XIII
Il s'agit maintenant de la fête de Rosch-
Haschana, (La nouvelle Année) et de la cérémonie
du Son du cor.
Les Juifs fêtent le Rosch-Haschana, dans
la journée indiquée déjà par Moïse, le premier
jour de Siechry (correspondant aux premiers
jours du mois de septembre).
Bien qu'après la chute du Temple de Jéru-
salem la fête de Rosch-Haschana ait complè-
tement perdu son ancien caractère extérieur
et intérieur, cependant cette fête a gardé tout
son ancien prestige comme influence sur la
conservation et le développement de la vie
nationale des Juifs.
Sans doute, si lon compare le jour de
Rosch-Haschana du temps de lexistence du
Temple de Jérusalem, avec celui d'à présent,
on trouve la même différence qu'entre la gloire
et la honte, entre le triomphe et l'humiliation.
Dans ce temps-là, ce jour, selon sa signification
même, était pour tout le peuple d'Israël
un jour de grand triomphe. Le Temple
retentissant des chants des lévites, accompagnés
des joyeux sons de la trompette, ouvrait,
par le jour de Rosch-Haschana , la période
des dix jours pendant lesquels le peuple, le
sacerdoce et le Temple lui-même se purifiaient
et se préparaient à un majestueux triomphe, à
ce moment solennel où le grand-prêtre, venu,
avec les holocautes purifiants, au Temple des
Temples, apportait au peuple à son retour l'oubli
et le pardon de Jéhovah. A l'arrivée de ce
jour tant désiré et tant attendu, où l'espérance
d'obtenir le pardon de l'Invisible Jéhovah illuminait
les yeux du peuple d'Israël prosterné,
le grand-prêtre offrait, pendant le sacrifice,
les adieux de tout le peuple à l'année écoulée,
avec toutes ses souffrances et tous ses malheurs,
et saluait la nouvelle, qui recelait dans
son sein les bénédictions et les grâces que Dieu
devait répandre sur son peuple élu.
Par cette interprétation des pensées et de la
cérémonie extérieure pendant lejour de Rosch-
Haschana, il est clair que ce jour devait être
pour les Juifs un jour d'espérance et de
triomphe.
A présent, tout a changé, tout s'est assombri.
Actuellement Rosch-Haschana est unjour
de tristesse, de pleurs et d'affliction, La cause
de ce changement est visible ; la nation, qui a
perdu son indépendance et son autonomie,
ressemble à un homme maladif qui, en présence
même du danger résultant de ce bouleversement,
ne voudrait pas cependant se résigner
à se croire incurable et ne pourrait
envisager l'idée noire et désespérante de la
mort. La nation qui se trouve dans cette situation
a besoin de bercer son imagination
d'une espérance qui rafraîchisse les idées, ne
fût-ce que par des rêves d'avenir et par des
illusions.
Au moment fatal, lorsque les lauriers ornent
déjà la tête du vainqueur, l'espérance, cette
dernière amie du vaincu et de l'opprimé, le
soutient encore , en le confirmant dans cette
pensée que, puisqu'il n'a point réussi dans les
entreprises de ce bas monde, il sera consolé
par cette puissance du monde inconnu, vers
lequel tout malheureux, dans sa détresse, élève
ses regards.
Dans cette exaltation, les idées patriotiques
de la nation se marient et se confondent complètement
avec les idées religieuses, car ces
sentiments ne sont pas inspirés par les intérêts
matériels et les passions de la terre,
mais ils sont réchauffés par des rayons brûlants
qui descendent d'un monde inconnu sur
l'imagination travaillée par l'idée religieuse.
Alors la résurrection de la nationalité, le
retour aux usages, à la liberté perdue, occupent
la première place dans les aspirations
du peuple anéanti. Pour soutenir cet indélébile
sentiment, sans lequel la régénération
nationale ne serait qu'une fiction, se forme
une littérature lyrique, légendaire, traditionnelle,
mystique et patriotique, poussée à la
plus haute exaltation, et qui a pour but d'entretenir
le feu sacré de l'amour de la patrie
perdue. — Il est tout naturel que ces chants
patriotiques qui font vibrer la corde la plus
sensible de la vie nationale, inspirent une
grande admiration chez tout peuple malheureux,
et revêtent le caractère de linspiration
surnaturelle ; mais c'est chez les Juifs seuls
que ces hymnes et ces chants patriotiques
font partie intégrale de la liturgie et occupent
une place importante dans les livres de prières,
ainsi que dans les cérémonies religieuses.
