CHAPITRE III
LE CORPS ET LES ACTIVITÉS PHYSIOLOGIQUES
I
L’HOMME. - SES DEUX ASPECTS. - LE SUBSTRATUM CORPOREL ET LES ACTIVITÉS HUMAINES.
Nous avons conscience d’exister, de posséder une activité propre, une personnalité. Nous nous sentons différents de tous les autres individus. Nous croyons nous déterminer librement. Nous sommes heureux ou malheureux. Ces intuitions constituent pour chacun de nous l’ultime réalité.
Nos états de conscience coulent dans le temps comme une rivière le long d’une vallée. De même que la rivière, nous sommes à la fois changement et permanence. Beaucoup plus que les autres animaux, nous sommes indépendants de notre milieu. Notre intelligence nous en a libérés. L’homme est, avant tout, l’inventeur des armes, des outils et des machines. C’est à l’aide de ces inventions qu'il a pu manifester ses caractères propres, ceux qui le distinguent de tous les autres êtres vivants. Il les a exprimés de façon objective par des statues, des temples, des théâtres, des cathédrales, des hôpitaux, des universités, des laboratoires et des usines. Il a ainsi marqué la surface de la terre de l’empreinte de ses activités fondamentales, c’est-à-dire de son sens esthétique et religieux, de son sens moral, de son intelligence, et de sa curiosité scientifique.
Ce foyer de puissantes activités, nous pouvons le regarder du dedans, ou du dehors. Vu du dedans, il montre à l’observateur unique, qui est nous-même, nos pensées, nos tendances, nos désirs, nos joies, nos douleurs. Vu du dehors, il apparaît comme le corps humain, le nôtre d’abord, et aussi celui de tous nos semblables. Il a donc deux aspects totalement différents. C’est pourquoi il a été considéré comme fait de deux parties, le corps et l’âme. Mais jamais on n’a observé d'âme sans corps, ni de corps sans âme. De notre corps nous voyons la surface extérieure. Nous sentons l’obscur bien-être de son fonctionnement normal. Mais nous n’avons conscience d’aucun de ses organes. Le corps obéit à des mécanismes qui nous sont entièrement cachés. Il ne les montre qu’à ceux qui connaissent les techniques de l’anatomie et de la physiologie. Il dévoile alors, sous sa simplicité, une stupéfiante complexité. Et jamais il ne nous permet de le contempler à la fois dans son aspect extérieur et public, et son aspect intérieur et privé. Même si nous nous engageons dans l’inextricable labyrinthe du cerveau et des fonctions nerveuses, nulle part nous ne rencontrons la conscience. L’âme et le corps sont la création de nos méthodes d’observation. Ils sont taillés par elles dans un tout indivisible.
Ce tout est à la fois tissus, liquides organiques, et conscience. Il s’étend simultanément dans l’espace et dans le temps. Il remplit les trois dimensions de l’espace et celle du temps de sa masse hétérogène. Mais il n’est pas compris entièrement dans ces quatre dimensions. Car la conscience se trouve à la fois dans la matière cérébrale et hors du continuum physique.
L’être humain est trop complexe pour être saisi par nous dans son ensemble. Nous ne pouvons l’étudier qu’après l’avoir réduit en fragments par nos procédés d’observation. C’est donc une nécessité méthodologique de le décrire comme composé d’un substratum corporel et de différentes activités. Et aussi de considérer séparément les aspects temporel, adaptif, et individuel de ces activités. En même temps, il faut éviter de tomber dans les erreurs classiques, de le décrire comme étant un corps, ou une conscience, ou une association des deux, et de croire à l’existence réelle des parties qu’y découpe notre pensée.
II
DIMENSIONS ET FORME DU CORPS.
Le corps humain se trouve, sur l’échelle des grandeurs, à mi-chemin entre l’atome et l'étoile. Suivant les objets auxquels on le compare, il apparaît grand ou petit. Sa longueur est équivalente à celle de deux cent mille cellules des tissus, ou de deux millions de microbes ordinaires, ou de deux milliards de molécules d’albumine placées bout à bout. Par rapport à un atome d’hydrogène, il est d’une grandeur impossible à imaginer. Mais, comparé à une montagne, ou à la terre, il devient minuscule. Pour égaler la hauteur du mont Everest, il faudrait placer, debout les uns sur les autres, plus que quatre mille hommes.
Le méridien terrestre équivaut approximativement à vingt millions de corps humains disposés les uns à la suite des autres. On sait que la lumière parcourt en une seconde environ cent cinquante millions de fois la longueur de notre corps, et que les distances interstellaires se mesurent en années de lumière. Aussi notre stature, rapportée à ce système de références, devient-elle d’une inconcevable petitesse. C’est pourquoi les astronomes Eddington et Jeans, dans leurs ouvrages de vulgarisation, réussissent-ils toujours à impressionner leurs lecteurs en leur montrant la parfaite insignifiance de l’homme dans l’univers. En réalité, notre grandeur ou notre petitesse spatiales n’ont aucune importance. Car ce qui est spécifique de nous-mêmes ne possède pas de dimensions physiques. La place que nous occupons dans le monde ne dépend certainement pas de notre volume.
Il semble que notre taille soit appropriée aux caractères des cellules des tissus et à la nature des échanges chimiques, du métabolisme de l’organisme. Comme l’influx nerveux se propage chez tous avec la même vitesse, des individus, beaucoup plus grands que nous le sommes, auraient une perception trop lente des choses extérieures et leurs réactions motrices seraient trop tardives. En même temps, leurs échanges chimiques seraient profondément modifiés. Il est bien connu qu’un animal possède un métabolisme d’autant plus actif que la surface de son corps est plus étendue par rapport à son volume. Et que le rapport de la surface au volume d’un objet augmente quand le volume décroît. C’est pourquoi le métabolisme des grands animaux est plus faible que celui des petits. Celui du cheval, par exemple, est moins actif que celui de la souris.
Un grand accroissement de notre taille diminuerait l’intensité de nos échanges chimiques. Il nous enlèverait sans doute une partie de la rapidité de nos perceptions et de notre agilité. Un tel accident ne se produira pas, car la stature des êtres humains varie peu. Les dimensions de notre corps sont déterminées à la fois par notre hérédité et par les conditions de notre développement. Il y a des races grandes et des races petites, telles que les Suédois et les Japonais. Dans une race donnée, on rencontre des individus de taille très différentes. Ces différences dans le volume du squelette viennent de l’état des glandes endocrines, et de la corrélation de leurs activités dans l’espace et le temps.
Elles ont donc une signification profonde. Par une nourriture et un genre de vie appropriés, il est possible d’augmenter ou diminuer la stature des individus composant une nation. Et en même temps de modifier la qualité de leurs tissus, et probablement aussi de leur esprit. Il ne faut donc pas aveuglément changer les dimensions du corps pour lui donner plus de beauté et de force musculaire. Car de simples modifications de notre volume peuvent entraîner des modifications profondes de nos activités physiologiques et mentales. En général, les individus les plus sensibles, les plus alertes et les plus résistants ne sont pas grands. Il en est de même des hommes de génie. Mussolini est de taille moyenne, et Napoléon était petit.
Ce que nous connaissons surtout de nos semblables, ce sont leur forme, leur allure, l’aspect de leur figure. La forme exprime la qualité, les puissances du corps et de la conscience. Dans une même race, elle change suivant le genre de vie des individus. L’homme de la Renaissance qui passait sa vie à combattre, qui bravait sans cesse les intempéries et les dangers, qui s’enthousiasmait pour les découvertes de Galilée autant que pour les chefs-d’oeuvre de Leonardo de Vinci et de Michel-Ange avait un aspect très différent de celui de l’homme moderne dont l’existence se limite à un bureau, à une voiture bien close, qui contemple des films stupides, écoute sa radio, joue au golf et au bridge. Chaque époque met son empreinte sur l’être humain. Nous voyons se dessiner, surtout chez les Latins, un type nouveau, produit par l’automobile et le cinéma. Ce type est caractérisé par un aspect adipeux, des tissus mous, une peau blafarde, un gros ventre, des jambes grêles, une démarche maladroite, et une face inintelligente et brutale. Un autre type apparaît simultanément. Le type athlétique, à épaules larges, à taille mince et à crâne d’oiseau.
En somme, notre forme représente nos habitudes physiologiques, et même nos pensées ordinaires. Ses caractères viennent surtout des muscles qui s’allongent sous la peau, le long des os, et dont le volume dépend de l’exercice auquel ils sont soumis. La beauté du corps est faite du développement harmonieux de tous les muscles et de toutes les parties du squelette. Elle atteignit son plus haut degré chez les athlètes grecs, surtout ceux de l’époque de Périclès, dont Phidias et ses élèves nous ont laissé l’image. La forme de la figure, celle de la bouche, des joues, des paupières, et tous les autres traits du visage sont déterminés par l’état habituel des muscles plats, qui se meuvent dans la graisse, au-dessous de la peau. Et l’état de ces muscles vient de celui de nos pensées. Certes, chacun peut donner à sa figure l’expression qu’il désire. Mais il ne garde pas ce masque de façon permanente. A notre insu, notre figure se modèle peu à peu sur nos états de conscience. Et avec les progrès de l’âge, elle devient l’image de plus en plus exacte des sentiments, des appétits, des aspirations de l’être tout entier. La beauté d’un jeune homme résulte de l’harmonie naturelle des traits de son visage. Celle, si rare, d’un vieillard manifeste l’état de son âme.
Le visage exprime des choses plus profondes encore que les activités de la conscience. On peut y lire, non seulement les vices, les vertus, l’intelligence, la stupidité, les sentiments, les habitudes les plus cachées d'un individu, mais aussi la constitution de son corps, et ses tendances aux maladies organiques et mentales. En effet, l’aspect du squelette, des muscles, de la graisse, de la peau, et des poils, dépend de la nutrition des tissus. Et la nutrition des tissus est réglée par la composition du milieu intérieur, c’est-à-dire par les modes de l’activité des systèmes glandulaires et digestifs. L’aspect du corps nous renseigne donc sur l’état des organes. La figure est un résumé du corps entier. Elle reflète l’état fonctionnel à la fois, des glandes endocrines, de l’estomac, de l’intestin, et du système nerveux. Elle nous indique quelles sont les tendances morbides des individus. En effet, ceux qui appartiennent aux différents types morphologiques, cérébraux, digestifs, musculaires, ou respiratoires, ne sont pas exposés aux mêmes maladies organiques et mentales. Entre les hommes longs et étroits, et ceux qui sont larges et courts, il y a une grande différence de constitution. Le type long, asthénique ou athlétique, est prédisposé à la tuberculose et à la démence précoce. Le type large, à la folle circulaire, au diabète, au rhumatisme, à la goutte. Dans le diagnostic et pronostic des maladies, les anciens médecins attribuaient, avec juste raison, une grande importance au tempérament, aux idiosyncrasies, aux diathèses. Pour celui qui sait observer, chaque homme porte sur sa face la description de son corps et de son âme.
III
SES SURFACES EXTÉRIEURE ET INTÉRIEURE.
La peau, qui recouvre la surface extérieure du corps, est imperméable à l’eau et au gaz. Elle ne laisse pas entrer les microbes qui vivent à sa surface. Elle a aussi le pouvoir de les détruire à l’aide des substances qu’elle sécrète. Mais les êtres si minuscules et si dangereux, que nous appelons virus, sont capables de la traverser. Par sa face externe, elle est exposée à la lumière, au vent, à l'humidité, à la sécheresse, à la chaleur, et au froid. Par sa face interne, elle est au contact d'un monde aquatique, chaud et privé de lumière, où les cellules des tissus et des organes vivent comme des animaux marins. En dépit de sa minceur, elle protège effectivement le milieu intérieur des variations incessantes du milieu cosmique. Elle est humide, souple, extensible, élastique, inusable.
Elle est inusable parce qu’elle se compose de plusieurs couches de cellules qui se reproduisent sans cesse. Ces cellules meurent en restant unies les unes aux autres comme les ardoises d’un toit. Comme des ardoises qui seraient continuellement emportées par le vent et continuellement remplacées par des ardoises nouvelles. Néanmoins, la peau reste humide et souple parce que de petites glandes sécrètent à sa surface de l’eau et de la graisse. Au niveau du nez, de la bouche, de l’anus, de l’urètre, et du vagin, elle se continue avec les muqueuses, membranes qui couvrent la surface interne du corps. Mais ces orifices, à l’exception du nez, sont fermés par des anneaux musculaires. La peau est donc la frontière, presque parfaitement défendue, d’un monde fermé.
