur cette boue il fit répandre du froment et de l'orge. Il avait engraissé de grands mulets. Il les mit hors de la ville, et les ennemis les enlevèrent. Mygdonius les envoya réclamer et demanda qu'on députât des gens, pour venir traiter avec lui du prix de ces bues. Les ennemis envoyèrent des hérauts que Mygdonius reçut au marché. Ces gens voyant des monceaux de grains, et beaucoup de monde qui venait pour en recevoir, annoncèrent aux ennemis, à leur retour, ce qu'ils avaient vu. Leur rapport fui confirmé dans l'opinion de tous ; par le bon état des mulets. Ils crurent dons qu'il n'était pas possible de prendre une place si bien munie de vivres, et levèrent le siège.

CHAPITRE XXXVII. - PARISADE.

Parisade, roi du Pont, se déguisait de différentes manières; d'une façon, pour observer ses soldats, d'une autre, quand il combattait contre les ennemis; et d'une autre encore, quand il était obligé de prendre la fuite. Il voulait bien que tout le monde le reconnût, quand il mettait ses troupes en ordre de bataille: mais quand il combattait, il voulait qu'aucun des ennemis ne pût le distinguer ; et dans la fuite, il se cachait non seulement aux étrangers, mais même à ses plus intimes.

CHAPITRE XXXVIII. - SEUTHE.

Pendant que les Athéniens ravageaient les côtes du Péloponnèse, Seuthe soudoya deux mille Gètes armés à la légère, et leur donna un ordre secret de faire descente dans le pays comme ennemis, d'y mettre le feu, et de tirer sur les murs. Les Athéniens les voyant faire, crurent que c'étaient des ennemis des Thraces ; et ayant quitté leurs vaisseaux, ils vinrent attaquer les murs. Seuthe sortit au devant des Athéniens, et les Grecs firent semblant de se joindre à eux. Mais quand ils furent derrière, ils se déclarèrent centre eux. Alors les Athéniens se trouvant au milieu des Thraces et des Gètes, furent entièrement défaits.

CHAPITRE XXXIX. - SEILÈS.

Seilès ayant dessein de faire mourir trois mille Perses qui voulaient se soulever, feignit que Séleuchus lui avait écrit des lettres menaçantes, mais qu'il voulait se servir de leur secours pour le prévenir. Pour prendre conseil avec eux là-dessus, il leur donna rendez-vous au village de Banda. Ils le crurent, et vinrent l'y trouver. Il y avait tout auprès un lieu creux et marécageux, où Seilès fit mettre en embuscade trois cents cavaliers macédoniens et thraces, et trois mille fantassins armés de toutes pièces, avec ordre, quand ils verraient élever un écu d'airain, de fondre sur ceux qu'ils trouveraient assemblés, et de les mettre à mort. L'écu fut levé, et l'embuscade donnant sur les trois mille Perses, les extermina tous.

CHAPITRE XL. - BORZUS.

Borzus s'étant aperçu que trois mille hommes de ceux qui étaient venus de Perse, avaient de mauvais desseins contre lui, les renvoya, et leur donna des guides pour les conduire dans un canton de Perse, appelé Comaste, où il y avait un grand nombre de villages, une multitude considérable d'habitants, et des logements de toutes parts. On distribua ces gens, les uns dans un lieu; les autres dans un autre. Mais les villages étaient bien gardés et environnés de troupes. Chaque hôte eut soin d'enivrer le soldat qui était logé chez lui, et le tua ensuite. Les corps des trois mille hommes furent mis en terre, et tout disparut dans une seule nuit.

CHAPITRE XLI. - SURENAS.

Surenas, général des Parthes, voyant que Crassus, après une grande défaite, se retirait, et voulait prendre sa route par les montagnes, craignit qu'il ne prît la résolution de se battre en désespéré. Il lui, envoya un ambassadeur pour lui offrir l'amitié du grand roi, et lui dire que. ce prince, après avoir fait voir sa force aux Romains, voulait leur faire éprouver son humanité. Crassus soupçonna ces offres d'artifice, et ne se laissa pas persuader : mais les soldats découragés se mirent à branler les armes avec grand bruit, et forcèrent Crassus à se fier au Barbare. Crassus marcha donc à pied, malgré lui, pour l'aller trouver. Surenas le reçut humainement, lui offrit un cheval à bride d'or, et le fit monter dessus. L'écuyer barbare piqua le cheval, pour le hâter de porter Crassus au milieu de l'armée des Parthes. Octave, l'un des chefs qui accompagnait Crassus, s'étant aperçu de la fourbe, saisit les rênes du cheval; et après lui un autre chef, nommé Pétrone, en fit autant. Octave tira l'épée et tua l'écuyer, et un Parthe tua Octave. Crassus fut tué par le Parthe Exetrès, qui, lui ayant coupé la tête et la main droite, les porta au grand roi Hérode (ou Orode). Il était alors à table, et en buvant il entendait Jason de Tralle, acteur de, la tragédie qui représentait les bacchantes d'Euripide, et récitait actuellement cet endroit: «, Nous apportons des montagnes à ce palais un taureau nouvellement immolé, qui sera pour vous un spectacle heureux. » En même temps on présenta au roi la tête de Crassus. Cette rencontre fit pousser de grandes acclamations, et excita des battements de mains. Exetrès sauta de, joie, et dit : « C'est à moi, plutôt qu'à l'acteur qu'il convient de chanter ce que vous venez d'entendre. » Le roi, très, joyeux, le récompensa à la manière du pays, et fit donner un talent à l'acteur Jason.

CHAPITRE XLII.- LES CELTES.

Les Celtes faisant la guerre aux Autariates, mêlèrent dans leur pain et dans leur vin le suc de quelques plantes venimeuses, et laissant ces provisions dans leurs tentes, s'enfuirent la nuit. Les Autariates, persuadés que c'était la peur qui les avait fait fuir, se saisirent de leurs tentes, et se remplirent des vivres et du vin qu'ils y trouvèrent. Aussitôt ils furent tourmentés de flux de ventre, et les Celtes revenant contre eux, et les trouvant la plupart couchés à terre, les tuèrent tous.

CHAPITRE XLIII. - LES THRACES.

Les Thraces ayant été vaincus par les Béotiens auprès du lac de Copaïs, s'enfuirent sur l'Hélicon. Là ils firent trêve pour quelques jours avec les Béotiens, pour tâcher de se concilier pendant ce temps là, et chercher les moyens de faire la paix. Les Béotiens s'assurant, tant sur leur victoire, que sur la foi de la trêve, firent un sacrifice à Minerve Ionienne, et une fête pour célébrer leur victoire. Pendant qu'ils sacrifiaient et se réjouissaient, ensemble, les Thraces les attaquèrent la nuit, et les trouvant désarmés, en tuèrent une partie, et firent les autres prisonniers. Les Béotiens les accusèrent d'avoir violé la trêve. Les Thraces répondirent que cela n'était pas vrai ; qu'on n'avait parlé que des jours, et que les nuits n'étaient pas comprises dans le serment qu'on avait fait.

CHAPITRE XLIV. - LES SCYTHES.

Les Scythes étant près de donner bataille aux Triballes, ordonnèrent aux laboureurs et à ceux qui avaient soin des chevaux, quand ils les verraient aux mains avec les ennemis, de se faire voir de bien loin avec une nombreuse quantité de chevaux, qu'ils pousseraient devant eux. Ces gens parurent, et les Triballes voyant de loin tant de chevaux, et une poussière prodigieuse qui s'élevait, crurent que les hauts Scythes venaient au secours des autres. La peur les saisit, et ils se mirent en fuite.

II. Pendant que les Scythes parcouraient l'Asie, leurs femmes épousèrent leurs esclaves, et en eurent des enfants. Quand les maîtres revinrent, les esclaves ne voulurent point les recevoir. La guerre fut déclarée ; les esclaves prirent les armes, et se présentèrent en corps de phalange. Un Scythe, craignant l'issue d'une bataille où le désespoir ferait faire de grands efforts, conseilla aux autres de mettre les armes-bas, et de ne marcher contre les esclaves que le fouet à la main. Son conseil fut suivi; et les maîtres s'avancèrent courre les esclaves, en leur présentant le fouet. À cet aspect le courage des esclaves tomba ils se ressouvinrent de leur état de servitude, et la honte leur fit prendre la fuite.

CHAPITRE XLV. - LES PERSES.

Les Perses ayant pour suspects les Samiens et les Milésiens dans le voisinage de Mycale, leur ordonnèrent de garder les hauteurs des environs de Mycale. Ils feignirent de leur donner ce soin, à cause de la connaissance qu'ils avaient des lieux : mais la véritable raison était de les empêcher de corrompre par leur présence les autres Ioniens.

II. Les Perses donnaient bataille aux Mèdes. Cyrus conduisait les Perses. Ébarès, l'un, de ses satrapes, commença le premier à lâcher pied, et tout le monde le suivit dans sa fuite. Les femmes persiennes vinrent à la rencontre des fuyards, et levant leurs cottes, leur dirent : « Où fuyez-vous ? Avez-vous hâte de vous tacher dans le même lieu d'où vous étés sortis ? » Ce discours des femmes fit honte aux hommes ; ils retournèrent au combat, et mirent à leur tour les Mèdes en fuite.

CHAPITRE XLVI. - LES TAURIENS.

Quand les Tauriens, nation de Scythie, veulent combattre, ils ont coutume de rompre tous les chemins qui sont derrière eux, et de les rendre impraticables; afin que n'ayant point d'espérance de fuir, ils se trouvent dans la nécessité de vaincre ou de mourir.

CHAPITRE XLVII. - LES PALLÉNIENS.

Les Palléniens, revenant de Troie, abordèrent à Phlégra. Pendant qu'ils étaient à terre, les captives troyennes ne pouvant plus supporter la mer, mirent le feu aux navires, à la persuasion d'Anchilla soeur de Priam, qui était aussi captive. Les Grecs, n'ayant plus de vaisseaux, s'établirent au lieu pour lors appelé Squione. Ils y bâtirent une ville; et le pays qui s'appelait auparavant Phlégra, ils le nommèrent Pallène.

CHAPITRE XLVIII. - HANNIBAL.

Hannibal assiégeait en Ibérie une grande ville appelée Salamanque. Il traita avec les habitants, et promit de lever le siège, pourvu qu'on lui donnât trois cents talents d'argent et trois cents étages. Ceux de Salamanque n'exécutèrent point la convention, et Hannibal ramena ses troupes contre la ville, dans le dessein de la prendre d'assaut. Les Barbares supplièrent qu'il leur fût permis de sortir avec un seul habit et leurs femmes, à condition de laisser leurs armes, leurs biens et leurs esclaves. Les femmes sortirent avec les hommes. Elles avaient caché des épées dans les plis de leurs robes. Les soldats d'Hannibal se mirent à piller la ville. Les femmes donnèrent les épées à leurs maris, et quelques-unes même s'en servirent courageusement et attaquèrent, conjointement avec leurs maris, les soldats acharnés au pillage. Il y eut de ces habitants de pris, d'autres qui furent mis en fuite, et un bon nombre de tués avec les femmes. Hannibal admira le courage de ces femmes, les rendit à leurs maris, et laissa aux uns et aux autres leur patrie et leurs biens.

CHAPITRE XLIX. - LES THYRRÉNIENS.

Les Thyrréniens établis à Lemnos et à Imbre, ayant été chassés par les Athéniens, abordèrent à Thénare, pendant que les Spartiates faisaient la guerre aux Hilotes. lis furent admis à vivre selon les lois, et à contracter des mariages; mais ne prenant point de part au gouvernement, et n'assistant point aux délibérations, ils se rendirent suspects de révolte, et furent mis en prison par les Lacédémoniens. Leurs femmes vinrent à la prison, et demandèrent aux gardes qu'il leur fût permis de voir leurs maris. et de leur parler. On les laissa entrer, et elles changèrent d'habits avec eux ; les hommes, ainsi déguisés, sortirent le soir, et les femmes, vêtues en hommes, demeurèrent dans la prison, résolues de tout souffrir avec joie, puisqu'elles avaient eu le bonheur de sauver leurs maris Les maris, de leur côté, n'abandonnèrent pas les intérêts de leurs femmes. Ils se saisirent des hauteurs de Taïgète, et soulevèrent les Hilotes. Cela fit peur aux Lacédémoniens : ils envoyèrent parler de paix, et l'ayant faite, ils rendirent les femmes aux Thyrréniens, leur donnèrent même des vaisseaux et de l'argent, et les envoyèrent en colonie, comme Lacédémoniens.

CHAPITRE L. - LES GAULOISES.