Selon la loi de Moïse, il n'était point permis
de célébrer l'office divin hors du Temple et
hors de Jérusalem. Par ce motif, il s'est produit
une certaine interruption dans la vie spirituelle
d'Israël. Avec la chute du Temple de
Jérusalem, le service divin subit un certain
temps d'interruption. Les adroits meneurs du
peuple d'Israël, qui (comme l'histoire nous l'apprend)
avaient toujours pour but la résurrection
de la nationalité juive, profitèrent de cette
interruption du service divin pour y substituer
Moussaphe, c'est-à-dire le service de la
Synagogue. Ce service est composé en grande
partie d'hymnes patriotiques, dans lesquels
sont racontés et peints d'une manière désespérée,
qui déchire les coeurs des fidèles, ces
jours sombres, hideux et tristes, de la chute
du Temple de Jérusalem, de l'exil, de la persécution,
des tortures de toute sorte, de la
mort.
Grâce à ce moyen artificiel, qui avait pour
but de perpétuer les idées patriotiques chez
les Juifs, les paroles de quelques prophètes
d'Israël : « Et ces fêtes seront changées en
des jours de pleurs et de désespoir, » se sont
accomplies (1) ; et cette prophétie s'est adaptée
parfaitement à la célébration actuelle de la fête
de Rosch-Haschana.
Comme ce jour de la nouvelle année est en
même temps le commencement de la période
des dix jours, pendant lesquels le peuple d'Israël
doit exécuter sa purification, les pleurs,
les cris et les lamentations qu'excite le service
Moussajjhe, par cette exaltation de Tàme, ne
cessent pas. Tout cela est rehaussé encore par
la pénible impression que produit la cérémonie
de Fekiel-Chofère , la sonnerie du cor
prescrite par le Talmud.
Selon la conviction des savants interprètes
(1) Ames., ch. viii, pages 10 à 12.]
du Talmud, la cérémonie de Fekiel-Chofère
(1.) avait été instituée en mémoire de ces
paroles de Moïse : « Et ce jour sera pour vous
le jour où l'on sonnera du cor »(1.) Le jour où on sonne du cor.] ; et les cabalistiques
lunettes des savants interprètes soutiennent
encore que : Le jour de Rosch-Haschana
qui commence par la cérémonie de
Fekiel-Chofère, le Grand Jéhovah sera assis
sur son trône de justice, et, pesant en toute
impartialité les actions des mortels, décrétera
les récompenses et les punitions que chacun
d'eux aura méritées;... qui doit vivre encore,
et qui doit mourir immédiatement;... qui à
temps, prématurément;... qui par leau, qui par
le feu... Tout cela sera décrété, en détail, le
jour de Rosch-Haschana. A ce jugement assisteront,
d'un côté, les défenseurs d'Israël,
connus sous les noms de Dèlatrone , Hasenhach,
Hatzpatzious, etc.. et, du côté opposé,
Satan, avec le compte rendu des actions commises
par les victimes qui se sont laissé entraîner
par ses subterfuges, et qui sont tombées
dans les filets dressés par l'enfer... Et le
son de la trompette vivifiera pendant ce temps
les défenseurs d'Israël, tandis qu'il terrifiera
Satan cet ennemi mortel d'Israël.
Bien que cette citation soit confirmée par
plusieurs passages du Talmud Zoora, le bon
sens suffit pour en réduire à néant l'orthodoxie.
Quiconque, en efTet, a eu Toccasion d'assister à
cette cérémonie, ne peut concevoir comment
le son du cor, qui retentit comme dans une
chasse, pourrait avoir une si haute signification
spirituelle chez les Juifs.
Le 47e psaume, qui est lu sept fois de suite
au peuple d'Israël pendant qu'on sonne du cor,
pourrait prêter à une plus exacte interprétation
de cette cérémonie : « Battez des mains
en signe d'allégresse! Car le puissant terrible
Jéhovah, grand dominateur du monde, soumettra
à votre autorité toutes les nations et
toutes les races humaines, en les jetant sous
vos pieds... Il recherchera et choisira votre
héritage, c'est-à-dire l'orgueil de Jacob, qu'il
a tant aimé depuis des siècles, et alors s'élèvera
la voix de Dieu! (1) » Les Juifs considèrent
ce psaume, non seulement comme une
(1) lVe livre de Moïse, ch. xxix, page 1.]
162 LA RUSSIE JUIVE
prière (1.), mais aussi comme une prophétie
significative de l'accomplissement des promesses
de Dieu envers son peuple élu.
Le sens de cette prophétie, qui est récitée
sept fois de suite devant le peuple d'Israël, avec
accompagnement du cor et au milieu des pleurs
et des lamentations déchirantes des auditeurs,
donne beaucoup mieux la raison d'être de la
cérémonie de Fekiel-Schofère , que le brouillard
qui enveloppe le texte du Talmud et de
la Cabale. Dans ce sens, la cérémonie obligatoire
pour chaque Juif se présente comme la
quintessence de l'hymne sublime, patriotique,
par laquelle les représentants du peuple d'Israël
ouvraient la fête de Rosch-Haschana et
le commencement de la période des dix jours
de l'expiation des péchés (2).