C’est par elle que le corps entre en relations avec toutes les choses de son milieu. En effet, elle sert d’abri à une immense quantité de petits organes récepteurs qui enregistrent, chacun suivant sa nature propre, les modifications du monde extérieur. Les corpuscules du tact, répandus sur toute sa surface, sont sensibles à la pression, à la douleur, à la chaleur, et au froid. Ceux qui sont placés dans la muqueuse de la langue sont impressionnés par certaines qualités des aliments, et aussi par la température. Les vibrations de l’air agissent sur les appareils très compliqués de l’oreille interne par l’intermédiaire de la membrane du tympan et des os de l’oreille moyenne. Les réseaux du nerf olfactif, qui s’étend dans la muqueuse nasale, sont sensibles aux odeurs. Enfin, le cerveau envoie une partie de lui-même, le nerf optique et la rétine, jusque sous la peau, et y recueille les ondulations électromagnétiques depuis le rouge jusqu’au violet. La peau subit à ce niveau une étrange modification. Elle devient transparente et forme la cornée et le cristallin, et s’unit à d'autres tissus, pour édifier le prodigieux système optique que nous appelons oeil.
De tous ces organes s’échappent des fibres nerveuses qui se rendent à la moelle et au cerveau. Par l’intermédiaire de ces nerfs, le système nerveux central s’étale à la façon d’une membrane sur toute la surface du corps, où il entre en contact avec le monde extérieur. De la constitution des organes des sens, et de leur degré de sensibilité dépend l’aspect que prend pour nous l’Univers. Si, par exemple, la rétine enregistrait les rayons infra-rouges de grande longueur d’onde, la nature se présenterait à nous avec un autre visage. A cause des changements de la température, la couleur de l’eau, des rochers, et des arbres varierait suivant les saisons. Les claires journées de juillet, où les moindres détails du paysage se détachent sur des ombres dures, seraient obscurcies par un brouillard rougeâtre.
Les rayons calorifiques, devenus visibles, cacheraient tous les objets. Pendant les froids de l’hiver, l’atmosphère s’éclaircirait, et les contours des choses deviendraient précis. Mais l’aspect des hommes resterait bien changé. Leur profil serait indécis. Un nuage rouge, s’échappant des narines et de la bouche, masquerait leur figure. Après un exercice violent, le volume du corps augmenterait, car la chaleur dégagée par lui l’entourerait d’une plus large aura. De même, le monde extérieur se modifierait, quoique d’une autre manière, si la rétine devenait sensible aux rayons ultraviolets, la peau aux rayons lumineux, ou si, seulement, la sensibilité de chacun de nos organes des sens augmentait de façon marquée.
Nous ignorons les choses qui n’agissent pas sur les terminaisons nerveuses de la surface de notre corps. C’est pourquoi les rayons cosmiques ne sont nullement perçus par nous, bien qu’ils nous traversent de part en part. Il semble que tout ce qui atteint le cerveau doive passer par les sens, c’est-à-dire impressionner la couche nerveuse qui nous entoure. Seul, l’agent inconnu des communications télépathiques fait peut-être exception à cette règle. On dirait que, dans la clairvoyance, le sujet saisit directement la réalité extérieure sans utiliser les voies nerveuses habituelles. Mais de tels phénomènes sont rares. Les sens sont la porte par où le monde physique entre en nous. La qualité de l’individu dépend en partie de celle de sa surface. Car le cerveau se forme d’après les messages incessants qui lui viennent du milieu extérieur.
Aussi, faut-il nous garder de modifier à la légère l’état de notre enveloppe par nos habitudes de vie. Par exemple, nous ne savons pas exactement quel est l'effet de l’exposition au soleil de la surface de notre corps. Jusqu’au moment où cet effet sera connu le nudisme et le brunissement exagéré de la peau par la lumière naturelle, ou les rayons ultraviolets, ne devront pas être acceptés aveuglément par les races blanches. La peau et ses dépendances jouent, à notre égard, le rôle d'un attentif gardien. Elles laissent entrer en nous certaines des choses des mondes physique et psychologique, et excluent les autres. Elles sont la porte toujours ouverte, et néanmoins surveillée, de notre système nerveux central. Il faut les considérer comme un aspect très important de nous-mêmes.
Notre frontière interne commence à la bouche et au nez, et finit à l’anus. C’est par ces ouvertures que le monde extérieur pénètre dans les appareils digestif et respiratoire. Tandis que la peau est imperméable à l'eau et au gaz, les membranes muqueuses du poumon et de l’intestin laissent passer ces substances. Par leur intermédiaire, nous sommes en continuité chimique avec notre milieu. Notre surface intérieure est beaucoup plus grande que celle de la peau. L’étendue couverte par les cellules aplaties des alvéoles pulmonaires est immense. Elle est approximativement égale à un rectangle de cinquante mètres de longueur et de dix mètres de largeur. Ces cellules se laissent traverser par l’oxygène de l'air, et par l’acide carbonique du sang veineux. Elles sont facilement affectées par les poisons et par les bactéries et plus particulièrement par les pneumocoques.
L’air atmosphérique, avant de les atteindre, traverse le nez, l’arrière-gorge, le larynx, la trachée, et les bronches où il s’humidifie et se débarrasse des poussières et des microbes qu’il transporte avec lui. Mais cette protection naturelle est devenue insuffisante depuis que l’air des villes a été pollué par les poussières du charbon, les vapeurs d’essence, et les bactéries libérées par la foule des êtres humains. Les muqueuses respiratoires sont beaucoup plus fragiles que la peau. C’est à cause de cette fragilité que des populations entières pourront, dans les guerres de l’avenir, être exterminées par des gaz toxiques.
De la bouche à l’anus, le corps est traversé par un courant de matière alimentaire. Les membranes digestives établissent les relations chimiques entre le monde extérieur et le milieu organique. Leurs fonctions sont plus compliquées que celles des membranes respiratoires, car elles doivent faire subir des transformations profondes aux substances qui se trouvent à leur surface. Il ne leur suffit pas de jouer le rôle d’un filtre. Elles doivent être aussi une véritable usine chimique. Les ferments qu’elles sécrètent collaborent avec ceux du pancréas pour transformer les aliments en substances absorbables par les cellules de l’intestin. Cette surface est extraordinairement vaste. Elle sécrète et absorbe de grandes quantités de liquides. Elle laisse passer aussi les substances alimentaires une fois qu’elles sont digérées.
Mais elle s’oppose à la pénétration des bactéries qui pullulent dans le tube digestif. En général, ces dangereux ennemis sont tenus en respect par cette mince membrane et les leucocytes qui la défendent. Mais ils sont toujours menaçants. Les virus se plaisent dans l’arrière-gorge Les streptocoques et les bacilles de la diphtérie, sur les amygdales. Les bacilles de la fièvre typhoïde et de la dysenterie se multiplient facilement dans l’intestin. De la bonne qualité des membranes respiratoires et digestives dépendent en grande partie la résistance de l’organisme aux maladies infectieuses, sa force, son équilibre, son affectivité, et même son attitude intellectuelle.
Notre corps constitue donc un monde fermé, limité d’une part par la peau, et d’autre part, par les muqueuses des appareils digestif et respiratoire. Quand cette surface est détruite en quelqu’un de ses points, l’existence de l’individu est menacée. Une brûlure même superficielle, si elle s’étend à, une grande partie de la peau, amène la mort. Cette enveloppe, qui isole de façon si parfaite notre milieu intérieur du milieu cosmique, permet cependant les communications physiques et chimiques les plus étendues entre ces deux mondes. Elle réalise le prodige d’être une frontière simultanément fermée et ouverte. Car elle n’existe pas pour les agents psychologiques. Et nous pouvons être blessés, et même tués, par des ennemis qui, ignorant totalement nos limites anatomiques, envahissent notre conscience, comme des avions bombardent une ville sans se soucier des fortifications qui la défendent.
IV
SA CONSTITUTION INTERNE. - LES CELLULES ET LEURS ASSOCIATIONS. - LEUR STRUCTURE. - LES DIFFÉRENTES RACES CELLULAIRES.
L’intérieur de notre corps n’est nullement ce que nous enseigne l’anatomie classique. Celle-ci nous donne de l’être humain un schéma purement structural et tout à fait irréel. Il ne suffit pas d’ouvrir un cadavre pour savoir comment l’organisme est constitué. Certes, nous pouvons observer ainsi sa charpente, le squelette et les muscles, qui sont l’armature des organes. Dans la cage formée par la colonne vertébrale, les côtes et le sternum, sont suspendus le coeur et les poumons. Le foie, la rate, les reins, l’estomac, l’intestin, les glandes génitales s’attachent par des replis du péritoine à la surface intérieure de la grande cavité dont le fond est constitué par le bassin, les côtés par les muscles de l’abdomen, et la voûte par le diaphragme. Les plus fragiles de tous les organes, le cerveau et la moelle, sont enfermés dans des boîtes osseuses, et protégés contre la dureté de leurs parois par un système de membranes et une couche de liquide.
Sur le cadavre, il est impossible de comprendre la constitution de l’être vivant, car on contemple les tissus privés de leurs fonctions et de leur milieu naturel, le sang et les humeurs. En réalité, un organe séparé de son milieu n’existe plus. Sur le vivant, le sang circulant est partout présent. Il bat dans les artères, glisse dans les veines bleuâtres, remplit les vaisseaux capillaires, et baigne tous les tissus de lymphe transparente. Pour saisir ce monde intérieur tel qu’il est, des techniques plus délicates que celles de l’anatomie et de l’histologie sont nécessaires. Il faut étudier les organes sur des animaux et des hommes vivants, comme on les voit au cours des opérations chirurgicales, et non pas seulement sur des cadavres préparés pour la dissection. Il faut apprendre leur structure à la fois sur les coupes microscopiques de tissus morts et modifiées par les fixatifs et les colorants, sur des tissus vivants qui fonctionnent, et sur les films cinématographiques où leurs mouvements sont enregistrés. Nous ne devons créer de séparation artificielle ni entre les cellules et leur milieu, ni entre la forme et la fonction.
Dans l’intérieur de l’organisme, les cellules se comportent comme de petites bêtes aquatiques plongées dans un milieu obscur et tiède. Ce milieu est analogue à l’eau de mer. Cependant, il est moins salé qu’elle, et sa composition est beaucoup plus riche et variée. Les globules blancs du sang, et les cellules qui tapissent les vaisseaux sanguins et lymphatiques, ressemblent à des poissons qui nagent librement dans la masse des eaux, ou qui s’aplatissent sur le sable des fonds. Mais les cellules qui forment les tissus ne flottent pas dans du liquide. Elles sont comparables, non à des poissons, mais à des amphibies vivant dans des marécages ou dans du sable humide. Toutes dépendent absolument des conditions du milieu dans lequel elles sont plongées. Sans cesse, elles modifient ce milieu et sont modifiées par lui. En réalité, elles en sont inséparables. Aussi inséparables que leur corps de son noyau. Leur structure et leurs fonctions sont déterminées par l’état physique, physico-chimique et chimique du liquide qui les entoure. Ce liquide est la lymphe interstitielle qui, à la fois, vient du sang et le produit. Cellule et milieu, structure et fonction sont une seule et même chose. Néanmoins, des nécessités méthodologiques nous obligent à diviser en morceaux cet ensemble fonctionnellement indivisible, à décrire d’une part, les cellules et les tissus, et d’autre part, le milieu intra-organique, le sang et les humeurs.
Les cellules forment des sociétés que nous appelons les tissus et les organes. Mais l’analogie de ces sociétés aux communautés d’insectes et aux communautés humaines est bien superficielle. Car l’individualité des cellules est beaucoup moins grande que celle des hommes et même des insectes. Dans les unes et les autres de ces sociétés, les règles qui paraissent unir les individus sont l’expression de leurs propriétés inhérentes. Il est plus facile de connaître les caractères des êtres humains que ceux des sociétés humaines. Le contraire a lieu pour les sociétés cellulaires. Les anatomistes et les physiologistes savent depuis longtemps quels sont les caractères généraux des tissus et des organes. Mais ils n’ont réussi que récemment à analyser les propriétés des cellules, c’est-à-dire des individus qui constituent les sociétés organiques. Grâce aux procédés qui permettent de cultiver les tissus dans des flacons, il a été possible d’en obtenir une connaissance plus approfondie. Les cellules se sont révélées alors comme douées de pouvoirs insoupçonnés, de propriétés étonnantes, qui, virtuelles dans les conditions ordinaires de la vie, sont susceptibles de s’actualiser sous l’influence de certains états physico-chimiques du milieu. Ce sont ces caractères fonctionnels, et non pas seulement leurs caractères anatomiques, qui les rendent capables de construire l’organisme vivant.
Malgré sa petitesse, chaque cellule est un organisme très compliqué. Elle ne ressemble en aucune façon à l’abstraction favorite des chimistes, à une goutte de gélatine entourée d’une membrane semi-perméable. On ne trouve pas non plus dans son noyau ou dans son corps la substance à laquelle les biologistes donnent le nom de protoplasma. En fait, le protoplasma est un concept dépourvu de sens objectif. Autant que le serait le concept anthro-poplasma si, par un tel concept, on voulait exprimer ce qui se trouve à l’intérieur de notre corps. Il est possible aujourd’hui de projeter sur un écran des films cinématographiques de cellules agrandies de telle sorte que leur taille soit supérieure à celle d’un homme. Dans ces conditions, tous leurs organes deviennent visibles.