Il y avait parmi les Celtes une sédition intestine, et l'on s'armait déjà pour se faire la guerre. Leurs femmes, se présentant au milieu des troupes armées, demandèrent quelles étaient tes causes du différend, et les ayant entendues, elles en portèrent un jugement si sain, qu'elles rendirent les hommes amis, et établirent la paix dans les villes et les maisons. Depuis ce temps-là, quand les Celtes avaient à délibérer sur les affaires publiques, soit pour la paix ou pour la guerre, entre eux, ou avec leurs alliés, les résultats se formaient par l'avis des femmes. C'est d'où vient que l'on trouve écrit dans les traités d'Hannibal : « Si les Celtes portent leurs plaintes aux Carthaginois, les généraux de la cavalerie et de l'infanterie des Carthaginois jugeront le différend, mais si les Carthaginois portent leurs plaintes aux Celtes, ce seront les femmes des Celtes qui jugeront. »



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LIVRE HUITIÈME: CHAP. Ier. - Amulius. - CHAP. II. - Numitor - CHAP. III. - Romulus - CHAP. IV. - Numa - CHAP. V. - Tullus. - CHAP. VI. - Tarquin - CHAP. VII. - Camille - CHAP.- VIII. - Mucius - CHAP. IX. - Sylla - CHAP. X. - Marius - CHAP. XI. - Marcellus - CHAP. XII. - Atilius - CHAP. XIII. - Caïus - CHAP. XIV. - Fabius - CHAP. XV. - Quintus - CHAP. XVI. - Scipion - CHAP. XVII. - Porcius Caton - CHAP. XVIII - Faune. - CHAP. XIX. - Titus - CHAP. XX. - Caïus - CHAP. XXI. - Pinarius - CHAP. XXII. - Sertorius - CHAP. XXVII. - César.- CHAP. XXIV. - Auguste - CHAP. XXV. - Les Romains - CHAP. XXVI. - Sémiramis - CHAP. XXVII. - Rodogune - CHAP. XXVIII. - Tomyris - CHAP. XXIX. - Nilétis - CHAP. XXX. - Philotis. - CHAP. XXXI. - Clélie. - CHAP. XXXII. - Porcie. - CHAP. XXXIII. - Télésille.- CHAP. XXXIV. - Chilonis. - CHAP. XXXV. - Piérie. - CHAP. XXXVI. - Polycrite. - CHAP. XXXVII. Les Phocéens. - CHAP: XXXVIII. - Arétaphile. - CHAP. XXXIX. - Camma. - CHAP. XL. - Timoclée. - CHAP. XLI. - éryxo - CHAP. XLII. - Pythopolis. - CHAP. XLIII. - Chrysame. - CHAP. XLIV. Polyclée - CHAP. XLV. Léine - CHAP. XLVI. - Thémisto. - CHAP. XLVII - Phérétime. - CHAP. XLVIII. - Axiothée. - CHAP. XLIX. - Archidamis. - CHAP. L. - Laodice. - CHAP. LI. - Théano. - CHAP. LII. - Déidamie. - CHAP. LIII. - Artémise - CHAP. LIV. - Tanie. - CHAP. LV. Tirgatao. - CHAP. LVI. Amage. - CHAP. LVII. - Arsinoé. - CHAP. LVIII. - Cratésipolis. - CHAP. LIX. - La Prêtresse. - CHAP. LX. Cynnane. - CHAP. LXI. - Pyste. - CHAP. LXII. - épicharis. - CHAP. LXIII. - Les Milésiennes. - CHAP. LXIV. - Les Méliennes. - CHAP. LXV. - Les Phocéennes. - CHAP. LXVI. - Les Femmes de Chio. - CHAP. LXVII. - Les Thasiennes. - CHAP. LXVIII. - Les Argiennnes. - CHAP. LXIX. - Les Acarnaniennes. - CHAP. LXX. - Les Cyrénéennes. - CHAP. LXXI ET DERNIER. Les Lacédémoniennes.

CHAPITRE PREMIER

AMULIUS

Amulius et Numitor étaient frères. Amulius, le plus jeune des deux, entreprit de se faire roi à force ouverte, et le fut effectivement d'Albe. Il mit son frère Numitor en prison, et pour empêcher que de Silvie, fille de Numitor, il ne vînt des enfants qui vengeassent l'injure faite à leur aïeul, il la fit prêtresse de Vesta, parce que les vestales étaient obligées à garder une continence perpétuelle.

CHAPITRE II

NUMITOR

Rémus et Romulus furent fils de Mars et de Silvie. Ils s'élevèrent contre Amulius. Le tumulte qui avait commencé dans le fort, passa dans la ville. Numitor, sachant ce qui se passait, dit aux habitants : « Les ennemis entrent dans le pays, et Amulius a pris la fuite, après avoir livré la ville. Armez‑vous, et vous rendez à la place publique. » Les habitants s'armèrent et s'assemblèrent. Rémus et Romulus, après avoir fait périr Amulius, descendirent du fort, et apprirent aux habitants assemblés qui ils étaient, ce qu'ils avaient eu à souffrir, et la vengeance qu'ils avaient tirée de l'injure faite à leur aïeul. Le peuple donna des éloges à leur action, et la royauté à Numitor.

CHAPITRE III

ROMULUS

I. Les Romains n'avaient point de femmes. Pour leur en procurer, Romulus fit publier dans les villes voisines qu'il célébrerait une fête publique à l'honneur de Neptune, dompteur de chevaux, et donnerait des prix considérables pour les courses. Le spectacle attira beaucoup de monde des villes des environs, hommes, femmes et filles. Romulus défendit de toucher aux hommes et aux femmes. Il ordonna seulement d'enlever les filles, non pas pour les insulter mais pour les épouser. Ce fut ainsi que les Romains commencèrent à se créer une postérité.

II. Romulus campa à dix stades de la ville de Fidène. La nuit il fit sortir ses troupes des retranchements. En ayant pris la moitié, il la fit marcher de front, et ayant ordonné aux autres de marcher en colonnes, il marqua en secret aux chefs ce qu'ils avaient à faire. Pour lui, accompagné de quelques‑uns des plus dispos, tous armés de haches, il se présenta aux murs, après avoir commandé au reste de ce corps d'armée de se tenir en embuscade près de là. Au point du jour il fit attaquer les portes à coups de hache. Les Fidénates, troublés par la témérité de cette entreprise, ouvrirent les portes, et fondirent en désordre sur les ennemis. Les Romains lâchèrent pied. Les Fidénates, ne voyant que ceux qui leur faisaient face, sans apercevoir ceux qui étaient derrière, méprisèrent ceux qu'ils voyaient, et les poussèrent vigoureusement, dans l'espérance de les exterminer. Quand ils se furent avancés plus loin, les chefs qui conduisaient les colonnes couvertes par la ligne de front, les firent approcher, et s'asseoir à terre, afin que les ennemis ne les vissent point. Cela fait, ceux de la ligne de front prirent la fuite, et s'étant coulés derrière les colonnes, firent volte‑face contre ceux qui les poursuivaient. Alors les colonnes se levèrent, et ces soldats frais se jetèrent avec grand bruit sur les Fidénates harassés, qui furent attaqués en même temps par ceux qui avaient fait semblant de fuir. Les Fidénates, poussés de toutes parts, furent mis en déroute, et la plupart tués, et leur ville fut prise.

CHAPITRE IV

NUMA

Numa voulant détourner les Romains de la guerre et du sang, les porter à la paix et leur donner des lois, se retira de la ville dans un temple consacré aux Nymphes, et après y être demeuré seul beaucoup de temps, il revint à la ville chargé d'oracles, qu'il disait avoir reçus des Nymphes, et qu'il conseilla d'observer comme des lois inviolables. Il trouva dans les Romains toute la soumission qu'il pouvait souhaiter. Numa établit comme des lois des Nymphes, toutes les fêtes et les cérémonies, et tous les sacrifices qui s'observent encore aujourd'hui. Je pense qu'il le fit à l'imitation de Minos et de Lycurgue, dont l'un reçut ou voulut qu'on crût qu'il avait reçu de Jupiter, et l'autre d'Apollon, les lois qu'ils avaient proposées, celui‑là aux Crétois, et celui‑ci aux peuples de Lacédémone.

CHAPITRE V

TULLUS

Tullus était à la tête des Romains campés contre les Fidénates. Ceux d'Albe, trahissant les Romains, abandonnèrent leur aile gauche, et se retirèrent sur les montagnes. Un cavalier accourut annoncer cette nouvelle à Tullus, qui lui cria fort haut : « Garde bien ton rang, c'est par mon ordre que ceux d'Albe ont fait ce mouvement pour enfermer les Fidénates. » Les Romains ayant entendu ce discours, poussèrent de grands cris de joie, qui furent entendus par les Fidénates. La peur qu'ils eurent d'être enfermés par ceux d'Albe, les obligea de prendre la fuite.

CHAPITRE VI

TARQUIN

Tarquin avait longtemps fait la guerre aux Gabiens, sans avoir pu venir à bout de les dompter et de prendre leur ville. II s'avisa enfin de maltraiter cruellement Sextus, le plus jeune de ses fils, et de l'envoyer comme transfuge chez les Gabiens. Ceux‑ci le voyant dans un état digne de compassion, le reçurent. Il promit de faire éprouver à son père la vengeance la plus éclatante, et en effet il se concilia la confiance des Gabiens par toutes ses entreprises. Il ravageait les terres des Romains, il leur donnait la chasse, il faisait des prisonniers sur eux, il leur donnait des batailles avec succès. En un mot, il gagna tellement l'estime des Gabiens, qu'ils le firent leur général. Quand il se vit revêtu de cette dignité, il envoya secrètement demander à Tarquin ce qu'il y avait à faire. Tarquin se promenait alors dans un jardin. Ayant entendu l'ambassade de son fils, il rompit les pavots les plus élevés, et dit à l'envoyé : « Dis à mon fils qu'il fasse cela. » Sextus ayant eu cette réponse, fit périr les plus considérables d'entre les Gabiens, et ayant ainsi affaibli et diminué le nombre des habitants, il livra la ville aux Romains.

CHAPITRE VII

CAMILLE

I. Camille faisait la guerre aux Falériens. Un maître d'école des Falériens ayant mené hors des murs tous les enfants de la ville, comme pour leur faire faire de l'exercice, les livra aux Romains. Camille indigné de la cruauté du pédagogue, lui fit lier les mains derrière le dos, et le livra en cet état aux enfants pour le mener à leurs pères. Les Falériens firent mourir honteusement le pédagogue, et charmés de l'humanité et de la justice de Camille, se livrèrent à lui sans combat. Ce fut ainsi que Camille se rendit maître par un acte de bonté d'une ville qu'il n'avait pu conquérir par les armes.

II. Les Celtes, conduits par leur roi Brennus, prirent Rome, et en demeurèrent maîtres pendant sept mois. Camille ayant rassemblé les Romains qui se trouveraient hors de Rome, chassa les Celtes, et rétablit les Romains dans la ville. Treize ans après, les Celtes ayant entrepris de faire de nouveau la conquête de Rome, campèrent sur les bords du fleuve Anion, assez près de la ville. Camille, nommé dictateur pour la cinquième fois, se mit à la tête de l'armée romaine. Pour résister aux épées des Celtes, avec lesquelles ils coupaient les têtes, il fit forger des casques de fer, et les fit polir, tant pour faire glisser les épées des Celtes, que pour les casser, et les boucliers, il les fit garnir tout autour d'une plaque d'airain, à cause que le bois seul ne résistait pas assez aux coups. Il apprit à ses soldats à se servir de longues piques, et à se présenter eux-mêmes aux coups des ennemis. Les épées des Celtes étaient mal forgées, et d'une trempe molle elles se faussaient et s'ébréchaient aisément, et devenaient inutiles dans le combat. Ainsi les Celtes furent facilement vaincus. La plupart périrent, et le reste prit la fuite.

CHAPITRE VIII

MUCIUS

Les Tyrrhéniens faisaient la guerre aux Romains. Porsenna était roi des Tyrrhéniens, et Publicola était consul des Romains pour la troisième fois. Mucius, Romain, homme expérimenté dans la guerre, forma le dessein de tuer Porsenna, se glissa dans le camp des Tyrrhéniens, habillé comme eux, et parlant la même langue, et s'avance jusqu'au trône. Il ne connaissait point le roi, mais choisissant des yeux celui qui lui parut tel, il tira l'épée, et le tua. Il fut aussitôt pris, et dit qui il était. Porsenna fit un sacrifice en action de grâces de son salut. Mucius s'approcha de l'autel où le feu était allumé, et tenant sa main droite dessus, il la laissa brûler, en parlant toujours à Porsenna, d'un visage gai et d'une contenance ferme et assurée. Porsenna ne put s'empêcher d'admirer la constance de l'homme. Mucius lui dit : « Que cela ne te surprenne point, il y a trois cents Romains aussi courageux que moi, qui se sont glissés dans ton camp, et qui n'attendent que l'occasion d'exécuter contre toi ce que j'ai entrepris. » Porsenna crut ce que lui disait Mucius, et la peur qu'il en eut, l'obligea à faire la paix avec les Romains.

CHAPITRE IX

SYLLA

I. Dans la guerre contre les alliés les soldats romains assommèrent, à coups de pierres et de bâton, Albin, ancien officier. Sylla ne fit point de punition de cette faute, il crut qu'en usant d'indulgence envers les meurtriers, il les rendrait plus hardis à la guerre, et que se regardant comme coupables d'une grande faute, ils chercheraient à l'effacer par de grandes actions. En effet, on les vit faire des choses surprenantes dans les combats, comme s'ils eussent voulu faire oublier par là ce qu'ils avaient commis contre Albin.

II. Sylla, campé devant Archélaüs général de Mithridate, vers Orchomène, vit que ses soldats, mis en déroute, prenaient la fuite. Il descendit de cheval, et saisissant l'enseigne, il poussa à travers les fuyards, et s'avança vers les ennemis, en criant : « C'est ici, Romains, où je dois périr avec gloire. Si l'on vous demande en quel lieu vous avez trahi Sylla, souvenez-vous de dire que c'est à Orchomène. » Ces paroles firent honte aux Romains, ils revinrent sur leurs pas, et donnant courageusement sur les ennemis, ils leur firent prendre la fuite.

CHAPITRE X

MARIUS

I. Les Cimbres et les Teutons firent une incursion en Italie. C'étaient des hommes sauvages, d'une taille haute, d'un regard affreux, et d'un son de voix qui sentait la bête féroce. Marius ne voulut pas d'abord que ses soldats en vinssent aux mains avec eux, mais il leur ordonna de se tenir dans leurs retranchements, et de se contenter d'envisager de là les Barbares, et de tirer sur eux. De cette manière il les accoutuma à les voir et à les entendre. Les Romains cessèrent d'en être surpris, et les méprisèrent, ils demandèrent même à Marius qu'il les menât contre eux. Il le fit, et de cent mille hommes qu'avaient les Barbares, les uns furent tués, et les autres faits prisonniers.

II. Marius étant sur le point de donner bataille aux Cimbres et aux Teutons, au pied de quelques coteaux, où le terrain était inégal, envoya Marcellus pendant la nuit, avec trois mille soldats bien armés, et lui ordonna de tourner quelques hauteurs inaccessibles, pour gagner les derrières des ennemis. Quand cela fut fait, Marius ordonna à ses troupes de descendre peu à peu des hauteurs qu'elles occupaient dans la plaine, afin que les ennemis, s'imaginant que l'on se disposait à la fuite, essayassent de les poursuivre et descendissent aussi, dans la plaine. Quand ils y furent descendus, ils eurent en face les troupes de Marius, et en queue celles de Marcellus. Les Romains taillèrent les ennemis en pièces, et remportèrent une victoire signalée.