(1.) La prière Unsane-Toket.
(2) Pour confirmer la signification que nous donnons
à la cérémonie de Fekiel-Schofère, nous rappellerons que
le jour du jugement, qui, chez les Juifs, commence dans
la soirée du dernier jour de la période de la purification,
se termine aussi par la cérémonie de Fekiel-Schofère,
accompagnée des mots : « Lechana gabaa Biruchelaim
(que nous soyons l'année prochaine à Jérusalem). On
voit par la que ce signal est resté le même signal patriotique.]
Il est certain que la signification primitive
de la cérémonie de FekielSchofère s'est sensiblement
modifiée jusqu'à nos jours, et cependant
l'influence qu'exerce cette cérémonie sur
l'esprit et les sentiments des Juifs est restée
très grande.
Après la chute de Jérusalem, FekielSchofère
servait d'excitation patriotique aux chefs
d'Israël pour précipiter la population juive
dans les continuelles révoltes qui furent la
cause de son exil en Palestine, après la fatale
insurrection sous le commandement de Barkhoba
, pendant le règne de l'empereur
Adrien.
Aujourd'hui la cérémonie de FekielSchofère
rend plus sombre encore, en l'exaltant,
le tableau déjà assez désolant de la journée
de Rosch-Haschana et entretient parmi les
Juifs ce préjugé, que les adroits meneurs du
peuple d'Israël y ont introduit depuis des siècles,
de se tenir à l'écart pour être séparé du
reste de l'humanité, autant par sa religion que
par ses moeurs et ses usages (1).
(1) Les réunions de plusieurs rabbins éclairés, qui
eurent lieu, en 1869, à Cussel et a Leipzig, avaient pour but de faire rayer des livres de prières juifs toutes les
citations qui parlent de la venue du Messie et du retour
des Juifs à Jérusalem. Ils soutenaient avec raison, qu'avec
ces citations qui excitent et exaltent leurs coreligionnaires,
il sera très difficile et même impossible à
tout Juif d'acquérir le sentiment d'un véritable habitant
du pays où il est né, de le cultiver, et d'en devenir un
vrai citoyen : aussi bien, qu'on ne pourrait lui faire perdre
ces préjugés invétérés et si profondément enracinés
contre toute religion qui n'est pas la sienne.
Le parti adverse soutenait, et avec autant de raison à
son point de vue, qu'en accomplissant ces réformes
l'existence et la raison d'être du peuple d'Israël cesse
dès ce moment. De très curieux détails ont été publiés
sur cette intéressante discussion dans lesjournaux Israélites
Camaguide et Libanon. Les articles du docteur Gordon
sont surtout remarquables, n 31 *et 33 du Camaguide,1869.]
Après tout ce qui a été dit à ce sujet, il sera
facile de comprendre pourquoi la loi du Talmud
avait élevé la cérémonie du Fekiel-Schofère
au rang des cérémonies au plus haut point
obligatoires pour tout Juif, et pourquoi le Kahal
exerce un si strict contrôle sur les synagogues
et autres maisons juives où sont récitées les
prières pendant la fête de Rosch-Haschana. et
la période des dix jours qui suit cette journée.
Voici le document classé sous le n° 30 dans
le Livre sur le Kahal de Brafmann : ;
N° 30.
Sur la défense de réciter des prières pendant le
jour de Rosch-Haschana, dans les maisons
particulières.
Samedi, section de 5 livres. Kito. 5557.
Le Kahal décida qu'il sera publié dans toutes
les maisons où l'on récite les prières, ce qui suit :
Depuis le douzième jour de Sclihot (prière récitée
douze jours avant Rosch-IIaschanai jusqu'au
Yom-Kipour (jour du jugement) inclusivement,
il est défendu à tous les Juifs de la ville de se
réunir pour réciter des prières autre part qu'à la
synagogue. Il serait lancé un Herem contre le
Hahan (chantre) et contre le Baale-Tekiet (celui
qui sonne du cor), si l'un ou l'autre osaient
chanter et sonner du cor dans un autre endroit.
Chaque prière récitée ailleurs qu'à la synagogue,
ou au moins dans un des bâtiments situés
dans la cour de la synanogue, sera considérée
comme offense à la loi divine.
Les propriétaires de maisons, le chantre et le
sonneur de cor, qui enfreindraient cette disposition
du Kahal seraient considérés et punis à l'égal
des renégats qui n'observent pas la loi divine
commentée par Talmud.
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