Au milieu de leur corps, on voit flotter une sorte de ballon ovoïde, à paroi élastique, qui paraît rempli d’une gelée complètement transparente. Ce noyau contient deux nucléoles qui changent lentement de forme. Autour de lui, il y a une grande agitation. Celle-ci se produit surtout au niveau d’un amas de vésicules, qui correspondent à ce que les anatomistes appellent l’appareil de Golgi ou de Renaut. Des granules, presque indistincts, se meuvent sans cesse et en nombre immense dans cette région. Ils courent aussi jusque dans les membres mobiles et transitoires de la cellule. Mais les organes les plus frappants sont de longs filaments, les mitochondries, qui ressemblent à des serpents, ou, dans certaines cellules, à de courtes bactéries. Vésicules, granulations et filaments s’agitent violemment et continuellement dans le liquide intracellulaire.
La complexité apparente des cellules vivantes est déjà très grande. Sa complexité réelle l’est davantage encore. Le noyau qui, à l’exception des nucléoles, paraît complètement vide, contient cependant des substances d’une nature merveilleuse. La simplicité attribuée par les chimistes aux nucléoprotéines qui le constituent est une illusion. En réalité, le noyau contient les gènes, ces êtres dont nous ignorons tout, si ce n’est qu’ils sont les tendances héréditaires des cellules, et des hommes qui en dérivent. Les gènes sont invisibles. Mais nous savons qu’ils habitent les chromosomes, ces bâtonnets qui apparaissent dans le noyau clair de la cellule quand elle va se diviser. A ce moment, les chromosomes dessinent de façon confuse les figures classiques, de la division indirecte. Puis leurs deux groupes s’éloignent l’un de l’autre. Alors on voit, sur les films cinématographiques, le corps cellulaire se secouer violemment, agiter dans tous les sens son contenu, et se diviser en deux parties, les cellules filles. Ces cellules se séparent en laissant traîner derrière elles des filaments élastiques qui finissent par se rompre. C’est ainsi que s’individualisent deux éléments nouveaux de l’organisme.
De même que les animaux, les cellules appartiennent à plusieurs races. Ces races sont déterminées à la fois par des caractères structuraux et par des caractères fonctionnels. Des cellules provenant de régions spatiales différentes, par exemple, de la glande thyroïde, de la rate ou de la peau, montrent naturellement des types différents. Mais, chose inexplicable, si on recueille à des moments successifs de la durée, des cellules d’une même région spatiale, on trouve qu’elles constituent aussi des races différentes. L’organisme est aussi hétérogène dans le temps que dans l’espace. Les types cellulaires se divisent grossièrement en deux classes. Les cellules fixes, qui s’unissent pour former les organes. Et les cellules mobiles, qui voyagent dans le corps entier. Les cellules fixes comprennent la race des cellules conjonctives, et celle des cellules épithéliales, cellules nobles qui forment le cerveau, la peau, les glandes endocrines. Les cellules conjonctives constituent le squelette des organes. Elles sont présentes partout.
Autour d’elles s’accumulent des substances variées, cartilage, os, tissu fibreux, fibres élastiques, qui donnent au squelette, aux muscles, aux vaisseaux sanguins et aux organes la solidité et l’élasticité nécessaires. Elles se métamorphosent aussi en éléments contractiles. Elles sont les muscles du coeur, des vaisseaux de l’appareil digestif, et aussi ceux de notre appareil locomoteur. Quoiqu’elles nous paraissent immobiles et portent encore leur vieux nom de cellules fixes, elles sont cependant douées de mouvements, ainsi que la cinématographie nous l’a montré. Mais leurs mouvements sont lents. Elles glissent dans leur milieu comme de l’huile s’étendant sur l’eau, et entraînent avec elles leur noyau qui flotte dans la masse liquide de leur corps. Les cellules mobiles comprennent les différents types de leucocytes du sang et des tissus. Leur allure est rapide. Les leucocytes à plusieurs noyaux ressemblent à des amibes. Les lymphocytes rampent plus lentement, comme de petits vers. Les plus grands, les monocytes, sont de véritables pieuvres qui, en outre de leurs bras multiples, sont entourées d’une membrane ondulante. Ils enveloppent des plis de cette membrane les cellules et les microbes, dont ensuite ils se nourrissent avec voracité.
Quand on élève dans des flacons ces différents types cellulaires, leurs caractères deviennent aussi apparents que ceux de différentes races de microbes. Chaque type possède des propriétés qui lui sont inhérentes, et qu’il conserve même lorsqu’il a été séparé du corps pendant plusieurs années. C’est par leur mode de locomotion, par la façon dont elles s’associent les unes aux autres, par l’aspect de leurs colonies, le taux de leur croissance, les substances qu’elles sécrètent, les aliments qu’elles demandent, aussi bien que par leur forme, que les races, cellulaires sont caractérisées. Chaque société cellulaire, c’est-à-dire chaque organe, est redevable de ses lois propres à ces propriétés élémentaires. Les cellules ne seraient pas capables de construire l’organisme si elles ne possédaient que les caractères connus des anatomistes. Grâce à leurs propriétés habituelles, et à un nombre immense de propriétés virtuelles susceptibles de se manifester comme réponse à des changements physico-chimiques du milieu, elles font face aux situations nouvelles qui se présentent au cours de la vie normale et des maladies. Elles s’associent en masses denses dont l’agencement est réglé par les besoins structuraux et fonctionnels de l’ensemble.
Le corps humain est une unité compacte et mobile. Et son harmonie est assurée à la fois par le sang, et par les nerfs dont sont pourvus tous les groupes cellulaires. L’existence des tissus n’est pas concevable sans celle d’un milieu liquide. Ce sont les relations nécessaires des cellules avec leurs vaisseaux nourriciers qui déterminent la forme des organes. Cette forme dépend aussi de la présence des voies d’élimination des sécrétions glandulaires. Tout le dispositif intérieur du corps dépend des besoins nutritifs des éléments anatomiques. L’architecture de chaque organe est dominée par la nécessité, où se trouvent les cellules, d’être immergées dans un milieu toujours riche en matières alimentaires, et jamais encombré par les déchets de la nutrition.
V
LE SANG ET LE MILIEU INTÉRIEUR.
Le milieu intérieur fait partie des tissus. Il en est inséparable. Sans lui, les éléments anatomiques cesseraient d’exister. Toutes les manifestations de la vie des organes et des centres nerveux, nos pensées, nos affections, la cruauté, la laideur et la beauté de l'univers, son existence même, dépendent de l’état physico-chimique de ce milieu. Il se compose du sang qui circule dans les artères et les veines, et du liquide qui filtre à travers la paroi des vaisseaux capillaires dans l’intérieur des tissus et des organes. Il y a un milieu général, le sang, et des milieux régionaux constitués par la lymphe interstitielle. On peut comparer chaque organe à un bassin complètement rempli de plantes aquatiques, et alimenté par un petit ruisseau. L’eau presque stagnante, analogue à la lymphe qui baigne les cellules, se charge des débris des plantes, et des substances chimiques libérées par eux. Son degré de stagnation et de pollution dépend de la rapidité et du volume du ruisseau. Il en est de même de la lymphe interstitielle, dont la composition est réglée par le débit de l’artère nourricière de l'organe. En dernière analyse, c'est le sang qui, directement ou indirectement, constitue le milieu où vivent toutes les cellules du corps.
Le sang est un tissu, comme tous les autres tissus. Il se compose d'environ 30 000 milliards de globules rouges, et de 50 milliards de globules blancs. Mais ces cellules ne sont pas, comme celles des autres tissus, immobilisées par une charpente. Elles sont suspendues dans un liquide visqueux, le plasma. Le sang est un tissu mouvant, qui s’insinue dans toutes les parties du corps. Il porte à chaque cellule la nourriture dont elle a besoin. En même temps, il sert d’égout collecteur aux produits de déchet de la vie tissulaire. Mais il contient aussi des substances chimiques et des cellules capables d’opérer des reconstructions organiques dans les régions du corps où elles sont nécessaires. Dans cet acte étrange, il se comporte comme un torrent qui, à l’aide de la boue et des troncs d’arbres qu’il charrie, se mettrait à réparer les maisons placées sur sa rive.
Le plasma sanguin n’est pas, en réalité, ce que les chimistes nous enseignent. Certes, il répond vraiment aux abstractions auxquelles ces derniers l’ont réduit. Mais il est incomparablement plus riche qu’elles. Il est, sans nul doute, la solution de bases, d’acides, de sels, et de protéines dont van Slyke et Henderson ont découvert les lois de l’équilibre physicochimique. C’est grâce à cette composition particulière qu’il peut maintenir constante, et tout près de la neutralité, son alcalinité ionique, malgré les acides qui sont sans cesse libérés par les tissus. Il offre ainsi à toutes les cellules de l’organisme un milieu qui n’est ni trop acide, ni trop alcalin, et qui ne varie pas.
Mais il est fait aussi de protéines, de polypeptides, d’acides aminés, de sucres, de graisses, de ferments, de métaux en quantité infinitésimale, des produits de sécrétion de toutes les glandes, de tous les tissus. Nous connaissons encore très mal la nature de la plupart de ces substances. Nous entrevoyons à peine l’immense complexité de leurs fonctions. Chaque type cellulaire trouve dans le plasma sanguin les aliments qui lui conviennent, les substances qui accélèrent ou modèrent son activité. C’est ainsi que certaines graisses liées aux protéines du sérum ont le pouvoir de freiner la prolifération cellulaire, et même de l’arrêter complètement. Il y a aussi dans le sérum des substances qui empêchent la multiplication des bactéries, ces substances prennent naissance dans les tissus lorsque ceux-ci doivent se défendre contre une invasion de microbes. Et enfin une protéine, le fibrinogène, père de la fibrine qui, avec une gluante ténacité, s’applique spontanément sur les plaies des vaisseaux, et arrête les hémorragies.
Les cellules dit sang, globules rouges et globules blancs, jouent un rôle capital dans la constitution du milieu intérieur. En effet, le plasma ne peut dissoudre qu’une petite quantité de l’oxygène de l'air. Il serait incapable de fournir à l’immense population des cellules enfermées dans le corps l’oxygène qu'elles demandent, si cet oxygène ne se fixait pas sur les globules rouges. Les globules rouges ne sont pas des cellules vivantes. Ce sont de petits sacs pleins d’hémoglobine. A leur passage dans les poumons, ils se chargent de l’oxygène que leur prendront, quelques instants plus tard, les avides cellules des organes. Et en même temps, celles-ci se débarrasseront dans le sang de leur acide carbonique, et de leurs autres déchets. Les globules blancs, au contraire, sont des cellules vivantes. Tantôt ils flottent dans le plasma des vaisseaux, tantôt ils s’en échappent par les interstices des capillaires, et rampent à la surface des cellules des muqueuses, de l’intestin, de tous les organes. C’est grâce à ces éléments microscopiques que le sang joue son rôle de tissu mobile, d’agent réparateur, à la fois milieu solide et milieu liquide, capable de se porter où sa présence est nécessaire. Il accumule rapidement, autour des microbes envahisseurs d'une région de l’organisme, de grands amas de leucocytes qui combattent l’infection. Il apporte aussi, au niveau des plaies de la peau ou des organes, des globules blancs qui sont un matériel virtuel de reconstruction. Ces leucocytes ont le pouvoir de se transformer en cellules fixes. Ils font naître autour d’eux des fibres conjonctives, et réparent, grâce à une cicatrice solide, le tissu blessé.
Les liquides, et les cellules qui sortent des vaisseaux capillaires sanguins, constituent le milieu local des tissus et des organes. Ce milieu est presque impossible à étudier. Quand on injecte dans l’organisme, comme l’a fait Roux, des substances dont la couleur change suivant l’acidité ionique des tissus, on voit les organes prendre des couleurs différentes. Il devient alors possible de percevoir la diversité des milieux locaux. En réalité, cette diversité est beaucoup plus profonde qu’elle ne paraît. Mais nous ne sommes pas capables de déceler tous ses caractères. Dans le vaste monde que constitue l’organisme humain, il y a des pays très variés. Bien que ces pays soient irrigués par les branches du même fleuve, la qualité de l’eau de leurs lacs et de leurs étangs dépend de la constitution du sol et de la nature de la végétation. Chaque organe, chaque tissu crée aux dépens du plasma sanguin son propre milieu. Et c’est de l’ajustement réciproque des cellules et de ce milieu que dépendent la santé ou la maladie, la force ou la faiblesse, le bonheur ou le malheur de chacun de nous.
VI
LA NUTRITION DES TISSUS. - LES ÉCHANGES CHIMIQUES.