III. Marius ayant à combattre contre les Cimbres, nés dans un climat très froid, se persuada que s'il leur était aisé de supporter la glace et la neige, ils ne supporteraient pas si patiemment la chaleur. On était au mois d'août. Marius choisit l'assiette de son camp, de manière qu'il avait le soleil à dos, au lieu que les Barbares l'avaient dans les yeux. N'en pouvant supporter la trop grande clarté et l'ardeur, baignés de sueur, et tout essoufflés, ils se couvraient le visage de leurs pavois, et découvraient leurs corps aux Romains, qui en firent un horrible carnage. Il périt dans cette bataille cent vingt mille Barbares, et il y en eut soixante mille de pris.

CHAPITRE XI

MARCELLUS

Marcellus assiégeant Syracuse, ne put s'en rendre le maître. Archimède l'en empêcha, par le moyen de ses machines. Marcellus n'osant donc plus donner d'assaut aux murailles, remit au temps le succès du siège. Longtemps après, ayant fait rencontre de Damippe, Spartiate, qui sortait de Syracuse par mer, il le fit prisonnier, et apprit de lui qu'il y avait à l'enceinte de la ville une tour gardée négligemment, où l'on pouvait mettre beaucoup de soldats, et qu'il était aisé de monter sur le mur. Marcellus ayant préparé des échelles d'une longueur suffisante, prit le temps que les Syracusains célébraient une fête de Diane, et étaient dans le vin et dans les jeux. Il se saisit de la tour, garnit tout le mur d'armes, et dès avant l'aurore, il eut brisé le boulevard des six portes (ou l'Hexapile), et s'empara de la ville dans le moment. Ses troupes, en récompense de la manière vigoureuse dont cette attaque avait été poussée, demandèrent le pillage de la ville. Marcellus leur abandonna les esclaves et les biens, mais il leur défendit de toucher aux choses sacrées, et aux corps des personnes libres.

CHAPITRE XII

ATILIUS

Atilius ayant été pris par les Carthaginois, leur jura, s'ils le laissaient aller, de persuader au Sénat de Rome de faire la paix et s'il ne le leur persuadait pas, de revenir se mettre dans les fers. Étant arrivé à Rome, au lieu d'exhorter le Sénat à la paix, il lui apprit le découragement des Carthaginois, et leur faiblesse, il lui en découvrit tous les secrets, et de quelle manière on pouvait venir à bout de prendre Carthage. Le sénat lui proposa de demeurer, et lui représenta que les serments faits par force étaient nuls. Ce fut en vain, il ne se laissa pas même ébranler aux tendres embrassements de ses enfants, de sa femme, de ses amis et de ses proches. Il ne put se résoudre à violer son serment. Il monta sur un vaisseau, et s'étant rendu à Carthage, il ne fit point un mystère de tout ce qu'il avait dit, et de sa conduite, et déclara quelles étaient les dispositions des Romains. Les Carthaginois, pour se venger, le jetèrent dans une prison, l'y tourmentèrent longtemps, et lui firent souffrir une mort cruelle.

CHAPITRE XIII

CAIUS

Caïus avait donné un ordre dans toute l'armée, que chacun se tînt sous les armes à son poste. C'était en été. Son fils mena boire à une rivière voisine son cheval qui avait soif. Caïus fit couper la tête à son fils, pour le punir de sa désobéissance et par cet exemple rigoureux, il apprit à tous ses soldats quel respect on doit à la discipline.

CHAPITRE XIV

FABIUS

I. Dans la guerre contre Annibal, on parlait désavantageusement de Fabius, parce qu'il évitait d'en venir aux mains. Son fils l'exhortait à se laver de cette tache prétendue. Il fit examiner à son fils chaque partie de l'armée, et lui faisant remarquer les endroits faibles, il lui dit : « Est‑il à propos, à ton avis, de mettre tout au hasard ? Il est rare que toute l'armée combatte, et quelquefois il arrive qu'elle est vaincue par l'endroit où sont les meilleurs soldats. Si l'on veut m'en croire, on n'en viendra point aux mains, on se contentera de suivre les ennemis, de tenir les hauteurs, et de détacher les villes de leurs intérêts. » Ces discours et cette pratique le firent passer dans le temps pour un homme timide, mais quand on eut vu dans la suite que les autres généraux avaient perdu des armées considérables, les Romains eurent recours de nouveau à Fabius et à sa conduite. Il fut fait dictateur, et surnommé Maxime, c'est‑à‑dire, très grand.

II. Fabius fut surnommé Maxime, c'est‑à‑dire, très grand, et Scipion eut le surnom de grand. Scipion en fut piqué de jalousie, et ne put s'empêcher de dire à Fabius : « On t'appelle très grand pour avoir conservé les troupes, et moi qui ai vaincu Annibal en face, on ne m'appelle que le grand. » Fabius lui répondit : « Si je ne t'avais pas conservé les soldats, tu n'aurais pas eu l'honneur de combattre et de vaincre Annibal. »

III. Fabius prit par adresse la ville le Tarente, quoique soutenue par Annibal. Il y avait dans l'armée de Fabius un soldat qui était de Tarente. Il avait dans la ville une sœur très belle, dont était amoureux Abrence, à qui Annibal avait confié la garde des murs de Tarente. Fabius, instruit de cette intrigue, envoya le soldat tarentin voir sa sœur. Par le moyen de la maîtresse, le frère se rendit ami du galant, et l'attira dans les intérêts des Romains, jusque‑là qu'Abrence ayant fait ses conditions, enseigna un endroit des murs par où l'attaque serait aisée. Fabius y fit présenter des échelles, monta sur le mur, et prit la ville d'assaut. En cela il fut d'autant plus admiré de tout le monde, qu'il avait employé l'artifice pour vaincre Annibal, qui n'était redevable qu'aux tromperies et qu'à la ruse de la plupart de ses victoires.

CHAPITRE XV

QUINTUS

Quintus Fabius, fort avancé en âge, souhaitant de voir son fils nommé général, pria les Romains de ne point penser à faire cet honneur à son fils, de peur, si cela arrivait, que lui, dans son extrême vieillesse, ne fût obligé de voyager et de suivre l'armée, pour ne pas abandonner son fils. Les Romains, persuadés que les affaires de l'État en seraient mieux gouvernées, si Fabius demeurait à Rome, déclarèrent le jeune homme général, et Fabius ne l'accompagna point à l'armée, afin de ne pas attirer à lui‑même la gloire des heureux succès de son fils.

CHAPITRE XII

SCIPION

I. Scipion étant en Ibérie, fut informé que l'armée ennemie venait au combat sans avoir repu. Il affecta de la lenteur à mettre ses troupes en ordre de bataille. Ce ne fut qu'à la septième heure du jour qu'il fit aller à la charge, et rencontrant des ennemis affaiblis par la faim et la soif, il n'eut pas de peine à les vaincre.

II. Scipion chassa de son camp toutes les filles de joie, et leur dit d'aller dans les villes où l'on était en fête. Il commanda d'ôter les lits, les tables, les vases, et toutes sortes de meubles, excepté à chaque soldat une marmite, une broche et un pot. Il leur défendit d'avoir aucun gobelet d'argent, plus grand que de la capacité de deux cotyles, et de se baigner. Il voulait que ceux qui se frottaient d'huile, se frottassent eux‑mêmes. Il disait qu'il n'y avait que les bêtes de charge qui avaient besoin de frotteurs étrangers. Il voulait qu'on dînât debout, et qu'on ne prît rien de cuit à dîner. À souper, il permettait la viande rôtie et bouillie. Pour vêtement il voulait qu'on se servît de la saie gauloise, et lui, tout le premier, en prit une noire, qu'il attacha avec une agrafe. Voyant un jour les officiers généraux couchés sur des nattes, il dit qu'il ne pouvait s'empêcher de déplorer la mollesse et le luxe où il voyait les troupes plongées.

III, Scipion voyant un soldat qui portait un pieu pour le retranchement, lui dit : « Camarade, il me paraît que tu as de la peine.‑ Beaucoup, dit le soldat. ‑ C'est bien fait, reprit Scipion, puisque tu te fies plus à une palissade qu'à ton épée. »

IV. Scipion trouvant un soldat qui s'en faisait accroire, à cause de la beauté de son bouclier, lui dit : « Il est honteux pour un Romain d'avoir plus de confiance en sa main gauche qu'en sa main droite. »

V. Scipion, voyant le peuple animé et en mouvement contre lui, dit : « Je n'ai pas peur des cris tumultueux des soldats en armes, je ne serai pas étonné par le bruit d'une foule de gens, dont je sais que l'Italie n'est pas la mère, elle n'en est que la marâtre. » Ce discours fit apaiser le tumulte, et le bruit cessa.

VI. Quand Scipion eut pris la ville d'Enysse en Ibérie, ceux qui poursuivaient les fuyards, lui amenèrent une fille d'une beauté merveilleuse. Il en fit chercher le père, et la lui remit entre les mains. Le père lui offrit de grands présents, et Scipion les lui rendit, en disant que c'était pour la dot de la fille. À toutes les autres femmes de condition, aux filles et aux jeunes garçons qu'on avait pris, il donna à chacun une garde de deux Romains sages et des plus âgés, pour en avoir soin, et il fournit à tous les captifs ce qui leur était nécessaire, à chacun selon son état. La tempérance de Scipion gagna la plupart des villes de l'Ibérie, qui entrèrent volontiers dans l'alliance des Romains.

VII. Scipion ayant fait alliance avec Syphax, roi des Massésyliens, était passé en Sicile. Asdrubal avait une fille d'une beauté admirable. Il promit de la donner en mariage à Syphax, s'il voulait abandonner les Romains. Syphax épousa la fille, et s'étant uni d'intérêt aux Carthaginois, il écrivit aussitôt à Scipion, pour lui défendre d'entrer dans la Libye. Scipion, sachant que les Romains, qui avaient fait grand fond sur l'amitié de Syphax, n'oseraient rien entreprendre contre la Libye, s'ils étaient informés de sa défection, les assembla tous, et changeant le sens de la lettre de Syphax, il leur fit entendre qu'il appelait les Romains en Libye, qu'il s'étonnait de leur retardement, et leur représentait qu'il fallait mettre à profit son secours et son alliance. Par ces discours, Scipion anima les Romains. Ils demandèrent avec empressement qu'on leur fixât au plus tôt le jour de leur embarquement.

VIII. On prit trois espions carthaginois, et selon les lois romaines on devait les faire mourir. Scipion ne voulut pas user de cette rigueur. Il leur fit faire le tour de l'armée, et ils y virent les Romains qui s'exerçaient, les uns à tirer le javelot, les autres à lancer des traits, d'autres à sauter, d'autres qui préparaient leurs armes, et d'autres qui aiguisaient leurs épées. Quand ils eurent tout observé, on les ramena à Scipion, lui, les ayant fait dîner, leur dit : « Allez‑vous‑en dire à celui qui vous a envoyés, tout ce que vous avez vu. » Les espions, de retour, firent un fidèle récit de toutes choses aux Carthaginois, qui furent frappés d'étonnement, en apprenant les grands préparatifs des Romains, et la grandeur d'âme de Scipion.

CHAPITRE XVII

PORCIUS CATON

Porcins Caton étant entré en Ibérie, reçut de toutes les villes des ambassades, par lesquelles elles déclaraient qu'elles se livraient aux Romains. Il leur ordonna de lui envoyer des otages à jour nommé. Quand ils furent venus, il donna à deux hommes de chaque ville une lettre à rendre à la ville qui les avait envoyés, avec ordre que toutes les lettres fussent lues le même jour. À leur retour, et le jour marqué, ils firent la lecture de ces lettres, qui portaient : « Abattez aujourd'hui les murailles de votre ville. » Chaque ville n'eut pas le temps d'envoyer dans les villes du voisinage, et dans la peur qu'elle eut d'être la seule à ne pas obéir, et de tomber dans l'esclavage, les ordres furent exécutés, et dans un seul jour toutes les villes d'Ibérie furent démantelées.

CHAPITRE XVIII

FAUNE

Après que Diomède fut mort en Italie, Faune célébra en son honneur des jeux funéraires. Le premier jour il fit une marche de Grecs armés, et le second jour il ordonna aux Barbares de faire la même pompe. Comme ils n'avaient point d'armes, il leur en fit prêter par les Grecs. Les Barbares s'en servirent pour exterminer ceux qui les leur avaient prêtées.

CHAPITRE XIX

TITUS

Cléonyme ayant pris en guerre Titus, demanda pour sa rançon deux villes, Épidamne et Apollonie. Le père de Titus refusa de les livrer à Cléonyme, et ordonna à son fils de se sauver. Titus fit une figure qui le représentait endormi, et la coucha dans son appartement. Après cela il monta secrètement sur un esquif, et prit la fuite, pendant que ses gardes étaient en sentinelle auprès de sa représentation.

CHAPITRE XX

CAIUS

Les Carthaginois étaient abordés aux environs de la Tyndaride, avec quatre‑vingts navires, et Caïus était dans la même plage, avec deux cents galères. Le nombre supérieur de ses vaisseaux devait empêcher les ennemis de s'avancer. Il ôta les voiles de cent de ses vaisseaux, et n'en mit que cent autres au vent. Ayant caché le reste, et l'ayant bien amarré avec des câbles, il se mit à voguer. Alors les Carthaginois comptant les voiles, crurent n'avoir affaire qu'à un nombre de vaisseaux à peu près égal, et hasardèrent le combat. Caïus n'eut pas de peine à remporter la victoire sur peu de navires, avec une flotte aussi nombreuse qu'était la sienne.

CHAPITRE XXI

PINARIUS

Les Ennéens, résolus de renoncer à l'alliance des Romains, redemandèrent les clés des portes à Pinarius, gouverneur de la place. « Demain, dit‑il, si tout le peuple assemblé l'ordonne par un décret public, j'obéirai. » Tout le peuple s'assembla le lendemain au théâtre. Pendant la nuit, Pinarius avait fait mettre en embuscade sous le fort les plus vigoureux de ses soldats, et avait ordonné aux autres d'entourer le théâtre, et d'en occuper les issues, en attendant le signal qu'il leur donnerait. Les Ennéens assemblés firent un décret, par lequel ils déclaraient leur défection. Dans le moment le gouverneur donna le signal, et ses soldats se mirent, les uns à lancer des traits de haut en bas, et les autres, qui bouchaient les passages, ayant tiré l'épée, frappèrent sur le peuple entassé. Les habitants tombèrent tous les uns sur les autres, et périrent, à la réserve de quelques‑uns qui se laissèrent couler de dessus les murs, et s'échappèrent secrètement par un aqueduc.