Entre les liquides qui constituent le milieu intérieur, et le monde des tissus et des organes, il y a des échanges chimiques continuels. L’activité nutritive est un mode d’être des cellules, de même que la forme et la structure. Dès que leur nutrition cesse, les organes se mettent en équilibre avec leur milieu, et meurent. Nutrition est synonyme d’existence. Les tissus vivants sont avides d’oxygène et l’arrachent au plasma sanguin. Ce qui signifie, en termes physicochimiques, qu’ils ont un pouvoir réducteur élevé, qu’un système compliqué de certaines substances chimiques et de ferments leur permet d’employer l’oxygène atmosphérique à des réactions productrices d’énergie. Grâce à l’oxygène, à l’hydrogène et au carbone qu’elles reçoivent des sucres et des graisses, les cellules vivantes sont pourvues de l’énergie mécanique nécessaire au maintien de leur structure et à leurs mouvements, de l’énergie électrique qui se manifeste dans tous les changements d’état organique, et de la chaleur indispensable aux réactions chimiques et aux processus physiologiques. Elles trouvent aussi dans le plasma sanguin l’azote, le soufre, et le phosphore, dont elles se servent pour la construction de nouvelles cellules, et pour la croissance et la réparation des organes. A l’aide de leurs ferments, elles divisent en fragments de plus en plus petits les protéines, les sucres et les graisses de leur milieu, et utilisent l’énergie libérée par ces réactions. En même temps, elles édifient, grâce à des réactions qui absorbent de l’énergie, des corps plus compliqués, d’un plus haut potentiel énergétique, qu’elles incorporent à leur propre substance.
L’intensité des échanges chimiques, du métabolisme des groupes cellulaires et de l’être vivant tout entier, est l’expression de l’intensité de la vie organique. On mesure le métabolisme par la quantité d’oxygène absorbé et celle d’acide carbonique dégagé, quand le corps se trouve à l’état de repos complet. Dès que les muscles se contractent et produisent un travail mécanique, l’activité des échanges s’élève beaucoup. Le métabolisme est plus intense chez l’enfant que chez l’adulte, chez les petits animaux que chez les grands animaux. C’est une des raisons pour lesquelles il ne faut pas augmenter, au delà d’une certaine limite, la taille humaine. Dans le métabolisme nous ne trouvons pas l’expression de toutes nos fonctions. Le cerveau, le foie et les glandes ont une grande activité chimique. Mais c’est le travail musculaire qui accroît de la façon la plus marquée l’intensité des échanges. Chose curieuse, le travail intellectuel ne produit aucune élévation du métabolisme. On dirait qu’il ne demande pas de dépense énergétique ou qu’il se contente d’une quantité d’énergie trop faible pour être mesurée par les techniques actuelles.
Certes, il est étrange que la pensée qui transforme la surface de la terre, détruit et construit les nations, et découvre de nouveaux univers au fond de l’immensité inconcevable de l’espace, s'élabore en nous sans consommer une quantité mesurable d'énergie. Les plus puissantes créations de l’intelligence augmentent beaucoup moins le métabolisme que le muscle biceps quand il se contracte pour soulever un poids d’une livre. Ni l’ambition de César, ni la méditation de Newton, ni l’inspiration de Beethoven, ni la contemplation ardente de Pasteur n’ont réussi à accélérer la nutrition de leurs tissus, comme l’auraient fait aisément quelques microbes ou une faible exagération de la sécrétion de leur glande thyroïde.
Il est très difficile de ralentir le rythme de la nutrition. L’organisme maintient l’activité normale des échanges chimiques dans les conditions les plus adverses. Un froid extérieur intense ne diminue pas notre métabolisme. Ce n’est qu’aux approches de la mort que le corps se refroidit. Au contraire, pendant l’hiver, l’ours, la marmotte et le raton abaissent leur température et entrent dans un état de vie ralentie. Chez les rotifères, la dessiccation arrête, complètement la nutrition. Et cependant, si au bout de plusieurs semaines de vie latente on humidifie ces petits animaux, ils ressuscitent, et le rythme de leurs échanges chimiques redevient normal. Nous n’avons pas encore trouvé le secret de produire chez les animaux domestiques et chez l’homme une telle suspension de la nutrition. Il serait d’un évident avantage, dans les pays froids, de mettre en état de vie latente les vaches et les moutons pendant les longs hivers. Peut-être pourrait-on prolonger la durée de la vie humaine, guérir certaines maladies, utiliser de meilleure façon les individus exceptionnellement doués, si on pouvait les faire hiberner de temps en temps. Mais, sauf par la méthode barbare et insuffisante, qui consiste à enlever la glande thyroïde, nous ne sommes pas capables d’abaisser le taux des échanges chimiques de l’organisme humain. La vie latente est, pour le moment, impossible.
VII
LA CIRCULATION DU SANG. - LES POUMONS ET LES REINS.
Au cours des processus nutritifs, les tissus et les organes éliminent des déchets. Ces déchets ont une tendance à s’accumuler dans le milieu local, et à le rendre inhabitable aux cellules. Les phénomènes de la nutrition demandent donc l’existence d’appareils capables d’assurer la circulation rapide du milieu intérieur, le remplacement des matières alimentaires utilisées par les tissus, et l’élimination des substances toxiques. Le volume des liquides circulants comparé à celui des organes, est très petit. Un homme possède une quantité de sang inférieure au dixième de son poids. D’autre part, les tissus vivants consomment beaucoup d’oxygène et de glucose. Ils libèrent aussi dans leur milieu des quantités considérables d’acide carbonique, d’acide lactique, etc. Il faut donner à un fragment de tissus vivant, cultivé dans un flacon, un volume de liquide égal à deux mille fois son propre volume, afin qu’il ne soit pas empoisonné en quelques jours par les déchets de sa nutrition. Et encore doit-il avoir à sa disposition une atmosphère gazeuse au moins dix fois plus grande que son milieu liquide. Par conséquent, un corps humain réduit en pulpe demanderait environ deux cent mille litres de liquide nutritif. C’est grâce à la merveilleuse perfection des appareils qui font circuler le sang, le chargent de substances alimentaires et le débarrassent de ses déchets que nos tissus peuvent vivre dans sept ou huit litres de liquide, au lieu de deux cent mille.
La rapidité de la circulation est assez grande pour que la composition du sang ne soit pas modifiée par les produits de la nutrition. Ce n’est qu’après un exercice violent que l’acidité du plasma augmente. Chaque organe règle, par les nerfs dilateurs et constricteurs de ses vaisseaux, le volume et la rapidité du sang circulant. Quand la circulation se ralentit, ou s’arrête, le milieu intérieur devient acide. Suivant la nature de leurs cellules, les organes résistent plus ou moins à cette intoxication. On peut enlever le rein d’un chien, le laisser sur une table pendant une heure, et le replanter ensuite sur l’animal. Ce rein supporte sans inconvénient la privation temporaire du sang et fonctionne indéfiniment de façon normale. De même, l’interruption de la circulation dans un membre pendant trois ou quatre heures n’a aucune suite fâcheuse.
Mais le cerveau est beaucoup plus sensible au manque d’oxygène. Lorsque l’anémie y est complète pendant vingt minutes environ, la mort se produit de façon fatale. Un arrêt de la circulation pendant dix minutes suffit à produire des désordres très graves, irréparables. Il est impossible de ressusciter un individu dont le cerveau a été complètement dépourvu d’oxygène pendant cet espace de temps. Pour que nos organes fonctionnent de façon normale, il est indispensable aussi que le sang s’y trouve sous une certaine pression. Notre conduite et la qualité de nos pensées dépendent de la valeur de la tension artérielle. C’est par les conditions physiques aussi bien que chimiques du milieu intérieur que le coeur et les vaisseaux sanguins influencent les activités humaines.
Le sang garde la constance de sa composition, parce qu’il traverse continuellement des appareils où il se purifie, et où il récupère les substances nutritives utilisées par les tissus. Quand le sang veineux revient des muscles et des organes, il est chargé d’acide carbonique et de tous les déchets de la nutrition. Les contractions du coeur le chassent alors dans le réseau immense des capillaires des poumons où chaque globule rouge se trouve au contact de l’oxygène atmosphérique. Suivant de simples lois physico-chimiques, l’oxygène pénètre dans le sang où il se fixe sur l’hémoglobine des globules rouges. En même temps, l’acide carbonique s’échappe dans les bronches, d’où les mouvements respiratoires l’expulsent dans l’atmosphère extérieure. Plus la respiration est rapide, plus actifs sont les échanges chimiques entre l’air et le sang. Mais, dans la traversée pulmonaire, le sang ne se débarrasse que de l’acide carbonique. Il contient encore des acides non volatils, et tous les autres déchets du métabolisme. C’est en passant dans les reins qu’il achève de se purifier. Les reins séparent du sang les produits qui doivent être éliminés et règlent la quantité des sels qui sont indispensables au plasma pour que sa tension osmotique reste constante. Le travail des reins et des poumons est d’une prodigieuse efficacité. C’est grâce à lui que le volume du milieu nécessaire à la vie des tissus est aussi réduit, et que le corps humain possède une densité aussi grande et une telle agilité.
VIII
LES RELATIONS CHIMIQUES DU CORPS AVEC LE MONDE EXTÉRIEUR.
Les substances nutritives que le sang porte aux tissus lui viennent de trois sources. De l’air atmosphérique par l’intermédiaire du poumon, de la surface intestinale, et enfin des glandes endocrines. A l’exception de l’oxygène, toutes les substances utilisées par l’organisme lui sont fournies, directement ou indirectement, par l’intestin. Les aliments sont traités successivement par la salive, par le suc gastrique, par les sécrétions du pancréas, du foie, et de la muqueuse intestinale. Les ferments digestifs divisent les molécules des protéines, des hydrates de carbone, et des graisses en fragments plus petits. Ce sont ces fragments qui sont capables de traverser la barrière muqueuse. Ils sont alors absorbés par les vaisseaux sanguins et lymphatiques de cette muqueuse, et pénètrent dans le milieu intérieur. Seuls certaines graisses et le glucose entrent dans le corps sans être, au préalable, modifiés. C’est pourquoi la consistance des amas adipeux varie suivant la nature des graisses animales ou végétales contenues dans les aliments. On peut, par exemple, rendre la graisse d’un chien dure ou molle en le nourrissant soit avec des graisses à haut point de fusion, soit avec de l’huile liquide à la température du corps. Quant aux matières protéiques, elles sont réduites par les ferments en leurs acides aminés constitutifs.
Elles perdent ainsi leur individualité. Après la digestion intestinale, les acides aminés, et les groupes d’acides aminés, qui viennent des protéines du boeuf, du mouton, du grain de blé, n’ont plus aucune spécificité originelle. Ils traversent alors la muqueuse intestinale et construisent dans le corps des protéines nouvelles, qui sont spécifiques de l’être humain et même de l’individu. La paroi de l’intestin protège le milieu intérieur de façon à peu près complète contre l’invasion de molécules propres aux tissus d’autres êtres, plantes ou animaux. Cependant elle laisse pénétrer parfois les protéines animales ou végétales des aliments. C’est ainsi que la sensibilisation ou la résistance de l’organisme à de nombreuses substances étrangères peuvent se produire de façon silencieuse et inaperçue. La barrière qu’oppose l’intestin au monde extérieur n’est pas toujours infranchissable.
Bien que la muqueuse intestinale choisisse soigneusement parmi les matières alimentaires celles qui sont utilisables, elle se laisse traverser par des substances de plus ou moins bonne qualité. Parfois aussi, elle ne peut pas digérer ou absorber les éléments dont nous avons besoin. Bien que ces éléments se trouvent dans notre nourriture, nos tissus en restent alors privés. Les substances chimiques du milieu extérieur s’insinuent donc dans chacun de nous de façon différente, au gré des capacités individuelles de la muqueuse intestinale. Ce sont elles qui construisent nos tissus et nos humeurs. Nous sommes littéralement faits du limon de la terre. C'est pourquoi notre corps et ses qualités physiologiques et mentales sont influencés par la constitution géologique du pays où nous vivons, par la nature des animaux et des plantes dont nous nous nourrissons habituellement. Notre structure et les caractères de notre activité dépendent aussi du choix que nous faisons d’une certaine classe d’aliments. Les chefs se sont toujours attribué une nourriture différente de celle des esclaves. Ceux qui conquièrent, qui commandent, et qui combattent, se nourrissent surtout de viandes et de boissons fermentées, tandis que les pacifiques, les faibles, les passifs se contentent de lait, de légumes, de fruits, et de céréales. Nos aptitudes et notre destinée dépendent, dans une mesure importante, de la nature des substances chimiques qui servent à la synthèse de nos tissus. Il est possible de donner artificiellement certains caractères aux êtres humains, comme aux animaux, en les soumettant, dès leur jeune âge, à une alimentation appropriée.