CHAPITRE XXII

SERTORIUS

Pendant que Sertorius était en Ibérie, des chasseurs lui firent présent d'un faon de biche blanche. Sertorius l'éleva et l'apprivoisa. Le faon le suivait partout, jusque sur le tribunal, et quand Sertorius prononçait des jugements, l'animal lui présentait la bouche, comme pour lui parler. Sertorius persuada aux Barbares que cet animal était consacré à Diane, et que la déesse se servait de ce faon pour lui découvrir toutes les choses futures et le secourir dans toutes ses guerres. Tout ce qu'il apprenait secrètement par les espions, il en cachait les véritables auteurs, et disait qu'il l'avait su par le faon que la déesse avait instruit, tantôt des embûches des ennemis, tantôt de leurs incursions. Enfin toutes les victoires qu'on devait remporter sur les ennemis, tout cela lui était prédit de Diane, par la bête, à ce qu'il assurait. Par ces discours il remplissait les Barbares d'étonnement, ils l'adoraient, et tous avaient recours à lui, comme à un homme assisté du secours divin.

CHAPITRE XXIII

CÉSAR

I. César étant sur mer, pour aller trouver Nicomède, fut pris sur la côte de Malée par des pirates de Cilicie, qui lui demandèrent une rançon considérable. César leur promit le double de ce qu'ils demandaient. Ils abordèrent à Milet, au- dehors des murs. César envoya dans la ville Épicrate, esclave milésien, qui était à son service, et pria par lui les Milésiens de lui prêter de l'argent. On lui envoya dans le moment tout ce qu'il demandait. Épicrate avait eu ordre en même temps de préparer un grand festin, avec une cruche pleine d'épées, et du vin mêlé de suc de Mandragore. César compta aux pirates la double rançon qu'il leur avait promise, et leur présenta le festin qui leur avait été préparé. Les pirates joyeux de voir une si grosse somme, acceptèrent le régal, et burent amplement. La quantité de vin qu'ils prirent, et la mixtion qu'il y avait, les livrèrent au sommeil. César les voyant endormis, les fit tuer, et rendit sur‑le‑champ aux Milésiens l'argent qu'ils lui avaient prêté.

II. César entrant dans les Gaules, eut les Alpes à traverser. On lui apprit que les troupes des Barbares montagnards gardaient les passages. Il étudia la nature du climat, et vit que du haut des montagnes, il descendait en bas beaucoup de rivières, qui formaient des lacs, d'une grande profondeur, desquels, à la pointe du jour, il s'élevait des brouillards fort épais. César prit ce temps même pour faire faire le tour des montagnes à la moitié de ses troupes. Le brouillard en déroba la vue aux Barbares, qui ne firent aucun mouvement. Mais quand César se trouva sur la tête des ennemis, ses troupes jetèrent de grands cris. L'autre moitié de son, armée, qui était en bas, répondit à ces cris par d'autres, et toutes les montagnes des environs en retentirent. Les Barbares furent épouvantés, et prirent la fuite. Ce fut ainsi que César traversa les Alpes sans combat.

III. César faisait la guerre aux Helvétiens. C'est une nation de la Gaule, et ils avaient fait une incursion sur les terres des Romains, au nombre de trois cent mille hommes, dont il y en avait deux cent mille qui portaient les armes. César faisait toujours retraite devant eux, à une journée de distance. Cette timidité apparente animait d'autant plus les Barbares à le poursuivre. Enfin ils arrivèrent au Rhône, et comme ils étaient sur le point de le passer, César campa auprès du fleuve. Le fleuve est rapide, et les Barbares eurent bien de la peine à le passer. Ils n'avaient encore mis que trente mille hommes de l'autre côté, et le reste ne devait passer que le jour suivant. Ceux, qui étaient passés, se reposaient de leur fatigue sur le bord du fleuve. César survint la nuit, et les ayant attaqués, les mit tous en déroute, à cause que le fleuve les empêchait et de se joindre et de faire retraite.

IV. Dans une incursion des Germains, César n'osait donner combat. Mais ayant appris que leurs devins les avaient avertis d'éviter d'en venir aux mains avant la nouvelle lune, il se hâta de faire avancer ses troupes, dans l'espérance que la superstition rendrait les Barbares moins ardents au combat. En effet, pour avoir bien pris son temps, il remporta une victoire éclatante sur les Germains.

V. César étant dans l'île de Bretagne, voulait passer un grand fleuve. Cassivellane, roi des Bretons, s'opposait au passage, avec une cavalerie nombreuse et beaucoup de chariots. César avait un très grand éléphant, animal que les Bretons n'avaient jamais vu. Il l'arma d'écailles de fer, lui mit sur le dos une grande tour garnie de gens de trait et de frondeurs, tous adroits, et le fit avancer dans le fleuve. Les Bretons furent frappés d'étonnement à l'aspect d'une bête si énorme qui leur était inconnue. Et qu'est‑il besoin de dire que leurs chevaux en furent effrayés, puisqu'on sait que parmi les Grecs même, la vue d'un éléphant nu fait fuir les chevaux. A plus forte raison ceux des Barbares ne purent supporter la vue d'un éléphant armé et chargé d'une tour d'où volaient des pierres et des traits. Bretons, chevaux, et chariots, tout cela prit la fuite, et les Romains, par le moyen de la terreur que donna un seul animal, passèrent le fleuve sans danger.

VI. César, informé que Q. Cicéro, assiégé par les Gaulois, perdait courage, envoya un soldat avec un billet qu'il lui ordonna d'attacher à un javelot, et de lancer dans la place. Le soldat le fit, et les gardes des murs ayant trouvé le billet, le portèrent à Q. Cicéro qui y lut : « César à Cicéro. Courage. Attends du secours. » Peu de temps après on vit s'élever de la fumée et de la poussière, c'était César qui ravageait le pays. Il fit lever le siège, et non seulement il délivra Cicéro, mais il châtia encore les assiégeants.

VII. César, à la tête de sept mille hommes, faisait la guerre aux Gaulois. Pour faire croire qu'il avait encore moins de troupes, il fit dresser des retranchements de peu d'étendue, et, ayant choisi un lieu couvert, qui lui parut commode, il s'y cacha avec la plus grande partie de ses soldats. Quelques cavaliers sortirent des retranchements pour escarmoucher avec les Barbares qui, voyant si peu de gens, vinrent à eux en sautant. Les Romains se mirent à couvert de leurs tranchées, et les Barbares s'attachèrent à défaire la palissade. Pendant ce temps‑là le signal fut donné par la trompette, et à l'instant les gens de pied sortirent des retranchements, et César sortant de son embuscade avec la cavalerie, vint attaquer les ennemis de l'autre côté. Les Gaulois se trouvèrent enfermés au milieu, et la plupart furent tués.

VIII. César assiégeait un fort des Gaulois. Après que les Barbares eurent fait une longue résistance, il tomba une pluie si abondante, que ceux qui gardaient les murs, abandonnèrent tous leurs postes. César fit prendre les armes au même instant, et attaquant les murs, il les trouva sans défense. Il n'eut pas de peine à monter dessus, et la place fut emportée.

IX. César avait entrepris de se rendre maître de la plus grande ville des Gaulois, nommée Gergovie. Il avait devant lui Vercingétorix, roi des Gaulois, avec une armée de sa nation. Il y avait un grand fleuve qui portait bateaux, et dont le passage paraissait impossible. Les Barbares avaient du mépris pour César, et se persuadaient qu'il n'oserait passer le fleuve. Pendant la nuit, il cacha dans une forêt épaisse deux légions, qui, pendant que les Gaulois observaient César, rétablirent un ancien pont qui était vers le haut de la rivière. On l'avait rompu, mais les piles de bois étaient encore sur pied, et les traverses qui manquaient, furent coupées dans la forêt, et mises en place avec tant de promptitude, que les Romains passèrent de l'autre côté avant que les Barbares s'en fussent aperçus. Ce passage exécuté contre toute apparence, les étonna et les obligea de prendre la fuite. César fit traverser le fleuve au reste de ses troupes sur des radeaux, et apprit aux Gaulois à le craindre.

X. César assiégeait Gergovie, qui était une ville très forte, par la bonté de ses murs, et par son assiette avantageuse. Elle était bâtie dans un lieu élevé et sûr, sans hauteurs du voisinage qui la dominassent. À gauche il y avait des taillis bas et épais, qui joignaient la colline sur laquelle était la ville, à droite, c'était un précipice où il n'y avait qu'un petit sentier que les Gergoviens gardaient avec beaucoup de soin et de troupes. César prit les plus dispos de ses soldats et les plus endurcis à la fatigue, et les envoya la nuit dans les taillis. Il ne leur donna que des javelots très courts, et des dagues de peu de longueur, à cause de l'embarras des broussailles, et leur ordonna de se couler doucement dans ces taillis, non pas tout debout, mais couchés et en se traînant sur les genoux. Ces gens se traînèrent ainsi jusqu'au point du jour, au côté gauche de la colline. Au côté droit, César présenta son armée, pour y attirer les Barbares. En effet, ils s'opposèrent fortement à l'ennemi qu'ils voyaient, pendant que ceux qu'ils ne voyaient pas gagnaient la hauteur.

XI. César assiégeait Alésia, ville dès Gaules. Les Gaulois avaient rassemblé contre lui, jusqu'à deux cent mille hommes. La nuit, César fit un détachement de trois mille soldats bien armés, et de toute la cavalerie, et leur ayant fait faire le tour du camp des ennemis à droite et à gauche, leur ordonna de se montrer le lendemain à la seconde heure du jour, d'attaquer les derrières des ennemis, et de combattre vigoureusement. Au point du jour il mena le reste de ses troupes au combat. Les Barbares, fiers de leur multitude, reçurent les Romains comme en badinant. Mais quand ceux qui étaient derrière, se furent montrés, en poussant de grands cris, les Barbares environnés n'espérèrent plus de pouvoir s'échapper. Ils se troublèrent, et l'on convient qu'il y eut un très grand carnage de Gaulois.

XII. César voulant s'emparer de Dyrrachium, dont Pompée était le maître, avait peu de cavaliers, au lieu que la cavalerie des ennemis était nombreuse. Voici l'artifice dont il usa, pour donner à croire qu'il avait beaucoup de chevaux. Ayant fait monter à cheval quelque peu de cavaliers, il les fit précéder par trois compagnies d’infanterie, qui n'avaient d'autre ordre, sinon d'exciter, en traînant les pieds, le plus de poussière qu'ils pourraient. Les nuages qui s'en élevèrent, firent croire aux ennemis que César avait un corps considérable de cavalerie. La peur les saisit, et ils prirent la fuite.

XIII. César se retirait avec son armée par un chemin étroit. Il avait à sa gauche un marais, la mer à sa droite, et les ennemis en queue. Il contenait ceux‑ci par de vigoureuses attaques et par des haltes fréquentes. La flotte de Pompée, qui le côtoyait, l'incommodait fort, en tirant sur ses troupes. Pour rendre inutiles tous les traits qu'on lançait du côté de la mer, il ordonna à ses soldats de passer leur bouclier de la main gauche à la main droite, et par ce moyen ils se trouvèrent à couvert du côté de la flotte ennemie.

XIV. Pendant que César et Pompée étaient en Thessalie, celui‑ci, qui était dans l'abondance de toutes choses, évitait de combattre tandis que César avait impatience d'en venir à une action décisive. Pour exciter les ennemis à se déterminer au combat, César fit semblant de décamper, comme pour aller aux vivres, et mit ses troupes en marche. Celles de Pompée prenant cela pour une fuite, méprisèrent l'armée de César, et ne pouvant plus se modérer, elles s'avancèrent et forcèrent Pompée à les emmener au combat. Quand César les vit en mouvement, il les attira dans une plaine, et ayant fait volte‑face, en ce lieu, il donna une bataille fameuse, dont le succès lui fut glorieux, par une victoire complète.

XV. Les soldats de César, ennuyés de porter les armes, se soulevèrent, et demandèrent leur congé avec grand bruit. César s'avança au milieu de la multitude, avec un visage gai et une contenance assurée. Il dit : « Camarades, que demandez‑vous ? » Ils crièrent tous : « D'être congédiés. » Il répondit : « À la bonne heure, citoyens, demeurez en repos, et ne faites point de tumulte. » Ce terme de citoyens, employé par César, au lieu de celui de camarades, piqua les soldats. Ils changèrent de sentiment à l'heure même, et crièrent : « Nous aimons mieux être appelés camarades que citoyens. » César répondit en riant : « Pour redevenir camarades, faisons donc de nouveau la guerre ensemble. »

XVI. Dans une bataille contre le jeune Pompée, César voyant les soldats prendre la fuite, descendit de cheval, et s'écria : « Camarades, n'avez‑vous point de honte de m'abandonner au pouvoir des ennemis, et fuyant lâchement ? » Ce discours donna de la confusion aux fuyards ils firent volte-face, et revinrent au combat.

XVII. César voulait que ses soldats se tinssent toujours prêts à marcher, les fêtes, pendant la pluie, la nuit, le jour, à toute heure, et c'est pour cela qu'il ne marquait jamais d'avance ni le jour ni le moment.

XVIII. César faisait toujours ses irruptions à la course, afin que lés traîneurs ne pussent l'atteindre.

XIX. Quand César voyait ses soldats troublés par le bruit qui se répandait que les ennemis attendaient de nombreuses troupes, loin de le nier, il faisait encore le renfort plus considérable qu'il n'était, et disait à ses troupes, pour les animer que plus on avait d'ennemis, plus il fallait apporter de courage à les combattre.

XX. César voulait que les armes de ses soldats fussent enrichies d'or et d'argent, non seulement parce qu'elles en étaient plus belles, mais aussi parce que les voyant d'un grand prix, ils combattraient d'autant plus vivement pour ne les pas perdre.

XXI. César ne faisait pas d'attention à toutes les fautes des soldats, et les coupables, il ne les punissait pas toujours selon la rigueur des lois. Il estimait que l'indulgence dont il usait en ces rencontres, rendait les soldats plus courageux. Mais il ne pardonnait jamais de s'être révolté ni d'avoir quitté son poste.

XXII. César appelait ses soldats camarades, dans le dessein de les rendre plus courageux dans les combats, par l'honneur qu'il leur faisait de les égaler à lui.

XXIII. César ayant appris que des légions avaient été défaites dans les Gaules, jura de ne se point faire couper les cheveux, qu'il n'eût vengé la mort des Romains. Cela lui causa l'affection de tout le monde.

XXIV. César, dans une disette de grains, fit faire du pain pour ses soldats, avec une certaine plante. On donna un de ces pains à Pompée, pendant la guerre qui se faisait entre César et lui. Pompée fit cacher ce pain, pour ne pas apprendre à ses soldats jusqu'où les ennemis pouvaient pousser l'abstinence.

XXV. César étant près de donner bataille à Pompée, vers Pharsale, observa que la plupart des ennemis étaient de jeunes gens que leur beauté rendait vains. Il ordonna à ses soldats de pousser la pointe de leurs lances et de leurs javelots, non pas contre le corps des ennemis, mais contre leurs visages. Ces beaux garçons craignant d'être défigurés, prirent honteusement la fuite.

XXVI. Les soldats de César ayant reçu un échec aux environs de Dyrrachium, s'offrirent d'eux‑mêmes à être décimés. Non seulement César ne voulut point les punir, mais il les consola, et les exhorta à réparer le malheur par de nouvelles tentatives. Cela fit que dans les combats suivants, le grand nombre des ennemis ne les empêcha point de remporter la victoire.

XXVII. Pompée avait fait dénoncer comme ennemis tous ceux qui se tiendraient neutres entre César et lui. César, au contraire, déclara qu'il regarderait comme amis ceux qui ne se porteraient ni pour l'un ni pour l'autre.

XXVIII. César était en Ibérie auprès d'Ilerda. II s'était fait une trêve et pendant qu'elle durait encore, les ennemis ayant fait irruption dans ses quartiers, y tuèrent beaucoup de ses soldats, qui ne s'attendaient point à une pareille surprise. César fit renvoyer sains et saufs tous ceux qui se trouvèrent dans son camp, et cela lui fit gagner l'estime et la bienveillance des ennemis.

XXIX. César ayant vaincu Pompée à Pharsale, vit que ses troupes n'usaient pas de la victoire avec modération. Il s'écriait « Épargnez les ennemis. »

XXX. César ayant heureusement terminé toutes ses guerres, permit à chacun de ses soldats de sauver celui des ennemis qu'il voudrait. Par cette humanité il rappela tous les Romains qui lui avaient été opposés et la ville se remplit de gens qui lui devinrent affectionnés.

XXXI. César fit redresser les statues de Pompée et de Sylla, ses ennemis, que la multitude avait renversées. Cela plut extrêmement aux Romains, et lui en attira la bienveillance.

XXXII. Un Aruspice dit une fois que le sacrifice n'était pas de bon augure. César répondit : « Il le sera, quand je voudrai. » Par ce discours il rassura les soldats.

XXXIII. Une victime fut trouvée sans cœur. « Quelle merveille, dit César, qu'une bête manque de cœur ! » Ces paroles donnèrent du courage aux soldats.

CHAPITRE XXIV

AUGUSTE

I. Auguste ne faisait pas mourir tous ceux qui lâchaient pied dans les combats. Il se contentait de les faire décimer.

II. A ceux qui manquaient de faire leur devoir par timidité, Auguste faisait distribuer de l'orge, au lieu de froment.

III. Ceux qui faisaient quelque faute dans le camp, Auguste les faisait tenir debout et sans ceinturon devant la tente du général ou même il leur faisait porter des briques tout le jour.

IV. Auguste recommandait souvent aux officiers généraux d'avoir une attention particulière à la sûreté des troupes. Il avait continuellement à la bouche : « Hâte‑toi lentement, car le général qui se précautionne, vaut mieux que celui qui se laisse emporter par son courage. »

V. Auguste n'épargnait pas les grands présents d'or et d'argent à ceux qui avaient fait de belles actions.

VI. Auguste disait que ceux qui se précipitaient dans les dangers sans utilité, faisaient comme ceux qui voudraient pêcher avec des hameçons d'or.

VII. Dans la guerre contre Brutus et Cassius, Auguste voulait traverser la mer Adriatique. Mucius, général de la flotte ennemie, était à l'ancre sur la côte d'une île qui est devant Bronduse, et s'opposait au passage d'Auguste. Celui‑ci fit semblant de vouloir donner combat à Mucius. Il fit tenir à ses galères le côté droit du golfe, et les fit voguer le long des côtes de l'Italie, comme si elles eussent voulu porter sur l'île, et prenant de l'autre côté les vaisseaux de charge, il mit dessus les tours et les machines. Mucius, trompé par cet appareil, s'avança en pleine mer pour se battre plus aisément au large qu'à l'étroit. Mais Auguste ne s'attacha point à le combattre, il se contenta d'aborder à l'île. Mucius n'ayant point de port où se retirer, fut obligé par les vents à prendre la route de la Thesprotide. Auguste traversa de cette sorte la mer Adriatique en sûreté, et s'en alla en Macédoine.

CHAPITRE XXV

LES ROMAINS

I. Quand les Celtes eurent pris la ville de Rome, les Romains firent un traité avec eux, par lequel ils promirent de payer tribut, de laisser la porte toujours ouverte, et de leur permettre de cultiver la terre. Le traité fait, les Celtes campèrent. Les Romains les traitant en amis, leur envoyèrent des présents, surtout beaucoup de vin. Les Celtes l'aiment extrêmement. Ils en burent avec excès et s'enivrèrent. Les Romains les trouvant endormis, les tuèrent tous. Et afin qu'il parût qu'ils avaient égard au traité, ils bâtirent sur le haut d'une roche inaccessible une porte qui demeura toujours ouverte.

II. Énée et les Troyens qui fuyaient avec lui, abordèrent en Italie, et jetèrent l'ancre vers l'embouchure du Tibre. Pendant que descendus à terre ils erraient çà et là, leurs femmes tinrent conseil ensemble, et Rhomé dit aux autres Troyennes : « Jusqu'à quand errerons‑nous ? Jusqu'à quand courrons‑nous les mers ? Brûlons les vaisseaux, et mettons les hommes dans la nécessité d'habiter cette terre. » Aussitôt elle alluma le feu toute la première. Toutes les autres femmes en firent autant. La flotte fut consumée par les flammes, et les Troyens, faute de navires, s'établirent en Italie.

III. Coriolan, chassé par les Romains, s'enfuit chez les Tyrrhéniens auxquels il promit la victoire contre sa patrie. Les Tyrrhéniens le crurent, et l'établirent général de leurs troupes. Il remporta plusieurs victoires, et résolut enfin d'attaquer Rome même, et de la prendre d'assaut. Les dames romaines, conduites par Véturie, mère de Coriolan, sortirent de la ville, et vinrent au-devant des troupes ennemies. Elles se prosternèrent devant Coriolan, tendirent les rameaux d'olivier dont se munissaient les suppliants, et disaient : « Si tu as résolu de détruire la ville, commence par ôter la vie à ta mère, et à toutes les autres mères des Romains. » Coriolan fut attendri, pleura, et fit retirer son armée. Cette retraite fut un effet de sa piété, mais elle fut pernicieuse au général. Les Tyrrhéniens lui firent un crime de trahison d'avoir abandonné une victoire certaine, et le condamnèrent à mort.

CHAPITRE XXVI

SÉMIRAMIS.

Sémiramis étant au bain, apprit la révolte des Siraques. Aussitôt, nu‑pieds comme elle était, et sans se donner le temps de raccommoder ses cheveux, elle partit pour leur aller faire la guerre. Voici ce qu'elle fit graver sur sa colonne : « La nature m'a fait naître femme, mais j'ai égalé par mes actions les hommes les plus courageux. J'ai tenu le royaume de Ninus. J'ai donné pour bornes à mes États, à l'orient, le fleuve Inamane, au midi, le pays qui produit l'encens et la myrrhe, et du côté des régions froides, les Saques et les Sogdiens. Avant moi aucun Assyrien n'avait vu la mer, et moi, j'en ai vu quatre, au‑delà desquelles on ne peut plus aller, car qui est‑ce qui en pourrait faire le tour ? J'ai contraint les fleuves à couler où j'ai voulu, et j'ai voulu qu'ils coulassent où il convenait. J'ai fait ensemencer une terre stérile, après l'avoir fertilisée par le mélange de mes rivières. J'ai bâti des murs imprenables. J'ai fait avec le fer des chemins sur les roches inaccessibles. J'ai aplani pour mes chariots des routes en des lieux où les bêtes ne pouvaient passer, et tous ces ouvrages m'ont encore laissé du temps de reste, que j'ai utilement employé, pour moi et pour mes amis. »

CHAPITRE XXVII

RODOGUNE

Rodogune se lavait les cheveux pour les nettoyer. On vint lui dire qu'une nation, soumise à son empire, s'était soulevée. Sans se donner le temps d'arranger ses cheveux, elle les attacha seulement d'un nœud, et montant à cheval, elle se mit à la tête de son armée, avec serment de ne point couvrir sa tête qu'elle n'eût dompté les rebelles. Elle leur fit la guerre longtemps et les vainquit enfin. Après la victoire, elle se lava et couvrit sa chevelure. De là vint que le sceau royal des Perses porte pour empreinte Rodogune avec les cheveux pendants et attachés d'un nœud.

CHAPITRE XXVIII

TOMYRIS

Tomyris, dans la guerre que lui fit Cyrus, feignit d'avoir peur des ennemis. Les Massagètes prirent la fuite. Les Perses les poussèrent, et trouvèrent dans leur camp une grande abondance de vin, de vivres et de victimes. Ils en prirent avec excès, et firent débauche toute la nuit, comme gens qui avaient remporté la victoire. Après s'être remplis de vin et de viandes, ils se mirent à dormir. Tomyris les surprit dans cet état, et les trouvant appesantis, elle fit périr et Cyrus et tous les Perses.

CHAPITRE XXIX

NlTÉTIS

Cyrus, roi des Perses, demanda au roi d'Egypte Amasis, une de ses filles, en mariage. Il lui envoya Nitétis, fille du roi Apriès, qu'il avait dépossédé. Nitétis feignit longtemps d'être fille d'Amasis, et vécut comme telle avec Cyrus pendant quelques années. À la fin se voyant mère de beaucoup d'enfants, et bien sûre d'avoir gagné l'affection de son mari, elle lui découvrit que son père était Apriès, seigneur d'Amasis, et lui suggéra que quand Amasis serait mort, il serait bon de punir son crime sur son fils Psammetic. Cyrus approuva la proposition, mais il mourut avant que d'avoir pu exécuter le projet. Cambyse son fils, persuadé par sa mère Nitétis, porta la guerre en Egypte, et rétablit le sceptre dans la branche d'Apriès.

CHAPITRE XXX

PHILOTIS

Les Latins, conduits par Posthumius, faisaient la guerre aux Romains, et demandaient leurs filles en mariage pour faire la paix, comme les Romains avaient enlevé celles des Sabins pour les épouser. Les Romains craignaient la guerre, mais ils ne pouvaient se résoudre à donner leurs filles. Une esclave d'une grande beauté, nommée Philotis, conseilla aux Romains de la prendre, elle et les autres esclaves qui auraient le plus l'air de condition, de les parer et de les livrer aux ennemis comme filles romaines. Elle les avertit que quand les Latins les auraient acceptées, et se seraient couchés avec elles, elle allumerait un feu la nuit. Les Latins se couchèrent avec les prétendues filles des Romains. Philotis alluma le feu, et les Romains, à ce signal, fondant sur les Latins qui dormaient, les tuèrent tous.

CHAPITRE XXXI

CLÉLIE

Pendant la guerre des Romains contre les Tyrrhéniens, il se fit un traité pour la sûreté duquel les Romains donnèrent en otage les filles des plus nobles d'entre eux. Ces filles, devenues otages, allèrent ensemble se baigner au Tibre. Clélie, l'une d'entre elles, leur persuada à toutes d'attacher leurs robes à leur tête, et de passer à la nage le fleuve, qui n'est pas aisé à traverser, à cause de ses tournoiements et de sa profondeur. Elles passèrent toutes à la nage. Les Romains admirèrent leur hardiesse, mais respectant la foi du traité, ils les renvoyèrent aux Tyrrhéniens. Leur roi Porsenna demanda à ces filles, quelle était celle d'entre elles qui leur avait persuadé de faire cette entreprise. Clélie, sans attendre que les autres parlassent, s'accusa elle‑même. Porsenna, pénétré d'estime pour le courage de cette fille, lui fit présent d'un cheval richement équipé, donna de grandes louanges aux autres, et les renvoya toutes aux Romains.

CHAPITRE XXXII

PORCIE

Porcie, fille de Caton et femme de Brutus, ayant quelque soupçon que son mari machinait quelque chose contre César, prit un rasoir, et s'en fit une profonde blessure à la cuisse, pour montrer à Brutus la fermeté de son esprit dans les douleurs du corps. Alors Brutus crut qu'il pouvait lui faire part du secret. Porcie lui apporta ses habits, où elle avait caché une épée. Brutus attaqua César avec les autres conjurés, et le tua. Dans la suite, Brutus avec Cassius ayant été battu par Auguste en Macédoine, se tua lui‑même. Porcie essaya d'abord de se faire mourir en ne mangeant point, mais ses domestiques et ses proches l'empêchaient d'exécuter cette résolution. Elle demanda un brasier ardent, sous prétexte de se frotter d'essences. Quand elle l'eut, prenant des charbons allumés à pleines mains, elle se les enfonça dans la bouche et les avala , avant que personne de ceux qui étaient dans la maison l'en pût empêcher. Ainsi mourut Porcie, qui dans cette manière de finir ses jours, montra une ruse singulière, accompagnée d'une résolution mâle et d'un grand amour pour son mari.

CHAPITRE XXXIII

TÉLÉSILLE

Après que Cléomène eut fait périr dans un combat (comme on dit) sept mille sept cent soixante‑dix‑sept Argiens, il marcha contre Argos, dans le dessein de se rendre maître de la place. Télésille, musicienne, arma toutes les femmes d'Argos, et les mena au combat. Elles se présentèrent sur les murs et les défendirent contre Cléomène. Elles le repoussèrent, chassèrent l'autre roi Démarate, qui s'était glissé dans la ville, et sauvèrent la place qui était sur le point d'être prise. Cette belle action des femmes est encore célébrée jusqu'à ce jour par les Argiens, à la nouvelle lune du quatrième mois dit Hermien ou de Mercure, et le jour de la fête, les hommes s'habillent en femmes, et les femmes prennent des habits d'hommes.