Outre l’oxygène atmosphérique, et les produits de la digestion intestinale, le sang contient une troisième classe de substances nutritives : les sécrétions des glandes endocrines. L’organisme a le singulier pouvoir de se construire lui-même, de fabriquer aux dépens des éléments du sang des substances qu’il utilise pour nourrir certains tissus, stimuler certaines fonctions. Cette sorte de création de soi-même par soi-même est analogue à l’entraînement de la volonté par un effort de la volonté. Les glandes, telles que la thyroïde, la surrénale, le pancréas, synthétisent, en utilisant les substances contenues dans le plasma sanguin, des corps nouveaux, la thyroxine, l’adrénaline, l’insuline. Elles sont de véritables transformateurs chimiques. Elles créent ainsi des produits indispensables à la nutrition des cellules et des organes, à nos activités physiologiques et mentales. Ce phénomène est presque aussi étrange que le serait la fabrication, par certaines pièces d’un moteur à gaz, de l’huile qui doit être employée par d’autres parties de la machine, de substances activant la combustion, et même de la pensée du mécanicien. Il est évident que les tissus ne peuvent pas se nourrir uniquement des substances qui traversent la muqueuse intestinale. Ces substances doivent être remaniées par les glandes. Et c'est grâce à ces glandes que l’existence de l’ensemble de l'organisme devient possible.
Le corps vivant est avant tout un processus nutritif. Il consiste en un mouvement incessant de substances chimiques. Il est comparable à la flamme d’un cierge, ou aux jets d’eau qui s’élèvent au milieu des jardins de Versailles. Ces formes, à la fois permanentes et temporaires, dépendent d’un courant de gaz ou de liquide. Comme nous, elles se modifient suivant les changements de la qualité et de la quantité des substances qui les animent. Nous sommes traversés par un grand fleuve de matière qui vient du monde extérieur et y retourne. Mais pendant son passage, cette matière cède aux tissus l’énergie dont ils ont besoin, et aussi les éléments chimiques dont se forment les édifices transitoires et fragiles de nos organes et de nos humeurs. Le substratum corporel de toutes les activités humaines vient du monde inanimé, auquel, tôt ou tard, il retourne. Il est fait des mêmes éléments que les êtres non vivants. Il ne faut donc pas nous étonner, comme le font encore certains physiologistes modernes, de trouver en nous-mêmes les lois de la physique et de la chimie, telles qu’elles existent dans le monde extérieur. Il serait incroyable que nous ne les y rencontrions pas.
IX
LES FONCTIONS SEXUELLES ET LA REPRODUCTION.
Les glandes sexuelles ne poussent pas seulement au geste qui, dans la vie primitive, perpétuait l’espèce, elles intensifient aussi nos activités physiologiques, mentales et spirituelles. Parmi les eunuques, il n’y a jamais eu de grands philosophes, de grands savants, ou même de grands criminels. Les testicules et les ovaires ont une fonction très étendue. D’abord, ils donnent naissance aux cellules mâle ou femelle dont l’union produit le nouvel être humain. En même temps, ils sécrètent des substances qui se déversent dans le sang, et impriment aux tissus, aux organes et à la conscience, les caractères mâle ou femelle. Ils donnent aussi à toutes nos fonctions leur caractère d’intensité. Le testicule engendre l’audace, la violence, la brutalité, les caractères qui distinguent le taureau de combat du boeuf qui traîne la charrue le long du sillon. L’ovaire exerce une action analogue sur l’organisme de la femme. Mais il n’agit que pendant une partie de l’existence. Au moment de la ménopause, il s’atrophie. La durée moindre de la vie de l’ovaire donne à la femme vieillissante une infériorité manifeste sur l’homme. Au contraire, le testicule reste actif jusqu’à l’extrême vieillesse.
Les différences qui existent entre l’homme et la femme ne sont pas dues simplement à la forme particulière des organes génitaux, à la présence de l’utérus, à la gestation, ou au mode d’éducation. Elles viennent d’une cause très profonde, l’imprégnation de l’organisme tout entier par des substances chimiques, produits des glandes sexuelles. C’est l’ignorance de ces faits fondamentaux qui a conduit les promoteurs du féminisme à l’idée que les deux sexes peuvent avoir la même éducation, les mêmes occupations, les mêmes pouvoirs, les mêmes responsabilités. En réalité, la femme est profondément différente de l’homme. Chacune des cellules de son corps porte la marque de son sexe. Il en est de même de ses systèmes organiques, et surtout de son système nerveux. Les lois physiologiques sont aussi inexorables que les lois du monde sidéral. Il est impossible de leur substituer les désirs humains. Nous sommes obligés de les accepter telles qu’elles sont. Les femmes doivent développer leurs aptitudes dans la direction de leur propre nature, sans chercher à imiter les mâles. Leur rôle dans le progrès de la civilisation est plus élevé que celui des hommes.. Il ne faut pas qu’elles l’abandonnent.
L’importance des deux sexes dans la propagation de la race est inégale. Les cellules du testicule forment sans cesse, pendant tout le cours de la vie, des animalcules doués de mouvements très actifs, les spermatozoïdes. Ces spermatozoïdes cheminent dans le mucus qui couvre le vagin et l’utérus, et rencontrent à la surface de la muqueuse utérine, l’ovule. L’ovule est le produit d’une lente maturation des cellules germinales de l’ovaire. Celui-ci, chez la jeune femme, contient environ 300 000 ovules. Mais quatre cents environ seulement arrivent à maturité. Au moment de la menstruation, l’ovule est projeté, après éclatement du kyste qui le contient, sur la membrane hérissée de cils vibratiles qui le transportent dans l’utérus. Déjà, son noyau a subi une modification importante. Il a expulsé la moitié de sa substance, c’est-à-dire la moitié de chaque chromosome. Un spermatozoïde pénètre alors dans l’ovule. Et ses chromosomes, qui ont aussi perdu la moitié de leur substance, s’unissent à ceux de l’ovule. L’être nouveau est né. Il se compose d’une cellule, greffée sur la muqueuse utérine. Cette cellule se divise en deux parties, et le développement de l’embryon commence.
Le père et la mère contribuent également à la formation du noyau de la cellule qui engendre toutes les cellules du nouvel organisme. Mais la mère donne aussi à l’ovule, outre la moitié de la substance nucléaire, tout le protoplasma qui entoure le noyau. Elle joue ainsi un rôle plus important que le père dans la formation de l’embryon. Certes, les caractères des parents se transmettent par le noyau. Mais les lois actuellement connues de l’hérédité, et les théories présentes des généticistes, ne nous apportent pas encore une lumière complète. Il faut se souvenir, quand on songe à la part prise par le père et par la mère dans la reproduction, des expériences de Bataillon et de Loeb. D’un oeuf fécondé on peut, par une technique appropriée, et sans l’intervention de l’élément mâle, obtenir une grenouille. Un agent physique ou chimique est susceptible de remplacer le spermatozoïde. Seul, l’élément femelle est essentiel.
L’oeuvre de l’homme dans la reproduction est courte. Celle de la femme dure neuf mois. Pendant ce temps, le foetus est nourri par les substances qui lui arrivent du sang maternel après avoir filtré à travers les membranes du placenta. Tandis que l’enfant prend à sa mère les éléments chimiques dont il construit ses tissus, celle-ci reçoit certaines substances sécrétées par les tissus de son enfant. Ces substances peuvent être bienfaisantes ou dangereuses. En effet, le foetus est fait à la fois des substances nucléaires du père et de la mère. C’est un être d’origine, en partie, étrangère, qui est installé dans le corps de la femme. Pendant toute la grossesse, cette dernière est soumise à cette influence. Parfois elle est comme empoisonnée par le foetus. Toujours son état physiologique et psychologique est modifié par lui. On dirait que les femelles, au moins chez les mammifères, n’atteignent leur plein développement qu’après une ou plusieurs grossesses. Les femmes qui n’ont pas d’enfants sont moins équilibrées, plus nerveuses que les autres. En somme, la présence du foetus, dont les tissus diffèrent des siens par leur jeunesse, et surtout parce qu’ils sont en partie ceux de son mari, agit profondément sur la femme. On méconnaît, en général, l’importance qu’a pour elle la fonction de la génération. Cette fonction est indispensable à son développement optimum. Aussi est-il absurde de détourner les femmes de la maternité, Il ne faut pas donner aux jeunes filles la même formation intellectuelle, le même genre de vie, le même idéal qu’aux garçons. Les éducateurs doivent prendre en considération les différences organiques et mentales du mâle et de la femelle, et leur rôle naturel. Entre les deux sexes, il y a d’irrévocables différences. Il est impératif d’en tenir compte dans la construction du monde civilisé.
X
LES RELATIONS PHYSIQUES DU CORPS AVEC LE MONDE EXTÉRIEUR. - SYSTÈME NERVEUX VOLONTAIRE. - SYSTÈMES SQUELETTIQUE ET MUSCULAIRE.
Grâce à son système nerveux, l’être humain enregistre les excitations qui lui viennent du milieu extérieur, et y répond de façon appropriée par ses organes et ses muscles. Il lutte pour son existence avec sa conscience autant qu’avec son corps. Dans ce combat incessant, son coeur, ses poumons, son foie, ses glandes endocrines lui sont aussi indispensables que ses muscles, ses poings, ses outils, ses machines et ses armes. Aussi possède-t-il deux systèmes nerveux. Le système central, ou cérébro-spinal, conscient et volontaire, commande aux muscles. Le système sympathique, autonome et inconscient, aux organes. Le second système dépend du premier. Ce double appareil donne à la complexité de notre corps la simplicité indispensable à son action sur le monde extérieur.
Le système central comprend le cerveau, le cervelet, le bulbe, la moelle. Il engendre directement les nerfs des muscles, et indirectement ceux des organes. Il se compose d’une masse molle, blanchâtre, extrêmement fragile, qui remplit le crâne et la colonne vertébrale. Il reçoit les nerfs sensitifs, qui arrivent de la surface du corps et des organes des sens. Par eux, il est en relations incessantes avec le monde cosmique. En même temps, il communique avec tous les muscles du corps par les nerfs moteurs, et avec tous les organes par les rameaux qui se rendent au système grand sympathique. Des nerfs, en nombre immense, sillonnent donc de toutes parts l’organisme. Leurs rameaux microscopiques s’insinuent entre les cellules de la peau, autour des culs-de-sac des glandes, de leurs canaux excréteurs, dans les tuniques des artères et des veines, dans les enveloppes contractiles de l’estomac et de l’intestin, à la surface des fibres musculaires, etc. Ils étendent la ténuité de leur réseau sur le corps entier. Tous, ils émanent des cellules qui habitent le système nerveux central, la double chaîne des ganglions sympathiques, et les petits amas ganglionnaires disséminés dans les organes.
Ces cellules sont les plus nobles et les plus délicats des éléments du corps. Avec l’aide des techniques de Ramon y Cajal, elles nous apparaissent avec une admirable clarté. Elles ont un corps volumineux qui, dans les espèces habitant l’écorce du cerveau, ressemble- à une pyramide, et des organes compliqués, aux fonctions encore inconnues. Elles se prolongent en des filaments graciles, les dendrites et les axones. Certains axones parcourent sans s’interrompre la distance qui sépare la surface cérébrale de la partie inférieure de la moelle. Les axones, les dendrites, et la cellule dont ils proviennent, forment un individu distinct, le neurone. Les fibres d’une cellule ne s’unissent jamais à celles d’une autre cellule. Elles se terminent par une frondaison de boutons microscopiques, dont on observe, sur les films cinématographiques, l’agitation incessante. Ces boutons s’articulent par l’intermédiaire d’une membrane, la membrane synaptique, avec les terminaisons semblables d’une autre cellule. Dans chaque neurone, l’influx nerveux se propage, par rapport au corps cellulaire, toujours dans le même sens. Sa direction est centripète dans les dendrites et centrifuge dans les axones. Il passe d’un neurone à l’autre en franchissant la membrane synaptique. Il pénètre de la même façon dans la fibre musculaire sur laquelle s’appliquent les bulbes terminaux des fibrilles.
Mais il y a une condition étrange à son passage. Il faut que la valeur du temps, la chronaxie, soit identique dans les neurones contigus, ou dans le neurone et la fibre musculaire. Entre deux neurones qui comptent chacun de façon différente le passage du temps, la propagation de l’influx nerveux ne se fait pas. De même, un muscle et son nerf doivent être isochroniques. Si un poison, tel que le curare ou la strychnine, modifie la chronaxie d’un nerf, l’influx cesse de passer de ce nerf au muscle. Une paralysie se produit, bien que le muscle soit normal. Ces relations temporelles du nerf et du muscle sont aussi indispensables que leurs relations spatiales à l’intégrité de la fonction. Ce qui se produit dans les nerfs pendant la douleur ou les mouvements volontaires, nous l’ignorons. Nous savons seulement qu’une variation du potentiel électrique se déplace le long du nerf pendant son activité. C’est ainsi qu’Adrian a pu mettre en évidence, dans des fibrilles isolées, la marche des ondes négatives dont l’arrivée au cerveau se traduit par une sensation douloureuse.
Les neurones s’articulent les uns aux autres en un système de relais, comme des relais électriques. Ils se divisent en deux groupes. L’un comprend les neurones récepteurs et moteurs, qui reçoivent les impressions du monde extérieur, ou des organes, et dirigent les muscles. L’autre, les neurones d’association, dont le nombre immense donne aux centres nerveux de l’homme leur richesse et leur complexité. Notre intelligence est aussi incapable d’embrasser l’étendue du cerveau que celle de l’Univers sidéral. Les centres nerveux contiennent plus de douze milliards de cellules. Ces cellules sont unies les unes aux autres par des fibres, dont chacune possède des branches multiples. Grâce à ces fibres, elles s’associent entre elles plusieurs trillions de fois. Et ce prodigieux ensemble, malgré son inimaginable complexité, fonctionne comme une chose essentiellement une. A nous, observateurs habitués à la simplicité des machines et des instruments de précision, il se présente comme un phénomène incompréhensible et merveilleux.
Une des fonctions principales des centres nerveux est de donner une réponse appropriée aux excitations qui viennent du milieu extérieur. En d’autres termes, de produire des mouvements réflexes. Une grenouille décapitée est suspendue, les jambes pendantes. On pince un des orteils. La jambe se fléchit. Ce phénomène est dû à la présence d’un arc réflexe, de deux neurones, l’un sensitif, l’autre moteur, articulés l’un à l’autre au sein de la moelle. En général, l’arc réflexe est compliqué par la présence des neurones d’association qui s’interposent entre les neurones sensitif et moteur. C’est grâce à ces systèmes neuroniques que se produisent les actes réflexes, tels que la respiration, la déglutition, la station debout, la locomotion, la plupart des mouvements de notre vie habituelle. Ces mouvements sont automatiques. Mais certains sont modifiables par la conscience. Il suffit, par exemple, de fixer notre attention sur nos mouvements respiratoires pour modifier leur rythme. Au contraire, le coeur, l’estomac, l’intestin, sont soustraits à notre volonté. Et même, si nous pensons à eux, leur automatisme se trouve gêné. Bien que les mouvements qui maintiennent notre attitude et permettent la marche soient aussi commandés par la moelle, leur coordination dépend du cervelet. Ainsi que la moelle et le bulbe, le cervelet n’intervient pas dans les processus mentaux.
L’écorce cérébrale est une mosaïque d’organes nerveux distincts, qui sont en rapport avec les différentes parties du corps. Par exemple, la région latérale du cerveau, connue sous le nom de région de Rolando, détermine les mouvements de préhension, de locomotion, et aussi ceux du langage articulé. En arrière d’elle, se trouvent les centres de la vision. Les blessures, les tumeurs, les hémorragies de ces différents districts se traduisent par des troubles des fonctions correspondantes. Des désordres analogues apparaissent, quand les lésions siègent sur les fibres unissant ces centres aux centres inférieurs de la moelle. C’est dans l’écorce cérébrale que se produisent les réflexes, que Pavlov a étudiés sous le nom de réflexes conditionnels. Un chien sécrète de la salive quand un aliment est placé dans sa bouche. C’est un réflexe inné. Mais il sécrète aussi de la salive quand il voit la personne qui, d’habitude, lui apporte sa nourriture. C'est un réflexe conditionnel, ou acquis. Grâce à cette propriété du système nerveux, l’homme et les animaux sont éducables. Si l’écorce cérébrale est enlevée, l’acquisition de nouveaux réflexes devient impossible. Toute cette connaissance est encore rudimentaire. Rien ne nous permet de comprendre les relations de la conscience et des processus nerveux, du mental et du cérébral. Nous ne savons pas comment les événements qui se passent dans les cellules pyramidales sont influencés par des événements antérieurs ou des événements futurs, comment des excitations y sont changées en inhibitions, et vice versa. Nous savons encore moins comment des phénomènes imprévisibles y surgissent, comment la pensée y naît.
Le cerveau et la moelle forment avec les nerfs et les muscles un système indivisible. Les muscles ne sont, au point de vue fonctionnel, qu’un prolongement du cerveau. C’est grâce à eux et à leur armature osseuse que l’intelligence humaine a mis son empreinte sur le monde. La forme de notre squelette est une condition essentielle de notre puissance. Les membres sont des leviers articulés, composés de trois segments. Le membre supérieur est monté sur une plaque mobile, l’omoplate, tandis que la ceinture osseuse, à laquelle s'articule le membre inférieur, est tout à fait rigide et fixe. Le long du squelette sont couchés les muscles moteurs. A l’extrémité du bras, ces muscles s’épanouissent en tendons, qui meuvent les doigts et la main elle-même. La main est un chef-d’oeuvre. A la fois, elle sent et elle agit. On dirait presque qu’elle voit.
C’est la disposition anatomique de sa peau et de son appareil tactile, de ses muscles et de ses os, qui a permis à la main de fabriquer les armes et les outils. Nous n’aurions jamais acquis la maîtrise de la matière sans l’aide des doigts, ces cinq petits leviers, composés chacun de trois segments articulés, qui sont montés sur les métacarpiens et le massif osseux de la main. La main s’adapte au travail le plus brutal comme au plus délicat. Elle a manié avec une égale habileté le couteau de silex du chasseur primitif, la masse du forgeron, la hache du défricheur de la forêt, la charrue du laboureur, l’épée du chevalier, les commandes de l’aviateur, les pinceaux de l’artiste, la plume du journaliste, les fils du tisseur de soie. Elle est propre à tuer et à bénir, à voler et à donner, à semer le grain à la surface des champs et à lancer des grenades dans les tranchées. La souplesse, la force et l’adaptabilité des membres inférieurs, dont les oscillations pendulaires déterminent la marche et la course, n’ont jamais été égalées par nos machines, qui utilisent seulement le principe de la roue. Les trois leviers, qui s’articulent au bassin, se plient avec une merveilleuse souplesse à toutes les attitudes, à tous les efforts, à tous les mouvements. Ils nous portent aussi bien sur le plancher poli d’une salle de danse que dans le chaos des glaces de la banquise, sur les trottoirs de Park Avenue que sur les pentes des montagnes Rocheuses. Ils nous permettent de marcher, de courir, de tomber, de grimper, de nager, de progresser sur tous les terrains, dans toutes les conditions.
Il existe un autre système organique, composé de substance cérébrale, de nerfs, de muscles et de cartilages, qui, autant que la main, contribue à la supériorité de l’homme sur tous les êtres vivants. Il est constitué par la langue et le larynx, et par leur appareil nerveux. Grâce à lui, nous pouvons exprimer nos pensées, communiquer entre nous par des sons. Sans le langage articulé, la civilisation n’existerait pas. L’usage de la parole, comme celui de la main, a aidé beaucoup au développement du cerveau. Les parties cérébrales de la main, de la langue et du larynx s’étendent sur une large surface de l’écorce. En même temps que ces centres nerveux commandent les mouvements de la préhension, de l’écriture, de la parole, ils sont stimulés par eux. Ils sont, à la fois, déterminants et déterminés. On dirait que le jeu de l’intelligence est facilité par les contractions rythmiques des muscles. Certains exercices physiques paraissent exciter la pensée. C’est pour cette raison, peut-être, qu’Aristote et ses élèves avaient l’habitude de se promener quand ils discutaient les hauts problèmes de la philosophie et de la science. Il semble qu’aucune partie des centres nerveux ne fonctionne isolément. Viscères, muscles, moelle, cerveau sont solidaires les uns des autres. Les muscles, quand ils se contractent, dépendent non seulement de régions étendues du cerveau, et de la moelle, mais aussi de nombreux viscères. Ils reçoivent leurs directions du système nerveux central, et leur énergie du coeur, des poumons, des glandes, et du milieu intérieur. Pour obéir au cerveau, ils ont besoin de l’aide du corps entier.
XI
SYSTÈME NERVEUX VISCÉRAL. - LA VIE INCONSCIENTE DES ORGANES.
C’est grâce au système nerveux autonome que les viscères collaborent à nos relations avec le monde extérieur. Les organes, tels que l’estomac, le foie, le coeur, etc., ne sont pas soumis à notre volonté. Il nous est impossible d’augmenter ou de diminuer quand il nous plait le calibre de nos artères, ou le rythme des pulsations de notre coeur, des contractions de notre intestin. L’indépendance de ces fonctions est due à la présence d’arcs réflexes dans les organes eux-mêmes. Ces systèmes locaux sont faits de petits amas de cellules nerveuses disséminées dans les tissus, sous la peau, autour des vaisseaux sanguins, etc. Il existe une quantité de centres réflexes qui donnent leur automatisme aux viscères. Par exemple, une anse intestinale, enlevée du corps, et pourvue d’une circulation artificielle, présente des mouvements normaux. Un rein greffé recommence tout de suite à sécréter. La plupart des organes possèdent une certaine indépendance. Ils peuvent fonctionner même quand ils sont isolés du corps. Les innombrables fibres nerveuses, dont ils sont pourvus, viennent de la double chaîne des ganglions sympathiques qui se trouvent au-devant de la colonne vertébrale, et des autres ganglions placés autour des vaisseaux de l’abdomen. Ces centres ganglionnaires commandent à tous les organes, règlent leur travail. D’autre part, grâce à leurs relations avec la moelle, le bulbe, et le cerveau, ils coordonnent l’action des viscères avec celle des muscles dans les actes qui demandent l’effort du corps entier.
Les ganglions sympathiques sont unis au système central, en trois régions différentes, par des rameaux qui les font communiquer avec les parties crânienne, dorsale et pelvienne du système central, ou volontaire. Les nerfs autonomes de la région crânienne et de la région du pelvis s’appellent parasympathiques. Ceux de la région dorsale, les nerfs sympathiques proprement dits. L’action du parasympathique et du sympathique s’opposent l’une à l’autre. Les viscères sont ainsi à la fois indépendants et dépendants du système nerveux central. Il est possible d’enlever, en une seule masse, du corps d’un chat ou d’un chien, les poumons, le coeur, l’estomac, le foie, le pancréas, l’intestin, la rate, les reins, la vessie avec leurs vaisseaux sanguins et leurs nerfs, sans que le coeur s’arrête de battre et le sang de circuler. Si cet être viscéral est placé dans un bain chaud, et si on fournit de l’oxygène à ses poumons, il continue à vivre. Le coeur bat, l’estomac et l’intestin se contractent et digèrent les aliments. Quand on extirpe simplement à l’animal vivant, comme l’a fait Cannon, la double chaîne sympathique, le système viscéral est tout à fait isolé du système nerveux central. Cependant, les animaux ainsi opérés vivent en bonne santé dans leur cage. Mais ils ne seraient pas capables d’une existence libre. Car, dans la lutte pour la vie, ils ne peuvent plus appeler leur coeur, leurs poumons et leurs glandes au secours de leurs muscles, de leurs griffes et de leurs dents.
Les nerfs sympathiques agissent sur les pulsations du coeur, sur les contractions des muscles des artères et de l’intestin, et sur la sécrétion des cellules glandulaires. L’influx nerveux s’y propage, comme dans les nerfs moteurs, des ganglions centraux aux organes. Chaque organe a une double innervation, l’une venant du sympathique, l’autre du parasympathique. Le parasympathique ralentit le coeur, et le sympathique l’accélère. De même, le premier dilate la pupille, le second la fait contracter. Les mouvements de l’intestin sont ralentis par le sympathique et accélérés par le parasympathique. Suivant la prédominance de l’un ou de l’autre de ces systèmes, les êtres humains ont des tempéraments différents. Ce sont ces nerfs qui règlent la circulation de chaque organe. Le grand sympathique produit la constriction des artères, la pâleur de la face dans les émotions et certaines maladies. Sa section est suivie de rougeur de la peau et du rétrécissement de la pupille. Certaines glandes, telles que l’hypophyse et les surrénales, sont faites à la fois de cellules glandulaires et nerveuses. Elles entrent en activité sous l’influence du sympathique. Les substances chimiques qu’elles sécrètent ont le même effet sur les vaisseaux que le nerf lui-même. Elles augmentent son pouvoir. Comme le grand sympathique, l’adrénaline fait contracter les vaisseaux. En somme, le système nerveux autonome, par ses fibres sympathiques et parasympathiques, tient sous sa domination le monde immense des viscères. C’est lui qui unifie leur action. Nous décrirons plus loin comment il est le substratum le plus important des fonctions qui nous permettent de durer, les fonctions adaptives.
Le système autonome dépend, comme nous l’avons vu, du système nerveux volontaire, qui est le coordinateur suprême de toutes les activités organiques. Il est représenté par un centre qui se trouve à la base du cerveau. Ce centre détermine la manifestation des émotions. Les blessures et les tumeurs de cette région sont suivies de désordres des fonctions affectives. En effet, c’est par l’intermédiaire des glandes que nos émotions peuvent s’exprimer. La honte, la crainte, la colère produisent des modifications de la circulation cutanée, la pâleur ou la rougeur de la face, la contraction ou la dilatation des pupilles, la protrusion de l’oeil, la décharge d’adrénaline dans la circulation, l’arrêt des sécrétions gastriques, etc. C’est pourquoi nos états de conscience ont un effet marqué sur les fonctions des viscères. On sait que beaucoup de maladies de l’estomac et du coeur commencent par des troubles nerveux.