CHAPITRE XXXIV

CHILONIS

Chilonis, fille de Cléadès, et femme de Théopompe, sachant que son mari avait été fait captif et mis en prison par les Arcadiens, se rendit volontairement aux ennemis. Les Arcadiens admirèrent cet excès d'amour conjugal, et lui permirent d'entrer dans la prison. Elle changea d'habits avec son mari, et lui ayant persuadé de sortir, elle demeura chez les ennemis. Théopompe, sauvé par l'adresse de sa femme, enleva la prêtresse de Diane qui présidait à une cérémonie religieuse qui se faisait à Phénie. Les Tégéates pour la ravoir, rendirent Chilonis à Théopompe.

CHAPITRE XXXV

PIÉRIE

Les Ioniens établis à Milet, s'étant soulevés contre les descendants de Nélée, se retirèrent à Myonte, d'où ils faisaient la guerre aux Milésiens. Mais ce n'était pas une guerre sans trêve. Les uns et les autres se fréquentaient les jours de fête. Piérie, fille d'un homme de grande distinction de Myonte, appelé Pythas, vint à Milet à une fête que les habitants célébraient à l'honneur de Nélée. Phrygius, le plus puissant des descendants de Nélée, devint amoureux de Piérie, et lui demanda ce qu'elle souhaitait qu'il fît pour elle. « Je ne souhaite rien plus ardemment, répondit Piérie, que de pouvoir venir ici souvent et en grande compagnie. » Phrygius comprit qu'elle demandait la paix et l'amitié pour ses citoyens, et il fit cesser la guerre. De cette sorte l'amour louable et glorieux de Phrygius et de Piérie, procura la paix publique.

CHAPITRE XXXVI

POLYCRITE

Les Milésiens faisaient la guerre aux Naxiens. Les Hérythriens donnaient secours à ceux de Milet, et Diognet, général des Hérythriens, enleva un grand butin de Naxe, et entre autres beaucoup de femmes et de filles, du nombre desquelles fut Polycrite. Le général en devint amoureux, et la traita, non pas en esclave, mais en femme légitime. Dans le camp des Milésiens on célébrait une fête de leur pays, et tout le monde était dans la joie et dans la débauche du vin. Polycrite pria Diognet de lui permettre d'envoyer à ses frères, quelque part du régal. Il l'accorda, et Polycrite fit couler dans le gâteau qu'elle leur envoya, un billet tracé sur une lame de plomb, avec ordre à celui qui le portait, de dire à ses frères que c'était le morceau de la bouche de leur sœur, et qu'ils le mangeassent seuls. Ils trouvèrent la lame de plomb, et l'ayant ouverte, ils y lurent qu'elle leur donnait avis d'attaquer la nuit les ennemis que la débauche de la fête avait enivrés, et qu'ils trouveraient endormis. Sur cet avis les généraux profitèrent de l'occasion, et surprenant les ennemis, la nuit, les vainquirent. Polycrite, pour sa récompense, obtint des citoyens la vie de Diognet.

CHAPITRE XXXVII

LES PHOCÉENS

Les Phocéens, conduits par Foxus, portèrent les armes pour Mandron, roi des Bébryciens, qui était en guerre contre les Barbares du voisinage. Mandron persuada aux Phocéens de s'établir dans le pays et dans la ville. Les victoires fréquentes qu'ils remportèrent, et les dépouilles dont ils s'enrichirent, leur attirèrent l'envie des Bébryciens, qui, profitant de l'absence de Mandron, prirent la résolution de dresser des embûches aux Phocéens, et de les faire tous périr. Lampsace , fille de Mandron, encore vierge, ayant su le mauvais dessein de ses compatriotes, essaya de les en détourner. Ne l'ayant pu, elle avertit secrètement les Grecs. Ils indiquèrent dans le faubourg un grand sacrifice, auquel ils invitèrent les Barbares. Quand ils les virent enfermés dans un lieu du festin, et occupés de la bonne chère, les uns se saisirent des murs, et les autres tuèrent ceux qui se régalaient, et se rendirent maîtres de la ville. Ils firent de grands honneurs à Lampsace, et de son nom ils appelèrent la ville Lampsaque.

CHAPITRE XXXVIII

ARÉTAPHILE

Nicocrate, tyran de Cyrène, entre plusieurs cruautés dont il usa contre les habitants, tua de sa propre main Ménalippe, prêtre d'Apollon, et épousa sa femme Arétaphile, qui était fort belle. Arétaphile résolut de venger sa patrie et son mari sur le tyran, et tenta d'abord le poison. Ayant été découverte, elle dit que ce n'était qu'un philtre qu'elle avait préparé pour se concilier l'amour de son mari. La mère du tyran voulut qu'Arétaphile fût mise à la question. Cette femme eut le courage de souffrir les plus horribles tourments, sans jamais confesser autre chose que le philtre. Le tyran fut persuadé de son innocence, continua de vivre avec elle, et lui marqua même plus de considération qu'auparavant, pour la dédommager de ce qu'elle avait injustement souffert. Elle avait une fille en âge nubile, et d'une beauté singulière. Elle l'offrit à Léandre, frère du tyran. Ce jeune homme, ayant pris de l'amour pour elle, la demanda en mariage à son frère, et l'épousa. À la persuasion de sa belle‑mère, il prit la résolution de rendre la liberté à la ville. Pour cet effet, il corrompit Daphnis, officier de la chambre du tyran, et tua Nicocrate par son moyen.

CHAPITRE XXXIX

CAMMA

De l'empire des Gaules divisé en tétrarquies, Sinorix et Sinatus en possédaient deux portions. Sinatus avait une femme très renommée pour la beauté merveilleuse du corps et les vertus de l'âme. Elle s'appelait Camma, et était prêtresse de Diane, l'une des divinités que les Gaulois servent le plus religieusement. Dans les cérémonies et les sacrifices, elle paraissait toujours avec des ornements pompeux et un grand éclat. Sinorix l'aimait passionnément, et, ne pouvant espérer de pouvoir lui plaire, ni l'enlever, pendant la vie de Sinatus, il prit le parti de le faire assassiner en cachette. Peu de temps après, il rechercha la veuve. Camma refusa longtemps son alliance, mais enfin, importunée par ses proches et par ses amis, elle feignit de se rendre et donna parole. « Que Sinorix, dit‑elle vienne au temple de Diane, et nous ferons le mariage en présence de la déesse. » Sinorix se rendit au temple accompagné de tout ce qu'il y avait d'hommes et de femmes de quelque condition parmi les Gaulois. Camma le reçut gracieusement, et le faisant approcher de l'autel, elle prit une coupe d'or, et en ayant fait une libation, elle but de la même coupe, et fit boire le reste à Sinorix. C'était un présent que l'époux ne refusait pas de l'épouse. Il vida la coupe avec joie, mais la liqueur qui était dedans, était de l'hydromel empoisonné. Camma voyant qu'il avait bu, jeta un grand cri, et adorant la déesse, elle dit : « Je te rends grâces, vénérable déesse, de ce que par ton secours j'ai pu, dans ton temple même, tirer vengeance de la mort de mon mari, tué injustement à cause de moi. » Elle mourut sur‑le‑champ, en achevant ces mots, et Sinorix mourut au même lieu au pied de l'autel de la déesse.

CHAPITRE XL

TIMOCLÉE

Timoclée, Thébaine, était sœur de Théagène, celui‑là, même qui fit la guerre à Philippe, à qui Philippe dit : « Jusqu'où me suivras‑tu ? » et qui répondit : « Jusqu'en Macédoine. » Théagène mourut, et sa sœur vivait lorsque Alexandre renversa Thèbes. La ville était au pillage, et chacun butinait de son coté. La maison de Timoclée tomba au pouvoir d'un Thrace, capitaine de cavalerie. Après souper, il fit venir Timoclée dans son cabinet, et ne s'étant pas contenté de son honneur, il la força encore à lui découvrir ce qu'elle avait d'or et d'argent caché. Elle lui dit qu'en colliers, en bracelets, en coupes et autres vases, et en espèces monnayées, elle avait une grande quantité d'or et d'argent, mais voyant la ville au sac, elle avait tout jeté dans un puits sans eau. Le Thrace la crut, et se fit mener au puits qui était dans le jardin. Il y descendit et y chercha l'or et l'argent. Timoclée le voyant là, jeta sur lui des pierres, et fut si bien secondée par ses femmes, que le Thrace demeura sous le monceau. Les Macédoniens la prirent et la menèrent à Alexandre. Elle avoua le fait, mais elle soutint qu'elle avait eu raison de se venger du Thrace qui lui avait fait trop de violence. Alexandre, pénétré d'admiration, la renvoya libre, et lui accorda la liberté de tous ses parents.

CHAPITRE XLI

ERYXO

Laarque avait été déclaré roi de Cyrène, à condition de conserver la royauté pour Battus, fils mineur d'Arcesilas. Mais au lieu de se montrer roi, il se rendit tyran, et usa de toutes sortes de violences contre les habitants. La mère du jeune Battus était Eryxo, femme très sage et très vertueuse. Laarque prit de l'amour pour elle, et la rechercha en mariage. Elle le renvoya à ses frères, et comme ils affectaient de ne se point déterminer, elle envoya une suivante dire au tyran : « Mes frères s'opposent présentement à notre mariage, mais il n'y a qu'à commencer par nous unir. Il faudra bien, après cela, qu'ils y consentent. » Il accepta la proposition avec joie, et, pour se trouver au rendez‑vous, il alla la nuit, et sans gardes, chez Eryxo. En entrant dans la maison, il rencontra Polyarque, le plus âgé des frères d'Eryxo, qui se tenait en embuscade dans ce lieu avec deux jeunes hommes armés d'épées. Ils percèrent le tyran, et lui ôtèrent la vie. Après quoi, produisant Battus, ils le proclamèrent roi, et remirent les Cyréniens sous la domination de leur maître naturel.

CHAPITRE XLII

PYTHOPOLIS

Pythès ayant trouvé, des mines d'or, y fit travailler tous les habitants, et les força à creuser et purifier l'or, sans leur permettre de faire aucun autre ouvrage sur terre ou sur mer. Comme cette occupation forcée les empêchait de cueillir les fruits, et de se munir des choses les plus nécessaires à la vie, ils perdirent courage. Leurs femmes vinrent trouver Pythopolis, femme de Pythès, et lui crièrent merci. Elle les renvoya avec de bonnes espérances. Elle manda les orfèvres, et leur ordonna de faire des poissons d'or, des gâteaux, des confitures, et toutes sortes de mets du même métal. Pythès revint d'un voyage, et demanda à souper, sa femme lui fit servir une table d'or, couverte, non pas de viandes véritables, mais de toutes sortes de vivres formés d'or. Pythès trouva la chose bien imitée, et loua l'art des orfèvres mais il demanda à manger. On lui servit d'autres mets pareils et puis encore d'autres. Il se fâcha, et dit qu'il avait faim. Alors sa femme lui dit : « Tu as ruiné l'agriculture et tous les arts qui procurent aux hommes la nécessité de la vie, et tu as voulu qu'on ne travaillât qu'à l'or. Tu vois maintenant qu'il n'est d'aucune utilité pour l'usage de la vie, si l'on manque de fruits et de grains. » Pythès, instruit par la sagesse de sa femme, fit cesser le travail des mines, et permit aux habitants de vaquer à l'agriculture et aux arts.

CHAPITRE XLIII

CHRYSAME

Une colonie d'Ioniens, conduite par Cnopus, de la race de Codrus, étant entrée en Asie, faisait la guerre à ceux d'Erythres. Un oracle l'avait averti de demander pour général aux Thessaliens la prêtresse d'Hécate. Il envoya une ambassade aux Thessaliens pour leur faire part de l'oracle, et ils lui envoyèrent la prêtresse Chersame. Elle était habile dans la composition des poisons. Elle prit dans un troupeau un taureau de belle figure et de grande taille. Elle lui dora les cornes, et lui orna le corps de festons et de bandelettes de pourpre, enrichies d'or, et dans ce qu'elle lui donna à paître, elle y mêla des drogues qui faisaient entrer en fureur. Le taureau devint furieux, et tous ceux qui en mangeraient, devaient être attaqués du même mal. Les ennemis étaient campés tout auprès des Ioniens. Chrysame plaça un autel en présence des ennemis, et ayant tout disposé pour le sacrifice, elle ordonna qu'on amenât le taureau. Comme il était en fureur, il se mit à sauter, s'échappa en mugissant de ceux qui le tenaient, et s'enfuit. Les ennemis voyant un taureau à cornes dorées, et orné de festons, qui venait à eux, en abandonnant l'autel où il devait être immolé, le prirent à bon augure, saisirent l'animal, le sacrifièrent aux dieux, et s'empressèrent tous à goûter de sa chair, pour avoir part chacun d'eux au présent que les dieux leur avaient fait. Dans le moment toute l'armée entrant en fureur, se mit à sauter et à courir çà et là, et l'on abandonna toutes les gardes. Chrysame voyant les ennemis en cet état, ordonna sur‑le‑champ à Cnopus d'armer ses troupes, et de fondre sur les ennemis, à qui il était impossible de faire aucune résistance. Cnopus les lit tous périr, et se rendit maître d'Erythres, grande ville et très florissante.

CHAPITRE XLIV

POLYCLÉE

Eate, fils de Philippe, faisait la guerre aux Béotiens, qui habitaient anciennement la Thessalie. Il avait avec lui une sœur nommée Polyclée et tous deux étaient de la race des Héraclides. Un oracle avait prédit que celui de cette race qui passerait le premier le fleuve Achéloüs, régnerait dans le pays. L'armée était sur le point de passer le fleuve. Polyclée s'étant lié le pied, dit à son frère qu'elle s'était blessée à la cheville du pied, et le pria de la vouloir porter de l'autre coté du fleuve. Sans se défier de rien, il consentit à rendre ce service à sa sœur, donna son bouclier à ceux qui portaient ses armes, prit sa sœur, et marcha hardiment à travers le fleuve. Quand il fut près du rivage, sa sœur se dégagea, sauta à terre, et se tournant vers Eate, elle lui dit : « La royauté m'appartient, suivant l'oracle, puisque j'ai été la première à mettre le pied dans le pays. » Eate voyant la tromperie, n'en fut point fâché. Il admira la prudence de cette fille, et la prit pour sa femme. Ils régnèrent ensemble, et eurent un fils, nommé Thessalus, du nom duquel ils appelèrent la ville de Thessalie.