Chez les individus bien portants, les organes restent ignorés. Cependant, ils possèdent des nerfs sensitifs. Ils envoient sans cesse des messages aux centres nerveux et, en particulier, au centre de la conscience viscérale. Quand notre attention est dirigée vers les choses extérieures dans la lutte quotidienne pour la vie, les impressions, qui viennent des organes, ne franchissent pas le seuil de la conscience. Mais, sans que nous nous en doutions, elles donnent une certaine couleur à nos pensées, à nos émotions, à nos actions, à toute notre vie. On peut avoir, sans raison, l'impression d'un malheur imminent. Ou bien, celle de la joie, d’un bonheur inconnu. L’état de nos systèmes organiques agit obscurément sur la conscience. Parfois un organe nous donne, de cette façon, l’avertissement du danger. Quand un homme, bien portant ou malade, éprouve la sensation de sa mort prochaine, cette nouvelle lui arrive probablement du centre de la conscience viscérale. Et la conscience viscérale se trompe rarement. Certes, chez les habitants de la Cité nouvelle, les fonctions sympathiques sont aussi déséquilibrées que celles de la conscience. Il semble que le système autonome soit devenu moins capable de protéger le coeur, l’estomac, l’intestin et les glandes contre les émotions de l’existence. Dans les dangers et la brutalité de la vie primitive, il était suffisant. Mais il ne résiste pas aux chocs incessants de la vie moderne.
XII
COMPLEXITÉ ET SIMPLICITE DU CORPS. - LES LIMITES ANATOMIQUES ET LES LIMITES PHYSIOLOGIQUES DES ORGANES. - HOMOGÉNÉITÉ PHYSIOLOGIQUE ET HÉTÉROGÉNÉITÉ ANATOMIQUE.
Le corps nous apparaît donc comme une chose extrêmement complexe, une gigantesque association de diverses races cellulaires dont chacune se compose de milliards d’individus. Ces individus vivent immergés dans des humeurs faites de substances chimiques qu’ils manufacturent eux-mêmes, et de celles qui leur viennent des aliments. D’un bout à l’autre du corps, ils se communiquent les produits de leurs sécrétions. En outre, ils sont unis entre eux par le système nerveux. Nos méthodes d’analyse nous mettent en présence d’une prodigieuse complexité. Et cependant, ces foules immenses se comportent comme un être essentiellement un. Nos actes sont simples. Par exemple, estimer de façon exacte un poids minime, choisir sans les compter et sans se tromper un nombre donné de petits objets. Cependant, ces gestes apparaissent à notre intelligence comme composés d’une multitude d’éléments. Ils demandent le travail harmonique du sens musculaire, des muscles de la peau, de la rétine, de l’oeil, d’innombrables cellules musculaires et nerveuses. La simplicité est probablement réelle. La complexité, artificielle. Rien n’est plus simple, plus homogène que l’eau de l’Océan. Mais, si nous pouvions la regarder à travers un appareil grossissant seulement un million de fois, elle perdrait sa simplicité. Elle deviendrait une population extrêmement hétérogène de molécules de dimensions et de formes différentes, se mouvant à des vitesses variées en un inextricable chaos. C’est ainsi que les objets de notre monde sont simples ou complexes suivant les techniques que nous employons pour les étudier. En fait, la simplicité fonctionnelle a toujours un substratum complexe. C'est une donnée immédiate de l’observation, que nous devons accepter telle qu’elle est.
Nos tissus sont d’une grande hétérogénéité structurale. Ils se composent d’éléments très différents les uns des autres. Le foie, la rate, le coeur, les reins, ont chacun une individualité et des limites définies. Pour les anatomistes et pour les chirurgiens, notre hétérogénéité organique est indiscutable. Il semble, cependant, qu’elle soit plus apparente que réelle. Les fonctions sont beaucoup moins nettement délimitées que les organes. Le squelette, par exemple, n’est pas simplement la charpente du corps. Il fait aussi partie des systèmes circulatoire, respiratoire et nutritif, puisqu’il fabrique, grâce à la moelle, des leucocytes et des globules rouges. Le foie sécrète de la bile, détruit les poisons et les microbes, emmagasine du glycogène, règle le métabolisme du sucre dans l’organisme entier, produit de l’héparine. Il en est de même du pancréas, des surrénales, de la rate, etc. Chacun de ces organes a des rôles multiples. Il prend part à presque tous les événements du corps. Mais son individualité anatomique a des frontières plus étroites que son individualité physiologique.
Une société cellulaire, par l’intermédiaire des substances qu’elle fabrique, s’insinue dans toutes les autres sociétés. En outre, ce vaste ensemble est placé sous la domination d’un centre cérébral unique. Silencieusement, ce centre envoie ses ordres dans toutes les régions du monde organique. Il fait du coeur, des vaisseaux, des poumons, de l’appareil digestif, et de toutes les glandes endocrines, un tout, où se confondent les individus morphologiques.
En réalité, l’hétérogénéité de l’organisme est produite par la fantaisie de l’observateur. Pourquoi identifier un organe à ses éléments histologiques plutôt qu’aux substances chimiques sécrétées par lui? A l’anatomiste, les reins apparaissent comme deux glandes distinctes. Au point de vue physiologique, cependant, ils sont un seul être. Si on extirpe l’un d'eux, l’autre s’hypertrophie. Un organe n’est pas limité par sa surface. Il s’étend aussi loin que les substances qu’il sécrète. En effet, son état structural et fonctionnel dépend de la rapidité avec laquelle ces substances sont utilisées par les autres organes. Chaque glande se prolonge par ses sécrétions internes dans le corps entier. Supposons que les substances déversées dans le sang par les testicules soient bleues. Le corps entier du mâle serait bleu.
Les testicules seraient colorés de façon plus intense. Mais leur couleur spécifique se répandrait dans tous les tissus et tous les organes, même dans les cartilages des extrémités des os. Le corps nous apparaîtrait alors comme formé d’un immense testicule. En réalité, l’étendue spatiale et temporelle de chaque glande est égale à celle de l’organisme entier. Un organe est constitué aussi bien par son milieu intérieur que par ses éléments anatomiques. Il est fait à la fois de cellules spécifiques et d’un milieu spécifique. Et ce milieu s’étend bien au delà de la frontière anatomique. Quand on réduit le concept d’une glande à celui de sa charpente fibreuse, de ses cellules, de ses vaisseaux et de ses nerfs, on ne peut pas comprendre l’existence de l’organisme vivant. En somme, le corps est fait d’une hétérogénéité anatomique et d’une homogénéité physiologique. Il agit comme s’il était simple. Mais il nous montre une structure complexe. Cette antithèse est fabriquée par notre esprit, qui se représente l’homme comme construit de la même façon qu'une machine.
XIII
MODE D’ORGANISATION DU CORPS. – L’ANALOGIE MÉCANIQUE. - LES ANTITHÈSES. - LA NÉCESSITÉ DE S’EN TENIR AUX DONNÉES IMMÉDIATES DE L’OBSERVATION. - LES RÉGIONS INCONNUES.
L’organisation de notre corps, cependant, ne ressemble pas au montage d’une machine. Une machine se compose de pièces multiples, originellement séparées. Une fois ces pièces assemblées, elle devient simple. Elle est organisée, comme l’être vivant, pour une fonction déterminée. Comme lui, elle est à la fois simple et complexe. Mais elle est primairement complexe et secondairement simple. Au contraire, l’être humain est primairement simple et secondairement complexe. Il se compose d’abord d’une seule cellule. Cette cellule se divise en deux autres, qui se divisent à leur tour, et la division continue indéfiniment. Au cours de ce processus de complication structurale, l’embryon retient la simplicité fonctionnelle de l’oeuf. On dirait que les cellules, même quand elles sont devenues les éléments d’une innombrable foule conservent le souvenir de leur unité originelle. Elles connaissent d’avance les fonctions qui leur sont attribuées dans l’ensemble de l’organisme. Si on cultive des cellules épithéliales pendant plusieurs mois en dehors de l’animal dont elles proviennent, elles se disposent encore en mosaïque, comme pour recouvrir une surface. Des leucocytes, vivant dans des flacons, phagocytent des microbes et des globules rouges, bien qu’ils n’aient pas à défendre le corps, contre les incursions de ces étrangers. La connaissance innée du rôle qu’ils doivent jouer dans le tout est un mode d’être des éléments du corps.
Des cellules isolées ont le singulier pouvoir de reproduire, sans direction ni but, les édifices qui caractérisent les organes. Si d’une goutte de sang placée dans du plasma liquide quelques globules rouges, entraînés par la pesanteur, s’écoulent comme un petit ruisseau, des rives se forment bientôt autour de ce ruisseau. Ces rives se couvrent ensuite de filaments de fibrine. Et le ruisseau devient un tube où les globules rouges passent comme dans un vaisseau sanguin. Puis, des leucocytes viennent se coucher à la surface de ce tube, l’entourent de leurs prolongements, et lui donnent l’aspect d'un capillaire muni de cellules contractiles. Ainsi, des globules sanguins forment un segment d’appareil circulatoire, bien qu’il n’existe ni coeur, ni circulation, ni tissus à irriguer. Les cellules ressemblent à des abeilles qui construisent leurs alvéoles géométriques, fabriquent leur miel, nourrissent leurs embryons, comme si chacune d’elles connaissait les mathématiques, la chimie, la biologie, et agissait dans l’intérêt de toute la communauté. Cette tendance à la formation d’organes par leurs éléments constitutifs est, comme les aptitudes sociales des insectes, une donnée immédiate de l’observation. Elle est inexplicable à l’aide de nos concepts actuels. Mais elle nous aide à comprendre comment s’organise le corps vivant.
Un organe s’édifie par des procédés qui paraissent très étranges à notre esprit. Il ne demande pas un apport de cellules, comme une maison un apport de matériaux. Il n’est pas une construction cellulaire. Sans doute, il se compose de cellules, ainsi qu’une maison, de briques. Mais il vient de ces cellules comme si la maison naissait d’une brique. Une brique qui se mettrait à fabriquer d’autres briques, en utilisant l’eau du ruisseau, les sels minéraux qu’elle contient, et les gaz de l’atmosphère. Puis ces briques s’assembleraient en murailles, sans attendre le plan de l’architecte et l’arrivée des maçons. Elles se transformeraient aussi en vitres pour les fenêtres, en ardoises pour le toit, en charbon pour le chauffage, en eau pour la cuisine. En somme, un organe se développe par les procédés attribués aux fées dans les contes qu’on racontait jadis aux enfants. Il est produit par des cellules qui semblent connaître l’édifice futur, et qui synthétisent, aux dépens du milieu intérieur, le plan de construction, les matériaux, et les ouvriers.
Les méthodes de l’organisme sont donc totalement différentes de celles dont nous nous servons dans la construction de nos machines et de nos maisons. Nous ne trouvons pas en elles la simplicité des nôtres. Les procédés employés par notre corps sont entièrement originaux. Nous ne rencontrons pas, dans ce monde intraorganique, les formes de notre intelligence. Celle-ci s’est moulée sur la simplicité du monde cosmique, et non pas sur la complexité des mécanismes internes des animaux. Pour le moment, il nous est impossible de comprendre le mode d’organisation de notre corps, et ses activités nutritives et nerveuses.
Les lois de la mécanique, de la physique et de la chimie s’appliquent complètement à l’Univers matériel. Partiellement, à l’être humain. Il faut définitivement abandonner les illusions des mécanicistes du dix-neuvième siècle, les dogmes de Jacques Loeb, les puériles conceptions physico-chimiques de l’homme, où se complaisaient encore tant de physiologistes et de médecins. Il faut rejeter aussi les fantaisies philosophiques et humanistiques des physiciens et des astronomes. Après beaucoup d’autres, Jeans croit et enseigne que le Dieu, créateur de l’Univers sidéral, est mathématicien. S’il en est ainsi, le monde matériel, les êtres vivants, et l’homme n’ont pas été créés par le même Dieu. Combien naïves sont nos spéculations! A la vérité, de la constitution de notre corps, nous n’avons qu’une connaissance rudimentaire. Nous devons nous contenter, pour le moment, de l’observation positive de nos activités organiques et mentales, et nous avancer, sans autre guide qu’elle, dans l’inconnu.
XIV
FRAGILITÉ ET SOLIDITÉ DU CORPS. - LE SILENCE DU CORPS PENDANT LA SANTÉ. - LES ÉTATS INTERMÉDIAIRES ENTRE LA MALADIE ET LA SANTÉ.
Notre corps est d’une grande solidité. Il s’accommode de tous les climats, de la sécheresse, de l’humidité, du froid des régions polaires, de la chaleur tropicale. Il supporte également la privation de nourriture, les intempéries, les fatigues, les soucis, le travail excessif. L’homme est le plus résistant de tous les animaux. Et la race blanche, qui a construit notre civilisation, est la plus résistante de toutes les races. Cependant, nos organes sont fragiles. Ils se déchirent au moindre choc. Ils se désintègrent dès que la circulation s’arrête. Le cerveau s’écrase sous une légère pression du doigt. Cette opposition entre la solidité et la fragilité de l’organisme est, comme la plupart des antithèses que nous rencontrons en biologie, une illusion de notre esprit. Elle résulte de la comparaison inconsciente que nous faisons toujours de notre corps à une machine. La solidité d’une machine dépend de celle du métal dont elle est construite, et de la perfection de son montage.
Mais celle d’un être vivant est due à des causes différentes. Elle vient surtout de l’élasticité des tissus, de leur ténacité, de leur propriété de se reproduire au lieu de s’user, du pouvoir étrange que possède l'organisme, de faire face à une situation nouvelle par des changements adaptifs. La résistance à la maladie, à la fatigue, aux soucis, la capacité d’effort, l’équilibre nerveux donnent la mesure de la supériorité des hommes. De telles qualités caractérisaient les fondateurs de notre civilisation. Les grandes races blanches doivent leur succès à la perfection de leur système nerveux. Système nerveux qui, quoique très sensible et excitable, est cependant susceptible de discipline. Ce sont les qualités exceptionnelles de leurs tissus et de leur conscience, qui ont donné aux peuples de l’Europe occidentale et à leurs essaims des Etats-Unis la prédominance sur tous les autres.
Nous ignorons la nature de cette solidité organique, de cette supériorité nerveuse et mentale. Sont-elles dues à la structure même des cellules, aux substances chimiques qu’elles synthétisent, à la manière dont les organes sont intégrés en un tout par les humeurs et par les nerfs? Nous ne le savons pas. Ces qualités sont héréditaires. Elles existent chez nous depuis beaucoup de siècles. Cependant, elles peuvent disparaître, même dans les plus grandes et les plus riches nations. L’histoire des civilisations passées nous montre la possibilité de cette catastrophe. Mais elle ne nous explique pas clairement sa genèse. Il est certain que la solidité du corps et de la conscience doit être conservée à tout prix. La force mentale et nerveuse est infiniment plus importante que la force musculaire. Le descendant non dégénéré d’une grande race possède une résistance naturelle à la fatigue et à la crainte. Il ne songe pas à sa santé ou à sa sécurité. Il ignore les médecins. Il ne croit pas que l’âge d'or arrivera quand les chimistes physiologiques auront obtenu toutes les vitamines et tous les produits de sécrétions des glandes endocrines à l’état pur. Il se considère comme destiné à agir, à penser, à aimer, à lutter, à conquérir. Son action sur le monde extérieur est aussi essentiellement simple que le bond de la bête féroce quand elle se jette sur sa proie. Pas plus que l’animal, il ne perçoit sa complexité structurale.
Le corps bien portant vit silencieusement. Nous ne l’entendons pas, nous ne le sentons pas fonctionner. Les rythmes de notre existence se traduisent par les impressions cénesthésiques, qui, comme le bruissement doux d’un moteur à seize cylindres, occupent le fond de notre conscience quand nous sommes dans le silence et le recueillement. L’harmonie des fonctions organiques donne le sentiment de la paix. Quand la présence d’un organe atteint le seuil de la conscience, cet organe commence à mal fonctionner. La douleur est un signal d’alarme. Beaucoup de gens, sans être malades, ne sont pas cependant en bonne santé. La qualité de certains de leurs tissus est mauvaise. Les sécrétions de telle glande ou de telle muqueuse sont trop ou trop peu abondantes. L’excitabilité de leur système nerveux est exagérée. La corrélation de leurs fonctions organiques dans l’espace ou dans le temps se fait mal. La résistance de leurs tissus aux infections n’est pas suffisante. Ces états d’infériorité corporelle pèsent lourdement sur leur destinée, et les rendent malheureux. Celui qui découvrira les moyens de produire le développement harmonieux des tissus et des organes sera l’instaurateur d’un grand progrès. Car, plus que Pasteur lui-même ne l’a fait, il augmentera chez les hommes l’aptitude au bonheur.
Il y a beaucoup de causes à l’affaiblissement du corps. On sait qu’une alimentation trop pauvre ou trop riche, l’alcoolisme, la syphilis, les unions consanguines, et aussi la prospérité et les loisirs diminuent la qualité des tissus et des organes. L’ignorance et la pauvreté ont les mêmes effets que la richesse. Les hommes civilisés dégénèrent dans les climats tropicaux. Ils se développent surtout dans les climats tempérés ou froids. Ils ont besoin d’un mode de vie qui impose à chacun un effort constant, une discipline physiologique et morale, et des privations. De telles conditions d’existence leur donnent la résistance à la fatigue et aux soucis. Elles les préservent de beaucoup de maladies, en particulier des maladies nerveuses. Elles les poussent irrésistiblement à la conquête du monde extérieur.
XV
LES MALADIES INFECTIEUSES ET DÉGÉNÉRATIVES.
La maladie consiste en un désordre fonctionnel et structural. La variété de ses aspects est aussi grande que celle de nos activités organiques. Il y a des maladies de l’estomac, des maladies du coeur, des maladies du système nerveux, etc. Mais le corps malade garde la même unité que le corps normal. Il est malade tout entier. Aucune maladie ne reste strictement confinée à un seul organe. C’est la vieille conception anatomique de l’être vivant qui a conduit les médecins à faire de chaque maladie une spécialité. Seuls, ceux qui connaissent l’homme à la fois dans ses parties et dans son ensemble, sous son triple aspect anatomique, physiologique et mental, peuvent le comprendre quand il est malade.
Il y a deux grandes classes de maladies. Les maladies infectieuses ou microbiennes, et les maladies dégénératives. Les premières viennent de la pénétration dans le corps de virus ou de bactéries. Les virus sont des êtres invisibles et tout petits, à peine plus gros qu’une molécule d’albumine. Ils sont capables de vivre dans l’intérieur des cellules. Ils affectionnent les éléments du système nerveux, ceux de la peau, ceux des glandes. Ils les tuent, ou ils modifient leurs fonctions. Ils déterminent la paralysie infantile, la grippe, l’encéphalite léthargique, etc. Et aussi la rage, la fièvre jaune et peut-être le cancer.
Parfois, ils transforment des cellules inoffensives, les leucocytes de la poule, par exemple, en ennemis dévorants, qui envahissent les organes et tuent en quelques jours l’animal. Ces êtres redoutables nous sont inconnus. Nous ne les voyons jamais. Ils ne se manifestent que par leurs effets sur les tissus. Devant eux les cellules sont sans défense. Elles n’opposent pas plus de résistance à leur passage que les feuilles d’un arbre à la fumée. Les bactéries, comparées aux virus, sont de véritables géants. Elles pénètrent cependant avec facilité dans notre corps par la muqueuse intestinale, par celle du nez, des yeux ou du gosier, ou par la surface d’une plaie. Elles s’installent, non pas dans l’intérieur des cellules, mais autour d’elles. Elles envahissent les cloisons qui séparent les organes. Elles se multiplient sous la peau, entre les muscles, dans la cavité de l’abdomen, dans les membranes qui enveloppent le cerveau et la moelle. Elles peuvent aussi envahir le sang. Elles sécrètent dans le milieu intérieur des substances toxiques. Elles jettent le désordre dans toutes les fonctions organiques.
Les maladies dégénératives sont souvent la conséquence des maladies microbiennes, comme il arrive dans certaines affections du coeur et dans le mal de Bright. Souvent aussi, elles sont causées par la présence dans l’organisme de substances toxiques venant des tissus eux-mêmes. Quand la glande thyroïde fabrique de telles substances, les symptômes du goitre exophtalmique apparaissent. Certaines maladies peuvent aussi être produites par l’arrêt de sécrétions indispensables à la nutrition. C’est ainsi que l’insuffisance des glandes endocrines, de la thyroïde, du pancréas, du foie, de la muqueuse gastrique amène des maladies telles que le myxoedème, le diabète, l’anémie pernicieuse, etc. D’autres maladies sont déterminées par le manque des vitamines, sels minéraux et métaux, qui sont nécessaires à la construction et à l’entretien des tissus. Quand les organes ne reçoivent pas du milieu extérieur les matériaux dont ils ont besoin, ils perdent leur résistance aux microbes, se développent mal, fabriquent des poisons, etc. Il y a enfin des maladies qui se sont jouées, jusqu’à présent, des savants et des instituts de recherche médicale. Parmi elles, se trouvent le cancer et une multitude d’affections nerveuses et mentales.
On sait que les progrès de l’hygiène pendant ces vingt-cinq dernières années ont été merveilleux, que la fréquence des maladies infectieuses a diminué de manière frappante. La durée moyenne de la vie était seulement de quarante-neuf ans en 1900. Elle a augmenté de plus de onze ans depuis cette époque. Malgré cette grande victoire de la médecine, le problème de la maladie demeure formidable. L’être humain moderne est délicat. Onze cent mille personnes doivent employer tout leur temps à soigner 120 millions d’autres personnes. Parmi cette population des États-Unis, il y annuellement à, peu près 100 millions de cas de maladies, graves ou légères. Dans les hôpitaux, 700 000 lits sont occupés chaque jour de l’année. Les malades, hospitalisés ou non hospitalisés, se servent de 142 000 médecins, 65 000 dentistes, 150 000 pharmaciens et 280 000 nurses ou élèves nurses. Et aussi 7 000 hôpitaux, 8 000 cliniques et 60 000 pharmacies. Ils dépensent chaque année 715 millions de dollars pour acheter des remèdes. L’ensemble des soins médicaux sous toutes leurs formes coûte 3 500 millions de dollars. Évidemment, la maladie est encore un lourd fardeau économique. Son importance dans la vie de chacun est incalculable. La médecine est loin d’avoir diminué, autant qu’on le croit généralement, la somme des souffrances humaines.
Comme on meurt moins des maladies infectieuses, on meurt davantage des maladies dégénératives qui sont plus longues et plus douloureuses. Les années d’existence que nous gagnons, grâce à la suppression de la diphtérie, de la variole, de la typhoïde, etc., sont payées par les souffrances prolongées qui précèdent la mort due aux affections chroniques. Le cancer est, chacun le sait, particulièrement cruel. En outre, l’homme civilisé est, comme jadis, exposé à la syphilis et aux tumeurs du cerveau, à sa sclérose, à son ramollissement, aux hémorragies de ses vaisseaux et à la déchéance intellectuelle, morale et physiologique que produisent ces maladies. Il est également sujet à des désordres organiques ou fonctionnels résultant des conditions nouvelles de l'existence, de l’agitation incessante, de l’excès de nourriture et de l’insuffisance d’exercice physique. Le déséquilibre du système viscéral amène des affections de l’estomac et de l’intestin. Les maladies du coeur deviennent plus fréquentes. Et aussi le diabète. Quant aux affections du système nerveux central, elles sont innombrables. Dans le cours de son existence, tout individu souffre de quelque atteinte de neurasthénie, de dépression nerveuse, engendrée par la fatigue, le bruit, les inquiétudes et le surmenage. Quoique l’hygiène moderne ait beaucoup allongé la durée moyenne de la vie, elle est loin d’avoir supprimé les maladies. Elle s’est contentée de changer leur nature.
Ce changement ne vient pas seulement de la diminution des maladies infectieuses. Mais aussi des modifications survenues dans la constitution des tissus et des humeurs sous l’influence des modes nouveaux de l’existence. L’organisme est devenu plus susceptible aux maladies dégénératives. Il est affecté par les chocs nerveux et mentaux auxquels il est continuellement soumis, par les substances toxiques que fabriquent nos organes dans leurs désordres fonctionnels, par celles qui pénètrent en lui avec les aliments et avec l’air, par la carence des fonctions physiologiques et mentales essentielles. Il ne reçoit plus des aliments les plus communs les mêmes substances nutritives qu’autrefois. A cause de leur production en masse et des techniques de la commercialisation, le blé, les oeufs, le lait, les fruits, etc., tout en conservant leur apparence familière, se sont modifiés. Les engrais chimiques, en augmentant l’abondance des récoltes et en appauvrissant le sol de certains éléments qu’ils ne remplacent pas, ont altéré la constitution des grains des céréales. On a obligé les poules, par une alimentation artificielle, à la production en masse d’oeufs. La qualité de ces oeufs n’est-elle pas différente? Il en est de même du lait des vaches enfermées toute l’année dans des étables et nourries avec des produits manufacturés. En outre, les hygiénistes n’ont pas apporté une attention suffisante à la genèse des maladies. Leurs études de l’influence du mode de vie et de l’alimentation sur l’état physiologique, intellectuel et moral des hommes modernes sont superficielles, incomplètes et de trop courte durée. Ils ont contribué ainsi à l’affaiblissement de notre corps et de notre esprit. Et ils nous laissent exposés aux attaques des maladies dégénératives. Nous comprendrons mieux l’histoire de ces maladies de la civilisation après avoir envisagé les fonctions mentales. Dans la maladie, comme dans la santé, le corps et la conscience, quoique distincts, sont inséparables.
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