CHAPITRE XLV

LÉÈNE

Il n'y a aucun Grec qui ne sache l'entreprise d'Aristogiton et d'Harmodius contre les tyrans. Aristogiton avait une maîtresse, nommée Léène. Hippias l'ayant saisie, lui fit donner la torture, pour l'obliger à nommer les complices de la conspiration. Elle souffrit le plus patiemment qu'elle put, mais sentant à la fin que la violence des tourments la forcerait de parler, pour s'en ôter le moyen, elle se coupa la langue avec les dents. Les Athéniens, dans le dessein d'honorer sa mémoire, mirent une statue dans la citadelle qui la représentait, non pas sous sa forme naturelle, mais sous la figure de l'animal dont elle portait le nom, d'une lionne de bronze. Ceux qui sont entrés dans la citadelle, ont pu remarquer dans le vestibule une lionne de bronze, qui n'a point de langue dans la gueule. C'est le monument dressé à l'honneur de cette femme.

CHAPITRE LXVI

THÉMISTO

Thémisto était fille de Criton l'Eanthien. Philon, fils du tyran Phricodème en fut amoureux, et le tyran la demanda en mariage pour son fils. Le père n'y voulut pas consentir. Le tyran, pour s'en venger, prit les enfants de Criton, et en présence du père et de la mère, les fit jeter aux bêtes affamées. Ensuite il enleva leur fille, et la fit épouser à son fils. Thémisto, forcée à ce mariage, feignit d'y consentir, et se munit d'une épée qu'elle cacha sous sa robe. Voyant son mari endormi dans son lit, elle lui coupa le cou sans qu'il parlât, et la nuit même étant allée à la mer, elle y trouva une barque, et ayant le vent bon, elle s'éloigna du rivage et se mit à voguer toute seule. Elle aborda à Hélice, ville de l'Achaïe, où il y avait un temple de Neptune fort respecté. Elle s'y réfugia comme suppliante. Phricodème y envoya Héracon, frère du mort, pour demander la fille aux Hélicéens, qui la livrèrent. Comme on la ramenait, il s'éleva une tempête qui poussa la barque à Rhion en Achaïe. En y abordant, elle vit paraître deux galéasses des Arcaniens qui étaient en guerre avec le tyran, et qui s'étant emparés de la barque, la menèrent à Acarne Le peuple d'Acarne, informé de ce qui s'était passé, eut pitié de la fille, et ayant mis Héracon dans les fers, le livra à Thémisto. Le tyran députa vers elle, pour demander la liberté de son fils. Elle dit qu'elle ne le rendrait que quand on lui aurait envoyé son père et sa mère. Phricodème les envoya, mais cela n'empêcha pas les Acarniens de maltraiter Héracon, et de le faire mourir cruellement, et peu de temps après le tyran même fut tué par les habitants de la ville. Ceux d'Hélice ne furent pas longtemps sans être punis. La ville fut abîmée par un tremblement de terre, suivi d'une inondation, et l'on regarda cet accident comme une marque du ressentiment qu'avait Neptune, de ce que les habitants avaient livré une suppliante, qui s'était réfugiée au temple de ce dieu.

CHAPITRE XLVII

PHÉRÉTIME

Arcésilas, roi de Cyrène, fils de Battus, perdit son royaume, par la révolte de ses sujets. Sa mère Phérétime alla trouver Evelthon, roi de Salamine en Chypre, et lui demanda du secours, mais Evelthon ne lui en donna point. Pendant ce temps‑là, Arcésilas en ayant tiré abondamment des Grecs, recouvra son royaume et tira une cruelle vengeance de ceux qui l'avaient chassé. Il fut enfin tué par les Barbares du voisinage. Tant de malheurs n'étonnèrent point Phététime. Elle se réfugia auprès d'Argande, satrape d'Egypte, et faisant valoir auprès de lui quelques services qu'elle avait rendus à Cambyse, elle obtint des troupes considérables de terre et de mer, et rentrant dans le pays de Cyrène, elle s'y rendit terrible, et vengeant son fils, elle rétablit la royauté dans sa race.

CHAPITRE XLVIII

AXIOTHÉE

Axiothée était femme de Nicoclès, roi de Paphos, dans l'île de Chypre. Quand Ptolémée, roi d'Egypte, envoya des gens pour le détrôner, Nicoclès se pendit lui‑même, et ses frères se poignardèrent. Axiothée, jalouse de la vertu de ses beaux‑frères, rassembla leurs sœurs, leur mère, leurs femmes, et leur persuada de ne rien souffrir d'indigne de leur noblesse. Elles la crurent, et ayant fermé les portes de leur appartement, elles montèrent sur la terrasse du toit, et là, en présence de tous les habitants qui étaient accourus au spectacle, elles poignardèrent leurs enfants qu'elles tenaient entre les bras, et ayant mis le feu à la maison, les unes s'enfoncèrent des épées dans le corps, et les autres coururent hardiment se précipiter dans les flammes. Axiothée, qui était comme leur général, se montra aussi courageuse qu'elles dans le malheur, car voyant qu'elles avaient toutes péri noblement, elle s'enfonça l'épée dans la gorge, et se jeta dans le feu, afin que son cadavre même ne fût pas au pouvoir des ennemis.

CHAPITRE XLIX

ARCHIDAMIS

Pendant que Pyrrhus, roi des Épirotes, faisait la guerre aux Lacédémoniens, ceux de Sparte, mis en fuite dans un combat donné devant les murs de la ville, résolurent d'envoyer les enfants et les femmes en Crète, et demeurèrent seuls à combattre jusqu'à vaincre ou mourir. Archidamis, fille du roi Cléade, s'opposa à l'exécution de ce décret, et dit que les Lacédémoniennes estimaient qu'il était beau de mourir avec les hommes, si elles ne pouvaient vivre avec eux. On partagea donc avec les femmes les travaux de la guerre. On les vit travailler aux tranchées, apporter des armes, donner la trempe aux pointes des javelots, prendre soin des blessés. Enfin les hommes voyant le courage des femmes, en devinrent plus hardis dans les combats, et chassèrent Pyrrhus de leur pays.

CHAPITRE L

LAODICE

Antiochus, surnommé le dieu, épousa Laodice, sa sœur de père, dont il eut Séleucus. Il épousa encore depuis Bérénice, fille du roi Ptolémée, dont il eut un fils, qu'il laissa fort jeune quand il mourut. Il nomma en mourant son fils Séleucus pour son successeur. Laodice fit en sorte de faire périr le fils qu'avait eu Bérénice, et celle‑ci eut recours au peuple, dont elle tâcha d'exciter la compassion et d'obtenir le secours. Ceux qui avaient tué l'enfant, en produisirent à la multitude un autre tout semblable. Le peuple le prit pour le vrai fils de Bérénice, et lui donna une garde royale. Pour la sûreté de Bérénice, on lui donna pour gardes des Gaulois soudoyés. On la mit dans le lieu le plus fort du palais, et on la rassura par des serments et des traités. Elle avait avec elle le médecin Aristarque, qui lui, persuada d'ajouter foi à ces serments, mais on ne les employait que pour la tromper. En effet, on força le lieu de sa retraite, et on la tua, avec la plupart de, ses femmes, qui avaient voulu la défendre. Il en resta trois, Panariste, Manie et Géthosyre, qui cachèrent le corps de Bérénice en terre, et prenant une autre femme, la couchèrent dans le lit de Bérénice, et demeurèrent auprès d'elle, comme pour panser ses blessures. Elles amusèrent ainsi les domestiques, jusqu'à l'arrivée de Ptolémée, père de la princesse, qu'elles envoyèrent chercher. Il vint, et par le moyen des lettres qu'il écrivit au nom de Bérénice et de son fils, comme s'ils eussent encore été en vie, et par l'adresse de Panariste, il se rendit maître, sans coup férir de tout le pays, depuis le mont Taurus jusqu'aux Indes.

CHAPITRE LI

THÉANO

Quand on eut découvert à Lacédémone que Pausanias était dans les intérêts des Mèdes, il se réfugia, comme, suppliant, dans le temple de Minerve à la maison d'airain, asile inviolable, dont il n'était pas permis d'arracher ceux qui s'y étaient mis à couvert. Sa propre mère Théano, toute la première, prit une brique, et la posa devant la porte du temple. Les Lacédémoniens admirant en même temps, son courage et sa sagesse, firent comme elle, et chacun prenant une brique, la plaça devant la porte, qui se trouva ainsi murée. De cette manière, sans arracher le suppliant de son asile, on punit sa trahison, en le laissant, mourir enfermé.

CHAPITRE LII

DÉIDAMIE

Déidamie, fille de Pyrrhus, s'étant emparée d'Ambracie, dans le dessein de venger la mort de Ptolémée, tué en trahison, reçut une ambassade des Épirotes, et leur accorda la paix, à condition qu'on lui rendît les biens et les honneurs de ses ancêtres. Mais les paroles qu'on lui donna ne furent que des pièges dont on se servait pour la tromper, car les Épirotes s'étant assemblés, envoyèrent Nestor, l'un des gardes d'Alexandre, pour la tuer. Nestor l'ayant trouvée les yeux baissés, fut touché de vénération, et s'en retourna sans lui faire de mal. Elle s'enfuit au temple de Diane, dite Hugémone. Milon, accusé d'avoir tué sa propre mère Philotère, alla tout armé attaquer Déidamie. Elle lui cria : « Le meurtrier de sa mère entasse meurtre sur meurtre. » Elle n'en put dire davantage. Milon la tua là, dans le temple même de la déesse.

CHAPITRE LIII

ARTÉMISE

I. Artémise donnait un combat sur mer, vers Salamine. Les Perses s'ébranlèrent pour fuir, et les Grecs se mirent à les suivre. Artémise se voyant sur le point d'être jointe par eux, ordonna à l'équipage d'ôter de son navire tout ce qui pouvait le faire connaître pour être de la flotte persane, et au pilote de pousser le vaisseau contre le navire persan qui allait devant. Les Grecs voyant cette manœuvre, crurent que ce vaisseau était des leurs, et le laissant passer, donnèrent la chasse aux autres. Artémise ayant de cette sorte évité le danger, se retira dans la Carie.

II. Artémise, fille de Lygdamis, fit couler à fond un vaisseau de la flotte des Calyndiens, alliés des ennemis, et le capitaine Damasippe périt avec le vaisseau. Le roi, pour récompenser Artémise, lui envoya une armure grecque complète, et au général de la flotte, il envoya une quenouille et un fuseau.

III. Artémise commandant une galère longue, avait deux pavillons, un à la façon des Barbares, et l'autre grec. Quand elle poursuivait un navire grec, elle mettait le pavillon des Barbares, mais quand un navire grec lui donnait la chasse, elle arborait le pavillon grec, afin que ceux qui la poursuivaient, prenant son vaisseau pour grec la laissassent passer librement.

IV. Artémise, dans le dessein de surprendre Latmus, cacha ses troupes et ses armes, et accompagnée d'eunuques et de femmes, et de joueurs de flûte et de tambours, elle alla dans un bois consacré à la mère des dieux, éloigné de la ville de sept stades, comme pour y célébrer les mystères. Les Latmiens vinrent au spectacle, et admirèrent sa piété religieuse. Mais pendant qu'ils s'amusaient là les troupes, qu'Artémise avait cachées, s'emparèrent de la ville, et de cette manière elle prit avec des flûtes et des tambours une place qu'elle n'avait pu prendre les armes à la main.

V. Artémise, reine de Carie, porta les armes pour Xerxès dans l'expédition qu'il fit en Grèce. Le roi lui donna le prix, comme à la personne qui avait le mieux fait son devoir à Salamine. Dans le fort du combat, voyant son courage et son ardeur, pendant que la plupart des hommes se comportaient mollement, il s'écria : « O Jupiter, tu as rendu les femmes hommes, et les hommes femmes. »

CHAPITRE LIV

TANIE

Tanie (ou plutôt Manie), fille de Zénis, prince des villes des environs de Dardane, après le décès de son mari, mort de maladie, prit le gouvernement de l'État, moyennant le secours que lui donna Pharnabaze. Elle allait elle‑même au combat, montée sur un char. Elle donnait l'ordre aux combattants, les arrangeait elle‑même, et après la victoire elle distribuait les prix aux soldats selon leur mérite. Aucun de ses ennemis n'eut de l'avantage sur elle. Il n'y eut que son gendre Midius qui pût lui nuire. Elle n'avait garde de s'en défier, vu ce qu'il lui était. Il abusa de la confiance de sa belle‑mère, et l'ayant attaquée lui ôta la vie.

CHAPITRE LV

TIRGATAO

Tirgatao, princesse méotide, épousa Hécatée, roi des Sintes, qui habitent un peu au‑dessus du Bosphore. Cet Hécatée ayant perdu ses États, fut reçu par Satyre, tyran du Bosphore, qui lui fit épouser sa fille, et le pressa de faire mourir sa première femme. Bécotée aimait la Méotide, et ne put se résoudre à la tuer. Il se contenta de l'envoyer dans un lieu fort, l'y enferma, lui donna des gardes, et lui défendit de sortir de ce lieu. Tirgatao trouva moyen de tromper ses gardes, et s'enfuit. Hécatée et Satyre la firent chercher partout, dans la crainte qu'ils eurent, qu'elle n'armât contre eux toute la Méotide. Pendant qu'ils la cherchaient vainement, Tirgatao, traversant les déserts et les précipices, se tenait cachée pendant le jour dans les forêts, et ne marchait que la nuit. Enfin elle arriva chez les Ixomantes, et c'était le royaume de son père. Elle trouva qu'il était mort. Elle épousa celui qui lui avait succédé, et porta les Ixomantes à la guerre. Elle rassembla plusieurs nations belliqueuses de la Méotide, et faisant des courses dans le pays des Sintes et dans celui de Satyre, elle porta le ravage partout. Hécatée et Satyre lui envoyèrent demander la paix, et lui donnèrent pour otage Métrodore, fils de Satyre. Elle voulut bien traiter avec eux, mais ils n'avaient fait des serments que pour la tromper, car Satyre gagna deux amis, qui feignirent de se réfugier auprès de Tirgatao pour implorer sa protection, dans le dessein d'attenter à sa vie. Ils se réfugièrent donc auprès d'elle, et Satyre les envoya souvent redemander. Tirgatao garda religieusement la parole qu'elle leur avait donnée de les protéger, et refusa constamment de les livrer. La voyant dans cette disposition, ils vont la trouver, et pendant que l'un d'eux lui parlait d'affaires importantes, l‘autre tirant l'épée, lui allongea un coup qui porta heureusement dans la ceinture de la reine. Ses gardes accoururent, saisirent les deux hommes et leur donnèrent la question. Ils confessèrent le crime, et en découvrirent l'auteur. Aussitôt Tirgatao recommença la guerre, tua l'otage, et porta dans le pays ennemi le carnage et la désolation. Satyre en mourut de chagrin, et Gorgippe son fils lui succéda. Celui‑ci alla implorer la clémence de Tirgatao. Ses supplications et ses grands présents apaisèrent enfin la reine qui mit fin à la guerre.

CHAPITRE LVI

AMAGE

Amage, femme de Médosuc, roi des Sarmates, qui habitent les côtes du Pont, voyant son mari plongé dans la débauche, et abruti par le vin, se mit à gouverner l'État. Elle posait elle‑même les gardes sur les frontières, elle arrêtait les incursions des ennemis, et protégeait ses voisins quand ils étaient maltraités. Sa réputation se répandit parmi tous les Scythes, jusque-là que ceux de la Chersonèse, vexés par le roi des Scythes de leur voisinage, eurent recours à elle, et demandèrent sa protection. Elle se contenta d'abord d'écrire à ce roi, pour lui commander de laisser la Chersonèse en paix. Le Scythe méprisa ses ordres. Elle prit six vingt hommes des plus vigoureux, et sur le courage desquels elle faisait le plus de fond, et leur donnant à chacun trois chevaux, elle usa d'une si grande diligence qu'elle parcourut en une nuit et un jour douze cents stades, et se montrant à l'improviste au palais des Scythes, elle commença par tuer tous ceux qui gardaient les portes. Les Scythes furent surpris par un accident aussi imprévu, ils se figurèrent les ennemis bien plus nombreux qu'ils ne l'étaient. Amage, continuant son irruption, pénétra dans le palais, tua le Scythe et tous ses parents et amis qui se trouvèrent là, livra le pays à ceux de la Chersonèse, et ayant établi roi le fils du mort, elle le chargea de gouverner avec justice, et de s'abstenir de nuire aux Grecs et aux Barbares de son voisinage, s'il ne voulait avoir le même sort que son père.

CHAPITRE LVII

ARSINOÉ

Après la mort de Lysimachus, Arsinoé sa veuve, voyant un grand trouble dans Éphèse, et que ceux du parti de Séleucus abattaient les murs, et ouvraient les portes, fit mettre dans sa chaise à porteurs une de ses suivantes, vêtue de ses habits royaux, et la fit accompagner par ses gardes, pendant qu'elle‑même, vêtue de haillons, et le visage couvert d'un masque sale, sortit seule, par une autre porte, et courut s'embarquer. Ménécrate, un des chefs, attaqua la chaise, et croyant tuer Arsinoé, perça de coups la suivante.

CHAPITRE LVIII

CRATÉSIPOLIS

Cratésipolis avait dessein de livrer le haut Corinthe à Ptolémée. Il y avait une garde de gens soudoyés, qui disait souvent à Cratésipolis, qu'elle devait donner de grands soins à la conservation de la place. Elle approuvait leur avis, comme donné par des gens de cœur et fidèles, et dit qu'elle ferait venir du renfort de Sicyone, pour assurer la conservation de la place. Elle envoya ouvertement à Sicyone, et en secret vers, Ptolémée, et celui‑ci fit partir des soldats, qui étant arrivés la nuit, furent reçus comme venant de Sicyone. Ainsi Ptolémée se rendit maître du haut Corinthe, en dépit de ceux qui le gardaient.

CHAPITRE LIX

LA PRÊTRESSE

Les Etoliens faisaient la guerre à ceux de Pellène. Au-devant de Pellène il y a un rocher fort élevé, vis‑à‑vis de la citadelle, et c'était sur cette hauteur que les Pelléniens se rassemblaient sous les armes. La Prêtresse de Minerve, suivant la cérémonie observée ce jour‑là, se montra hors de la citadelle, armée de toutes pièces, et la tête couverte d'un casque à trois crêtes, et se mit à regarder l'armée des habitants. C'était une fille très belle et de la taille la plus avantageuse. Les Etoliens voyant sortir du temple de Minerve une vierge armée, crurent que c'était Minerve en personne, qui venait au secours des Pelléniens, ils prirent la fuite. Les Pelléniens les poursuivirent et en tuèrent un grand nombre.

CHAPITRE LX

CYNNANE

Cynnane, fille de Philippe, apprit les exercices militaires. Elle se mettait à la tête d'une armée, et savait la conduire contre les ennemis. Elle donna bataille aux Illyriens, fit tomber leur reine, morte d'un coup qu'elle lui donna elle‑même sur le cou, et tua un grand nombre d'Illyriens. Elle épousa Amyntas, fils de Perdicas et l'ayant perdu peu de temps après elle ne voulut point prendre de second mari. Elle n'eut qu'une fille d'Amyntas, nommée Eurydice, qu'elle éleva aussi aux armes. Après qu'Alexandre fut mort à Babylone, voyant ses successeurs dans la division, elle entreprit de passer le Strymon. Antipater voulut s'opposer à son passage, mais elle força les troupes d'Antipater, et passa le fleuve, et malgré tous les ennemis qu'elle trouva sur sa route, elle traversa l'Hellespont, dans le dessein de combattre l'armée des Macédoniens. Alcétas vint à sa rencontre avec des troupes. Les Macédoniens voyant la fille de Philippe, sœur d'Alexandre, eurent honte de leur résolution, et ne voulaient plus se battre avec elle. Alcétas fut d'un sentiment contraire. Cynnane lui reprocha son ingratitude, et sans s'étonner de la multitude des ennemis ni de l'appareil des armes, elle aima mieux mourir noblement, que de voir en elle la postérité de Philippe dépouillée de la royauté.

CHAPITRE LXI

PYSTE

Pyste, femme de Séleucus, surnommé Callinique ou le victorieux, ayant été prise par les ennemis, dans le temps que son mari fut vaincu par les Gaulois, du côté d'Ancyre, se dépouilla des habits royaux, et ayant pris les haillons d'une misérable esclave, fut vendue parmi les autres captives. Ayant été menée à Rhodes avec d'autres esclaves, elle se fit connaître. Les Rhodiens rendirent l'argent à celui qui l'avait achetée, et l'ayant parée magnifiquement, la renvoyèrent à Antioche.

CHAPITRE LXII

ÉPICHARIS

Pison et Sénèque conspirèrent contre Néron. Gallion, frère de Sénèque, avait une maîtresse, nommée Épicharis. Néron crut qu'elle pourrait avoir connaissance de la conspiration, et lui fit donner la question très cruellement. Elle la supporta constamment, sans nommer personne, et Néron remit à la faire encore tourmenter une autre fois. Trois jours après il l'envoya chercher dans une chaise à porteurs. Pendant qu'elle y était, elle détacha sa ceinture, et s'en étrangla elle-même. Quand les porteurs furent arrivés au lieu où elle devait être tourmentée de nouveau, ils lui ordonnèrent de sortir de la chaise, mais ils l'y trouvèrent morte. Le tyran ne se possédait pas de rage, de voir qu'il avait été vaincu par une courtisane.

CHAPITRE LXIII

LES MILÉSIENNES

Les filles de Milet furent saisies d'une espèce de fureur mélancolique, qui les portait à s'étrangler, sans aucun sujet apparent de chagrin. Une femme de la ville conseilla qu'on portât à travers la place les corps de celles qui se seraient ainsi donné la mort. On en forma un décret, qui fut publié. C'en fut assez pour guérir ces filles. Elles ne purent supporter d'être montrées en public dans un état honteux, et elles cessèrent de s'étrangler elles‑mêmes.

CHAPITRE LXIV

LES MÉLIENNES

Les Méliens, conduits par Nymphée, s'établirent dans la Carie. Les Cariens de Cyrasse formèrent le dessein de se défaire des Méliens, et pour en venir à bout, les invitèrent au festin public qu'ils faisaient dans une de leurs fêtes. Une fille carienne qui aimait Nymphée, lui découvrit le mauvais dessein de ses compatriotes. Nymphée dit aux Cariens que les Grecs n'allaient point à ces sortes de festins sans leurs femmes. Les Cariens dirent qu'ils les amenassent. Les Méliens y allèrent sans armes, mais les femmes s'étaient munies d'épées, qu'elles avaient cachées dans les plis de leurs robes, et chacune d'elles se plaça auprès de son mari. Comme on soupait, on s'aperçut du signal que faisaient les Cariens. Dans le moment toutes les femmes ouvrirent leurs robes, et les hommes prenant les épées, donnèrent sur les Barbares. Ils les tuèrent tous, s'emparèrent de leur ville et du pays.

CHAPITRE LXV

LES PHOCÉENNES

Les Phocéens et les Thessaliens se faisaient une guerre sans quartier, jusque‑là que les Thessaliens avaient ordonné par un décret public, qu'on n'épargnât aucun homme fait, et qu'on fît esclave les femmes et les enfants. Comme les Phocéens étaient sur le point de donner bataille, leurs femmes firent de leur côté cet autre décret : « Dressons un grand bûcher, et quand nous saurons que nos maris auront été vaincus, nous y monterons avec nos enfants, et nous y mettrons le feu pour nous brûler. » Cette résolution des femmes anima les maris, qui combattirent courageusement, et remportèrent la victoire.

CHAPITRE LXVI

LES FEMMES DE CHIO

Ceux de Chio étaient en guerre contre les Erythréens, au sujet de Leuconie. Ne pouvant plus résister aux Erythréens, ils demandèrent à traiter, et promirent de sortir sans autre chose que chacun sa robe et son manteau. Il parut insupportable à leurs femmes de les voir en cet état, et prendre la fuite presque nus. Elles s'en plaignirent amèrement, mais les hommes dirent qu'ils l'avaient juré. Les femmes leur conseillèrent de ne point quitter leurs armes, et de soutenir qu'ils étaient dans l'usage d'appeler le dard leur manteau, et le bouclier leur robe. Ceux de Chio crurent le conseil de leurs femmes, et se présentant avec leurs armes, se rendirent formidables aux Erythréens.

CHAPITRE LXVII

LES THASIENNES

Les Thasiens assiégés voulaient élever au-dedans de leur ville des machines pour résister aux ennemis, mais les cordages leur manquaient pour les lier. Les Thasiennes se rasèrent, et donnèrent leurs cheveux, qui servirent de liens pour attacher et affermir les machines.

CHAPITRE XLVIII

LES ARGIENNES

Pyrrhus, roi d'Epire, appelé par Aristée Argien, entra dans Argos, dans le dessein de s'en rendre maître. Les Argiens se rassemblèrent en armes dans la place publique, et leurs femmes étant montées sur les terrasses des toits, jetaient de là des pierres et des tuiles sur les Épirotes, et les contraignaient à faire retraite. Pyrrhus, ce grand et fameux général, périt en cette rencontre d'un coup de tuile qu'il reçut à la tête. Ce fut une grande gloire, parmi les Grecs, pour les Argiens, que Pyrrhus, un des plus grands guerriers qu'il y ait eu, ait été tué, non pas par les hommes, mais par les femmes argiennes.

CHAPITRE LXIX

LES ACARNANIENNES

Après une longue guerre entre les Acarnaniens et les Etoliens, ceux‑ci trouvèrent moyen d'entrer dans Arcane par trahison. Les hommes se voyant dans un aussi pressant danger, apportèrent toute la résistance possible. Les femmes, montées sur les terrasses des toits, lançaient sur les ennemis des pierres et des tuiles, et en firent périr un grand nombre. Quand elles virent leurs maris lâcher pied ou avoir du dessous, elles les animèrent par les prières et les reproches. Elles vinrent à bout de leur faire recommencer le combat ; mais enfin, malgré leur résistance vigoureuse, ils succombèrent et périrent. Les femmes étant descendues, vinrent embrasser les corps morts de leurs maris, de leurs frères et de leurs pères, si étroitement, que les ennemis ne pouvant les en détacher, furent contraints de les tuer avec les hommes.

CHAPITRE LXX

LES CYRÉNÉENNES

Pendant la guerre que Ptolémée fit à ceux de Cyrène, les Cyréniens ayant fait venir d'Etolie, Lycope pour être leur général, lui donnèrent le gouvernement de l'État. Les Cyréniens faisaient les fonctions les plus dangereuses de la guerre, et les femmes servaient à l'armée. Elles dressaient les palissades, creusaient les tranchées, portaient les javelots, voituraient des pierres, pansaient les blessés, préparaient à manger. Quand les hommes eurent manqué, Lycope changea la forme de l'État en monarchie. Les femmes lui reprochèrent si vivement son usurpation, qu'il ne le put endurer. Dans sa colère, il en tua une grande partie, et elles couraient d'elles‑mêmes à la mort.

CHAPITRE LXXI ET DERNIER

LES LACÉDÉMONIENNES

Les filles de Lacédémone avaient été données en mariage aux Minyens, descendus des Argonautes. Ces gens, admis à vivre sous les lois communes du pays, ne se contentèrent pas de cet avantage, ils affectèrent aussi la royauté. Les Spartiates les mirent en prison. Les Lacédémoniennes qu'ils avaient épousées...

Le reste manque. On peut y suppléer par Hérodote, liv. 4, et ci‑dessus liv. 7, au chapitre des Tyrrhéniennes. On y trouve la même histoire, seulement le nom de Ményens est substitué à celui de Tyrrhéniens ; voy. Valér. Maxim., liv. 4 c. 6, exemp. 3.

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